Les usages de l’art colonial dans les expositions coloniales : le cas du pavillon marocain
Résumés
Cet article a pour objectif de montrer comment l’art colonial, ici dans le sens de l’art plastique réalisé par des artistes occidentaux d’après leur voyage dans les colonies, est utilisé par les commissaires des expositions coloniales. À travers l’exemple du pavillon marocain des expositions marseillaise de 1922 et parisienne de 1931, nous verrons que les organisateurs ont recours aux toiles, dioramas et panoramas pour leur caractère informatif, distrayant et illusionniste.
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- 1 Émile Monod, L’Exposition universelle de 1889, Paris, E. Dentu, 1890, p. 72.
« Maroc, Égypte, rue du Caire – tout cela se tient et repasse brusquement devant vos yeux dans le même coup d’une vision, exquise en ses étrangetés, de l’Orient. Cette vision [...] constitua, on s’en souvient, une des plus grandes attractions de l’Exposition Universelle ; c’est là que, dès le début, la foule se porta, affamée de nouveau ou d’étrange, menée par cette curiosité quasi sentimentale de l’exotique […]. Ceux-là nous connaissaient bien qui eurent l’idée de ce tableau oriental à offrir à nos appétits du merveilleux/1 ».
- 2 Cet article est une version synthétisée d’une partie de ma thèse en cours de rédaction, De l’orient (...)
- 3 Auguste Terrier, « Le Maroc », dans L’Exposition nationale coloniale de Marseille décrite par ses (...)
- 4 Par « art colonial », je désigne ici uniquement les œuvres réalisées par des artistes occidentaux (...)
1Ces quelques phrases écrites par un commentateur de l’Exposition universelle de 1889 montrent qu’à la fin du 19e siècle le Maroc est encore rattaché par certains à cet Orient mythique évoqué soixante ans plus tôt par Victor Hugo dans ses Orientales/2. Trois décennies plus tard, c’est un tout autre discours qui accompagne le pavillon marocain de l’Exposition coloniale de 1922, dont le but, à en croire son commissaire, est de « montrer au public que le jeune Protectorat méritait l’effort qu’il a coûté au pays, [de] mettre en lumière sa valeur économique et le concours qu’il apportera au relèvement de la France, [d’]inspirer confiance dans ses destinées/3 ». La venue du Maroc dans le giron de l’empire colonial français a donc des conséquences dans sa représentation en Occident, notamment lors des expositions universelles et coloniales. L’art colonial/4 joue-t-il un rôle dans la construction de cette image ? C’est ce que nous essayerons de déterminer à travers l’étude des deux plus importantes expositions coloniales en France, celle de Marseille en 1922 et celle du Bois de Vincennes en 1931.
La participation du Maroc aux expositions universelles avant le protectorat
- 5 C’est le cas également de la Tunisie ; voir Isabelle Weiland, La Tunisie aux expositions universel (...)
2Avant de nous pencher sur le cas des pavillons du Maroc colonial, il est intéressant de retracer brièvement l’histoire de sa participation aux expositions universelles françaises. De 1867 à 1900, sa contribution se divise entre des reconstitutions architecturales marocaines (tente royale, écurie, maison citadine) abritant les envois officiels du sultan et la présence de commerçants et d’artisans qui vendent leurs marchandises pour leur compte dans un « souk » comportant un café. Les guides et les comptes rendus de ces expositions sont surtout sensibles à l’ambiance animée qui règne dans cette section, comme le montre la citation liminaire de 1889 ; à cette date, le Maroc est placé à côté de l’Égypte dont l’édification d’une rue soi-disant typique du Caire constitue le clou de l’Exposition. Il faut dire que certains des pays qui participent aux expositions universelles ne contrôlent pas entièrement leur représentation car, si les envois sont bien le fait du gouvernement en question, ce sont parfois des Français qui sont les commissaires et les architectes des pavillons étrangers. C’est le cas du Maroc/5. Ainsi, en 1889, le café marocain, édifié par un architecte français, possède une allure assez curieuse qui, malgré ce que peuvent en dire certains commentateurs, l’éloigne de l’architecture habituelle du pays [fig. 1]. Il s’agit d’un amalgame d’éléments de divers édifices et non de la reproduction d’un bâtiment précis : la coupole qui le coiffe serait plus à son aise sur une koubba ou une mosquée, les ouvertures très grandes, ne se trouvent généralement pas au rez-de-chaussée dans les habitations marocaines et le moucharabieh en bois sonne bien plus égyptien que marocain.
- 6 Guide de l’exposition universelle et de la ville de Paris pour 1878, Paris, La Publicité, 1878, p. (...)
3Si l’extérieur des édifices doit plus à l’imaginaire occidental qu’à une quelconque réalité marocaine, il en est de même pour l’intérieur de ces bâtiments, qui accueillent des scènes dignes des Mille et Une Nuits : « Les sculptures en plâtre y sont prodiguées, les faïences y sont étalées avec profusion sur des meubles magnifiques, et les armes les plus richement ciselées couvrent les murs de cette vaste salle tendus d’étoffes admirables. [...] Partout des tables, des coffrets, des étagères incrustés de nacre et d’argent. À terre, des nattes en sparterie, des peaux de lions, de panthères, d’antilopes recouvrent de superbes mosaïques. Ajoutons à cela des lanternes monumentales, des glaces, des plateaux en cuivre façonné […], des chandeliers et des lampes dans le même goût, et nous aurons une idée de l’aménagement de la cour de réception d’un riche Marocain/6 ».
- 7 Louis Simonin, « Les sections étrangères », L’Art et l’industrie de tous les peuples. L’Exposition (...)
