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La recherche : Lusomondialisation ? L’économie politique du Brésil de Lula

La globalisation au Brésil, responsable ou bouc émissaire ?

A globalização no Brasil, responsável ou bode expiatório ?
Globalisation in Brazil, culprit or scapegoat?
Paulo Kliass et Pierre Salama
p. 109-132

Résumés

À la suite de l’adoption des mesures d’ajustement structurel proposées par le FMI, l’économie brésilienne a connu une forte augmentation de son degré d’ouverture, tandis que dans le même temps les conséquences de la mondialisation financière s’avéraient plus fortes que celles de la globalisation commerciale. Malgré les efforts, la réalité sociale et économique du pays n’a pas montré de signes d’amélioration. Bien au contraire, les chiffres relatifs à la croissance économique et aux inégalités placent encore le Brésil derrière la moyenne des pays en développement. Même si les effets pervers du processus engendré par la mondialisation sur les économies les plus faibles sont bien connus, ce n’est pas la globalisation en soi qui doit être considérée comme la seule « coupable » de la faible croissance, du maintien d’un haut degré d’inégalités, de la montée de la précarité.
Les causes doivent être recherchées dans le contexte (inégalités élevées) dans lequel la mondialisation opère, dans la faiblesse des politiques publiques d’accompagnement, dans la manière dont l’ouverture s’effectue, enfin dans la gestion de la dette interne qui favorise les activités financières. D’autres pays affichent des résultats assez différents, car ils ont mis en place d’autres politiques ayant pour but de maîtriser et réduire les effets négatifs de la mondialisation.

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Texte intégral

  • 1  Dans ce texte, nous donnons le même sens aux termes « globalisation » et « mondialisation ».

1Afin de surmonter la longue crise des années 1980, qui toucha de nombreux pays en voie de développement, les organismes internationaux avaient proposé au Brésil d’appliquer une politique économique inspirée de l’orthodoxie monétariste. Leurs préconisations portaient, entre autres, sur le renforcement de l’ouverture économique, c’est-à-dire l’élévation du taux de couverture (somme des exportations et des importations sur le PIB), par une réduction drastique des droits de douane et des subventions, par l’élimination des protections non tarifaires ainsi que par la réduction des barrières à la libre circulation des capitaux. Cet article discute ainsi certains aspects du processus de mondialisation1 que connaît le Brésil depuis une quinzaine d’années.

2Les mesures adoptées par différents gouvernements depuis la fin des années 1980 ont conduit à une augmentation du degré d’ouverture mais, comme dans la plupart des économies en développement soumises à un traitement de choc similaire, la mondialisation financière a cru plus rapidement que la globalisation commerciale.

3Dans le même temps, la structure productive du Brésil s’est fortement transformée, le pays étant progressivement devenu un exportateur de produits industrialisés. Cependant, à l’inverse de ce qu’on observe dans plusieurs économies asiatiques, ces exportations se composent essentiellement de produits de basse et moyenne technologies. La valeur ajoutée découlant de ces exportations est donc relativement faible et les effets d’entraînement sur l’ensemble du complexe économique sont en deçà de ce qu’ils auraient été si les secteurs exportateurs avaient été porteurs de haute technologie.

4Bien que le Brésil ait suivi les recommandations des institutions internationales, la réalité socio-économique du pays ne s’est pas améliorée : la crise chronique n’a pas été endiguée – mais elle a pris d’autres formes – et les inégalités se sont maintenues à un niveau extrêmement élevé. Le rythme de la croissance économique par habitant demeure très faible (surtout si on le compare à celui des économies asiatiques), et des transferts massifs sont effectués en direction des secteurs rentier et financier de l’économie. Une telle évolution a de lourdes conséquences économiques, sociales et culturelles car elle entrave, notamment, la modernisation de l’industrie nationale.

5L’extrême orthodoxie de la politique monétaire suivie ces dernières années s’est manifestée par des taux d’intérêt réels parmi les plus élevés de la planète. Elle a contribué, de diverses façons, à inscrire l’économie brésilienne dans une tendance à la stagnation économique et à creuser l’écart entre le niveau des investissements effectués et celui qui serait nécessaire pour atteindre un développement durable et équitable. Paradoxalement, c’est cette faiblesse de l’investissement et de la croissance qui a permis d’éviter que se creuse un écart entre l’offre et la demande de main-d’œuvre qualifiée, écart qui aurait pu contribuer à une aggravation des inégalités salariales. Le Brésil n’a donc pas trop pâti de l’insuffisance de ses dépenses d’éducation parce que sa croissance a été pour le moins modeste. Il suffirait qu’elle augmente pour que les effets négatifs de l’insuffisance de ces dépenses publiques se fassent sentir. De même, si les comportements rentiers des investisseurs devaient être freinés, la croissance rencontrerait rapidement des obstacles dus à l’insuffisance des dépenses publiques en matière d’investissement dans les infrastructures (énergie, transports, etc.). Ce n’est pas la mondialisation qui est à l’origine de l’ensemble des problèmes rencontrés, mais bien la politique économique suivie. En raison de cette politique, et de la structuration de la société brésilienne comme société profondément inégalitaire, la mondialisation n’a fait que démultiplier et aggraver des aspects négatifs déjà existants, elle ne les a pas créés. À l’inverse, avec une toute autre politique, la même globalisation permettrait que ces aspects négatifs, apparus avec l’ouverture, se transforment en leur contraire.

La mondialisation en chiffres

6Ce que l’on nomme « mondialisation » résulte d’un long processus d’ouverture qui a touché l’ensemble des économies de la planète. L’internationalisation croissante des activités s’est traduite par une expansion généralisée des échanges, plus ou moins vive et régulière selon les pays. Cette tendance s’est renforcée depuis les années 1980. Ainsi par exemple, le pourcentage des exportations et importations globales par rapport au PIB mondial qui était de 27 % en 1986, est passé à 36 % en 1996 puis à 50 % en 2006, comme on peut l’observer dans la figure 1.

Depuis la fin du xxe siècle, le processus de la globalisation s’est renforcé conjointement aux nouvelles opportunités offertes aux capitaux de se valoriser à l’étranger. On a pu l’observer avec les mutations profondes qu’ont connues de nombreux pays en voie de développement lors de la privatisation de leurs entreprises publiques et de l’ouverture de leurs marchés aux mouvements de capitaux, mais aussi avec les transformations importantes qui ont eu lieu en Chine et en Europe de l’Est.

7La globalisation n’est pas seulement commerciale, elle est aussi financière. La croissance de la globalisation financière est même plus élevée que celle de la globalisation commerciale. Si on se limite aux échanges financiers et qu’on les rapporte aux échanges commerciaux, on observe que les flux de capitaux deviennent en moyenne chaque fois plus importants que les flux commerciaux, comme on peut le voir sur la figure 3. En 1986, le stock des titres émis ne représentait encore que 23 % de la valeur des flux commerciaux, mais dès 2002 ce stock a atteint, puis dépassé les deux tiers de la valeur des échanges commerciaux, pour atteindre 71 % en fin de période.

