Éditorial
Texte intégral
1La formation des artistes a beaucoup évolué au cours des derniers siècles. Après un modèle corporatif, fondé sur la reproduction de savoirs ancestraux, puis une phase académique où les artistes ont été rassemblés autour de techniques et de modèles réputés universels, le début du 20e siècle a été caractérisé par la floraison de nouvelles méthodes. Les plus célèbres ont été celles proposées par le Bauhaus en Allemagne, les Vhutémas ou l’Inkhouk en Russie, l’ISIA en Italie et plus tard leurs héritiers : le Black Mountain College ou l’École d’Ulm. Ces institutions entendaient substituer à l’enseignement académique de nouvelles formes d’apprentissage basées sur le lien entre création artistique et insertion dans le monde industriel moderne ; les formations étant de ce fait communes aux artistes, designers, architectes, scénographes ou graphistes.
2Par la suite, des départements d’Arts plastiques ont été fondés au sein des universités américaines, puis en Europe et en Asie, avec l’objectif de relier les savoirs artistiques à d’autres champs disciplinaires (histoire, sociologie, philosophie, anthropologie…). Ces formations d’un nouveau type en sont venues à proposer une alternative à l’enseignement des écoles d’art ; s’éloignant de leur caractère professionnalisant, afin de se rapprocher des méthodologies de la recherche à l’université. Il est vrai que, du point de vue universitaire les écoles d’art étaient vues comme des lieux dont la fonction principale était de répondre à la demande du marché de l’art, tout en entretenant les mythes liés à la vie d’artiste.
3Quoi qu’il en soit de cette différence de point de vue, ces dernières années, la plupart des écoles d’art en Europe se sont mises à repenser leur enseignement en choisissant, après le processus de Bologne, de rejoindre le système LMD en vigueur dans les universités. Cela les a notamment conduit à revendiquer le statut de chercheurs et la possibilité de préparer des thèses en art – thèses qui seraient différentes de celles produites au sein des départements d’Arts plastiques des universités. En somme, même si les situations peuvent être différentes d’un pays à l’autre, la tendance depuis une vingtaine d’années est à la redéfinition de l’enseignement de l’art dans une perspective qui n’est plus exclusivement professionnalisante mais plutôt orientée autour d’objectifs plus larges et sans doute plus ambitieux – en proposant par exemple des partenariats avec des laboratoires de recherches en sciences sociales ou en sciences dures –, même s’ils ne sont pas toujours bien définis.
4La question de l’enseignement de l’art se pose alors dans de nouveaux termes : à quoi peut-il servir, lorsqu’il est articulé à une démarche de recherche au sens universitaire du terme ? Quels savoirs, quelles compétences, quelles méthodologies peuvent être développées et avec quels objectifs ? Que deviennent les artistes qui sont formés dans cette perspective ? Comment qualifier leurs activités ? Ces questions – et l’évolution de la structuration des formations en art qui les accompagnent – ne sont pas de pure forme ; elles correspondent aussi à une évolution des pratiques artistiques et du rôle attribué aux artistes au sein de la société contemporaine. Si ceux-ci ne sont plus vus selon le modèle romantique du créateur isolé en attente des signes classiques de la reconnaissance (textes de critiques d’art, expositions, achats par des collectionneurs et des musées), mais comme des personnes qui produisent une réflexion opérationnelle sur le monde contemporain, en relation avec ses acteurs et réseaux, alors la formation doit nécessairement être repensée. Ce numéro – fruit de deux journées d’étude et d’un séminaire annuel réalisé en partenariat avec les Archives nationales, l’ENSAD et l’ENSBA – aborde ces questions et quelques autres, à travers l’étude notamment d’expériences éducatives de ces dernières décennies.
5C’est le cas des premiers textes. Dans l’article qu’elle consacre à CalArts, Clara Guislain montre comment cette école isolée et conçue sous la forme d’un bâtiment sans qualités a constamment encouragé les rencontres et projets interdisciplinaires, notamment grâce à l’apport de certains enseignants très engagés dans une pratique critique : Michael Asher, Allan Kaprow ou John Baldessari. Le propos de Déborah Laks est un peu différent, puisqu’il ne s’agit pas pour elle de s’interroger sur les pratiques éducatives d’une école en particulier, mais plutôt sur la manière qu’ont eu les artistes liés au groupe Supports-surfaces de se saisir de la question de l’enseignement en France dans les années 1970-80, influençant toute une génération de nouveaux artistes. Ce texte fait écho aux réflexions de Nikos Daskalothanassis s’interrogeant, quant à lui, sur l’idée de recherche en art, une idée qui est de plus en plus répandue ces dernières années. Si son étude se concentre sur l’histoire de l’École des beaux-arts d’Athènes, son rapport à l’université et la place que la recherche y occupe, elle fait cependant écho à la situation de nombre d’écoles d’art aujourd’hui.
6Le texte suivant, dû à Guillaume Fournier, cherche à retracer l’influence des formations en art sur les parcours de reconnaissance. Son enquête permet ainsi de remarquer que certaines écoles sont devenues depuis une vingtaine d’années des passages obligés pour les jeunes artistes en quête de reconnaissance – c’est en particulier le cas des Beaux-Arts de Paris. Un petit nombre d’écoles d’art conduisent ainsi leurs anciens étudiants à obtenir des débuts de reconnaissance, sans doute aidés en cela par leurs enseignants et la réputation des écoles elles-mêmes, dans un processus cumulatif.
7Manuel Houssais produit une étude assez différente de celles qui précèdent, puisqu’il s’agit d’observer la manière dont s’opère concrètement la relation d’enseignement au cours d’échanges verbaux entre élèves et professeurs. L’analyse conversationnelle qu’il propose conduit ainsi à reconsidérer les catégories de pratique et de théorie au sein des écoles d’art, ainsi sans doute que l’activité artistique en général.
8Nous publions par ailleurs un témoignage précieux, dû à Émilie Verger, où elle revient sur la recherche doctorale qu’elle a consacrée aux transformations de l’École des Beaux-Arts de Paris de 1960 à 2000. Les témoignages qu’elle a recueillis auprès des acteurs de cette histoire, les changements qu’elle a repérés et décrits avec beaucoup de précision, permettent d’avoir une vision assez complète du rôle joué par cette école dans la période considérée.
9Enfin, nous donnons la parole au duo d’artistes Hippolyte Hentgen, lequel a réalisé des recherches doctorales autour de sa pratique – dans le cadre de thèses en recherche-création – et qui en livre quelques clés à Émeline Jaret.
10Ce numéro comprend également un portfolio d’artiste, confié cette fois-ci à David Porchy, ainsi que quelques comptes rendus d’ouvrages et d’expositions.
Pour citer cet article
Référence papier
Jérôme Glicenstein, « Éditorial », Marges, 30 | 2020, 5-8.
Référence électronique
Jérôme Glicenstein, « Éditorial », Marges [En ligne], 30 | 2020, mis en ligne le 21 mai 2020, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1947 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1947
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