4Toujours en 1878, un autre commentateur invite les visiteurs à entrer dans le café marocain pour se désaltérer et écouter la musique produite par « trois musiciens accroupis [chantonnant] du matin au soir les trois mêmes notes [...]. Une prétendue almée se balance lentement, mollement à cette musique endormante, et gravement, sur place, exécute la danse du ventre célébrée par le peintre Gérôme/7 ».
- 8 Docteur A. Warnier, « Exposition de Tunis et Maroc » dans François Ducuing (sld.), Exposition univ (...)
5Les expositions du Maroc sont donc perçues quelquefois via le filtre d’une peinture orientaliste non avare de luxe et d’érotisme ; ce qui est recherché et commenté a trait à l’exotisme, qu’importe qu’il soit réel ou contrefait. Mais si certains courent après les distractions « orientales », d’autres observent plus froidement, mais non moins partialement, la teneur des participations de l’empire chérifien et en tirent des conclusions tendancieuses. Ainsi, dès 1867, le docteur Warnier, membre du conseil du gouvernement de l’Algérie, se déclare déçu par la contribution marocaine. Il reproche au sultan de n’avoir envoyé que « des costumes de cour ou de sérail, des meubles, des équipements, des armes de luxe, en un mot, ce qui brille, reluit et pare, et non ce que l’on recherche dans un concours universel des produits du globe/8 ». Warnier explique ces envois par la faiblesse politique du sultan qui règne difficilement sur des sujets dont une partie ne le reconnaît pas comme chef politique et dont l’autre serait prompte à se retourner contre lui à la moindre occasion. Sa position étant instable, le sultan ne peut que laborieusement mettre en œuvre des programmes de développement dans son empire, d’où l’impossibilité d’exposer ici des produits correspondant aux attentes progressistes et modernistes des expositions universelles. Ce genre de propos augmente au fil des expositions, au fur et à mesure que les ambitions colonialistes de la France sur le Maroc semblent de plus en plus pouvoir se concrétiser.
6Ces deux types d’attentes contradictoires sur la participation marocaine, les uns souhaitant être divertis, les autres instruits, ne disparaissent pas après la signature du traité du protectorat le 30 mars 1912. Nous allons voir maintenant comment les commissaires des pavillons du Maroc colonial cherchent à les contenter tous les deux.
L’Exposition coloniale de Marseille de 1922
- 9 Sur la genèse, l’organisation et l’analyse de ces expositions, voir Laurent Morando, « Les Exposit (...)
- 10 Henri Froideveaux, « À l’exposition coloniale de Marseille », Le Correspondant, 25 juillet 1922, p (...)
7Après le succès d’une première Exposition coloniale en 1906, la Ville de Marseille et sa Chambre de commerce lancent rapidement un nouveau projet d’exposition, qui aboutit en 1922/9. Pour la première fois dans une manifestation française de cette ampleur, le Maroc ne participe plus en tant qu’État indépendant, mais en tant que colonie française. Certains commentateurs n’hésitent pas d’ailleurs à balayer du revers de la main les participations précédentes du pays aux expositions universelles et coloniales : « Pour la première fois, [le Maroc] figure vraiment en France, dans une exposition, et il y figure dignement, produisant les preuves du fécond labeur accompli et des merveilleux résultats obtenus en dix ans, mettant celui-ci et ceux-là en pleine lumière/10 ». Comme l’affirment fièrement cette citation et bien d’autres, ce n’est pas tant le Maroc qui est présenté à Marseille en 1922 que l’œuvre accomplie par le protectorat marocain.

6 avril 1922, sortie du palais du Maroc de MM. Sarraut et Lucien Dior lors de l’inauguration, agence Rol, Bnf [fig. 2]
- 11 Charles Régismancet, L’Exposition nationale coloniale de Marseille, 1922, Paris, Les imprimeries fr (...)
8Les différences dans la représentation du Maroc colonisé par rapport à celle du Maroc indépendant sont perceptibles dès l’extérieur du pavillon, dans son aspect même : finis la tente seigneuriale, l’habitation d’un riche citadin ou la construction hétéroclite du café, place à un genre d’architecture jamais montrée dans ce type d’exposition, la casbah [fig. 2]. Il s’agit dans les faits d’une muraille crénelée dont l’ouverture reproduit la porte de Chellah, un ancien ribât puis une nécropole à l’abandon depuis la fin du 18e siècle située à l’extérieur de Rabat. Les imposantes murailles du pavillon marocain lui donnent un « attrait romantique » comme le note un journaliste ; de plus, l’austérité du dehors permet à la magnificence du décor intérieur d’être encore plus frappante, car, nous prévient-on, « après avoir franchi cette porte, le visiteur, comme par enchantement, se trouvera transporté dans un de ces délicieux jardins maures, de tradition andalouse, qui sont l’ornement des palais marocains/11 ».
- 12 Auguste Terrier, « Le Maroc », L’Exposition nationale coloniale de Marseille décrite par ses auteu (...)
9Tout autour de ce patio, plusieurs pièces célèbrent l’action du protectorat, chacune sur un thème différent : l’agriculture et l’élevage, les forêts et le commerce, la santé, les travaux publics, l’enseignement, etc. La nouveauté qui nous intéresse le plus réside dans la présence massive de l’art colonial concentré dans deux endroits : les salles du Maroc artistique et la section des dioramas. Après les pièces présentant l’œuvre du protectorat vient une section plus spécifiquement consacrée à l’art et aux découvertes scientifiques. Une partie de la salle est réservée à « ce que nous pouvons appeler le Maroc de demain, le Maroc artistique, touristique et pittoresque/12 » : à côté des relevés de plans et des photographies de bâtiments anciens gérés par le Service des beaux-arts et des monuments historiques du protectorat, sont exposées des œuvres d’artistes occidentaux (André Suréda, Jules Galand, Étienne Bouchaud, Henri Hourtal, Émile Beaume et bien d’autres). L’avenir du pays, aux yeux des organisateurs, passerait donc par la mise en tourisme de son patrimoine, ce qui nécessite la sauvegarde, conservation et restauration des monuments historiques (réalisées par le service du même nom), mais aussi par la promotion du pays. C’est ici qu’intervient l’art colonial : en représentant les sites historiques et naturels marocains et en donnant un aperçu de la vie de ses habitants sous un jour souvent plaisant (ce qu’ils font la plupart du temps), les peintres les feraient connaître et populariseraient une vision attrayante du Maroc. Ainsi, l’art colonial, en étant associé au futur du pays, est présenté comme un outil parmi d’autres de la colonisation servant à mettre en valeur le Maroc, ici son patrimoine, présenté comme menacé et inexploité avant l’arrivée du protectorat.