8Dans le cas du Brésil, comparé à l’évolution mondiale, ce processus a été encore plus rapide (voir figure 4). Parallèlement à l’ouverture aux échanges commerciaux internationaux, on assiste à une montée des valeurs des titres à caractère exclusivement financier, à partir notamment de 1994, année où le gouvernement a lancé le Plan Réal et a établi un accord avec le FMI pour la renégociation de la dette extérieure du pays. Ainsi, ce même ratio est passé d’une moyenne de 8 % avant 1994 à une moyenne annuelle de 60 % pour la période suivante. Autrement dit, une globalisation commerciale plus prononcée s’est accompagnée d’une globalisation financière encore plus vive.

Le poids croissant de la finance au niveau mondial devient encore plus clair lorsqu’on observe l’évolution des valeurs des titres à caractère financier par rapport au PIB mondial. Le pourcentage du début de la série se situe autour de 6 % et présente une nette tendance à l’augmentation, surtout depuis 1996, passant de 11 % à cette date à 36 % en 2006 (figure 5).

En ce qui concerne le Brésil (figure 6), on observe entre 1986 à 1996 une stabilité entrecoupée de cycles ‑ s’expliquant surtout par la volatilité élevée du rythme de la croissance et par les plans de stabilisation ou de renégociation de la dette extérieure ‑, puis une élévation rapide après 1996. Le ratio passe ainsi d’une moyenne de 14 % dans la première période pour atteindre une moyenne de 25 % dans la seconde période, soit 11 points de plus, et il reste encore inférieur à celui qu’on observe au niveau mondial.

Comme dans la plupart des pays d’Amérique latine, l’économie brésilienne se caractérise par un écart important ‑ et en forte hausse depuis 2000 ‑ entre la croissance de son PIB et celle de ses exportations (figure 7). La croissance des exportations n’a pas eu d’effets d’entraînement sur la création globale de richesses. En prenant comme point de départ l’année 1986 (base 100), les exportations atteignent, vingt ans plus tard, l’indice 615 (elles ont donc sextuplé) alors que la croissance du PIB en 2006 n’atteint que l’indice 151. Le contraste est saisissant. On ne peut donc pas dire qu’au Brésil la croissance des exportations ait alimenté celle du PIB, à la différence de ce qu’on pourrait probablement déduire des courbes Exportations – PIB dans des économies asiatiques.

Les changements profonds qu’a connus l’économie brésilienne se sont manifestés dans les échanges avec le reste du monde. Dans le passé, les secteurs exportateurs dominants étaient principalement ceux liés aux produits du secteur primaire, à savoir l’agriculture et l’exploitation minière. Au cours de ces dernières années, la composition des exportations a profondément changé : les produits dits intermédiaires (biens semi-manufacturés) ainsi que quelques produits de haute technologie ont connu un rapide essor (figure 8).

9Dans les années 1960, par exemple, la valeur globale des exportations des produits primaires correspondait à quatre fois celle des produits industriels (80 % ‑ 20 %). Dans les années 1970, le rapport passe de quatre à deux en moyenne (67 % ‑ 33 %) et en 1978 le rapport est de 50 % ‑ 50 %. Dans les années 1980, les exportations de produits de base représentent la moitié des exportations de produits industriels. Depuis les années 1990, le rapport est passé à un tiers (25 % ‑ 75 %).

Ce changement dans la composition des exportations acquiert encore plus de signification lorsque, à partir d’une analyse plus fine, on décompose le secteur industriel en faisant ressortir le niveau technologique. On peut considérer que deux secteurs, celui des biens de consommation durable et celui des biens de capital, se caractérisent par un niveau technologique plus élevé que la moyenne des autres secteurs de l’industrie. Ces deux secteurs commencent à générer des devises dans la décennie 90, leurs exportations s’élevant alors à 14 % de l’ensemble des exportations industrielles. Au long des premières années de la décennie 2000, cette part s’accroît pour atteindre 27 % de l’ensemble des exportations de produits industriels (figure 9).

10Néanmoins, il convient de souligner que ces résultats, pour prometteurs qu’ils soient, ne sauraient suffire à entretenir une vision très optimiste quant à l’insertion du Brésil dans l’économie mondiale. La majeure partie des exportations reste encore centrées sur des produits à faible degré technologique ou à faible valeur ajoutée. Le grand essor des exportations brésiliennes depuis l’année 2000 est dû principalement à des biens manufacturés incorporant un niveau technologique bas ou « moyen-bas » et à des biens non industriels (« l’agrobusiness ») à faible valeur ajoutée et à niveau technologique souvent faible.

  • 2  Au long de la période 1996-2006, les exportations du secteur ont été certes multipliées par 7 mais (...)

Les obstacles à surmonter sont nombreux dans les secteurs considérés comme les plus évolués en termes technologiques. Dans le cas des exportations de l’aéronautique, secteur où l’entreprise brésilienne Embraer est relativement compétitive, les données concernant ses performances à l’exportation révèlent que celles-ci ont à peine réussi à accompagner le rythme de la croissance des exportations totales2.

11Enfin, afin d’évaluer la réalité de l’insertion du Brésil dans le commerce mondial, il faut tenir compte de deux considérations importantes :

12D’une part, l’un des aspects marquants du commerce extérieur Brésilien est la lente ‑ mais progressive ‑ diversification de ses partenaires commerciaux. Ce processus est devenu significatif dès 1990, avec l’approfondissement de l’ouverture commerciale, et s’est élargi au-delà du commerce avec les seuls pays industrialisés (États-Unis, Union européenne et Japon) : croissance des ventes vers les pays en voie de développement en général dont celle, remarquée, des ventes vers les pays du Mercosul et vers la Chine. Ainsi, entre 1989/90 et 2005/06, la part des exportations destinées aux États-Unis, à l’Union européenne et au Japon est passée de 63 % à 43 % de l’ensemble des exportations du Brésil. À l’inverse, la part des exportations du Brésil vers les pays en voie de développement est passée de 27 % à 48 % (pour le Mercosul la part est passée de 4 % à 10 %, et pour la Chine de 2 % à 6 %, sur la même période).

  • 3  Cette balance comporte le solde de la balance commerciale ainsi que les soldes liés aux services a (...)

