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Thématique : Archives

Introduction : quel concept pour l’art des archives ?

Gabriel Ferreira Zacarias
p. 10-17

Texte intégral

1Le numéro actuel de Marges propose une réflexion sur le rôle des archives dans l’art contemporain. Même si le mot a un sens habituel bien précis, il peut aussi recouvrir d’autres significations et pratiques beaucoup plus vastes dans les domaines de l’art et de la théorie, difficulté accrue par l’usage désormais courant de la variation du mot au singulier, archive. Pour savoir de quoi on parle, il faut donc revisiter brièvement l’histoire du mot, les différentes significations que des philosophes et théoriciens lui ont empruntées, et l’usage qu’en ont fait artistes et historiens de l’art.

Accumuler, collectionner, archiver

2Entre juillet de 2014 et janvier 2016, l’accrochage des collections permanentes du Centre Pompidou intitulé «   Une Histoire  : Art, Architecture, Design, des années 1980 à nos jours  » proposait trois figures de l’artiste se reportant au passé  : l’artiste comme historien, l’artiste comme documentariste et l’artiste comme archiviste.

3Les artistes libanais y avaient une place importante dont notamment Akram Zaatari – qui dans Objects of Study  : Hashem El Madani – Studio Practices (2006) plongeait dans les archives d’un studio photographique de sa ville natale – et Walid Raad – qui présentait We Decided To Let Them Say «  We Are Convinced » Twice. It Was More Convincing That Way (2004) une série d’images retrouvées et qui auraient été prises pendant l’occupation israélienne de Beyrouth, en 1982. Les œuvres choisies semblaient renvoyer ainsi à des expériences traumatiques, questionnant le rapport de l’image à la mort – comme serait aussi le cas d’un autre occupant de la salle, le syrien Rabih Mroué, avec les clichés de la série Blow Ups (2012) – ou encore de l’archive à la mémoire collective – thème du travail de la brésilienne Rosangela Rennó, 2005-510117385-5 (2009), également exposé, qui interrogeait le vol des photographies de la Bibliothèque Nationale à Rio de Janeiro.

4À l’extérieur de la salle, dans l’allée centrale, figuraient Les archives de Christian Boltanski, 1965-1988 (1989) – où 1200 photos et 800 documents trouvés dans son atelier étaient rangés par l’artiste à l’intérieur de 646 boîtes à biscuit en fer blanc, dont le contenu restait inaccessible au public. Boltanski était appelé ici à faire figure de pionnier. Cependant, il n’est pas difficile à percevoir la distance entre le travail des artistes plus contemporains – où les archives sont comprises comme source permettant sinon la restitution, du moins le questionnement de la mémoire collective – et l’œuvre de Boltanski, où l’on retrouve plutôt un geste d’archivage se confondant encore avec l’accumulation et avec la collection et où les archives ne donnent lieu à aucune connaissance.

  • 1 Comme le reconnait Anne Bénichou, même si travaillant encore les archives en liaison avec les colle (...)
  • 2 «  Deep Storage. Collecting, Storing and Archiving in Art », exposition itinérante organisée conjoi (...)
  • 3 Anne Bénichou, op.cit., p. 35.
  • 4 «  Archive Fever  : Uses of the Document in Contemporary Art », exposition réalisé sous la directio (...)