- 13 Bernard Comment, Le XIXe siècle des panoramas, Paris, Adam Biro, 1993, p. 6. Sur ce sujet, voir aus (...)
10Après ces salles vient l’espace consacré aux dioramas. Bien qu’ils soient présents ici pour la première fois dans une section marocaine, les dioramas sont en réalité des installations fort anciennes puisque leur origine remonte à la fin du 18e siècle. C’est en effet à cette époque que l’artiste anglais Robert Barker invente le panorama, dont découlent les dioramas présentés ici : « Il s’agit d’une représentation circulaire continue, installée sur les parois d’une rotonde spécialement construite pour l’accueillir, et qui doit simuler une réalité au point de se confondre avec elle. Après avoir parcouru un long couloir et des escaliers assombris qui lui font oublier les repères extérieurs de la ville, le visiteur pénètre par en dessous sur une plate-forme délimitée par une balustrade qui empêche de s’approcher de la toile. […] Tout est ainsi conçu pour qu’aucun élément étranger à la représentation ne vienne perturber le champ de vision du spectateur/13 ».
- 14 S.n., La Nature, 12 octobre 1889, cité par Bernard Comment, Le XIXe siècle…, op. cit., p. 81.
11Le dispositif connaît un vif succès et s’exporte en France. Les thèmes (les vues urbaines, les batailles militaires et les paysages exotiques), comme la structure, ne changent guère durant tout le 19e siècle ; tout au plus cette dernière est-elle améliorée pour accroître la qualité de l’illusion. Ainsi, dans les années 1830, Jean-Charles Langlois lui apporte quelques modifications qui seront largement développées au siècle suivant, dont le perfectionnement du « faux-terrain », l’espace entre la toile et la plate-forme, jusqu’ici peu investi et qu’il aménage avec des objets pour faciliter la transition visuelle. À partir de 1867, les attractions, dont font partie les dioramas et panoramas, apparaissent dans les expositions universelles. Certains exploitants n’hésitent pas alors à bâtir leur publicité sur les connaissances supposées que le public peut tirer des panoramas, comme le fait remarquer un commentateur en 1889 à propos de celui du pétrole : « Les visiteurs désireux de s’instruire n’ont qu’à descendre sur le quai de la Seine, auprès du pont d’Iéna, du côté du Champ-de-Mars : ils y prendront une leçon de chose fort instructive/14 ».
- 15 Sur ce dispositif, voir les ouvrages de la note 13.
- 16 Ludovic Naudeau, « L’Exposition coloniale de Marseille », L’Illustration, 21 octobre 1922, n° 415 (...)
12Revenons à nos dioramas marocains de 1922 : ceux-ci sont en fait une évolution du panorama et n’entretiennent pas de rapport avec le diorama inventé par Daguerre et Buton/15. Depuis 1889, le terme « diorama » désigne également une toile reproduisant une vue panoramique et présentée en dehors de la structure ordinaire du panorama : ce procédé permet d’alléger considérablement les frais puisqu’au lieu de construire un édifice spécialement dédié au panorama, le tableau peut désormais être exposé dans n’importe quelle salle assez grande pour l’accueillir. Cependant, en abandonnant la volonté de substitution totale d’un lieu à un autre, procédé central du panorama rendu possible par l’englobement du spectateur, le diorama perd considérablement de son pouvoir d’illusion optique. Pour pouvoir encore prétendre à un caractère illusoire, il investit alors considérablement l’espace du faux-terrain en le peuplant de mannequins et d’accessoires. Autre point : la plupart des dioramas ne sont plus construits à l’échelle 1/1, leur taille est parfois plus petite, ce qui les apparente à des maquettes. Penchons-nous sur le seul panorama (d’ailleurs appelé par certains « diorama ») présenté dans cette section : réalisé par Joseph de la Nézière et mesurant 32 mètres, il représente une vue de Fès. Le point de vue choisi, déjà connu et apprécié par les touristes et les peintres à l’époque, se situe au pied des tombeaux mérinides, à l’extérieur nord de la ville, sur une colline qui surplombe Fès. Ce panorama rencontre un fort succès public : le journaliste de L’Illustration estime que c’est « le plus merveilleux diorama qu’il ne m’ait jamais été donné de contempler. […] Devant ces lointains immenses, devant cette pulvérulence dorée d’une atmosphère gorgée de feu, les gens les plus simples éprouvaient une émotion qui était peut-être leur première initiation à la culture artistique. À elle seule, la contemplation de ce diorama justifierait un voyage à Marseille/16 ».
- 17 ibid., p. 393.