13D’autre part, même si le Brésil conserve en moyenne un taux de croissance du PIB faible (cf.supra), on constate une nette amélioration de sa balance commerciale du fait, principalement, de la forte augmentation de ses exportations. En 2004, la valeur totale des exportations brésiliennes atteignait 100 milliards de dollars, en 2005, 118 milliards et en 2006, 137 milliards. Les importations, elles, restent à un faible niveau en raison de la faiblesse de la croissance et de l’investissement : en 2004 elles ont été de 63 milliards de dollars, en 2005 elles ont atteint 74 milliards et en 2006, 91 milliards. La balance commerciale devient fortement positive, ce qui conduit à un solde positif de la balance des comptes courants3 et à la possibilité d’accumulation de réserves internationales, de telle sorte qu’au terme du premier mandat de Lula fin 2006, le Brésil comptait 86 milliards de dollars de réserves. Montant considérable, surtout si on le compare à celui des années précédant le mandat de Lula (entre 1999 et 2002, la moyenne des réserves était de 36 milliards). La vulnérabilité externe parait avoir reculé ces dernières années avec la montée en puissance du solde du commerce extérieur et avec les légers excédents de la balance des comptes courants. Mais la situation des comptes externes reste fragilisée par l’augmentation des sorties de capitaux au titre des dividendes versés aux actionnaires étrangers : ces derniers, en 2006, s’élèvent déjà à 17 milliards de dollars et dépassent le service de la dette externe au titre des intérêts. Ajoutons enfin que cette vulnérabilité s’est également déplacée ‑ elle se situe à présent sur un autre plan. L’endettement interne a augmenté considérablement (et avec lui les charges de la dette interne), réduisant d’autant les marges de manœuvre pour une politique budgétaire audacieuse à l’heure où il s’avère de plus en plus nécessaire de quitter le sentier de la faible croissance que suit le Brésil depuis de nombreuses années.

« La mondialisation n’est pas coupable »4

  • 4  En référence au titre du livre de Krugman (2000). Nous utilisons les expressions globalisation et (...)
  • 5  Le Brésil occupe une place particulière en Amérique latine : malgré une hausse substantielle de so (...)
  • 6  Des exportations à contenu technologique élevé se caractérisent par une élasticité de la demande p (...)

14Dans les années 1950-1970, la croissance a été particulièrement soutenue et le degré d’ouverture faible en Amérique latine et plus particulièrement au Brésil. L’ouverture de plus en plus importante tant aux niveaux commercial que financier dès les années 1990 s’accompagne par contre d’un ralentissement et d’une irrégularité de la croissance en période moyenne. Ces observations semblent infirmer la relation supposée positive entre davantage d’ouverture et plus de croissance défendue par la Banque mondiale, tout au moins pour l’Amérique latine et le Brésil5. Il faut se garder cependant de tirer des conclusions hâtives, dans un sens ou dans autre : la relation ouverture-croissance est complexe, différente selon les périodes. En réalité, tout dépend de la nature des exportations et de leur degré de sophistication, mais aussi de la manière dont celles-ci sont favorisées6.

15Ce n’est pas la globalisation en elle même qui est « coupable » de la faible croissance, du maintien des inégalités à un niveau très élevé et de la montée de la précarité. La responsabilité doit être recherchée dans le contexte (inégalités élevées) au sein duquel la mondialisation opère, dans la faiblesse des politiques publiques d’accompagnement, dans la manière dont l’ouverture s’effectue, enfin dans la gestion de la dette interne favorisant les activités financières. L’objet de cette section et de la suivante est précisément de montrer que cet environnement génère des comportements de type rentier. Ces comportements prennent des formes particulières avec la montée en puissance de la globalisation commerciale et de la mondialisation financière en Amérique latine et plus particulièrement au Brésil.

16La globalisation commerciale impose des contraintes de compétitivité, de qualité, d’organisation du travail. La mondialisation financière favorise les activités financières au détriment des activités productives, biais qu’on rencontre peu ou moins dans la plupart des économies asiatiques. Les deux agissent de concert et les effets globaux sont à la fois une croissance en moyenne faible ces quinze dernières années, une précarité accentuée du travail et une distribution des revenus qui, tout en restant fortement inégale, change dans ses contours en faveur d’une fraction très faible de la population. Après avoir présenté quelques faits stylisés, nous analyserons les effets de la finance sur l’investissement et les revenus du travail dans un contexte de globalisation et sous l’effet des politiques économiques suivies. Nous étudierons ensuite les contraintes qu’impose la globalisation sur les différentes formes d’emploi, qualifié et non qualifié, et les capacités de l’État à les satisfaire par une politique éducative conséquente.

Quelques fait stylisés, le Brésil depuis quinze ans : « La Chine prend le TGV, le Brésil, la bicyclette »

  • 7  Cette croissance est beaucoup plus faible que celle des années 1940-1970. Comme le souligne R. Bon (...)
  • 8  Sur le « jeu de chaises musicales » entre les économies asiatiques et latino-américaines, voir Pal (...)
  • 9  Les économistes préfèrent utiliser le taux de change de parité de pouvoir d’achat lorsqu’ils font (...)
  • 10  Rapport 2006 de la Banque mondiale, annexe statistique.

17La croissance est particulièrement faible depuis une quinzaine d’années. Elle dépasse légèrement 2,5 % en moyenne par an durant le premier mandat du Président Lula et se situe à un niveau comparable à celui du second mandat du Président Cardoso7. Nous sommes en présence d’une tendance à la stagnation. À l’inverse, la croissance est de l’ordre de 9 à 10 % dans certains pays asiatiques. Or on sait qu’avec 2 % de croissance, il faut 35 ans pour doubler le produit intérieur brut et seulement 7 ans avec 10 % par an. La Chine multiplierait donc par 32 le PIB en 35 ans alors que le Brésil ne ferait que le doubler dans la même période8. Au rythme de croissance que connaît la Chine depuis 1978, son PIB par tête, mesuré avec un taux de change dit de parité de pouvoir d’achat9, devrait dépasser celui du Brésil dès 2010 alors qu’en 1978 il était infiniment plus faible. Le PIB par tête du Brésil en 2005 est en effet situé aux alentours de 8 320 dollars et celui de la Chine à la même date de 6 600 dollars10. Le PIB par tête du Brésil, exprimé avec un taux de change de parité de pouvoir d’achat, comparé à celui des pays de l’OCDE, connaît une chute vertigineuse : il s’élevait à 41 % du PIB par tête moyen de ces pays (moins la Tchéquie, la République Slovaque, la Hongrie et le Pologne) en 1980 et à 28,5 % en 2005 (OCDE 2006).

  • 11  En termes encore plus précis, les chances d’une ascension sociale, sont réservées à quelques rares (...)
  • 12  Rappelons que dans les économies en voie de développement, la pauvreté est mesurée de manière abso (...)

18Les conséquences sociales de cette tendance à la stagnation économique sont importantes : lorsque la croissance est faible, la probabilité d’une mobilité sociale est extrêmement réduite et inversement. À moins d’un effort sans précédent dans l’éducation nationale et une diminution sensible des inégalités par voie redistributive, ce qui n’est pas le cas, les chances pour un enfant né pauvre de ne pas le rester de son vivant sont très faibles. Au mieux peut-il espérer une amélioration légère de son revenu11. Avec une croissance plus soutenue, il existe une probabilité plus importante d’une mobilité sociale inter-générationnelle plus grande : l’enfant né pauvre peut connaître une amélioration de son revenu tel qu’il « cesse » d’être pauvre de son vivant12. Cette amélioration est le fruit à la fois de l’augmentation du revenu moyen et de la possibilité plus grande d’accéder, si le système éducatif suit, à toute une panoplie de métiers plus qualifiés.