5L’emploi qui se fait aujourd’hui des matériaux d’archives dans l’art contemporain serait difficilement concevable sans que l’art soit passé par les différentes pratiques d’accumulation issues du ready-made duchampien qui ont pris l’avant-scène de l’art au cours des années 1960. Il ne serait pas concevable non plus sans l’art conceptuel des années 1970, qui nous a habitués à rencontrer de piles de documents exposés au sein des galeries. L’art de la critique institutionnelle joue lui aussi un rôle non négligeable dans la naissance de l’art archiviste  ; en mettant les institutions muséales sous examen, il a fait des archives aussi un objet à exploiter. Cela dit, il faut bien essayer de tenir compte de ce nouvel art des archives dans sa spécificité. Un tournant s’est opéré à la fin des années 1990 en ce qui concerne l’intérêt de l’art contemporain pour les archives1. Tournant qui a certes à avoir avec la clôture du 20e siècle, la perte des grands récits qui avaient orienté son histoire et l’envie de réélaborer les expériences traumatiques avec la restitution de la mémoire collective. Le recours aux archives dans l’art contemporain a affaire, en somme, à la construction du sens ou à son impossibilité et interroge les traces de l’expérience dans les différents registres de la représentation. Cela veut dire que l’art archiviste ne doit plus être confondu avec l’accumulation, simples amas d’objet, ou avec la collection, ensemble souvent constitué par l’obsession et l’idiosyncrasie. Quand l’exposition «   Deep Storage. Collecting, Storing and Archiving in Art  » fut présentée au Haus der Kunst de Munich et à PS1 Contemporary Art Center de New York, entre 1997 et 1998, cette confusion régnait encore2. Les responsables de l’exposition tenaient toujours pour modèle la Documenta 5 dirigée par Harald Szeemann, avec la célèbre section des «   Musées d’artistes  » – une confusion de plus s’ajoutant à la liste, comme si les musées d’artistes n’étaient plus que la version exposée des collections et des archives3. Quand, dix ans plus tard, Okwui Enwezor présenta «   Archive Fever  : Uses of the Document in Contemporary Art  » au Centre International de Photographie de New York4, les archives semblaient avoir gagné le premier plan, s’émancipant du lien avec la collection. Le titre renvoyant à l’ouvrage homonyme de Jacques Derrida, on paraissait en plus chercher des concepts propres à cette pratique.

L’archive et le discours

  • 5 Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.
  • 6 ibid., p. 168.
  • 7 ibid., p. 170.
  • 8 ibid., p. 171.
  • 9 ibid., p. 170-171.
  • 10 Gilles Deleuze, Foucault (1986), Paris, Minuit, 2004, p. 11.

6Lorsqu’on tente de repérer conceptuellement la problématique des archives, ce n’est pas tant d’archives qu’on parle, mais plutôt d’archive – mot au singulier. Deux philosophes ont joué un rôle important dans la popularisation de la notion d’archive. Le premier a été Michel Foucault, qui propose dès 1969, avec L’Archéologie du savoir5, une notion très particulière de l’archive. L’archéologie revendiquée par Foucault était une analyse des «   formations discursives  » – comprises comme des ensembles complexes d’énoncés dispersés – et des règles qui présidaient à ces formations. Le philosophe proposait ainsi un renversement des paradigmes de l’épistémologie. Le savoir n’était plus conçu comme donné par son unité conceptuelle ni comme résultant de l’analyse de son objet. Au contraire, les règles que Foucault voulaient appréhender étaient pré-conceptuelles et les objets étaient plus les produits des formations discursives que l’inverse. L’archéologie était bien une entreprise historique, Foucault voulant «   rendre compte du fait que le discours n’a pas seulement un sens ou une vérité, mais une histoire6  ». Mais ceci ne faisait pas de l’archive un simple outil historique. Au contraire, le philosophe comprenait l’archive de manière très différente de son sens habituel  : «   Par ce terme, je n’entends pas la somme de tous les textes qu’une culture a gardés par-devers elle comme documents de son propre passé, ou comme témoignage de son identité maintenue  ; je n’entends pas non plus les institutions qui, dans une société donnée, permettent d’enregistrer et de conserver les discours dont on veut garder la mémoire et maintenir la libre disposition7  ». Située dans un «   niveau particulier  » entre «   la tradition et l’oubli8  », l’archive dont parlait Foucault avait moins affaire au passé qu’à l’actuel  : «   L’archive n’est pas non plus ce qui recueille la poussière des énoncés redevenus inertes et permet le miracle éventuel de leur résurrection  ; c’est ce qui définit le mode d’actualité de l’énoncé-chose  ; c’est le système de son fonctionnement9  ». Comme le dirait Deleuze quelques années plus tard, «   un nouvel archiviste [fut] nommé dans la ville  », mais à la surprise générale, il annonça «   qu’il ne tiendra plus compte que des énoncés10  ».

  • 11 Michel Foucault, «  La vie des hommes infâmes », dans Dits et Ecrits III, 1976-1979, Paris, Gallima (...)
  • 12 ibid., p. 238.
  • 13 ibid., p. 240.
  • 14 ibid., p. 238-239.
  • 15 ibid., p. 237.

