Max Neuhaus, Les Pianos ne poussent pas sur les arbres
Max Neuhaus, Les Pianos ne poussent pas sur les arbres, Dijon, Les presses du réel, coll. OHCETECHO, 2019
Texte intégral
1Dix ans après la disparition de Max Neuhaus, cet ouvrage dirigé par Matthieu Saladin et Daniele Balit rassemble les écrits et entretiens – en grande majorité traduits pour la première fois en français – de l’artiste sonore américain. L’ancien percussionniste-interprète, plus connu pour son travail d’« installation sonore », nous laisse un certain nombre de documents détaillant son intérêt pour le son en tant que médium spatial. Les textes sont de différentes natures : conférences, entretiens, articles de presse, notices de catalogues, dessins, documents de recherche, sont agencés en quatre parties où s’articulent les principales préoccupations de l’artiste. Parmi ces écrits, on peut noter la présence de ceux issus de son ouvrage phare Sound Works paru en 1994 en trois volumes, Inscription, Drawings et Place.
2La première partie, très riche, est centrée sur l’écoute contextuelle, une écoute attentive et consciente de l’environnement au quotidien. La plupart des œuvres les plus connues de Neuhaus y sont représentées, comme l’incontournable Times Square (1977-92 ; 2002 –), où un son placé au milieu de la place new-yorkaise éponyme « réoriente l’attention » des passants et les amène « à s’interroger sur ce qui les entoure, sur la place qu’ils occupent au sein d’un environnement et la perception qu’ils en ont » (p. 22). Cette œuvre occupe une place importante dans cette première partie, de même que Walkthrough (1973-77) et son intervention au Museum of Contemporary Art de Chicago (1979-89), deux installations étroitement liées à leur environnement.
3La partie suivante s’arrête sur la carrière de l’artiste, depuis son envie de devenir « le meilleur batteur du monde » (p. 189) jusqu’à sa rencontre avec John Cage et son intérêt pour l’expérimentation qui détermineront son orientation ultérieure vers les arts plastiques. Cette partie, comme la précédente, aborde les dimensions physiologique, technologique et sociale de différentes œuvres, des aspects d’emblée pris en considération par l’artiste dans son processus de création.
4Neuhaus ayant été un fervent défenseur de l’écologie acoustique, la troisième partie se concentre sur l’attention qu’il n’a cessé de porter aux sons qui composent notre environnement. C’est ici une position très critique à l’égard du concept de « pollution sonore » qui apparaît, cette expression laissant penser qu’il existerait de bons et de mauvais sons. Ce point de vue rejoint la volonté de défendre une non-hiérarchie des médiums et des techniques – idée déjà exprimée dans la deuxième partie consacrée aux moyens techniques et aux processus de création. Le titre de l’ouvrage en illustre le propos. Il tire son origine d’une citation de l’artiste issue d’un texte publié en 1989 dans l’ouvrage Words and Spaces: An Anthology of Twentieth Century Musical Experiments in Language and Sonic Environments, où Neuhaus déconstruit le faux débat opposant sources sonores « acoustiques » et électroniques : « Les violons et les pianos ne poussent pas sur les arbres ; on peut les voir comme les synthétiseurs quelque peu archaïques de l’ère mécanique. » (p. 217) Par cette phrase, Max Neuhaus montre son désintérêt pour une telle polémique, chaque son produit étant, selon lui, réel et à écouter pour ce qu’il est. Peu importe sa nature, « le son reste du son » (p. 217).
5La dernière partie est consacrée aux pièces radiophoniques de l’artiste, dont sa toute première installation sonore réalisée spécialement pour des automobilistes, Drive-In Music (1967-68). Il y dévoile ses compétences en ingénierie des réseaux afin de créer des œuvres mettant en relation des auditeurs via les télécommunications (téléphone et radio), comme avec la série Public Supply (1966-73) ou l’œuvre Radio Net (1977), voire de manière plus ambitieuse avec le projet non abouti Audium (1977-90), où un dialogue sonore entre des personnes de nationalités différentes est mis en place afin qu’ils jouent avec leurs voix et créent ainsi une « partition active » (p. 386).
6Bien que donnant à lire des textes aux contenus précis et quelquefois techniques, les quatre parties de ce livre sont pourtant plus accessibles qu’il y paraît. D’un texte à l’autre, certaines informations peuvent sembler répétitives, mais elles sont aussi complémentaires pour appréhender l’ensemble de l’œuvre de l’artiste. Ces répétitions sont dues à la diversité de nature de ces documents, aux contextes de leur diffusion et aux différents publics auxquels ils étaient destinés. Les textes sont par ailleurs émaillés de rappels différemment articulés qui précisent de nombreux aspects. Enfin, d’autres documents rendent compte des difficultés rencontrées par l’artiste – souvent administratives, financières et institutionnelles – ainsi que d’œuvres inachevées. La mention de ces dernières constitue un point fort de l’ouvrage en allant au-delà des œuvres existantes et en montrant la détermination dont pouvait faire preuve Neuhaus dans son travail. Aussi, malgré l’absence de certains documents, comme sa correspondance avec d’autres artistes sonores, la philosophie de l’auteur et l’analyse détaillée de son processus de création ressortent clairement de cet ouvrage dont les textes constituent un véritable fonds d’archives pour de futures recherches.
Pour citer cet article
Référence papier
Eve-Marie Montfort, « Max Neuhaus, Les Pianos ne poussent pas sur les arbres », Marges, 29 | 2019, 124-125.
Référence électronique
Eve-Marie Montfort, « Max Neuhaus, Les Pianos ne poussent pas sur les arbres », Marges [En ligne], 29 | 2019, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/2186 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.2186
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