La modernisation industrielle entravée par la montée en puissance de la finance

  • 13  Voir Zettelmeyer (2006) pour un état rapide de la littérature sur cette question.
  • 14  Les maxi-dévaluations décidées lors du lancement des politiques de stabilisation de seconde généra (...)

19La libéralisation a bouleversé le tissu industriel, sans que n’ait été mises en place des politiques d’accompagnement social. Tout en provoquant l’élimination de pans entiers de l’appareil industriel, les plus fragilisés par la crise hyperinflationniste des années 1980 (la « décennie perdue » selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes ‑ Cepal), la libéralisation du commerce extérieur, l’entrée des investissements étrangers directs ont aussi incontestablement modernisé une partie du tissu industriel au Brésil13. Les entreprises ayant résisté à la concurrence extérieure avaient conservé un niveau de productivité élevé malgré les difficultés rencontrées pendant la « décennie perdue » et ont pu l’améliorer tout au long des années 1990. La modernisation de certains pans de l’industrie a pu être « aidée » au début par les maxi-dévaluations14, mais c’est la modification des techniques de production (facilitée par l’importation de biens d’équipement incorporant le progrès technique le plus récent à des coûts réduits grâce à la baisse des droits de douane et à l’appréciation de la monnaie nationale) et surtout la manière de produire (modification de l’organisation du travail avec davantage de flexibilité de la main-d’œuvre) qui expliquent le retournement de la balance commerciale du Brésil au début des années 2000 et la dynamisation de l’exportation de ses produits manufacturés analysée en première partie. Les analyses de Lall (2005) et Palma (2006c) ont cependant montré que la hausse des exportations de produits industriels concernait au Brésil des produits de moyenne et basse technologie, à quelques exceptions près (voir infra), à la différence des pays asiatiques où l’on observe une croissance plus rapide des exportations de produits de moyenne et haute technologie.

  • 15  Blazquez-Lidoy et al. (2006) montrent que la Chine concurrence surtout le Mexique : les structures (...)

20La montée en puissance de la modernisation est donc réelle mais relativement insuffisante par rapport à la structuration et l’évolution du commerce international, ciblée de plus en plus sur l’achat-vente de produits de haute technologie. Le Brésil accroît son retard vis-à-vis des « dragons » asiatiques comme la Corée du Sud et le scénario d’une incapacité à concurrencer la Chine et l’Inde dans un avenir proche sur des marchés dits porteurs se précise15. Ce décrochage relatif est la conséquence logique des nouveaux comportements rentiers.

21La finance est un « Janus » a deux faces : un côté vertueux lorsqu’elle facilite l’accumulation, un côté parasitaire lorsqu’elle se fait à son propre détriment. Ces deux faces coexistent, l’une l’emportant sur l’autre et vice versa selon les périodes, l’environnement macro-économique (distributions des revenus, types d’insertion dans l’économie monde, rapports avec les économies développées et les marchés financiers internationaux). Au Brésil, la face parasitaire du Janus l’emporte sur la face vertueuse car la globalisation favorise le développement d’un comportement rentier. Résurgence d’un passé lointain, les rentiers d’aujourd’hui vivent de l’essor de la finance, accaparent une part conséquente des dépenses publiques grâce à l’explosion du service de la dette interne ainsi qu’une part croissante des profits des entreprises non financières au titre de leur endettement et du paiement des dividendes.

  • 16  Ce qui ne veut pas dire que le côté « vicieux » de la finance n’existe pas, comme on l’a vu lors d (...)
  • 17  Les raisons obéissent à une logique monétariste. Selon les économistes du ministère des Finances d (...)
  • 18  Les entreprises investissent en faisant surtout appel à leurs fonds propres et recourent peu au cr (...)

22La globalisation en elle-même n’est pas coupable de cette résurgence. Elle précipite – au sens chimique du terme ‑ un mouvement qui était déjà présent. On ne l’observe pas ou peu en Asie où, bien au contraire, on assiste à un renforcement, une consolidation du poids des entrepreneurs industriels, des relations plus « vertueuses » avec la finance16. Les crédits jouent un rôle important dans le financement de l’investissement, contrairement à ce qu’on observe au Brésil et d’une manière générale en Amérique latine, le taux de formation brute du capital fixe se situe entre 30 et 40 % du PIB contre 18 à 22 % au Brésil. Ici, les banques préfèrent placer leurs dépôts dans des titres financiers émis par l’État pour financer le service de sa dette interne pour deux raisons : le placement paraît plus sûr qu’un prêt à des entreprises ou à des ménages comportant un risque de non-remboursement, les taux d’intérêt réels sont très élevés17, et rendent ces placements extrêmement lucratifs mais limitent sérieusement l’expansion du crédit en faveur des ménages et des entreprises. Les entreprises et les ménages doivent payer un spread important – justifié par le « risque » pris par les banques en leur octroyant un crédit qu’ils pourraient ne pas pouvoir rembourser – qui s’ajoute au taux d’intérêt. Ils limitent donc leurs emprunts à des opérations à court terme (crédits à la consommation pour les ménages et crédits pour financer le capital circulant pour les entreprises18). Comme il est impossible de croître sans crédit à long terme ‑ peut-on envisager un capitalisme industriel sans finance ? ‑, le gouvernement octroie une série de dispenses afin de favoriser les investissements dans l’agrobusiness, certains secteurs industriels, le logement, etc. Et cela constitue un paradoxe, puisque, à vouloir être trop conforme à la pensée dominante, le gouvernement en arrive à pratiquer une politique sélective de taux d’intérêt qui va à l’encontre des principes mêmes de cette pensée… Le résultat de cette politique à la fois très doctrinaire et pragmatique est une montée en puissance des comportements rentiers. Ceux-ci affectent les catégories les plus aisées de la population qui placent leurs avoirs dans des titres financiers lucratifs mais aussi et surtout les banques qui, finançant peu l’investissement, achètent des titres d’État.

23Cette orientation des fonds prêtables va constituer un obstacle à l’investissement non pas parce que les entreprises non financières préfèreraient davantage investir dans des produits financiers que dans l’investissement fixe, « financiarisant » ainsi leurs activités ‑ comme on peut l’observer dans nombre de pays développés ‑, mais parce qu’elles rencontrent des contraintes difficilement surmontables. La domination de la finance sur le productif s’exprime par la part croissante dans les profits des entreprises non financières des profits financiers (charges de leur dette dues aux emprunts finançant surtout le capital circulant, paiement des dividendes…) au détriment des profits qui serviront à l’autofinancement. Le taux d’investissement reste faible non pas parce que la valorisation du capital industriel est faible, mais parce qu’elle se situe en deçà de ce que rapportent les investissements en portefeuille, et surtout parce que « l’appétit de la finance » se fait au détriment des possibilités de financement.

  • 19  C’est donc avec peu d’investissement comme support que se réalisent l’amélioration de la compétiti (...)

