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Notes de lecture et comptes rendus d'expositions

« Métropole  : experiência paulistana »

8 avril – 18 septembre 2017. São Paulo, Pinacothèque de l’État de São Paulo
Marcos Pedro Rosa et Marina Silva e Siqueira
p. 210-211

Texte intégral

1Le mythe du bandeirante a eu un rôle central dans la construction identitaire brésilienne au début du 20e siècle, quand la ville de São Paulo a pris la tête de l’économie nationale. Les bandeirantes, des métis d’indigènes et d’Européens, sont normalement décrits comme des expéditionnaires qui à partir de São Paulo se sont lancés dans la forêt vierge. Asservissant les indigènes et découvrant des mines d’or, ils auraient fixé les frontières du pays. L’exposition «  Métropole  : l’expérience paulistana », présentée à la Pinacothèque de l’État de São Paulo, redimensionne ce mythe, tout en traitant de la vie actuelle dans la mégalopole.

2Il convient de remarquer la motivation que le commissaire évoque pour revisiter les mythes de la ville. Dans une enquête pour savoir quelle image symbolisait la ville, les habitants ont choisi l’Avenue Paulista, voie centrale qui concentre les activités financières. Gêné par le fait qu’on choisisse une voie d’accès, plutôt que des bâtiments historiques ou des monuments, Tadeu Chiarelli a décidé de revisiter la construction de l’imaginaire identitaire de la région. Curieusement, c’est précisément un monument qui prend le devant de la scène dans l’exposition – monument qui a été récemment plus présent que jamais dans les dynamiques urbaines.

3Les deux salles principales de cette exposition sont unies par un couloir. À l’entrée de la première il y a une sculpture du moderniste Victor Brecheret, Barca : templo de minha raça (1921)  : deux rangs d’indigènes et d’animaux de traction tirent une barque, conduits par les expéditionnaires paulistas sur leurs chevaux. C’est le projet du monument construit en 1954, Monumento às Bandeiras [le Monument aux Expéditionnaires] à l’occasion de l’anniversaire des 400 ans de la ville. À l’entrée de l’autre salle, on découvre par terre une œuvre contemporaine de Jaime Lauriano, une petite réplique du monument de Brecheret sur une brique. Fragile, elle est menacée par les pas des visiteurs inattentifs. Le placement des sculptures l’une en face de l’autre souligne le contraste.

4L’exposition montre aussi une sculpture de Flávio Cerqueira  : la tête tombée d’une énorme sculpture d’un expéditionnaire en bronze. À l’intérieur de la sculpture on lit «  il fallait que cela arrive »  : une prophétie exploitée par le dialogue entre Brecheret et ­Lauriano. Rappelons qu’en 2013, pour protester contre le projet de loi qui était destiné, entre autres choses, à exproprier les réserves indigènes, un groupe de manifestants a écrit des graffitis «  expéditionnaires assassins » et jeté de l’encre rouge sur le grand monument fait à partir de la sculpture de Brecheret. Pendant que l’encre coulait du monument, la presse diffusait l’indignation des secteurs dominants, y compris les collectionneurs et les critiques d’art qui réaffirmaient le caractère sacré de cette sculpture. Cerqueira a donc décapité le mythe fondateur de São Paulo au moment où celui-ci est redevenu un antagoniste dans les combats politiques.

5À vrai dire, le discours de l’exposition ne traite pas tellement de monuments achevés, mais plutôt des projets à la fois fragiles et violents. L’histoire de la ville, telle que l’exposition la raconte, est une sédimentation des rapports et images variés, de constructions subjectives et identitaires. Cette histoire s’étend vers les questions contemporaines de l’occupation du territoire et du contrôle des populations. Le conflit et la violence provoquent une tension dans toutes les œuvres. Celle de Nicolas Robbio, par exemple, montre des silhouettes en carton, des ombres de monuments qui représentent des indigènes dans la ville. Elles se structurent par des bâtonnets et rappellent des pancartes qu’on porte lors d’une manifestation. On expose aussi des toiles et des dessins de Sidney Amaral portant sur le racisme et la violence contre les noirs, question souvent déniée par le discours nationaliste qui présente le Brésil comme le pays du métissage. Une vidéo reproduit les performances de Renata Felinto qui joue avec les stéréotypes ethniques de la ville. Dans une autre vidéo, White Face and Blond Hair, Felinto, une femme noire, joue le rôle d’une femme riche et blanche, en parodiant les ­habitudes de la haute classe sociale brésilienne. L’attitude de Felinto n’est pas très différente de celle des manifestants indigènes devant le Monument aux ­Expéditionnaires. Il s’agit de dévoiler la violence cachée sous les mythes identitaires, inversant une histoire racontée contre les populations minoritaires, qui refusent la position d’objet pour devenir les co-auteurs du récit.

6En 2016, pendant la campagne électorale de la ville, le monument a été encore une fois la cible des manifestants, après que deux des candidats se sont prononcés contre les graffitis. Le maire élu a depuis mené une campagne contre l’art de rue, ordonnant l’effacement de graffitis dans plusieurs endroits de la ville. Il a également investi contre les populations marginales qui habitaient au centre ville, soutenant des actions policières violentes notamment dans le quartier où se situe la ­Pinacothèque de São Paulo. L’institution s’est vue ainsi attrapée en plein champ de bataille, dans la lutte menée par le pouvoir politique pour changer l’image de la ville. Une entreprise qui recourt aux clichés identitaires et veut rendre les Paulistas fiers de sa «  belle ville ». C’est dans ce contexte que Tadeu Chiarelli, dans sa dernière exposition comme directeur de l’institution, a voulu revisiter les images identitaires de la région, fragilisant ces mythes à l’aide d’un contraste entre l’imaginaire moderniste et la critique sociale de l’art contemporain.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marcos Pedro Rosa et Marina Silva e Siqueira, « « Métropole  : experiência paulistana » »Marges, 25 | 2017, 210-211.

Référence électronique

Marcos Pedro Rosa et Marina Silva e Siqueira, « « Métropole  : experiência paulistana » »Marges [En ligne], 25 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2017, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1353 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1353

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