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Notes de lecture et comptes rendus d'exposition

« Gordon Matta-Clark : Anarchitecte »

Paris, Jeu de Paume – 5 juin – 23 septembre 2018
Angèle Ferrere
p. 140-141
Référence(s) :

« Gordon Matta-Clark : Anarchitecte », Paris, Jeu de Paume – 5 juin – 23 septembre 2018

Texte intégral

1Initialement présentée au Bronx Museum of Art, la récente rétrospective de Gordon Matta Clark au Jeu de Paume s’ouvrait avec les œuvres réalisées par l’artiste au début des années 1970 dans le sud du Bronx, territoire qui s’impose comme la double genèse d’une exposition et d’une œuvre. Les séries Walls et Floor posent ainsi le décor de la première salle : photographies de murs décrépis et découpes dans le plancher de maisons vouées à la destruction, affirmant d’emblée la portée sociale d’un travail artistique aux prises avec le déclin économique d’un quartier déshérité de New York. Les aspérités des surfaces photographiées sont autant de motifs abstraits que Gordon Matta Clark explore sous différents supports et modalités de présentation : photographies, livre et tirages couleur sur papier journal recouvrant les cimaises. Un peu plus loin, le film Walls de 1976 met en scène l’artiste en train de coller de grandes affiches publicitaires sur une portion du mur de Berlin, performance publique finalement interrompue par la police. L’accrochage est ici bien pensé, du mur surface au mur vandalisé, à travers un geste artistique qui s’affirme transgressif.

2L’espace suivant est dédié à des œuvres qui s’inscrivent dans la culture naissante du graffiti. Après avoir essuyé un refus pour un projet d’exposition de photographies de graffitis à la Washington Art Fair, Gordon Matta Clark invite en 1973 des graffeurs à taguer un camion qui devient œuvre collective aussi bien qu’espace d’exposition itinérant. Le Jeu de Paume retrace cet évènement en présentant au public des tirages noir et blanc colorés a posteriori par l’artiste au crayon de couleur, ou encore un fragment de la carrosserie taguée du camion qu’il vendait en pièces détachées dans les rues. Dans cette même salle, une projection de la vidéo Fire child (1971) à l’occasion du « Brooklyn Bridge Event » qui invitait des artistes à occuper des espaces urbains délaissés. Sur cette vidéo Gordon Matta Clark entreprend de bâtir un muret avec les matériaux d’une décharge qui s’étale à la vue de tous au milieu d’un boulevard, tandis qu’à ses côtés un enfant des rues allume un feu de camp.

3L’exposition se prolonge sur les célèbres Building cut de l’artiste. Day’s end, réalisée en 1975 à New York sur un quai de l’Hudson, et Conical Intersect à Paris la même année, sont documentées à travers des vidéos, photographies et dessins. Les interventions de l’artiste sur des bâtiments voués à disparaître prennent ici une dimension monumentale, allant plus loin dans le geste transgressif qui dépasse la surface murale pour inciser et déconstruire l’espace architectural, ouvrant de nouvelles perspectives.

4Des façades altérées, tagguées, aux murs vandalisés et incisés, l’accrochage du Jeu de Paume guide le spectateur au travers d’une déconstruction progressive de l’architecture menée par Gordon Matta Clark, pour finir sur deux œuvres qui explorent les espaces souterrains. La série photographique des sous-sols de Paris retrace l’exploration de l’artiste dans les catacombes de la capitale en 1977, accompagnée d’une vidéo de Marc Petitjean, vidéaste et ami de l’artiste qui a également documenté son œuvre Conical Intersect. Enfin, l’œuvre Descending steps for Boton conçue par Matta Clark après le décès de son frère jumeau achève le parcours rétrospectif : à l’occasion d’une exposition à la Galerie Yvon Lambert en 1977, l’artiste creuse le sol de la galerie jusqu’à la cave puis jusqu’à la terre, poursuivant cette excavation pendant toute la durée de l’exposition.

5La gravité poétique de cette dernière œuvre présentée se pose comme l’aboutissement de l’œuvre inachevable d’un « anarchitecte » qui explore, déconstruit et métamorphose l’espace architectural, interrogeant également sa temporalité. Déjà en amont de la première salle d’exposition, la projection de la vidéo Clockshower (1974) mettait en scène l’artiste prenant une douche des plus cocasses, suspendu en rappel sur les aiguilles d’une horloge monumentale. Car si l’œuvre de Gordon Matta Clark est une œuvre sociale et politique, elle n’en joue pas moins sur le registre de l’absurde voire du comique, à travers des situations de détournement et de provocation.

6Malgré la cohérence de l’accrochage, on s’interroge sur le titre de l’exposition : « Gordon Matta Clark : anarchitecte ». Le terme « anarchitecte » est explicité sur un cartel qui ne semble pas vraiment trouver sa place dans l’exposition, disposé au milieu du parcours à côté d’une série de plusieurs photographies dont le contexte de réalisation est peu clair ; peut-être des clichés tirés de l’exposition du groupe d’artistes « Anarchitecture » auquel Gordon Matta Clark appartient en 1974. Le terme « Anarchitecture » renvoie ainsi à une réflexion collective menée par le groupe éponyme qui se réunissait régulièrement pendant l’année 1974, dimension collective qui reste très peu évoquée dans l’exposition du Jeu de Paume. À ceci près que l’appareil vidéo et photographique porté par d’autres artistes et exposé ici pour documenter les réalisations de Matta Clark entre en résonnance avec celles-ci et traduit une pensée collective de la création. Enfin, pour le visiteur qui resterait sur sa faim quant à la notion d’anarchitecture et sa contextualisation, le catalogue édité par le Bronx Museum of Art constitue un riche prolongement théorique de l’exposition.

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Pour citer cet article

Référence papier

Angèle Ferrere, « « Gordon Matta-Clark : Anarchitecte » »Marges, 28 | 2019, 140-141.

Référence électronique

Angèle Ferrere, « « Gordon Matta-Clark : Anarchitecte » »Marges [En ligne], 28 | 2019, mis en ligne le 19 avril 2019, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1881 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1881

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