24Plus précisément, et au risque de se répéter, dans la valeur ajoutée des entreprises non financières, la part de ces profits bruts croît, mais en son sein la part des profits versée au secteur financier croît plus rapidement que celle consacrée aux investissements productifs (Bruno 2007). Dit autrement, la part des profits globaux des entreprises non financières dans leur valeur ajoutée augmente, mais celle des profits nets des intérêts versés au secteur financier décline. Or c’est celle-ci qui permet l’auto-financement. La variable d’ajustement est le salaire : la hausse de la productivité ne bénéficie pas aux travailleurs, ou seulement à la marge, mais nourrit essentiellement la « voracité » de la finance19.

  • 20  Dans l’ensemble, recherche publique incluse, les dépenses en recherche-développement dans ces pays (...)

25La contrainte pour les entreprises non financières tient de la quadrature du cercle : elles doivent dégager des profits en forte croissance pour alimenter toujours plus le très fort « appétit » de la finance. Ceci explique leur réticence à faire bénéficier leurs salariés de la hausse de la productivité et l’écart entre les hausses de la productivité et des salaires s’accentue considérablement. Mais cette hausse de la productivité trouve des limites parce que le taux d’investissement croit peu et que la part consacrée à la recherche et développement est des plus réduites20. Ces limites sont en partie surmontées par l’importation de biens d’équipement up-to-date et des modifications dans l’organisation du travail, mais elles demeurent pour l’essentiel et grèvent les possibilités à moyen terme de poursuivre une dynamique de croissance élevée. Dans l’ensemble de l’économie, au-delà du secteur industriel, la répartition de la valeur ajoutée totale évolue en faveur de la rente financière et au détriment des profits nets des entreprises et des salaires (figure 10). C’est cette évolution qui caractérise une économie rentière et explique fondamentalement la tendance à la stagnation économique.

La croissance du taux de formation brute de capital fixe est en moyenne très faible et extrêmement volatile, les années avec des taux négatifs sont courantes. Rien de plus logique aussi que la croissance du PIB soit depuis une vingtaine d’années faible et volatile.

La valeur de la FBCF en terme réel est en 2005 pratiquement la même que celle de 1982. En effet de 1966 à 1981, la FBCF est passée de 16 % à 24 % du PIB, ce dernier connaissant une croissance très élevée. De 1982 à 2005, l’investissement a stagné en terme réel, ce qui s’est traduit par une forte chute de sa participation dans le PIB : de 23,4 % il passe à 17,6 en 2003. Depuis, il croît un tout petit plus rapidement que le PIB et devait frôler 20 % du PIB en 2006. L’effort d’investissement est donc loin de correspondre aux défis imposés par la nécessité de dépasser les obstacles légués par le « sous-développement », surtout si on le compare à celui effectué en Asie ou bien encore à celui réalisé dans les années 1950-1970 au Brésil.

26Le diagnostic est encore trop… optimiste. Il faut en effet décomposer l’investissement selon sa finalité : résidences (construction), infrastructures, équipement. Or, cette décomposition n’est pas de nature à modifier le diagnostic effectué, bien au contraire. L’investissement tend à favoriser la construction plutôt que l’industrie (l’investissement résidentiel s’est accru depuis 2004 au rythme de 11,7 % par an ! (Visão, op.cit.). Plus précisément, on peut observer une forte chute ces dernières années des machines et biens d’équipement dans le stock de capital fixe (voir figures 12 et 13, cette dernière isolant le poids de la construction résidentielle) : les machines et les biens d’équipement représentent environ 30 % du capital fixe productif total en 1979, leur participation chute à 21 % en 1990 et à 17 % en 2004 (pour plus de détails, voir Bruno 2007 et Alves & Bruno 2006).

L’investissement est donc faible, largement insuffisant tant au niveau de son montant global que de la part affectée à l’achat de machines et aux infrastructures. La croissance, au total, n’est pas élevée sur une période moyenne et longue, elle ne peut être que faible dans le futur proche, sauf si cet investissement augmente sensiblement et si sa structure se modifie.

D’importants goulets d’étranglement apparaissent depuis quelques années au point que l’insuffisance d’infrastructures, notamment dans le domaine énergétique et de transport, constitue aujourd’hui un frein à une politique de relance de la croissance et qu’il soit envisagé un Plan d’Accélération de la Croissance (PAC) par le second gouvernement de Lula (voir l’article de Kliass dans ce numéro) pour surmonter cet obstacle.

27Les contraintes de la globalisation sur les emplois et les nouveaux problèmes posés au gouvernement

28Pour des raisons structurelles (inégalités très élevées), et une politique monétaire et commerciale orthodoxe, la mondialisation financière et la globalisation commerciale produisent des effets spécifiques sur l’emploi et les revenus. Cette section est centrée sur l’emploi et les inégalités salariales liées aux différences de qualification.

  • 21  Les démographes calculent des indices de structure par âge. L’indice de structure est le rapport e (...)

29D’une manière générale, l’évolution de l’emploi est liée à la demande de travail des entreprises et à l’offre de travail des individus. La première dépend de plusieurs variables : la croissance de la productivité du travail, qui agit négativement, la croissance de l’investissement, qui agit positivement, mais qui est modeste. L’offre de travail dépend du taux antérieur de natalité, plus exactement celui des classes d’âge entrant sur le marché du travail qui tend à baisser21, du taux d’activité féminin qui tend à augmenter. Cependant, le taux de natalité des classes d’âge qui entrent sur le marché du travail, bien qu’en baisse, reste encore relativement important, beaucoup plus élevé que celui de ces dernières années et le taux d’activité féminin est relativement important aujourd’hui compte tenu de la modestie des revenus de la plupart des Brésiliens.

30On ne peut cependant en rester à ce niveau d’analyse macro-économique car l’offre et la demande de travail se déclinent à la fois en termes de quantité (nombre) et en termes de qualité (qualifications).

  • 22  Les deux autres facteurs sont l’augmentation substantielle de la politique d’assistance aux plus p (...)
  • 23  La capacité de l’école comme outil à produire de l’intégration sociale est relative car le système (...)
  • 24  voir l’article de Filgueiras & Druck dans ce numéro.

