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Notes de lecture et comptes rendus d'expositions

« Picasso Primitif »

28 mars – 23 juillet 2017. Paris, Musée du Quai Branly
Gabriel Ferreira Zacarias
p. 214-215

Texte intégral

1Y a-t-il encore quelque chose de nouveau à dire sur le rapport de Picasso aux arts premiers  ? Ou du moins quelque chose à redire  ? On aurait du mal à répondre à ces questions en visitant l’exposition «  Picasso primitif » au Musée du Quai Branly. Le titre de l’exposition récupère ce terme proscrit depuis un certain temps et, en croisant les affiches disséminées dans Paris, on peut avoir l’impression de s’être réveillé dans une époque passée. On tente de renverser le sens de la formule et d’en dégager l’équivoque en acollant l’adjectif au nom de Picasso, suggérant qu’après tout c’est lui le «  primitif ». L’effet reste pourtant incertain. Quel but pourrait avoir une telle entreprise plus de trente ans après la célèbre et tant critiquée exposition «  Primitivism in 20th Century Art » organisée par William Rubin au Musée d’Art Moderne de New York  ? Encore imprégné de l’idéologie moderniste et de ses hiérarchies implicites, l’exposition de Rubin avait tout de même un but «  scientifique ». On y voulait préciser les rapports exacts que les artistes modernes avaient entretenus avec les arts «  ­primitifs », en étudiant de manière assez détaillé la circulation des artefacts non-occidentaux en Europe. «  Quel masque ou sculpture Picasso aurait-il pu avoir effectivement connu avant de peindre ce tableau  ? » – voilà le genre de question que Rubin se posait à l’époque. On aurait pu attendre que le Musée du Quai Branly présente une sorte d’investigation de ce genre, en se servant de la masse d’informations que ses collections peuvent offrir. Aucun but de révision historiographique ne se présente pourtant dans cette exposition. Au contraire, les rapports qui sont établis entre les pièces du Musée et les œuvres de Picasso sont beaucoup plus libres. Il s’agit plutôt de reconnaître des similitudes tantôt formelles, tantôt conceptuelles entre les artefacts et les œuvres de Picasso qui figurent côte à côte. Même si cela relève parfois d’un certain formalisme – analogue à la «  migration des formes » déjà proposée à la Documenta 12 en 2007 – il vaut certes mieux prendre ce chemin que d’insister sur les voies rebattues de l’influence des «  arts primitifs » sur l’art moderne. Malheureusement ce choix n’est pas évident dès le départ. Avant de commencer l’exposition à proprement parler, le visiteur doit traverser une longue partie introductive où se trouve la bonne veille histoire de l’influence «  nègre » sur Picasso. On y croise plein de reproductions photographiques qui veulent attester la présence des artefacts dans l’atelier de Picasso, atelier qui est plus ou moins reconstitué autour de nous. Monotone et didactique, l’ouverture de l’exposition risque d’accabler le visiteur avant que la véritable exposition n’ait même commencé. S’il survit, le visiteur aura le plaisir de rencontrer de belles et souvent surprenantes pièces d’arts non-occidentaux et quelques œuvres de Picasso qui ne sont pas si souvent exposées.

2On découvre finalement ce qui est entendu ici par «  primitif ». D’après les commissaires, les rapports entre les œuvres s’appuient davantage sur une «  anthropologie de l’art » que sur des critères esthétiques – ce qui montre bien l’intention de s’éloigner du traditionnel récit historique du modernisme. L’exposition est structurée selon des axes conceptuels qui sont censés renvoyer à des problématiques inhérentes à l’homme, orientant la disposition des œuvres à partir d’un critère qui dépasserait les habituelles divisions historiques et géographiques. Si le commissariat reprend le terme de «  primitif », ce n’est donc pas dans le sens d’un développement culturel inégal, mais plutôt dans cette visée anthropologique, le primitif compris «  comme l’accès aux couches les plus profondes, intimes et fondatrices de l’humain ». Ces couches profondes semblent renvoyer souvent beaucoup plus à la psychanalyse qu’à l’anthropologie à proprement parler – on y traite du «  Ça » ou des problématiques «  de la sexualité, des pulsions ou de la perte ». D’autres fois, les problèmes propres à l’histoire de l’art sont bien ­présents, comme dans une salle traitant des «  assemblages et de l’art de la trouvaille ». Le visiteur peut apprendre ainsi que l’assemblage était bien un dispositif propre aux arts non-occidentaux avant qu’il ne devienne une «  invention » de l’art d’avant-garde.

3Face à des vitrines où des différents objets se côtoient, les guides d’exposition demandent souvent aux visiteurs de tenter de deviner quel est «  le Picasso ». Le jeu est sans doute amusant, mais il révèle le piège qui menace l’exposition. En présentant dans un musée d’arts premiers une exposition structurée à partir de l’œuvre d’un nom majeur de l’art moderne, on risque d’anéantir tout potentiel de questionnement que la diversité d’artefacts exposés pourrait apporter. Or, ces objets pourraient bien servir à mettre à l’épreuve les notions habituelles de l’art qui sont toujours celles du public. Cependant, avec une telle présentation, on peut toujours comprendre que la génialité de Picasso reste la mesure de toutes choses. L’intérêt de ces objets – d’histoires et de provenances si variées – ne résiderait en dernier ressort que dans leur possible parenté avec l’inventivité inépuisable du seul Andalou. Après tants de débats autour du virage global de l’art contemporain, on voit combien il reste difficile de traiter de l’art moderne, et notamment de ses «  grands maîtres », sans retomber dans de vieux présupposés.

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Pour citer cet article

Référence papier

Gabriel Ferreira Zacarias, « « Picasso Primitif » »Marges, 25 | 2017, 214-215.

Référence électronique

Gabriel Ferreira Zacarias, « « Picasso Primitif » »Marges [En ligne], 25 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2017, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1356 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1356

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Auteur

Gabriel Ferreira Zacarias

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