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Notes de lecture et comptes rendus d'exposition

« General Rehearsal »

Moscou, MMOMA – 26 avril – 16 septembre 2018
Jérôme Glicenstein
p. 136-137
Référence(s) :

« General Rehearsal », Moscou, MMOMA – 26 avril – 16 septembre 2018

Texte intégral

1Le Musée d’art moderne de Moscou (MMOMA) a été fondé par le sculpteur académique Zourab Tsereteli, lequel avait fait la première partie de sa carrière dans le système officiel soviétique et avait bénéficié par la suite de nombreux soutiens dans les élites économique et politique de la nouvelle Russie, notamment de la part du maire de Moscou Iouri Loujkov. En 1999, celui-ci lui laisse carte blanche pour créer une institution consacrée à l’art moderne et contemporain. Au départ le musée, bien que conçu comme une institution publique, est géré par Tsereteli qui y expose sa collection d’art moderne et ses propres œuvres, le directeur exécutif étant son petit-fils Vassili. Ainsi, aujourd’hui encore, la première chose que l’on voit en entrant dans la cour du musée, ce sont les nombreuses sculptures monumentales, souvent médiocres, qui témoignent de la volonté de reconnaissance de leur auteur.

2Cette volonté, que Tsereteli a explicitement exprimée dans ses différentes interventions au sujet de la fondation du musée, est peut-être une clé permettant de comprendre l’exposition « General Rehearsal » : le fruit d’une collaboration du MMOMA avec les collections des fondations V-A-C et Kadist. Ce projet, à la tonalité très contemporaine, vise en effet à produire une réflexion non pas sur l’art ou telle ou telle catégorie d’œuvres mais sur la question de leur exposition au sein des musées ; s’interrogeant sur le sens des choix qui sont faits et sur leur évolution au cours du temps. La présentation se déploie en trois parties, conçues comme trois actes d’une pièce de théâtre, dont les œuvres et objets seraient les acteurs.

3La première, au rez-de-chaussée, prend la forme d’une installation de Mike Nelson : Again, More Things (a Table Ruin). De manière plutôt convenue, celui-ci présente un choix d’œuvres assez éclectique : de Sherrie Levine à Alberto Giacometti en passant par de l’art africain, le tout posé sur une estrade en bois évoquant le sol d’un atelier. L’objectif est apparemment de mettre tous les objets sur un pied d’égalité, sans socles et avec un minimum d’informations, au nom sans doute d’affinités formelles transhistoriques et transculturelles.

4La deuxième partie, au deuxième étage, s’oppose fortement à l’esthétisme de cette première installation, puisque cette fois des dizaines d’œuvres sont rangées de manière plus thématique dans huit salles évoquant les réserves d’un musée. Les thématiques sont larges – « fictions », « mises en abîme », « objets fluides », « images persistantes » – ce qui permet d’englober des propositions artistiques très hétérogènes. Les œuvres sont toutes munies de cartels extrêmement détaillés, rendant compte des enjeux des démarches des artistes, lesquels sont principalement des Occidentaux actifs au cours des vingt dernières années.

5La dernière partie présente un autre point de vue : celui d’une curatrice invitée. Celle-ci n’est ni une artiste ni une professionnelle de l’art mais la poète et journaliste Maria Stepanova. Cette fois, l’espace est structuré en une série de scènes successives, mettant à profit des œuvres empruntées dans la partie précédente (les emprunts étant visualisés dans l’espace en question par des cadres vides). Les œuvres sont accompagnées de plusieurs sortes de cartels, parfois très détaillés, ainsi que d’autres objets plus personnels, appartenant à Stepanova ou relevant de son univers intime (chaussures, anciennes robes, valise…). Par ailleurs, dans chaque salle, de grands textes permettent de donner à lire les réflexions de cette auteure sur la question de ce qu’est – ou pourrait être – l’accrochage d’un musée.

6Le parcours se fait en douze étapes, correspondant à chaque fois à une salle et à une série de réflexions. La question de la différence entre un objet sans qualités et une œuvre d’art est par exemple posée à plusieurs reprises par la juxtaposition de vêtements créés par Alighiero Boetti et de costumes de théâtre anciens ou de vêtements appartenant à la curatrice. Une autre question concerne les multiples vies des objets. C’est le cas dans l’œuvre de Simon Starling, Pictures for an Exhibition (2014), où l’artiste a retracé le destin de chacune des sculptures de Constantin Brancusi exposées à l’Arts Club de Chicago en 1927. La relation singulière entre l’œuvre et le regardeur fait quant à elle l’objet d’un dispositif en forme de cabines individuelles où tout un chacun peut passer quelques minutes ou quelques heures en compagnie d’une œuvre d’Urs Fischer, de Richard Avedon ou d’Amedeo Modigliani. Il s’agit à chaque fois de mettre en évidence la construction de la relation entre regardeurs et objets d’art et son caractère artificiel. L’une des dernières salles donne à voir des tableaux suspendus dans l’espace. Il ne s’agit pas tant ici de les transformer en sculptures ou en installation que de donner à voir leur envers, leur « face cachée », faite de marques d’authentification, indications d’artistes ou étiquettes de galeries.

7Le projet de Stepanova – et l’exposition dans son ensemble – part du constat selon lequel il existe deux sortes d’objets : des objets que l’on conserve pour des raisons objectives (en raison de leur signification artistique, historique ou sentimentale) et d’autres de moindre importance qui apparaissent et disparaissent régulièrement sans que l’on y prête trop attention. Le musée est le lieu du partage entre les objets ; l’endroit où se conçoit et se recompose en permanence leur destin, où ils sont mis en scène et sommés de s’exprimer. Bien que le nom de Bruno Latour ne soit jamais évoqué, la brochure de Stepanova le sous-entend assez clairement : il s’agit bien de mettre en scène des objets comme des personnes. La position des organisateurs de « General Rehearsal » est, semble-t-il, à la fois de prendre acte de l’arbitraire à l’œuvre dans la constitution des présentations muséales, tout en faisant la promotion de l’action des curateurs non professionnels – leurs propositions échappant davantage aux préjugés épistémologiques des conservateurs.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Glicenstein, « « General Rehearsal » »Marges, 28 | 2019, 136-137.

Référence électronique

Jérôme Glicenstein, « « General Rehearsal » »Marges [En ligne], 28 | 2019, mis en ligne le 19 avril 2019, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1865 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1865

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Auteur

Jérôme Glicenstein

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