7Il est vrai qu’un autre recours aux archives apparaît cependant chez Foucault lorsqu’il passe de l’analyse du savoir à l’étude du pouvoir. Le philosophe se met à se servir des archives des institutions en cherchant à saisir comment celles-ci ont historiquement produit ses sujets. On y trouve des suggestions plus fertiles pour les artistes qui se penchent sur les traces documentaires du passé. Ce qu’on pourrait entrevoir dans les archives ne serait que la vie en négatif, des vies attrapées dans les mailles discursives des institutions voulant assujettir les individus «   anormaux  ». Dans «   La vie des hommes infâmes11  », texte publié en 1977 comme préface d’un livre à venir, Foucault parle de son travail sur les archives de l’Hôpital Général de la Bastille, et comment il y avait trouvé des textes qui «   ont secoué en moi plus de fibres que ce qu’on appelle d’ordinaire la littérature12  ». Le philosophe rencontre dans les archives le point où le discours attrape le vivant  : «   ces discours ont réellement croisé des vies  ; ces existences ont été effectivement risquées et perdues dans ces mots13  ». Moins qu’un philosophe-archéologue, Foucault semble procéder ici à la manière d’un artiste archiviste. Il renonce au projet d’organiser ses documents «   selon un ordre systématique14  » et préfère proposer à la place une plus modeste «   anthologie d’existences15  ».

  • 16 Giorgio Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz : l’archive et le témoin, Paris, Payot & Rivages, 1999.
  • 17 ibid., p. 194.
  • 18 ibid., p. 188.
  • 19 ibid., p. 191.
  • 20 op. cit., p. 192.

8C’est peut-être dans cette même direction que Giorgio Agamben a donné récemment un nouveau souffle au concept foucaldien. Dans Ce qui reste d’Auschwitz  : l’archive et le témoin16, Agamben étudie cette immense «   catastrophe du sujet17  » qu’a été le camp de concentration. Il récupère alors le concept d’archive proposé par Foucault qui, misant sur le discours, met le sujet hors-jeu et lui oppose le concept de témoin, qui rétablit le rapport du sujet au langage. En rappelant que Foucault avait situé l’archive entre la langue et le corpus, c’est-à-dire entre le système de construction des phrases possibles et l’ensemble du déjà-dit, Agamben propose que «   l’archive [soit] donc la masse du non-sémantique inscrite dans tout discours signifiant comme fonction de son énonciation, la marge obscure qui cerne et limite toute prise de parole concrète18  ». Si l’archive règle ainsi le rapport entre le dit et le non-dit, ce qu’Agamben appelle le témoin concerne autrement «   le rapport entre le dicible et l’indicible à l’intérieur de la langue  », c’est-à-dire entre «   la possibilité et l’impossibilité de dire  ». La langue n’apparaît donc plus comme pure contingence, comme ce qui limite l’action du sujet. Au contraire, en proposant la langue comme possibilité, Agamben resitue le sujet à l’intérieur du langage, il y est inscrit à la place de cette césure qui sépare le possible de l’impossible. En renversant le jeu, c’est maintenant le sujet qui se fait le garant du langage, il retient la possibilité même de la non-existence du langage  : «   L’homme est le parlant, le vivant qui a le langage, parce qu’il peut ne pas avoir la langue19  ». Selon Agamben, dans le raisonnement foucaldien le sujet pourrait être mis entre parenthèses parce que dans le rapport entre le dit et le non-dit – qui, comme on l’a vu, caractériserait l’archive – la prise de parole a déjà eu lieu. Cependant, affirme le philosophe, entre la langue et son existence – et donc entre la langue et l’archive – il faut avoir une «   subjectivité [...] qui seule atteste, dans la possibilité même de parler, une impossibilité de la parole20  ».

Topo-nomologie de l’archive

  • 21 Jacques Derrida, Mal d’archive : une impression freudienne, Paris, Galilée, 1995.
  • 22 La conférence a été présentée à Londres le 5 juin 1994, avec le titre «  The Concept of the Archive (...)