13Cependant, la fortune positive de ce genre de structure ne repose pas uniquement sur les sentiments esthétiques qu’elle procure(rait) au visiteur. On a dit que le panorama était présenté par certains comme un outil d’éducation populaire qui délivrerait des connaissances soit historiques, à travers la reconstitution de batailles, soit géographiques à travers celle de lieux encore peu accessibles à la classe moyenne. Néanmoins, la nature commerciale de cette structure et de ses déclinaisons (rappelons qu’elle naît et se développe à travers des initiatives privées) l’oblige à rechercher la satisfaction d’un large public. S’ils ne peuvent être taxés de commerciaux, les dioramas et les panoramas marocains se soumettent pourtant eux aussi à des exigences similaires par leur simple présence dans une exposition coloniale : si la fonction éducative de ce type de structure est revendiquée par les organisateurs qui s’empressent de les qualifier d’instructifs, c’est surtout la distraction qu’ils promettent qui intéresse les spectateurs. Le reporter de L’Illustration en fournit la preuve : il rapporte tout d’abord l’impression de certains visiteurs sur le pavillon du Maroc. « Quelques personnes ont jugé que l’exposition marocaine avait un caractère par trop didactique et que son sérieux aboutissait en plus d’un cas à l’ennui. Il est vrai que j’ai parcouru certaines salles où il y avait bien des diagrammes, bien des schémas et bien des statistiques, et que pour en prendre connaissance le visiteur devait s’astreindre à un réel labeur ». Mais, rassure-t-il, cet aspect rébarbatif se trouve compensé « par le nombre et l’excellence de ses dioramas. C’est dire que tout n’a point été sacrifié ici à une aride technique/17 ». Et pour atteindre ces dioramas placés dans les dernières pièces de l’exposition, il faut traverser, selon le sens du parcours imaginé par les organisateurs, toutes les salles consacrées au protectorat, celles qui contiennent les diagrammes et les statistiques austères. Autrement dit, la section marocaine dans son organisation utilise l’art comme un appât pour contraindre le visiteur à circuler dans des salles qui, peut-être, l’intéressent moins.
- 18 Charles Régismancet, L’Exposition nationale…, op. cit., p. 48.
14Par ailleurs, la place du panorama, des dioramas, et dans une moindre mesure celle des toiles exposées dans les salles précédentes, transforment également ces œuvres en prélude incontournable à la suite de l’exposition : la rue marocaine. Celle-ci, construite sur le modèle de la rue du Caire de 1889, accueille un café et une cinquantaine de boutiques. La transition entre la section d’exposition et cette « reconstitution vivante » est facilitée par la vision préalable des œuvres : en effet, face au panorama et aux dioramas, « le visiteur pourra se croire transporté tout d’un coup à Meknès, à Rabat ou à Marrakech. Pour continuer l’illusion, il lui suffira de sortir et de s’asseoir chez le caouadji [sic] installé à côté ; tout en dégustant un excellent thé à la menthe, il pourra se figurer être dans une rue de Fez. Devant lui s’ouvriront les soukhs [sic] recouverts de roseaux où, dans des échoppes pittoresques, seront installés les marchands et les artisans, enlumineurs, peintres sur bois et sur pierre, tisserands, nattiers, mosaïstes, etc./18 ».
- 19 « Le Palais du Maroc à l’Exposition coloniale de Marseille », Les Annales coloniales, 6 février 192 (...)
- 20 Auguste Terrier, « Le Maroc », op. cit., p. 180.
15La scénographie de la section fait donc endosser à l’art un rôle actif dans la réalisation de l’ambition de « transporter dans un coin du Maroc/19 » le visiteur. D’une part en lui montrant des œuvres qui représentent diverses scènes et paysages marocains, ce qui lui fournit un point de comparaison et lui permet, lorsqu’il arrive dans la rue marocaine, de reconnaître en partie ce qu’il vient juste de voir et d’accréditer comme vraisemblable la reconstitution qu’il a sous les yeux ; d’autre part, en mettant en place des dispositifs qui jouent justement sur l’illusion d’optique, sur la substitution d’un lieu à un autre. Autrement dit, que ce soit sur le fond comme sur la forme, l’art plastique permet de réaliser le vœu des commissaires : faire d’une visite au palais « une promenade à travers le Maroc avec évocation de son passé, de son présent et de son avenir/20 ».
L’Exposition coloniale internationale et des pays d’outre-mer de 1931
- 21 Sur la genèse et la présentation générale de cette exposition, voir Catherine Hodeir, Michel Pierre (...)
16Programmée depuis 1916, l’exposition, malgré quelques déboires, est saluée à l’époque comme une réussite incontestable. Sur 110 hectares du Bois de Vincennes, huit pays en comptant la France érigent des dizaines de pavillons à la gloire de leurs possessions coloniales, attirant huit millions de visiteurs pendant six mois et réalisant trente millions de francs de bénéfice/21.
- 22 Jules Borély, « L’Architecture nouvelle et l’Urbanisme au Maroc », L’Art vivant, 15 octobre 1930, (...)
17Tout au bout de la grande avenue des colonies françaises se tient le pavillon marocain. Les architectes optent pour la construction d’un pavillon en deux parties : une double allée bordée de boutiques et le palais d’exposition à proprement parler [fig. 3]. Si certaines parties amalgament des éléments issus de différents monuments marocains (une des portes d’entrée reproduit Bab Rouah de Rabat et la cour principale est calquée sur celle du Dar el Beïda à Marrakech), les architectes prennent cependant de la distance avec le parti pris des expositions précédentes en leur préférant un ensemble de formes blanches géométriques épurées qui, bien qu’entourées de remparts, ménagent une entrée largement ouverte et accueillante. Ce faisant, ils réinterprètent le pavillon selon la grammaire architecturale qui se développe dans les villes nouvelles du protectorat depuis les années 1920, où Lyautey et ses successeurs encouragent la construction d’édifices qui, sans pasticher l’architecture locale, se fondent néanmoins dans le paysage. Le résultat est une architecture qualifiée de « cubique » par Jules Borély, directeur du Service des beaux-arts et des monuments historiques, « une sorte de retour à l’antique (et à la pudeur) par la simplicité des lignes et la disposition des volumes/22 ». L’image romantique et féodale que suscitait chez les commentateurs l’aspect du pavillon de 1922 est donc abandonnée au profit d’une structure qui se veut à la fois « traditionnelle » dans sa reproduction ponctuelle d’éléments architecturaux marocains et « moderne » dans ses éléments d’ensemble.
