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Notes de lecture et comptes rendus d'expositions

« Prince.sse.s des villes »

Paris, Palais de Tokyo, 21 juin – 8 septembre 2019
Jérôme Glicenstein
p. 126-127

Texte intégral

1« Prince.sse.s des villes »

2« Prince.sse.s des villes », Paris, Palais de Tokyo, 21 juin – 8 septembre 2019

3L’exposition est en forme d’invitation au voyage : une cinquantaine d’artistes de différentes disciplines – designers, musiciens, plasticiens, cinéastes… – issus de cinq villes « émergentes » (Dacca, Manille, Lagos, Téhéran, Mexico), présentent des réalisations en tout genre dans un joyeux désordre savamment mis en scène. Les villes en question n’ont pas été choisies complètement au hasard : elles sont à la fois parmi les plus importantes dans le monde et, nous dit-on, fortement contrastées : « Entre gratte-ciels et cahutes, urgence et patience, les mégapoles connaissent une expansion chaotique, mêlant les transferts de capitaux aux connexions technologiques dans les centres financiers, ce qui génère des marges citadines porteuses de nombreuses inégalités. ».

4L’idée de consacrer une exposition à l’émergence d’une créativité désordonnée et indisciplinée hors d’Occident n’est pas très originale ; elle a même longtemps été un topos des expositions visant à faire découvrir telle ou telle scène artistique réputée méconnue chez nous. C’était le cas à « Century City » (Tate Modern, 2001), où chaque décennie du 20e siècle était associée à une ville, Lagos et Mumbai représentant les périodes les plus récentes. De même, la Maison rouge a organisé plusieurs expositions autour de scènes artistiques considérées comme marginales (de Winnipeg à Johannesburg). Dans un autre registre, des centres d’art exposent régulièrement l’ébullition créative de pays du tiers monde. C’était le cas avec les projets de Rem Koolhaas : « Mutations » (CAPC, Bordeaux, 2000) ou « Content » (Kunsthall, Rotterdam, 2004) ou avec l’exposition itinérante proposée par Hou Hanru et Hans Ulrich Obrist, « Cities on the move » en 1997-99 (à Bordeaux, Vienne, Londres, New York, Copenhague…). Dans ce deuxième modèle, il ne s’agit pas tant de valoriser des artistes ou des créateurs en tant que tels que de les mettre au service d’un propos plus large sur les transformations de l’économie, de la politique et de l’urbanisme à l’échelle planétaire ; l’idée sous-jacente étant une fois de plus que la mondialisation a des effets surprenants largement ignorés en Occident.

5« Prince.sse.s des villes » évoque ces précédents, mais s’en distingue par certains aspects. D’abord, il n’y a pas de perspective historique : les objets et œuvres présentés appartiennent tous à notre contemporanéité mondialisée, sans que celle-ci soit mise en perspective. Ensuite, il n’y a pas de répartition spatiale ou typologique : l’ensemble tend plutôt à produire des rencontres plus ou moins fortuites entre créateurs d’une ville et d’un continent à l’autre. Enfin, bien qu’il y ait des disciplines différentes et bien qu’il y ait une volonté de ne pas complètement éluder ce que sont les contextes sociopolitiques des différentes villes, cela n’est pas non plus mis en avant. En cela, il pourrait s’agir d’une exposition d’art contemporain tout à fait ordinaire, si ce n’est qu’il n’y a pas d’artistes occidentaux (même si en réalité certains résident en Europe ou aux États-Unis). De ce point de vue, l’exposition ressemble plutôt à un écho lointain des « Magiciens de la Terre » (Centre Pompidou, 1989). Là aussi les créateurs avaient été sciemment mélangés, indépendamment de leur pratique et de leur légitimité en Occident.

6La comparaison avec les « Magiciens de la Terre » peut être étendue plus loin. À « Prince.sse.s des villes », il n’est pas question de mettre en cause l’ordre économico-politique imposé par l’Occident au reste de la planète. Il n’est d’ailleurs pas question de défendre un positionnement politique, quel qu’il soit, mais plutôt de donner à voir des démarches dont la sélection relève de la plus grande subjectivité. Les commissaires Fabien Danesi et Hugo Vitrani le disent dans le dépliant d’aide à la visite : « L’exposition évite tout exotisme et généralités abusives, se méfie de tout concept unificateur et de toute tentative d’illustration. Ce qui se joue c’est avant tout l’affirmation de multiples singularités […]. ». De fait, la première chose qui surprend le visiteur habitué de la scène de l’art contemporain, c’est l’absence de tout nom déjà connu sur cette scène. Les commissaires ont rejoué le pari de l’équipe de Jean-Hubert Martin en 1989 et sont partis à l’aventure en essayant de rencontrer des « personnalités singulières », que leur visée soit artistique ou non. Le résultat est une proposition assez hétéroclite, aux airs d’inachèvement : des extincteurs décorés de motifs traditionnels du Britto Arts Trust de Dacca au clip vidéo This is Nigeria de Falz (inspiré du This is America de Childish Gambino), en passant par la reconstitution du project space Lulu, de Mexico ou les films d’animation de Tala Madani (Téhéran).

7Ce mélange des genres appelle plusieurs remarques. La première est évidemment que ce foisonnement est très inégal : certaines présentations sont plus convaincantes que d’autres dans le contexte d’un centre d’art contemporain occidental ; la scène artistique à Mexico est plus proche de ce que nous voyons habituellement au Palais de Tokyo, alors que ce qui vient de Dacca ou Manille en est tout de même très éloigné. Cette hétérogénéité pose la question des limites d’une pure subjectivité qui aboutit à des choix qui peuvent apparaître comme un peu gratuits. Les organisateurs en ont conscience : leur démarche va susciter des commentaires indignés de la part des critiques opposés au tourisme curatorial dans les pays en voie de développement – vu comme une nouvelle forme de pillage des richesses des pays concernés. Une telle compréhension serait pourtant réductrice : cette exposition ne prétend pas détenir une vérité sur le monde postcolonial, elle s’abstient de tout commentaire sur la mondialisation et elle ne s’est pas faite contre les artistes. D’ailleurs, il est à prévoir que certains d’entre eux parviendront à se faire une place de choix au sein du marché de l’art contemporain international, ce qui n’est déjà pas si mal

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Glicenstein, « « Prince.sse.s des villes » »Marges, 29 | 2019, 126-127.

Référence électronique

Jérôme Glicenstein, « « Prince.sse.s des villes » »Marges [En ligne], 29 | 2019, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/2196 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.2196

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Auteur

Jérôme Glicenstein

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