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Notes de lecture et comptes rendus d'expositions

Shaun Gladwell : Pacific Undertow

Sydney, Museum of Contemporary Art – 19 juillet – 7 octobre 2019
Jérôme Glicenstein
p. 154-155
Référence(s) :

Shaun Gladwell : Pacific Undertow, Sydney, Museum of Contemporary Art – 19 juillet – 7 octobre 2019

Texte intégral

1Shaun Gladwell (1972) est l’un des rares artistes contemporains australiens à bénéficier d’une visibilité importante sur la scène de l’art contemporain international, participant régulièrement à la Biennale de Venise (y compris en tant que représentant officiel de l’Australie en 2009). Il est parfois vu dans son pays comme un artiste officiel, ce qui suscite à l’occasion des commentaires désagréables à son encontre dans la presse locale. Quoi qu’il en soit, c’est sans doute cette renommée internationale qui est à l’origine de son exposition au Museum of Contemporary Art de Sydney, la principale institution d’art contemporain du pays (qui accueille tous les deux ans la Biennale de Sydney).

2Il est difficile de dire quelle relation Gladwell entretient avec son pays d’origine, mais ce qui est sûr c’est que l’exposition débute par Pacific Undertow Sequence (Bondi) (2010), une vidéo qui renforce immédiatement les stéréotypes les plus éculés sur les surfeurs australiens. Cette œuvre, dont le titre a donné son nom à l’exposition présente un personnage assis sur une planche de surf dans un environnement liquide et mouvant dont on comprend progressivement qu’il est inversé par rapport à la gravité : la mer est filmée sous sa surface et l’image est projetée à l’envers, ce qui fait que le personnage ne semble pas flotter sur l’eau mais sous l’eau. Le même genre d’idée se retrouve dans une autre vidéo, Pataphysical Man (2005), où l’on voit un personnage apparemment suspendu au plafond tourner sur lui-même, alors qu’il s’agit en réalité d’une projection inversée d’un danseur de rue effectuant des rotations sur la tête. Ce motif de l’inversion se retrouve encore dans une série de photographies d’escaladeurs urbains pratiquant des formes de parkour, s’accrochant tête en bas à tel ou tel monument de la ville. Le titre de l’exposition prend ici son sens : undertow désigne en effet le reflux, le fait d’aller à contre-courant, idée qui se retrouve tout au long de l’exposition. Pourtant, ce qui semble être mis en avant dans le travail de Gladwell ce n’est pas tant l’idée d’inversion ou de reflux que celle de performance sportive. D’ailleurs, la première vidéo à l’avoir fait connaître le représente réalisant inlassablement des figures acrobatiques sur un skateboard devant une mer déchainée (Storm Sequence, 2000). Une autre vidéo, souvent exposée, Approach to Mundi Mundi (2007) renvoie à une autre forme de prouesse (à défaut de performance) : il s’agit de deux séquences projetées sur un écran double-face suspendu au milieu d’une salle, où l’on voit un motard de dos, lancé à pleine vitesse, les bras tendus, sur une route rectiligne au milieu du désert. D’un côté, la projection le montre en plein jour et de l’autre à la tombée de la nuit. Dans le même esprit, d’autres œuvres de l’artiste mettent en scène des performers exécutant, le plus souvent à la perfection, des figures où leur équilibre est menacé : faire de la moto sans les mains, tourner sur la tête, faire des backflips, du parkour, de la danse urbaine, du BMX, etc.

3Certaines œuvres peuvent néanmoins être vues comme un deuxième temps ou un retour critique vis-à-vis de la question de la performance, comprise au double sens du terme. Ainsi, avec Skateboarders vs Minimalism (2016), Gladwell filme des skateboarders professionnels à qui il a proposé de réaliser diverses figures et sauts sur des œuvres d’art minimal (de Carl Andre ou Donald Judd). Bien entendu, il ne s’agit là que de reproductions, mais l’effet est très parlant : certaines œuvres sont visiblement plus difficiles à aborder que d’autres (pour un skateboarder en tout cas) et l’on assiste même à une chute assez spectaculaire : ici le minimalisme a gagné. Ce point de vue décalé se retrouve dans des films ou une série de photographies d’acrobates suspendus en équilibre sur des sculptures publiques : ce qui intéresse Gladwell
ce ne sont pas les sculptures en question ni les performances physiques mais plutôt le pas de côté, le point de vue selon lequel il serait possible de réaliser une découverte différente des œuvres, de manière plus physique. Simultanément, on ne peut s’empêcher de penser à des formes de readymades réciproques (pour reprendre la célèbre image de Marcel Duchamp suggérant de se servir de la Joconde comme d’une planche à repasser).

4L’application la plus explicite de ce principe a justement lieu avec Reverse Readymade (Augmented Reality) (2019) un dispositif en réalité augmentée. Au milieu d’une salle est présenté le célèbre readymade de Marcel Duchamp en forme de roue de bicyclette. Si on scanne le QR code du cartel qui lui est associé, on accède alors à une vidéo qui permet de voir le même objet mais dans l’espace reconstitué du spectateur. Soudain, un personnage arrive, se saisit du readymade, le renverse, l’enfourche et fait le tour de la pièce en s’en servant comme d’une bicyclette. Ici, comme dans Skateboarders vs Minimalism, il s’agit de faire un pas de côté humoristique, vis-à-vis de la dévotion qui entoure les œuvres d’art, afin de montrer qu’il est possible de les apprécier au cours d’expériences autres que strictement visuelles.

5« Shaun Gladwell: Pacific Undertow » ne présente pas que des pièces aussi cohérentes ; c’est aussi une rétrospective assez désordonnée, où les œuvres les plus spectaculaires de l’artiste en côtoient d’autres plus traditionnelles ou scolaires (peintures et gravures de facture assez classique). Ceci étant dit, ses aspirations du moment le poussent visiblement plutôt en direction des nouveaux médias, comme en témoignent une reconstitution de l’espace de l’exposition à l’intérieur du jeu vidéo Minecraft (accessible en ligne) ou encore un dispositif en réalité virtuelle, où une séquence de sept minutes permet aux visiteurs d’expérimenter des transformations perceptives touchant à la configuration de la galerie et de notre rapport aux images qu’elle contient. Il est néanmoins difficile de voir dans ces projets des œuvres complètement abouties. Peut-être s’agit-il là d’une sorte de bande annonce permettant d’apercevoir le prochain chapitre de son œuvre.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Glicenstein, « Shaun Gladwell : Pacific Undertow »Marges, 30 | 2020, 154-155.

Référence électronique

Jérôme Glicenstein, « Shaun Gladwell : Pacific Undertow »Marges [En ligne], 30 | 2020, mis en ligne le 21 mai 2020, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/2061 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.2061

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Auteur

Jérôme Glicenstein

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