- 23 « Le Maroc à l’exposition coloniale », dans Marcel Olivier (sld.), Exposition coloniale…, op. cit., (...)
18Cette association entre Maroc moderne et traditionnel, déjà présente à Marseille, se retrouve aussi dans la conception de l’organisation du pavillon : s’il « fallait évoquer le passé » (comprendre le Maroc traditionnel, celui d’avant le protectorat), c’est le Maroc du présent, indissociable de la colonisation, qui est à l’honneur. « Ce qu’il était donc intéressant de rappeler à Vincennes, explique un des rapporteurs officiels de l’exposition, c’était surtout le magnifique développement que le protectorat avait su donner à ce pays en quelques années, et les splendides espoirs que l’on était en droit de concevoir pour son avenir/23 ».
- 24 Georges Hardy, cité dans Marcel Olivier (sld.), Exposition coloniale internationale et des pays d’o (...)
19Non seulement l’objectif apparaît comme similaire à celui des commissaires de la manifestation marseillaise, mais en plus les organisateurs de celle de Paris reprennent la même stratégie pour séduire le public : le pavillon du Maroc de 1922 possédait une architecture frappante qui incitait les visiteurs à pénétrer ses mystères puis les éblouissait ensuite par sa décoration une fois franchies ses portes, avant de les retenir par les attractions que sont les dioramas. Les organisateurs jouaient ainsi sur le contraste entre une enveloppe formelle à l’identité visuelle forte et identifiée comme « typique » et l’exposition en elle-même, sobre et rationnelle, qui faisait l’apologie de la colonisation. Au Bois de Vincennes le principe reste le même : c’est à l’architecture, aux souks, aux dioramas et à l’art colonial qu’est confiée la tâche d’attirer puis de retenir le public afin de l’inciter à prendre connaissance d’une exposition qui se veut scientifique. En effet, celle-ci ne devait rien avoir « d’un bazar oriental où s’entassent dans l’ombre des objets précieux », mais au contraire « être ordonnée comme un plan de campagne, logique, synthétique. Elle ne montrerait que l’essentiel, mais elle le montrerait avec une force et une méthode susceptibles de laisser au visiteur un bon lot d’idées nettes et liées/24 ».
20Du fait de sa position sur deux axes de circulation à la fois, il n’existe pas comme à Marseille de sens de visite préconisé ; suivons néanmoins celui adopté par le rapporteur de l’exposition qui débute sa visite en venant de la grande avenue des colonies françaises. Après avoir passé la reproduction d’une porte monumentale de Rabat, le visiteur pénètre dans une cour. De ce patio, on accède au hall des exposants particuliers, mais aussi à une extension réservée aux peintres coloniaux. Celle-ci est ajoutée dans les dernières semaines précédant l’ouverture de l’exposition, car, initialement, les œuvres coloniales ne devaient pas prendre place dans le pavillon du Maroc, mais dans l’espace réservé à la quatrième Exposition artistique de l’Afrique française. Ce groupement décide en 1930 de tenir son exposition annuelle non pas en Afrique du Nord, comme à son habitude, mais à l’exposition coloniale, afin de bénéficier de l’afflux important du public. L’Algérie, la Tunisie et le Maroc prévoient donc de réunir tous « leurs » artistes coloniaux dans un espace commun, en dehors de leur pavillon respectif. Cependant, suite à des quiproquos, aucune place n’est réservée à ce groupe au sein de l’exposition générale et le pavillon du Maroc se retrouve donc à devoir bâtir dans la précipitation une annexe pour accueillir les artistes coloniaux marocains.
21Cinquante-sept artistes exposent près de deux cents œuvres dans ce Salon. Ces exposants sont presque tous des artistes « coloniaux », dans le sens où ils consacrent une part importante de leur production aux colonies ; un certain nombre réside même au Maroc. Une bonne quinzaine d’entre eux ont déjà pris part à une exposition du groupe artistique français La Kasbah au Maroc et plus de la moitié expose au Salon de la Société des peintres orientalistes français ou de la Société coloniale des artistes français à Paris. Citons parmi les plus célèbres Marcelle Ackein, Paul-Élie Dubois, Henri Pontoy, Joseph de la Nézière, Étienne Bouchaud et Jacques Majorelle. On a donc affaire, tant du côté des exposants que des œuvres exposées (des portraits, vues de ville et scènes de rues, traités dans des styles postimpressionnistes à l’innovation limitée), à un art colonial qu’il serait tentant de qualifier de traditionnel.
- 25 « Le Maroc à l’exposition coloniale », dans Marcel Olivier (dir.), Exposition coloniale…, op. cit., (...)
22Si l’on revient sur nos pas, depuis la cour l’on peut aussi accéder à l’entrée de l’exposition du gouvernement du protectorat qui se présente sous la forme d’une succession de salles traitant, comme à Marseille, des différentes actions françaises dans le domaine militaire, agricole, industriel, sanitaire, etc. Pour faire connaître ces actions, les organisateurs ont recours à des documents assez scolaires : « Partout des cartes, d’une facture toute moderne, pour situer les différentes entreprises, des graphiques facilement intelligibles et limités aux indications utiles ». Cependant, ils reconnaissent la limite de ces outils « insuffisants pour évoquer aux yeux du public ordinaire, les aspects du pays et les résultats obtenus, et c’est là ce qu’il y avait intérêt à lui présenter ». Pour atteindre cet objectif, ils font donc appel à des artistes : « pour montrer d’une façon saisissante et surtout plus aisément compréhensible les résultats théoriquement mis en évidence par les diagrammes exposés sur les murs, on jugea nécessaire de compléter cette présentation par des peintures disposées en frises dans certaines salles et par des dioramas animés/25 ».
