Documenta 14, « Learning from Athens »
Texte intégral
1La deuxième partie de la Documenta se déroule à Kassel. Il est d’ailleurs difficile de dire s’il s’agit d’une deuxième partie, car les dates d’ouverture sont proches et les œuvres, dues aux mêmes artistes, sont souvent semblables au point où l’on en vient à se poser la question de la pertinence artistique de l’ensemble. S’agit-il de montrer au public allemand que ce qui se fait en Grèce peut faire figure de modèle ou, à l’inverse, d’exporter une exposition considérée comme majeure auprès d’un public qui en serait trop éloigné ? Quel rôle jouent les artistes dans ce genre de projet ?
2Les choix d’œuvres ajoutent à l’incertitude. Dans certains cas, elles sont assez différentes d’une ville à l’autre, ce qui peut faire penser à une complémentarité entre les propositions : c’est le cas par exemple avec Daniel Knorr qui réalise un dispositif de production de livres à Athènes et qui à Kassel expose juste une fumée qui s’échappe du Fridericianum. Le lien n’est pas très clair, même si l’on pense évidemment à une opposition entre création (grecque) et destruction (allemande). De manière plus elliptique, Rasheed Araeen, auteur d’une action à caractère social à Athènes, expose cette fois les anciens numéros de la revue Third Text accompagnés de ses peintures abstraites. S’il y a un lien, il semble ténu. Les présentations d’Olu Oguibe se situent dans le même type de rapport ambigu avec d’un côté une documentation à propos du Biafra (à Athènes) et de l’autre l’édification d’un obélisque en hommage aux réfugiés (à Kassel). Certains artistes poussent encore cette discontinuité, comme Marta Minujin, auteure d’une performance à propos d’Angela Merkel à l’EMST d’Athènes et qui à Kassel reconstitue le « Parthénon des livres », une œuvre qu’elle avait exposée autrefois en Argentine dans un tout autre contexte. Parfois, en dépit de leur hétérogénéité, les œuvres d’un artiste témoignent tout de même de préoccupations constantes. C’est le cas avec Artur Zmijevski qui présente à Athènes une vidéo assez dérangeante où il interviewe les sans papiers de Paris et à Kassel plusieurs vidéos où des unijambistes se racontent tout en faisant du sport.
3L’un des moyens les plus fréquemment utilisés par les artistes afin de ne pas répéter les mêmes présentations consiste à exposer d’un côté des objets et de l’autre des performances ou des films qui y sont liés. C’est le cas avec le duo Prinz Gholam, auteur de plusieurs performances à Athènes, lesquelles sont exposées à Kassel sous forme de vidéos. À l’inverse, les masques en osier de Khvay Samnang qui sont présentés en Grèce, sont visibles à l’Ottoneum de Kassel, dans le film d’une de ses performances. Même chose avec l’installation « réelle » dans le parc du Karlsaue d’un projet de Ciudad Abierta qui est l’objet d’une présentation documentaire aux Beaux-Arts d’Athènes. Cette répartition entre œuvre et documentation permet de mieux comprendre certaines démarches. Si Annie Sprinkle et Beth Stephens avaient réalisé des performances à Athènes, c’est à Kassel qu’est présenté l’ensemble de leurs activités.
4D’autres artistes choisissent de montrer des œuvres presque identiques sur les deux sites. C’est le cas avec le « mail art » de Moyra Davey, l’installation précaire de Joar Nango, les peintures abstraites de Vivian Suter ou de Stanley Whitney, les peintures de Miriam Cahn, le quipu de Cecilia Vicuña, les installations sonores de Pope.L, les masques traditionnels de Beau Dick, les peintures d’Edi Hila… Dans le meilleur des cas, la variation dans les modalités de présentation d’une œuvre la fait percevoir différemment. C’est ce qui se produit avec une série de photographies de Hans Eijkelboom à propos de l’habillement dans l’espace public de plusieurs villes. Au Stadtmuseum de Kassel l’ensemble est montré d’un seul coup sur les murs d’une grande salle alors qu’à l’EMST d’Athènes les images se succèdent au sein d’un diaporama.
5À Kassel, plus encore qu’à Athènes, des expositions à caractère historique se mêlent aux œuvres contemporaines. Il s’agit notamment de montrer l’intérêt ancien des artistes allemands pour la Grèce : de Johann Winckelmann et Leo von Klenze à Gerhard Richter et Arnold Bode. Ce dernier ayant été le créateur de la Documenta, la boucle est bouclée et la démonstration est faite de la « leçon d’Athènes » pour la régénération de l’art allemand. Ceci étant dit, si l’on ne tient pas compte de la présentation assez éclectique de la collection du nouveau musée d’art contemporain d’Athènes, dans le Fridericianum, la question grecque est tout de même très peu présente en tant que telle.
6À Kassel, sans doute en raison du poids historique des expositions antérieures de la Documenta, le propos politique d’Adam Szymczyk tend visiblement à se dissiper. Peut-être est-ce aussi dû au fait que le public – très nombreux – est plus familier de cette manifestation récurrente et de ce fait plus facile à convaincre de l’intérêt de propositions aussi hétérogènes. Le contraste est saisissant : si à Athènes le public semble constitué de spécialistes venus spécialement de l’étranger, à Kassel se mêlent retraités et groupes scolaires dans une ambiance bon enfant. Est-ce un hasard : les éléments de médiation qui étaient peu présents à Athènes sont cette fois-ci très bien diffusés et accessibles.
7Que restera-t-il de cette édition de la Documenta ? Il y a certes le geste symbolique visant à déplacer l’exposition en Grèce, mais cela a-t-il servi à quelque chose ? Pour être efficace, ce geste aurait du mettre en place un processus et ne pas se concevoir comme une action isolée. Peut-être aurait-il fallu aller plus loin, jusqu’à renoncer à la présentation à Kassel. Voire jusqu’à renoncer à réaliser une exposition d’art contemporain au profit du financement d’actions plus urgentes. Visiblement on n’en est pas encore là.
Pour citer cet article
Référence papier
Jérôme Glicenstein, « Documenta 14, « Learning from Athens » », Marges, 25 | 2017, 202-203.
Référence électronique
Jérôme Glicenstein, « Documenta 14, « Learning from Athens » », Marges [En ligne], 25 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2017, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1347 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1347
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