9L’autre philosophe à avoir tenté de définir un concept d’archive a été Jacques Derrida, qui a relancé le terme dans les années 199021. Dans son effort habituel pour déconstruire les notions telles qu’on les connaît, Derrida initie son texte en interrogeant l’étymologie du mot «   archive  ». Dans son origine grecque, «   arkhè  », il découvre deux ordres de significations. Il y aurait d’une part un sens historique ou ontologique, arkhè renvoyant à l’originel, au primitif  ; et d’autre part, un sens nomologique, arkhè renvoyant alors au commandement. C’est à cette deuxième signification que Derrida accorde le plus d’importance, dédoublant la nomologie ensuite dans une topologie. Arkhè n’est pas seulement le commandement, mais aussi le lieu où l’ordre est donné  ; car l’arkheion est le domicile des magistrats, ceux qui commandent  ; c’est la résidence des archons qui sont d’abord les gardiens des documents. D’après le philosophe, cette dimension archontique – et donc patriarcale – est fondatrice des archives, mais nous reste cachée dans l’emploi courant du mot. Derrida ajoute encore une dimension significative, dédoublant cette fois-ci le sens topologique de l’archive. Le lieu de l’archive est aussi le lieu de la consignation. Ce mot doit être aussi compris dans plusieurs sens. La consignation est bien le dépôt, mais il est aussi le consignatio, la preuve écrite. Ces deux sens doivent être pris en conjonction. La consignation a donc à établir un corpus, à articuler une unité à partir de la synchronie des éléments déposés dans les archives. La réflexion de Derrida est sans aucun doute prégnante. La loi de l’archive – et entendons par là également une fonction herméneutique – est liée à la fois à son lieu et à son gardien. Que faire alors des archives lorsqu’elles se déplacent ou changent de gardiens  ? C’est la question que Derrida a posée à propos de Freud aux membres de la Société Internationale d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse, dans la conférence qui a donnée origine à son ouvrage Mal d’Archive22. De la même façon, on pourrait peut-être l’étendre au domaine de l’art. D’abord, à propos de l’institutionnalisation des archives d’artistes. Ensuite, à propos de la pratique des artistes qui investissent les archives institutionnelles ou privées. Qui commande alors l’archive  ? Comment dissocier la création de sens de l’établissement du corpus dans la synchronie du lieu  ?

La pulsion d’archive

  • 23 Hal Foster, «  An Archival Impulse » October, vol. 110, automne 2004, p. 3-22.
  • 24 Craig Owens, «  The Allegorical Impulse  : Toward a Theory of Postmodernism », October, vol. 13, ét (...)

10Dans le domaine de l’art, la conceptualisation la plus influente à propos de l’archive reste celle proposée par Hal Foster, avec son texte de 2004, «   An Archival Impulse  »23. Le titre du texte renvoie au célèbre article de Craig Owens de 1980, «   The Allegorical Impulse  : Toward a Theory of Postmodernism24  ». Foster suggère que quelque chose de fondamental a changé par rapport à l’état de la culture dont Owens parlait. Selon ce dernier, les artistes postmodernes avaient trouvé dans la revendication du fragment un moyen pour s’opposer aux totalités symboliques qu’ils ressentaient comme un fardeau hérité de la modernité. Pourtant, selon Foster, dans le passage du 20e au 21e siècle, les totalités symboliques sont déjà en ruines, et les artistes contemporains doivent faire face plutôt à un ordre fragmentaire. Dans cet état des choses, l’art s’est vu confronté à la tâche de rétablir les liens entre les fragments. Les artistes recherchent par là de nouvelles significations dans un mouvement qui n’est ni un retour aux totalités symboliques de la modernité, ni une simple constatation complaisante de l’anomie. C’est à ce mouvement, à cette «   envie de connecter  », que Foster a donné le nom de «   pulsion d’archive  ».

  • 25 Foster parle de l’œuvre de Koester dans la nouvelle version de son texte publiée dans Bad New Days  (...)