31Deux raisons expliquent qu’il n’y ait pas eu dans les années récentes de déséquilibre entre la demande de travail qualifié des entreprises et l’offre de travail qualifié et semi qualifié des travailleurs. Le taux de croissance est faible et le niveau de scolarité des jeunes a augmenté. C’est d’ailleurs ce qui explique en partie que la pauvreté ait reculé ainsi que les inégalités salariales ces dernières années22. On observe cependant une baisse de la qualité de l’enseignement (OCDE 2006, Bonelli 2006) qui pourrait être préjudiciable à terme si elle devait perdurer. L’offre de travail qualifié peut devenir insuffisante et susciter des déséquilibres sur le marché du travail pour quatre raisons : la baisse du taux de natalité, celle de la qualité de l’enseignement (affectant parallèlement sa croissance quantitative)23, l’insuffisance budgétaire du fait des contraintes relatives au dégagement d’un important excédent primaire du budget24, et enfin la demande de travail qualifié qui augmente fortement. Cette dernière croît pour deux raisons : elle tend à augmenter plus rapidement que le PIB parce que les contraintes en terme de compétitivité sont plus élevées dans une économie davantage globalisée et que des produits plus sophistiqués nécessitent proportionnellement une main-d’œuvre plus qualifiée. Ensuite parce que cette demande augmentera davantage encore si la croissance devait connaître une accélération. En d’autres termes, on peut considérer que jusqu’à présent offre et demande de travail qualifié ont pu croître parallèlement sans qu’il y ait trop de tensions, et malgré une baisse de la qualité de l’enseignement, parce que la croissance a été médiocre…

32Le déséquilibre potentiel entre la demande de travail qualifié et l’offre ne pourra être compensé à l’avenir que par une amélioration du système éducatif visant plus particulièrement les « laissés-pour-compte » de l’Éducation nationale. Si tel n’est pas le cas, ce déséquilibre est de nature à provoquer des différentiels entre les revenus versés aux travailleurs qualifiés et aux travailleurs non qualifiés, accentuant des inégalités déjà très élevées, inversant enfin l’évolution positive observée ces dernières années (Rocha 2006a et b). L’offre insuffisante de travail qualifié par rapport à la demande est de nature en effet à favoriser des hausses de salaire des seuls travailleurs qualifiés dans la limite des contraintes imposée par la domination de la finance sur le productif, et à l’inverse, l’offre relativement trop abondante de travailleurs non qualifiés accentue leur exclusion sociale, y compris pour ceux qui auraient un emploi formel. On peut donc à la fois avoir une tension sur le marché du travail (la demande dépassant l’offre) et une exclusion croissante : l’offre de travail non qualifiée trouvant peu d’occasion d’être employée. Si on considère que les niveaux de qualifications sont plus faibles que la moyenne nationale dans la population pauvre, ce qui est une évidence, et que ces niveaux n’ont guère évolué favorablement pour les enfants des familles pauvres qui arrivent sur le marché du travail, on peut logiquement considérer que leur chômage et leur exclusion (emplois informels, travail précarisé, à temps partiel, mobilité sociale réduite) ne seront pas « allégés » par ces transformations profondes de l’offre et de la demande de travail, toutes choses étant égales par ailleurs. Plus, ces déséquilibres se traduiront par une accentuation des inégalités dans les revenus du travail qui s’ajouteront à celles déjà en cours lorsqu’on considère l’ensemble des revenus, et le sentiment d’exclusion augmentera.

  • 25  Le Brésil a connu une forte volatilité de son taux de change. À chaque fois que ce taux ce taux ét (...)

33Ce déséquilibre pourrait être momentanément atténué par une politique de gestion du taux de change visant à freiner, voire inverser, l’appréciation du taux de change réel à l’exemple de la politique suivie par le gouvernement argentin. Un change davantage déprécié protégerait mieux l’industrie nationale et notamment ses segments qui utilisent le plus de main-d’œuvre par rapport au capital. Il en résulterait une augmentation de l’emploi25, une diminution de la pression sur l’emploi qualifiée, une demande de travail non qualifiée plus soutenue de nature à diminuer fût-ce légèrement l’exclusion dont souffrent les plus démunis. Un tel choix peut cependant produire des effets pervers en favorisant une spécialisation dans des industries de main-d’œuvre à faible contenu technologique. Or nous avons vu que ce n’était pas celles-ci qui étaient porteuses de croissance. Ce choix, pour être efficace, doit être accompagnée d’une politique de soutien aux secteurs à fort contenu technologique, avec un appui prononcé à la formation des travailleurs qualifiés. Le piège de l’économie rentière dans lequel se sont enfermés les différents gouvernements depuis une quinzaine d’années rend difficile de rompre avec la logique financière qui domine. Mais on peut aussi considérer que le Brésil, comme tout autre pays, avance par ruptures et que l’accumulation des difficultés et des problèmes sociaux qui en découle est de nature à favoriser un « nouveau développementalisme » (Bresser-Pereira 2006). Au lieu de renforcer exclusivement le rôle et le poids du marché, il s’agirait par exemple d’articuler le marché et l’État en définissant une politique industrielle ciblant des niches industrielles.

* * *

34La mondialisation n’est pas coupable. L’ouverture commerciale et financière semble d’une part accentuer les comportements rentiers et favoriser la prédominance du financier sur le productif ; d’autre part, elle rend plus difficile les augmentations de salaires et tend à favoriser des inégalités entre les salaires. Si tel était le cas, alors seule une politique protectionniste permettrait de protéger le pays des effets négatifs de la globalisation et la croissance pourrait reposer sur l’essor du seul marché intérieur, essor qui pourrait être produit par une redistribution des revenus plus égalitaires. Il faut cependant se défier des apparences. L’ouverture croissante n’est pas la racine des évolutions que nous avons soulignées. Les économies émergentes d’Asie sont davantage ouvertes que l’économie brésilienne et connaissent cependant une croissance soutenue et régulière, la plupart avec une hausse de leurs inégalités (Chine), d’autres avec une distribution des revenus peu inégale et relativement stable (Corée du Sud). La globalisation produit les effets que nous avons analysés parce qu’elle n’est pas maîtrisée. Dès lors, le débat n’est pas entre plus ou moins de globalisation, mais de quelle globalisation il s’agit. Une globalisation avec pour seul régulateur le marché ? Ou bien une globalisation avec un rapport de l’État au marché qui puisse permettre une croissance plus prononcée, une distribution moins inégale des revenus, une politique éducative et de santé publique davantage à la hauteur des besoins et la capacité, enfin, de réduire la pauvreté de manière significative dans un laps de temps relativement court ?

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Bibliographie

30 avril 2007

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Notes

1  Dans ce texte, nous donnons le même sens aux termes « globalisation » et « mondialisation ».

2  Au long de la période 1996-2006, les exportations du secteur ont été certes multipliées par 7 mais représentent, tant en 1996 qu’en 2006, 0,2 % de la valeur totale des exportations.

3  Cette balance comporte le solde de la balance commerciale ainsi que les soldes liés aux services aux mouvements des facteurs (capital et hommes) tels que le service de la dette (paiement des intérêts), royalties versés, dividendes, voyages, transport, assurance et envois des travailleurs établis à l’étranger. Elle ne concerne donc pas les mouvements de capitaux mais les services liés à ces mouvements.

4  En référence au titre du livre de Krugman (2000). Nous utilisons les expressions globalisation et mondialisation alternativement en leur donnant un sens équivalent.

5  Le Brésil occupe une place particulière en Amérique latine : malgré une hausse substantielle de son degré d’ouverture entre 1990 (11,7 %) et 2004 (26,9 %), son poids dans le commerce international reste à un niveau marginal et relativement stable (1,1 % en 2005, le même pourcentage qu’en 1975) à la différence de la Chine qui en 2005 atteignait 7,4 % (contre 0,9 % en 1975, 1,9 % en 1990 et 3,9 % en 2000 (Iedi 2006).

