Pedro Cardoso (ed.), Atlas da lusofonia. Moçambique
Pedro Cardoso (ed.), Atlas da lusofonia. Moçambique, Lisbonne, Prefácio – Instituto português da Conjuntura estratégica, 2005, 94 p., ISBN : 972-8816-78-2.
Texte intégral
1Les « atlas de la lusophonie » se suivent et se ressemblent, mais pas pour le meilleur. D’abord, il faudrait s’entendre sur ce que l’on entend par « atlas ». Un atlas peut inclure des commentaires, mais il est au moins structuré par sa cartographie, qui occupe l’essentiel de l’espace. Le présent « atlas » contient 85 « figures » qui, sous une numérotation unique, mélangent seulement 17 cartes (21 si l’on ajoute la reproduction photographique de 4 cartes de l’époque moderne), le reste étant des photographies de pertinence fort variable (par exemple, la figure 73 représente, à la mode ethnographique ancienne, un « enfant du Nord du Mozambique » sans que strictement rien ne permette de le savoir) et des graphiques statistiques. La plupart des cartes sont de très petit format, peu détaillées, et ne représentent pas un authentique travail de cartographie de données recueillies. Les sources n’en sont pas indiquées : même quand on devine facilement qu’elles ont été « empruntées » à René Pélissier : figure 14, figure 17 par exemple ; quand il s’agit de cartes issues des Services de renseignement militaires ou de la Pide, ce n’est pas indiqué non plus : figure 19 sur les « axes d’infiltration du Frelimo » (les Portugais, eux, ne s’« infiltraient » pas…), figure 20 sur la « situation psychologique en 1969 » – c’est-à-dire celle de l’implantation politique de la guérilla ; pour les figures 26 et 50 sur l’implantation de la Renamo et l’accessibilité des zones pendant la guerre civile, la source (Onumoz) n’est pas indiquée, ni sous la carte ni dans la bibliographie finale… Pourtant, pour les tableaux et graphiques statistiques, les sources sont indiquées – ce qui montre bien que c’était possible (sources officielles mozambicaines le plus souvent) : cette absence de mention des sources est éthiquement et scientifiquement scandaleuse, laissant à penser que les auteurs de l’atlas sont les auteurs des cartes.
2Ce qui est fort étonnant, c’est que la cartographie déjà réalisée par les Mozambicains dans leur Atlas geográfico de Moçambique (1986) n’a même pas été réutilisée ici, ni, surtout, ce qui est incroyable, les données des deux recensements nationaux (1980 et 1997). Notre article « Pour un atlas social et culturel du Mozambique » (avec Philippe Waniez & Violette Brustlein, Lusotopie 2002, juillet 2002, IX (1) : 305-362) construit à partir du recensement de 1997 et qui contient à lui seul 25 cartes, n’est pas connu. Il n’y a même pas une carte administrative détaillée du pays, ni une carte démographique… Mais une carte tellement petite et donc simpliste qu’elle en est fausse, sur les Églises protestantes, est reproduite deux fois (figures 76 et 85). Il n’y a pas de carte linguistique, mais des données archi-fausses sont données dans le texte, page 71 : 15 % de la population aurait le portugais comme langue nationale (date non indiquée) quand cette valeur était de 1,27 % et de 6,5 % en 1980 et 1997 respectivement ; « 60 à 70 % » de la population « comprendrait » le portugais (date non indiquée), quand cette valeur était de 39,6 % en 1997. Les élections de 1994 ne sont pas présentes, alors que des données précises existent et ont déjà été cartographiées par Luís de Brito (Cartografia eleitoral de Moçambique, 1994, Maputo, Livraria universitária, 2000, 64 p.).
3Il y a enfin des considérations du plus pur style colonial. Ainsi les religions africaines sont-elles décrites comme « seitas nativas » et on apprend que « o negro-africano fora da sua colectividade originária […] fica detribalizado, desamparado e inseguro » (p. 85). On suppose que le Portugais, lorsqu’il émigre, ne se sent ni déraciné (détribalisé ?), ni désemparé, ni déstabilisé… D’ailleurs, les subdivisions ethniques tirées des données militaires des années 1960 sont qualifiées de « tribus » (p. 68-69) sans que ce concept soit minimalement explicité (viendrait-il à l’auteur l’idée de considérer que les Transmontains ou les Alentejanais sont une « tribu » de l’« ethnie portugaise » ?).
4La bibliographie (p. 87-88) est très faible, forcément. D’abord il n’y a pas de bibliographie cartographique, alors qu’il suffit d’aller à CenaCarta (agence de la Direction nationale de la géographie et du cadastre), à Maputo, pour avoir un grand choix de cartes, certaines datant des Portugais eux-mêmes, d’autres étant issues de la moderne photographie satellitaire. Quant à la bibliographie statistique, elle n’inclut aucun recensement (ni colonial portugais, ni du Mozambique indépendant), ni les rapports du PNUD pourtant très détaillés. Enfin, la bibliographie classique est vieillie (très peu de références des années 1990, aucune de 1999 à 2005) et les œuvres majeures sur le Mozambique, principalement de langue anglaise (sauf M. Newitt, le seul rescapé), parfois de langue française, et même portugaise, ne sont pas connues. Même ainsi, les ouvrages référencés dans la bibliographie finale ne correspondent pas nécessairement à ceux mentionnés dans les notes du texte.
5Pourquoi les milieux militaires portugais – qui sont derrière cette série d’Atlas da lusofonia – publient-ils des ouvrages si médiocres ? Il vaudrait sans doute mieux laisser aux géographes, sociologues et politologues portugais le soin de réaliser des atlas géosociopolitiques répondant aux critères internationaux de qualité. Pour le Mozambique, il suffirait de commencer par regrouper ce que les Mozambicains ont eux-mêmes produits, parfois en coopération avec les… Portugais. Mais pas les mêmes, visiblement !
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Cahen, « Pedro Cardoso (ed.), Atlas da lusofonia. Moçambique », Lusotopie, XV(1) | 2008, 232-233.
Référence électronique
Michel Cahen, « Pedro Cardoso (ed.), Atlas da lusofonia. Moçambique », Lusotopie [En ligne], XV(1) | 2008, mis en ligne le 09 mars 2016, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/867 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01501023
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