11Bien que le texte de Foster soit dans un sens une réponse à l’émergence des archives dans l’art contemporain à la fin du 20e siècle, il faut remarquer que son concept d’archive reste plus vaste et ne coïncide pas forcément avec l’usage des matériaux extraits des archives de la part des artistes. En d’autres mots, le concept d’archive employé par Foster ne renvoie pas à l’empiricité des archives. Il semble renvoyer plutôt à une dimension du temps, à un retournement volontaire vers le passé, dont la matérialité n’est pas forcément celle du document. La pulsion d’archive renvoie, si on peut le dire, à un choc de temporalités, à un effort pour faire émerger le passé dans le présent et le présent dans le passé. C’est ce qu’on peut voir, par exemple, dans les travaux de Joachim Koester plus récemment évoqués par Foster25. Dans la séquence de photographies Kant Walks (2003), Koester essaye de reconstruire les promenades du philosophe allemand à Königsberg, exploitant les différentes couches temporelles qui s’accumulent dans cet espace depuis le 18e siècle – où se juxtaposent les ravages matériels des guerres successives et les changements symboliques provoqués par la période soviétique, quand la ville fut rebaptisée Kaliningrad. De la même manière, dans un travail précédent, Day For Night, Christiania (1996), Koester traite d’un quartier de Copenhague qui avait été une base militaire avant d’être proclamé ville ouverte par des squatteurs anarchistes dans les années 1970. Le choc entre ces deux temporalités avec des caractères si distincts est exprimé à l’aide du filtre bleu qui impose l’apparence d’une scène nocturne sur des photos prises à la lumière du jour.

  • 26 Nous avons interviewé Hal Foster à ce propos, voir plus loin, p. 142-147.

12Mais que dire de la pulsion d’archive aujourd’hui  ? Loin de voir la pulsion d’archive comme une tendance dépassée, Foster, dans son dernier ouvrage, Bad New Days  : Art, Criticism, Emergency (2015), a retenu la validité de son concept pour aider à la compréhension de l’art contemporain26. En effet, il pourrait être intéressant d’observer comment certains artistes de la «   pulsion d’archive  » ont évolué depuis. Pour ne donner qu’un exemple, on pourrait penser au cas de Tacita Dean, dont l’œuvre est devenue archiviste dans un sens plus spécifique, en conséquence du progrès de la numérisation. En privilégiant toujours la pellicule filmique, ses films sont devenus une sorte d’archive de ce qui avait été pour longtemps le seul médium du cinéma. Ceci fait que l’artiste redécouvre à la manière des avant-gardes des formes de montages et d’effets visuels qui peuvent se produire lorsqu’on travaille directement sur la pellicule – comme on le voit dans l’installation faite pour la Tate Modern, Film (2011), et qui pourrait rappeler certaines expérimentations du cinéma lettriste.

Quel concept pour l’art des archives ?

  • 27 Pour un premier effort dans ce sens, voir Les Artistes contemporains et l’archive  : interrogation (...)
  • 28 Patrice Marcilloux, par exemple, soutient qu’à l’heure actuelle, avec la masse d’informations qui n (...)

13Pour intéressante que soit la conceptualisation de Foster, elle ne rend pas compte de toutes les dimensions de l’art archiviste, surtout dans sa veine plus empirique. Il faudrait encore poser la question : quel concept pour ces artistes qui investissent les archives institutionnelles et privées afin de réélaborer les expériences du passé  ? Comment différencier l’usage que les artistes font des archives de celui qu’en font les institutions  ? Les archives ont certes acquis un rôle non négligeable dans les pratiques curatoriales du présent. Ceci est d’abord dû au fait que la forme même de l’art contemporain – peu concerné par l’objet artistique au sens traditionnel – a fait des archives une source nécessaire à la reconstitution de son passé. Néanmoins, les documents d’archives semblent envahir de plus en plus les expositions les plus conventionnelles. Il y a sans doute un fétichisme du document – et notamment du manuscrit – qui renvoie peut-être à l’essor du numérique. Les archives physiques, jusqu’à peu objets familiers du quotidien, sont devenues si étrangères qu’elles peuvent être exposées en tant que telles. Il faudrait donc aussi réfléchir aux transformations du concept face aux transformations historiques27. Certains voient le database dans la continuité des archives, comme son déroulement logique28. Mais est-ce que le concept de l’archive reste le même face au numérique et au virtuel  ? Pour reprendre les mots de Derrida, quelle serait la topologie et la nomologie des archives virtuelles, archives sans lieu et dont les gardiens sont incertains  ? Parle-t-on toujours d’archive, face à une archive sans arkhè  ?