6  Des exportations à contenu technologique élevé se caractérisent par une élasticité de la demande par rapport au revenu élevé au niveau mondial et sont susceptibles d’avoir des effets d’entraînement importants sur les branches industrielles, sauf si elles sont le fait d’industries d’assemblage. Elles participent ainsi au remodelage en profondeur de l’appareil industriel. Leur essor ne résulte pas du libre jeu du marché mais de l’intervention indirecte de l’État tant au niveau de la politique industrielle (politique dite de veille de niches accompagnée de taux d’intérêt préférentiels, subventions temporaires et sélectives, etc.) que de son accompagnement au niveau des infrastructures physiques (transport, énergie, etc.) et humaines (éducation, santé). Le mode d’industrialisation est alors dit en « vol d’oies sauvages ». À l’inverse, le faible dynamisme des exportations, en particulier celles à contenu technologique élevé, caractérise des modes de croissance de type « canards boiteux ». Les effets sur la croissance de l’essor de ces exportations sont alors faibles, la relation entre degré d’ouverture plus élevé et forte croissance n’est pas vérifiée. Dans la mesure où la participation des exportations de produits manufacturés à moyenne et haute technologies n’est pas très importante au Brésil, on peut considérer que son régime de croissance s’approche davantage du « vol de canards boiteux » que de celui des « oies sauvages ». À l’inverse, les économies asiatiques sont plus ouvertes et les contraintes de compétitivité s’expriment différemment en raison d’un rapport différent de l’État à l’économie que les économies latino-américaines et leur croissance élevée s’apparente au « vol des oies sauvages » ; sur ces questions voir Lall 2005, Palma 2006b et Salama 2006.

7  Cette croissance est beaucoup plus faible que celle des années 1940-1970. Comme le souligne R. Bonelli (2006), le PIB par tête a presque quintuplé entre 1940 et 1980, alors qu’il n’a augmenté que de 10 % entre 1980 et 2005 ; voir également Palma 2006b. Notons enfin que l’Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE) vient de publier (mars 2007) une réévaluation de ses méthodes de calcul du PIB, tenant davantage compte du poids des services. Selon les nouvelles pondérations, la croissance du PIB aurait été de 0,6 point plus élevée en moyenne dans les trois premières années du mandat de Lula (3,2 %) que selon les anciens calculs (2,6 %), à l’inverse la croissance du PIB lors du dernier mandat de Cardoso aurait été légèrement plus faible. Ajoutons que selon la nouvelle évaluation le taux de formation brute de capital fixe serait particulièrement faible : 16,3 % au lieu de 20,6 %, ce qui traduit encore davantage les aspects rentiers du modèle brésilien (cf. supra).

8  Sur le « jeu de chaises musicales » entre les économies asiatiques et latino-américaines, voir Palma 2006a & b : le Brésil abandonne le taux élevé de croissance des années 1950-1970 pour un taux modeste dans les décennies suivantes. Ajoutons que l’écart est encore plus considérable si on mesure le PIB par tête : la croissance démographique brésilienne a été pendant longtemps beaucoup plus importante que celle de la Chine et ce n’est que depuis deux décennies qu’elle baisse fortement.

9  Les économistes préfèrent utiliser le taux de change de parité de pouvoir d’achat lorsqu’ils font des comparaisons internationales. En effet, les taux de change réels en vigueur ne reflètent guère le pouvoir d’achat de leur monnaie lorsque celle-ci est convertie en devise : avec un dollar on achète davantage en Chine qu’au Brésil ou aux États-Unis. Les taux de change de parité ont pour objet de faire en sorte qu’avec un dollar on puisse acheter les mêmes quantité de biens quel que soit le pays.

10  Rapport 2006 de la Banque mondiale, annexe statistique.

11  En termes encore plus précis, les chances d’une ascension sociale, sont réservées à quelques rares élus, joueurs de football, artistes, politiques et enfin… criminels.

12  Rappelons que dans les économies en voie de développement, la pauvreté est mesurée de manière absolue : sont déclarés pauvres ceux dont le revenu monétaire ne permet pas d’acheter une certaine quantité de produits alimentaires nécessaire à leur survie et un certain nombre de services. La pauvreté peut donc diminuer si la croissance est soutenue. à l’inverse, l’aggravation des inégalités rend encore plus pénible un même niveau de pauvreté. Ces deux effets jouent donc en sens contraire. Si la croissance est forte et s’il y a une diminution sensible des inégalités, le niveau de pauvreté baissera rapidement jusqu’à disparaître. Dans les pays développés, la pauvreté est mesurée d’une autre manière : elle peut être allégée, elle ne peut disparaître car elle est définie à partir de la distribution des revenus, à moins d’envisager une société où chaque personne, chaque foyer, recevrait le même revenu.

13  Voir Zettelmeyer (2006) pour un état rapide de la littérature sur cette question.

14  Les maxi-dévaluations décidées lors du lancement des politiques de stabilisation de seconde génération au début des années 1990 (Washington Consensus) ont protégé l’industrie nationale, affaiblie par des années d’hyperinflation et de sous-investissement. Les entreprises qui avaient le moins souffert de la longue crise des années quatre vingt ont ainsi bénéficié de cette protection pendant un certain laps de temps, et ont pu se moderniser, les autres ont disparu. Cette protection par le change s’est affaiblie avec l’appréciation réelle du change suite à la fin du différentiel d’inflation avec les pays développés et le maintien relatif du taux de change nominal, ainsi qu’à l’afflux de capitaux de l’étranger, attiré par les taux d’intérêt réels élevés et l’assurance de pouvoir rapatrier leurs capitaux.

15  Blazquez-Lidoy et al. (2006) montrent que la Chine concurrence surtout le Mexique : les structures de leurs exportations sont proches et les coûts de la main-d’œuvre sont plus faibles en Chine qu’au Mexique. Tous deux ont des industries d’assemblage importantes mais on peut observer que la Chine cherche à développer l’intégration de certaines industries, à la différence du Mexique. Aussi, il est probable que dans les années futures, la concurrence de la Chine puisse porter sur des produits de moyenne et haute technologie qui ne soit pas des industries d’assemblage. La concurrence alors sera vive vis-à-vis de certaines branches « fortes » au Brésil comme l’aéronautique et l’automobile.

16  Ce qui ne veut pas dire que le côté « vicieux » de la finance n’existe pas, comme on l’a vu lors de la grave crise financière de la fin des années 1990 en Asie. On la voit aujourd’hui poindre dans la croissance incontrôlée des marchés financiers dits émergents, la montée vertigineuse des créances douteuses des banques.

