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Notes de lecture et comptes rendus d'exposition

Olivier Quintyn, Implémentations/implantations: pragmatisme et théorie critique. Essais sur l’art et la philosophie de l’art

Paris, Questions théoriques, 2017, 320 p.
Nicolas Heimendinger
p. 146-147
Référence(s) :

Olivier Quintyn, Implémentations/implantations: pragmatisme et théorie critique. Essais sur l’art et la philosophie de l’art, Paris, Questions théoriques, 2017, 320 p.

Texte intégral

1L’ouvrage de Quintyn a pour grand intérêt de faire dialoguer des courants de la philosophie de l’art qui se sont longtemps développés dans une certaine indifférence mutuelle : d’une part, le pragmatisme américain et son héritage dans l’esthétique analytique, d’autre part la Théorie critique et plus largement l’esthétique marxiste. Ces deux orientations peuvent en effet se rejoindre autour d’une commune critique de l’oblitération des liens entre l’art et le monde social dont il dépend pourtant – oblitération qu’entretiennent et confortent au contraire les théories «  internalistes  » de l’art et l’esthétique «  puriste  » dont elles se réclament le plus souvent.

2Le livre se divise en chapitres pour la plupart consacrés à l’étude d’un auteur : le premier d’entre eux s’intéresse à l’un des premiers travaux de Shusterman sur «  l’objet de la critique littéraire  »  ; plus loin, un chapitre développe une critique serrée et convaincante de la philosophie de l’art de Danto ; le suivant propose une riche synthèse de l’esthétique de Cometti ; un autre encore offre une intéressante relecture de Dewey en vue d’une utilisation critique de ses thèses sur l’art ; le dernier chapitre, plus touffu, revient quant à lui sur L’Inconscient politique de Jameson. Deux chapitres sont consacrés à des travaux artistiques, ceux de Christophe Hannah et Frank Leibovici, dont l’importante dimension théorique met toutefois au défi toute catégorisation trop simple. Enfin, trois chapitres abordent des sujets plus transversaux : le premier d’entre eux tente d’élaborer le concept de «  format  » comme instrument d’une esthétique attentive aux «  déplacements d’usages  » et aux effets de «  recontextualisation  » (p. 41). Un deuxième prend la forme d’un essai critique sur les rapports entre «  l’art et l’argent  » et condense des analyses que l’on a pu lire récemment dans des livres de Cometti ou Boltanski et Esquerre. Un troisième enfin actualise la question de «  l’anti-art  » et plus généralement des pouvoirs critiques et négateurs de l’art, à partir d’un commentaire des thèses d’Adorno et Bürger.

3Si ces discussions et relectures croisées sont souvent fouillées et stimulantes, c’est plutôt sur les propositions qu’il avance en propre que l’ouvrage laisse dubitatif – en particulier s’agissant de la théorie générale de l’art qu’il esquisse dans l’introduction et qui est précisée par petites touches au fil des chapitres. «  Rien n’est propre à l’art, si ce n’est peut-être des moments d’intensification expérimentale du caractère contesté, pluriel, instable et a minima recomposable des cadres de référence et des enquêtes par lesquels la réalité se construit  » (p. 11). Cette «  reconception  » (p. 11) de l’art apparaît en fait comme une manière de donner une définition qui n’en soit pas une : non seulement l’art est ce qui se soustrait par principe à toute tentative de définition, mais il est même élevé au rang de force déstabilisatrice de tout type de cadre cognitif et institutionnel arrêté. Une telle définition semble à la fois trop restrictive – toutes les œuvres (et ce sont de loin les plus nombreuses) qui se cantonnent à des formes artistiques instituées, se trouvent ainsi exclues ou rejetées aux marges d’une telle conception de l’art – et trop inclusive – bien des pratiques et des objets situés au-delà de ce que nous entendons en général par «  art  » seraient susceptibles d’entrer dans une telle catégorie, sans que l’on ne voie bien quels seraient la pertinence ou l’intérêt d’un tel élargissement.

4Cette sorte d’anti-définition de l’art comme puissance d’indétermination tient d’abord sans doute à ce que Quintyn suspecte toute entreprise de définition de l’art de verser dans les travers de l’essentialisme, qu’il désigne comme son adversaire principal. Pourtant, dans une certaine version du pragmatisme à tout le moins, la critique de l’essentialisme, loin de condamner par principe toute définition comme «  fermeture  » et «  assignation à résidence  » (p. 9), doit plutôt mener à refonder ce travail de définition sur l’analyse patiente, concrète, toujours susceptible d’être reprise et amendée, des usages en contexte du concept en question. Paradoxalement, cette voie pragmatiste – pourtant très bien exposée dans le chapitre consacré à l’esthétique de Cometti – n’est pas celle qu’emprunte Quintyn dans les moments les plus programmatiques de son ouvrage. Sa conception de l’art apparaît bien plus spéculative et, de ce fait, moins analytique que normative. La mise en cause des théories essentialistes et internalistes de l’art ne saurait en effet justifier à elle seule cette approche de l’art comme manière de «  tester des assemblages collectifs, à côté ou en-dehors des liens institués existants  » (p. 12). Celle-ci apparaît plutôt motivée par un alignement – d’ailleurs trop souvent posé comme allant de soi – de la conception de l’art sur des impératifs politiques, sans que l’on sache donc bien si l’auteur considère ces visées critiques comme une donnée fondamentale de l’art et de l’expérience esthétique ou comme une fin à leur assigner.

5En outre, même reconsidérées comme programme pour un art critique (plutôt que comme théorie critique de l’art), ces thèses apparaissent au fond moins proches de l’esthétique anti-idéaliste de Dewey que de l’ambition avant-gardiste d’un dépassement de l’art vers la production d’interventions transformatrices du monde social, abolissant du même coup les limites instituées du champ artistique : un art «  radicalement dissous dans ses conséquences  » (p. 243). Dès lors, le risque est de retomber sur l’aporie à laquelle ce type d’avant-gardisme «  absolutiste  » s’est déjà heurté. Soit le déplacement et le brouillage des cadres institués de l’art ne mène in fine qu’à étendre leur ressort par l’«  artification  » d’objets et de pratiques qui n’en relevaient pas jusqu’alors. Soit il s’agit non pas tant de «  dépasser  » l’art que de passer à un franc activisme social et politique (p. 242-243), dont il reste alors à montrer l’intérêt qu’il y aurait à le penser encore sous le rapport de la catégorie d’art.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Heimendinger, « Olivier Quintyn, Implémentations/implantations: pragmatisme et théorie critique. Essais sur l’art et la philosophie de l’art »Marges, 28 | 2019, 146-147.

Référence électronique

Nicolas Heimendinger, « Olivier Quintyn, Implémentations/implantations: pragmatisme et théorie critique. Essais sur l’art et la philosophie de l’art »Marges [En ligne], 28 | 2019, mis en ligne le 19 avril 2019, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1903 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1903

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Auteur

Nicolas Heimendinger

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