- 26 Concours pour la fourniture de dioramas et de motifs décoratifs destinés à figurer dans la section (...)
- 27 ibid.
23L’utilisation de l’art colonial et sa scénographie présentent des différences par rapport à l’exposition marseillaise : les dioramas et la peinture coloniale ne sont pas seulement groupés dans un coin qui leur est dévolu, ils prennent place tout au long de l’exposition en y étant pleinement intégrés afin d’illustrer les propos des commissaires. Un concours pour la réalisation des huit dioramas et des toiles décoratives de la section du protectorat est lancé ; il est ouvert à tous les artistes français ou marocains, à condition qu’ils puissent fournir « des références constatant qu’ils ont séjourné au Maroc et qu’ils ont déjà exécuté des travaux de cette nature et de cette importance/26 ». Le règlement du concours fixe également l’iconographie, parfois de manière assez détaillée. Pour l’un des deux dioramas devant se situer dans la salle du Service de santé, celui de l’infirmerie indigène, voici ce que prévoit le règlement : « Au premier plan, à gauche, un coin de riad, des fleurs rouges, jaunes, verdure intense, grenadiers, cannas, etc. Si possible un peu de la croisée des allées surélevées, en zellige, avec la vasque du jeu d’eau. À gauche, une partie de la colonnade, avec au centre la grande porte indigène à vantaux d’arar [ ?] ciselé. La foule urbaine – juifs, femmes drapées, enfants aux caftans rutilants, etc.) se presse dans les allées du riad et sous la colonnade. Sur la marche de la porte, le médecin émerge des consultants. Derrière lui, dans la pénombre de la salle, silhouettes d’infirmiers turbanés [sic] et blousés de blanc/27 ».
- 28 ibid.
- 29 ibid.
- 30 Voir par exemple Mary Jo Arnoldi, « Du diorama au dialogisme : un siècle d’une Afrique en exposit (...)
- 31 Marcel Olivier (sld.), Exposition coloniale internationale et des pays d’outre-mer, Paris, 1931, Ra (...)
- 32 Tout en utilisant sa formule que je trouve parlante, je ne reprends pas sa définition très large de (...)
24Suzanne Drouet-Réveillaud, qui se retrouve chargée de son exécution, livre une œuvre fort fidèle à cette description et qui inclut, là encore comme le mentionne le règlement, « plusieurs plans en relief. Des personnages sculptés, moulés en ronde bosse ou, pour les derniers plans, en bois découpé/28 ». De même qu’à Marseille, ce qui est appelé « diorama » correspond ici en réalité à une sorte de « portion » de panorama abondement garnie de mannequins et d’accessoires en relief [fig. 4]. Si les commissaires doivent se montrer aussi précis dans la description des dioramas, c’est que l’iconographie n’est pas habituelle dans l’art colonial ; lorsque les peintres sont libres de choisir leur sujet, ils ne se tournent qu’exceptionnellement vers des scènes qui laissent voir la présence française ou même son impact sur la société marocaine. Pour le seul diorama commandé et qui ne fait pas figurer des Français, la description est bien plus brève : « Le Sultan se rendant à la prière ou sortant d’un palais ou d’une ville, entouré du cortège officiel qui l’accompagne/29 ». Maurice Romberg de Vaucorbeil, l’artiste choisi, n’a pas besoin de plus de précision pour un thème « traditionnel » qu’il a déjà traité dans sa production personnelle. En plus des dioramas et des panoramas, des toiles sont exposées dans les salles du protectorat ; ces œuvres ne sont pas des commandes passées par les commissaires du pavillon, mais des toiles exécutées librement par les artistes. Elles sont alors mélangées à d’autres objets et notamment des mannequins vêtus de costumes de diverses régions marocaines [fig. 5]. Les mannequins sont utilisés depuis plusieurs dizaines d’années dans les musées d’anthropologie européens et américains/30 ; ces établissements les associent fréquemment à des photographies pour illustrer les types « raciaux », l’environnement où vivent ces personnes ou encore le fonctionnement d’objets présentés dans des vitrines à côté. Ici les tableaux remplacent ou complètent les photographies dans la mesure où l’iconographie habituelle de l’art colonial représente parfois des « types » et montre la vie quotidienne des Marocains. Physiquement associées à des objets issus de la culture marocaine (vêtements, arts, artisanats, bijoux, etc.), les toiles permettent d’évoquer le contexte dans lequel ces objets prennent place ordinairement et donc de leur restituer un sens. La peinture fait ainsi figure de document exposé pour sa valeur illustrative. Un rapporteur note que les œuvres présentes dans les pavillons « gardaient, même lorsque la conception et la facture en étaient dépourvues d’originalité, leur signification documentaire/31 ». L’art colonial peut alors être taxé « d’ethnologie plastique/32 », dans la mesure où ces productions sont tantôt perçues comme des œuvres d’art, tantôt comme des objets scientifiques.
- 33 « Le Maroc à l’exposition coloniale », dans Marcel Olivier (sld.), Exposition coloniale…, op. cit., (...)
