« Tarsila Popular »
« Tarsila Popular », São Paulo, Museu de Arte de São Paulo, 5 avril – 28 juillet 2019
Texte intégral
1Dans une exposition dédiée à la figure de proue du modernisme brésilien, Tarsila do Amaral, le Musée d’Art de São Paulo (MASP) nous présente l’artiste sous un jour nouveau, à contre-courant des récentes expositions nord-américaines du MoMA (2018) et du Chicago Art Institute (2017). Première rétrospective de l’artiste aux États-Unis, « Tarsila do Amaral: Inventing Modern Art in Brazil », était, d’après ses commissaires, une invitation à repenser la modernité sous un nouvel angle et à questionner sa perception traditionnelle et universelle. Cette démarche réparatrice est devenue courante après le virage global. Il s’agissait d’inscrire dans une cartographie hégémonique les communautés jusque-là mises de côté. Malgré tout, cette exposition n’aura pas réussi à se détacher de certains présupposés eurocentristes. Le MASP, quant à lui, entend mettre en lumière des femmes artistes tout au long de l’année 2019, sous la devise « Histoire des Femmes, Histoires Féministes ». « Tarsila Popular », l’exposition la plus vaste jamais réalisée sur l’artiste, propose non seulement une discussion sur le travail des femmes artistes et la place qu’elles occupent au sein des collections, mais un nouveau regard sur Amaral. Dans quelle mesure ?
2En premier lieu, il semble important de s’attarder sur l’adjectif « popular » choisi par l’institution pour nommer sa dernière exposition. Le découpage d’Adriano Pedrosa, directeur artistique du musée, et de Fernando Oliva, commissaire, a privilégié 92 œuvres qui dialoguent sur des thèmes tels que le carnaval, la religion et les mythologies folkloriques. Ici, la perspective adoptée diffère de celle qui était communément proposée par les centres hégémoniques partant toujours à la recherche de la « filiation européenne » de l’artiste.
3L’exposition propose au spectateur six axes dont le premier présente une série d’autoportraits réalisés entre 1921 et 1923. Le tableau A Negra qui a suscité des débats dans les expositions précédentes, reçoit le spectateur côte à côte avec l’Autorretrato – Manteau rouge. Les deux œuvres ainsi présentées, forment un diptyque tout en contrastes, mettant en évidence certaines hiérarchies sociales et culturelles du Brésil : d’une part, nous y voyons une femme noire, nue, à la géométrie grossière en totale opposition à celle délicate du corps blanc de l’artiste, ornée et bien habillée, dans des œuvres pourtant conçues à la même époque. Les commissaires jouent ici un rôle fondamental en amenant le spectateur à s’interroger sur cette lacune dans l’œuvre de Tarsila : la question raciale. L’artiste, bien que se nourrissant de thèmes indigènes et noirs, ne problématise ni l’esclavage ni même la place occupée par cette esclave affranchie, personnage central du tableau A Negra dans la société post-abolitionniste. Du choix des commissaires du MASP d’exposer ces œuvres en miroir, en découle de nouvelles perspectives et réflexions. Des questions absentes de l’exposition présentée au MoMA qui, visant plutôt à mettre en question le canon du modernisme, avait placé le même tableau, A Negra, en relation directe avec les Baigneuses de Cézanne.
4Le second axe offre au spectateur un aperçu de l’intérêt croissant de Tarsila pour les nouveaux langages artistiques. Malgré la forte géométrisation, l’identité visuelle de Tarsila telle que nous la connaissons ne sera perçue que sur le troisième axe. On peut y voir les images d’un Brésil sans trace de contradictions sociales ou encore la romantisation de certains espaces comme la « favela » ou la campagne représentées par un langage moderne propre à l’artiste.
5Usant de couleurs « caipiras », le rose et le bleu, le quatrième axe introduit le spectateur dans l’univers religieux dépeint par Tarsila. Si le travail de Tarsila n’a pas initialement interrogé les positions sociales ni la réalité des espaces périphériques, un tournant s’annonce après la crise de 1929 : les images optimistes sont délaissées pour d’autres, plus réalistes et sociales. Dans le cinquième axe, les couleurs « caipiras » cèdent la place aux tons terreux, à la diversité ethnique et raciale, aux coutumes et aux modes de vie de la population défavorisée du pays. Enfin, le sixième axe rassemble certains des récits indigènes ou encore des réminiscences de son enfance.
6L’exposition se différencie ainsi des approches traditionnelles de l’œuvre de Tarsila do Amaral, qui visent tantôt à construire une filiation européenne de l’artiste, tantôt à souligner l’exotisme de la phase anthropophagique. En s’adressant à de nouveaux thèmes et lacunes, « Tarsila Popular » questionne les silences de l’histoire brésilienne : la romantisation des favelas et de l’esclavage dans une société post-abolitionniste.
Pour citer cet article
Référence papier
Nerian Teixeira de Macedo de Lima, « « Tarsila Popular » », Marges, 29 | 2019, 128-129.
Référence électronique
Nerian Teixeira de Macedo de Lima, « « Tarsila Popular » », Marges [En ligne], 29 | 2019, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/2201 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.2201
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