17  Les raisons obéissent à une logique monétariste. Selon les économistes du ministère des Finances du gouvernement Lula, des taux d’intérêt élevés devraient pouvoir freiner la hausse des prix et donner un signal clair aux marchés financiers internationaux du « sérieux » de la politique suivie. Accompagnée de la recherche d’un solde primaire du budget conséquent (différence entre l’ensemble des recettes publique et l’ensemble des dépenses publiques mois le paiement des intérêts versés au titre du service de la dette), cette politique de « cible de l’inflation » devrait augmenter la « crédibilité » du pays et conduire à une réduction du risque-pays. Cette réduction a eu lieu, les emprunts à l’étranger ont ainsi pu s’effectuer à moindre coût, mais au prix d’une incapacité à impulser la croissance, à réduire de manière significative la pauvreté, d’avoir une politique sociale plus conséquente, à la hauteur des besoins du pays. Ce n’était pas la seule politique possible. Le Brésil est le seul pays d’Amérique latine à avoir pratiqué cette politique et c’est ce qui explique qu’il ait eu dans les années 2000 les taux d’intérêt réels, hors crise ouverte, les plus élevés du monde avec le Turquie… Avec ironie, on peut dire que la présidence aux mains du Parti des travailleurs a été « plus royaliste que le roi » en allant au-delà des exigences du FMI.

18  Les entreprises investissent en faisant surtout appel à leurs fonds propres et recourent peu au crédit trop cher, à l’exception des plus grandes d’entre elles qui ont accès aux marchés financiers internationaux, ou bien lorsqu’elles obtiennent des crédits octroyés par les banques via la BNDES (Banque nationale pour le Développement économique et social) afin d’investir dans des secteurs ciblés.

19  C’est donc avec peu d’investissement comme support que se réalisent l’amélioration de la compétitivité et l’accroissement de la productivité qui l’accompagne. On comprend dès lors pourquoi cette modernisation se réalise surtout grâce à de nouvelles organisations du travail, inspirées pour partie du « toyotisme » et d’une flexibilité du travail, synonyme ici de précarité accentuée plutôt que de polyvalence.

20  Dans l’ensemble, recherche publique incluse, les dépenses en recherche-développement dans ces pays se situent entre 0,4 et 0,6 % du PIB contre plus de 3 % en Corée du Sud. On ne peut certes se limiter à ces chiffres trop globaux, il faut également prendre en compte le catching up partiel des techniques rendue possible à la fois par des importations de machines récentes et par l’essor des investissements étrangers directs, mais même en considérant ces aspects, cet effort est modeste comparé aux pays asiatiques.

21  Les démographes calculent des indices de structure par âge. L’indice de structure est le rapport entre le poids d’un groupe d’âge dans la population réelle et son poids dans la population stationnaire définie elle comme une population d’équilibre (stationnaire) dans laquelle le poids des naissances est égal à celui des décès. Cet indice permet donc de calculer le « vieillissement » comme un écart par rapport à la population stationnaire et donne ainsi une meilleure idée de la perte d’équilibre démographique que l’évolution entre deux dates des groupes d’âge. Dans un futur proche, en raison de l’allongement de l’espérance de vie et d’une fécondité en baisse rapide, la répartition de l’indice par tranche d’âge va s’inverser.

22  Les deux autres facteurs sont l’augmentation substantielle de la politique d’assistance aux plus pauvres et l’augmentation du salaire minimum. Cette dernière se répercute sur l’augmentation des retraites versées aux paysans et à ceux qui ont des problèmes de santé. De nombreux écrits ont été consacrés dès 2005 à cette question : voir par exemple Neri (2006), Kakwani, Neri & Son (2006), Barros, Paes de et al. (2006), Rocha (2006a) et Salama (2006, chapitre 3).

23  La capacité de l’école comme outil à produire de l’intégration sociale est relative car le système éducatif participe également à l’exclusion socio-économique et culturelle des jeunes issus des catégories pauvres. Cette exclusion s’explique par un faisceau de causes convergentes : très faible rémunération des enseignants des écoles publiques primaires et secondaires, ségrégation spatiale, ségrégation sociale, discrimination. La ségrégation scolaire est liée à la ségrégation résidentielle. La ségrégation spatiale se confond en grande partie avec la ségrégation sociale et produit la ségrégation scolaire. Si on ajoute que les familles pauvres ont le plus souvent un niveau d’éducation faible, on comprend que leurs enfants puissent avoir des difficultés à bénéficier de ce que l’école pourrait leur fournir si elle ne se situait pas dans l’espace d’exclusion. L’effort quantitatif, observable ces dernières années, ne s’étant pas ou peu accompagné d’un effort qualitatif, la qualité de l’enseignement devient un problème majeur.

24  voir l’article de Filgueiras & Druck dans ce numéro.

25  Le Brésil a connu une forte volatilité de son taux de change. À chaque fois que ce taux ce taux était déprécié, l’élasticité de l’emploi par rapport au PIB avait tendance à augmenter et inversement. Ainsi en a-t-il été à partir de 1999 (crise de change) et avec l’élection de Lula fin 2002. Baltar et al. (2006) montrent que l’élasticité est plus forte dans les années 2000 que dans les années 1990. Elle aurait pu être plus élevée si le gouvernement de Lula avait cherché à freiner la forte appréciation de sa monnaie. L’exemple de l’Argentine est intéressant de ce point de vue car, à la différence de la politique suivie par le gouvernement de Lula, le gouvernement de Kirchner a freiné la valorisation de sa monnaie à l’inverse de ce que firent les gouvernements Menem et de la Rua dans les années 1990. Si on fait exception des années de crise et qu’on se réfère à celles où la croissance était vive dans les années 1990, on observe une élasticité de l’emploi par rapport au PIB relativement faible, soit 0,48. Un point de croissance supplémentaire du PIB donnait naissance à peu de création nette d’emplois (un peu moins de la moitié) car les techniques de production étaient de plus en plus capitalistiques. Cette période se caractérise par une forte appréciation du taux de change réel, de l’ordre de 30 %. Lors de la forte reprise économique des années 2000 avec un taux de change fortement déprécié, l’emploi a fortement augmenté en partie parce que l’élasticité de l’emploi par rapport au PIB a fortement cru. Du 2e trimestre 2002 au 4e trimestre 2004, elle a été en moyenne de 0,95, soit près du double. Cette hausse des emplois est due à la réapparition d’un processus de substitution des importations : des entreprises de main-d’œuvre, hier menacées par la concurrence internationale, aujourd’hui protégées par le taux de change déprécié, ont renoué avec les profits et ont embauché.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paulo Kliass et Pierre Salama, « La globalisation au Brésil, responsable ou bouc émissaire ? »Lusotopie, XIV(2) | 2007, 109-132.

Référence électronique

Paulo Kliass et Pierre Salama, « La globalisation au Brésil, responsable ou bouc émissaire ? »Lusotopie [En ligne], XIV(2) | 2007, mis en ligne le 25 mars 2016, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/972 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01402008

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Auteurs

Paulo Kliass

Université Paris 13. Ministério do Planejamento (Brasília)

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Pierre Salama

Université Paris 13. Centre d'économie de l'Université Paris Nord (CEPN)

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