25De plus, même si ces œuvres ne véhiculent pas un message colonialiste militant (peu d’artistes sont des colonialistes ou des anticolonialistes engagés), leur présence au sein de l’exposition permet aux organisateurs d’orienter leur sens de lecture. Dans le rapport de 1931, voici ce qu’on peut lire à propos des salles sur la pacification : « de nombreuses peintures, aquarelles et photographies évoquaient aussi les vues, les scènes et les habitants des régions nouvellement soumises, qui sont placés au début sous la direction et la surveillance du Service des affaires indigènes. […] Une maquette en relief montrait le fourmillement d’un souk rural, et de nombreuses peintures, aquarelles et photographies, initiaient le public à la vie dans les régions définitivement pacifiées/33 ». Les œuvres présentes dans ces salles, encore une fois non pas des tableaux de commande, mais des œuvres réalisées librement par les artistes, peuvent donc être perçues par le visiteur comme des preuves de la justification de la présence coloniale : le déroulement paisible de la vie quotidienne marocaine montrée dans les toiles semble être rendu possible grâce aux troupes françaises qui ramènent l’ordre dans des régions autrefois troublées.

Henri Manuel, Infirmerie indigène, photographie reproduite dans L’Afrique du Nord illustrée, Exposition Coloniale de Paris, juillet 1931, numéro spécial [fig. 4]

Henri Manuel, Types divers de Marocains, photographie reproduite dans L’Afrique du Nord illustrée, Exposition Coloniale de Paris, juillet 1931, numéro spécial [fig. 5]
- 34 Auguste Terrier, « Le Maroc », op. cit., p. 200.
26Si au 19e siècle les commissaires français du Maroc optent pour une scénographie issue d’une toile orientaliste, ceux du 20e siècle ont pour but de montrer les réalisations modernes dues à la présence française dans ce pays. Cependant, « l’ancien » Maroc ne disparaît pas. Le vœu de Pierre Loti formulé en 1889, de garder intacte la culture traditionnelle marocaine, a été entendu et respecté : « Ce rêve d’artiste, ce souhait de poète, le Protectorat français ne les a pas détruits. Il a su adapter au caractère traditionnel de l’Empire des Chérifs le génie colonisateur de la France et sauver tout ce qui dans le vieux Maroc méritait de ne pas mourir et était déjà entré en agonie/34 ». Lors des expositions coloniales, tout l’enjeu des organisateurs est de réussir à instaurer un équilibre entre les visions « ancienne » et « nouvelle » du Maroc, tout en satisfaisant à la fois les attentes des « simples » visiteurs en quête de distraction – ceux qui sont plus sensibles aux mystères pittoresques marocains qu’aux sèches leçons coloniales – et celles des experts et des coloniaux qui veulent une présentation instructive et synthétique parce qu’ils considèrent l’exposition comme un outil de propagande pédagogique coloniale. Une des solutions réside dans l’utilisation polyvalente de l’art colonial qui montre tour à tour ces deux facettes de la société marocaine, l’une de manière contrainte (le Maroc « moderne » des colonisateurs), l’autre de manière spontanée (le Maroc « traditionnel » des Marocains). Pleinement intégrée tout au long de la scénographie ou au contraire confinée en fin de parcours pour attirer les visiteurs, la peinture est l’un des moyens qu’utilisent les organisateurs pour faire passer un message propagandiste de manière plaisante et agréable. Les dioramas, les panoramas et les œuvres placés au sein des salles d’exposition du protectorat sont souvent perçus comme des témoignages ethnographiques, des documents informatifs, mais bien plus agréables à regarder que les sévères graphiques qui les accompagnent. En plus de cette fonction didactique, l’art colonial, sous la forme des dioramas et panoramas, contribue aussi au sentiment illusoire d’être « transporté » au Maroc, effet souhaité par les organisateurs. Pour eux, il est dans tous les cas un outil précieux par la séduction qu’il exerce probablement sur les visiteurs en les attirant ou les retenant dans le pavillon.
27Cependant, alors même qu’il pouvait sembler indispensable dans ce genre de manifestation, l’art colonial disparaît presque totalement du pavillon marocain de l’Exposition internationale de 1937. Il est alors remplacé, dans sa tâche de dispenser un message propagandiste en étant également attractif, par « l’art indigène », comme est alors appelé l’art marocain, et par ses créateurs eux-mêmes. L’exposition du protectorat est en effet réduite à peau de chagrin (300 m), laissant la place à un gigantesque « souk » où les artisans travaillent devant les yeux des visiteurs. Tout en témoignant de la (supposée) action régénératrice du protectorat sur l’art indigène, la scénographie met en valeur le Maroc « traditionnel » où des techniques ancestrales sont toujours employées, mais pour forger des objets « modernes » destinés à répondre aux besoins occidentaux. Pour autant, cette disparition dans les expositions universelles ne signe pas la fin de l’art colonial qui perdure jusqu’au temps des décolonisations.
Notes
1 Émile Monod, L’Exposition universelle de 1889, Paris, E. Dentu, 1890, p. 72.
2 Cet article est une version synthétisée d’une partie de ma thèse en cours de rédaction, De l’orientalisme à l’art colonial : les peintres français au Maroc pendant le protectorat, dirigée par Jean Nayrolles (UT2J) et Christine Peltre (Université de Strasbourg).
3 Auguste Terrier, « Le Maroc », dans L’Exposition nationale coloniale de Marseille décrite par ses auteurs, Marseille, Commissariat général de l’exposition, 1922, p. 199.
4 Par « art colonial », je désigne ici uniquement les œuvres réalisées par des artistes occidentaux à partir de leur expérience dans les colonies, une définition volontairement plus restreinte que celle proposée par Dominique Jarrassé, « L’Art colonial, entre orientalisme et art primitif. Recherches d’une définition », Histoire de l’art, n° 51, novembre 2002, p. 3-16.
5 C’est le cas également de la Tunisie ; voir Isabelle Weiland, La Tunisie aux expositions universelles de 1851 à 1900, thèse d’histoire, dirigée par Christophe Prochasson, EHESS, 2013.
6 Guide de l’exposition universelle et de la ville de Paris pour 1878, Paris, La Publicité, 1878, p. 25.
7 Louis Simonin, « Les sections étrangères », L’Art et l’industrie de tous les peuples. L’Exposition universelle de 1878, Paris, Librairie illustrée, p. 486.