14Cette introduction ne peut pas répondre à toutes ces questions et les textes qui suivent ne s’arrogent pas non plus cette tâche. En interrogeant le rapport de l’art contemporain aux archives, le dossier ici présenté vise plutôt à faire reconnaître qu’une telle question mérite désormais d’être étudiée comme un problème à part entière.

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Notes

1 Comme le reconnait Anne Bénichou, même si travaillant encore les archives en liaison avec les collections. Voir Anne Bénichou, Un imaginaire institutionnel : musées, collections et archives d’artistes, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 15.

2 «  Deep Storage. Collecting, Storing and Archiving in Art », exposition itinérante organisée conjointement par la Haus de Kunst de Munich (3 août – 12 octobre 1997), à PS1 Contemporary Art Center de New York (5 juillet – 30 août 1998), et à la Henry Art Gallery de Seatle (5 novembre – 31 janvier 1999).

3 Anne Bénichou, op.cit., p. 35.

4 «  Archive Fever  : Uses of the Document in Contemporary Art », exposition réalisé sous la direction de Okwui Ewenzor au International Center of Photographie de New York, 18 janvier – 4 mai, 2008.

5 Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.

6 ibid., p. 168.

7 ibid., p. 170.

8 ibid., p. 171.

9 ibid., p. 170-171.

10 Gilles Deleuze, Foucault (1986), Paris, Minuit, 2004, p. 11.

11 Michel Foucault, «  La vie des hommes infâmes », dans Dits et Ecrits III, 1976-1979, Paris, Gallimard, p. 237-253.

12 ibid., p. 238.

13 ibid., p. 240.

14 ibid., p. 238-239.

15 ibid., p. 237.

16 Giorgio Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz : l’archive et le témoin, Paris, Payot & Rivages, 1999.

17 ibid., p. 194.

18 ibid., p. 188.

19 ibid., p. 191.

20 op. cit., p. 192.

21 Jacques Derrida, Mal d’archive : une impression freudienne, Paris, Galilée, 1995.

22 La conférence a été présentée à Londres le 5 juin 1994, avec le titre «  The Concept of the Archive  : A Freudian Impression ». Le titre change dès sa première publication. Voir Jacques Derrida, «  Archive Fever  : A Freudian Impression », Diacritics, vol. 25, n°  2, été 1995, p. 9-63.

23 Hal Foster, «  An Archival Impulse » October, vol. 110, automne 2004, p. 3-22.

24 Craig Owens, «  The Allegorical Impulse  : Toward a Theory of Postmodernism », October, vol. 13, été 1980, p. 58-80.

25 Foster parle de l’œuvre de Koester dans la nouvelle version de son texte publiée dans Bad New Days  : Art, Criticism, Emergency, Verso Books, 2015, p. 30-60. À propos de Koester, voir notamment, p. 48-54.

26 Nous avons interviewé Hal Foster à ce propos, voir plus loin, p. 142-147.

27 Pour un premier effort dans ce sens, voir Les Artistes contemporains et l’archive  : interrogation sur le sens du temps et de la mémoire à l’ère de la numérisation, Actes du colloque, 7-8 décembre 2001, Saint-Jacques-de-la-Lande, organisé par les Archives de la critique d’art. Rennes, PUR, 2004.

28 Patrice Marcilloux, par exemple, soutient qu’à l’heure actuelle, avec la masse d’informations qui nous est accessible, les archives ont acquis une importance inédite, puisqu’elles seraient devenues un outil nécessaire à la définition de la personnalité. Voir Patrice Marcilloux, Les Ego-archives  : traces documentaires et recherche de soi, Rennes, PUR, 2013.

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Pour citer cet article

Référence papier

Gabriel Ferreira Zacarias, « Introduction : quel concept pour l’art des archives ? »Marges, 25 | 2017, 10-17.

Référence électronique

Gabriel Ferreira Zacarias, « Introduction : quel concept pour l’art des archives ? »Marges [En ligne], 25 | 2017, mis en ligne le 01 octobre 2017, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/marges/1308 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/marges.1308

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Auteur

Gabriel Ferreira Zacarias

Gabriel Ferreira Zacarias est Professeur d'Histoire de l'Art à l'Université d'État de Campinas à São Paulo.

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Droits d’auteur

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