8 Docteur A. Warnier, « Exposition de Tunis et Maroc » dans François Ducuing (sld.), Exposition universelle de 1867, Paris, Dentu et Petit, 1868, p. 412.
9 Sur la genèse, l’organisation et l’analyse de ces expositions, voir Laurent Morando, « Les Expositions coloniales nationales de Marseille de 1906 et 1922 : manifestations locales ou nationales ? », Sociétés urbaines XIXe-XXe siècles, n° 216, t. 54, 2004, p. 229-252 ; Désirs d’ailleurs. Les expositions coloniales de Marseille, 1906 et 1922, archives municipales de la Ville de Marseille, 2006.
10 Henri Froideveaux, « À l’exposition coloniale de Marseille », Le Correspondant, 25 juillet 1922, p. 213.
11 Charles Régismancet, L’Exposition nationale coloniale de Marseille, 1922, Paris, Les imprimeries françaises réunies, 1921, p. 47.
12 Auguste Terrier, « Le Maroc », L’Exposition nationale coloniale de Marseille décrite par ses auteurs, Marseille, Commissariat général de l’exposition, 1922, p. 197.
13 Bernard Comment, Le XIXe siècle des panoramas, Paris, Adam Biro, 1993, p. 6. Sur ce sujet, voir aussi Emmanuelle Michaux, Du panorama pictural au cinéma circulaire, Paris, L’Harmattan, 1999.
14 S.n., La Nature, 12 octobre 1889, cité par Bernard Comment, Le XIXe siècle…, op. cit., p. 81.
15 Sur ce dispositif, voir les ouvrages de la note 13.
16 Ludovic Naudeau, « L’Exposition coloniale de Marseille », L’Illustration, 21 octobre 1922, n° 4155, p. 394.
17 ibid., p. 393.
18 Charles Régismancet, L’Exposition nationale…, op. cit., p. 48.
19 « Le Palais du Maroc à l’Exposition coloniale de Marseille », Les Annales coloniales, 6 février 1922, n° 19, p. 1.
20 Auguste Terrier, « Le Maroc », op. cit., p. 180.
21 Sur la genèse et la présentation générale de cette exposition, voir Catherine Hodeir, Michel Pierre, L’Exposition coloniale, Paris, éd. Complexes, 1991 et Didier Grandsart, Paris 1931. Revoir l’exposition coloniale, Paris, FVW, 2010.
22 Jules Borély, « L’Architecture nouvelle et l’Urbanisme au Maroc », L’Art vivant, 15 octobre 1930, n° 140, p. 834.
23 « Le Maroc à l’exposition coloniale », dans Marcel Olivier (sld.), Exposition coloniale…, op. cit., p. 173-174.
24 Georges Hardy, cité dans Marcel Olivier (sld.), Exposition coloniale internationale et des pays d’outre-mer, Paris, 1931, Rapport général V. Sections coloniales, Paris, Imprimerie nationale, 1934, p. 175.
25 « Le Maroc à l’exposition coloniale », dans Marcel Olivier (dir.), Exposition coloniale…, op. cit., p. 175 et p. 184-185.
26 Concours pour la fourniture de dioramas et de motifs décoratifs destinés à figurer dans la section marocaine, FM ECI//10, archives nationales d’outre-mer, Aix-en-Provence.
27 ibid.
28 ibid.
29 ibid.
30 Voir par exemple Mary Jo Arnoldi, « Du diorama au dialogisme : un siècle d’une Afrique en exposition au Smithsonian Museum of Natural History », dans Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et al. (sld.), Zoos humains et exhibitions coloniales, Paris, La Découverte, 2011, p. 462-477.
31 Marcel Olivier (sld.), Exposition coloniale internationale et des pays d’outre-mer, Paris, 1931, Rapport général VI. Sections métropolitaines, Paris, Imprimerie nationale, 1934, p. 112.
32 Tout en utilisant sa formule que je trouve parlante, je ne reprends pas sa définition très large de l’ethnologie plastique, qui, pour Syviane Leprun, est « la rencontre d’un sujet indigène et de la technique plastique », soit, de fait, toute œuvre faite sur le terrain ou issue directement d’un voyage. Sylviane Leprun, Le Théâtre des colonies, Paris, L’Harmattan, 1986.
33 « Le Maroc à l’exposition coloniale », dans Marcel Olivier (sld.), Exposition coloniale…, op. cit., p. 194.
34 Auguste Terrier, « Le Maroc », op. cit., p. 200.
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Légende | Café marocain, Exposition Universelle de 1889 à Paris [fig. 1] |
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Légende | 6 avril 1922, sortie du palais du Maroc de MM. Sarraut et Lucien Dior lors de l’inauguration, agence Rol, Bnf [fig. 2] |
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Légende | Pavillon du Maroc, Exposition Coloniale de Paris, 1931, agence Meurisse, Bnf [fig. 3] |
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Légende | Henri Manuel, Infirmerie indigène, photographie reproduite dans L’Afrique du Nord illustrée, Exposition Coloniale de Paris, juillet 1931, numéro spécial [fig. 4] |
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Légende | Henri Manuel, Types divers de Marocains, photographie reproduite dans L’Afrique du Nord illustrée, Exposition Coloniale de Paris, juillet 1931, numéro spécial [fig. 5] |
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Pour citer cet article
Référence papier
Marlène Lespes, « Les usages de l’art colonial dans les expositions coloniales : le cas du pavillon marocain », Marges, 25 | 2017, 146-160.
Référence électronique
Marlène Lespes, « Les usages de l’art colonial dans les expositions coloniales : le cas du pavillon marocain », Marges [En ligne], 25 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2019, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1337 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1337
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