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Les chroniques
Comptes rendus

Gerhard Seibert, Comrades, clients and cousins. Capitalism, socialism and democratization in São Tomé and Principe

Brill, Leyde–Boston, 2006, xx + 616 p., (« African Social Studies Series », 13) [2e édition]
Antoine Dulin et Elisabetta Maino
p. 223-227
Référence(s) :

Gerhard Seibert, Comrades, clients and cousins. Capitalism, socialism and democratization in São Tomé and Principe, Brill, Leyde–Boston, 2006, xx + 616 p., ISBN : 978/90-04-14736-2 (« African Social Studies Series », 13). [2e édition]

Texte intégral

1Un ouvrage sur São Tomé e Príncipe est toujours le bienvenu étant donné la rareté des travaux sur cet archipel du Golfe de Guinée. Gerhard Seibert, chercheur à l’Instituto de Investigação Científica Tropical à Lisbonne, propose une seconde édition de son ouvrage, Comrades, clients and cousins. Capitalism, socialism and democratization in São Tomé and Principe, texte de sa thèse en anthropologie culturelle soutenue à l’université de Leyde en 1999 et publiée la première fois par le CNWS (Leyde) la même année. Une traduction en portugais est parue en 2001 à Lisbonne aux éditions Vega.

2Le principal mérite de ce travail est nous donner une vision d’ensemble de ce micro-État africain, peu fréquenté par les chercheurs francophones. À partir de différentes sources écrites et orales et par un travail minutieux, l’auteur, qui mène des recherches sur le terrain depuis 1989, recense les principaux événements qui en ont marqué l’histoire à partir de la seconde moitié du xxe siècle et analyse plus particulièrement les pratiques des acteurs jouant un rôle décisif sur la scène économico-politique depuis son indépendance (1975). La réédition de 2006, revue et corrigée, est augmentée de deux sous-chapitres concernant les élections qui se sont déroulées entre 1998 et 2005, ainsi que l’émergence des enjeux suscités par la découverte d’importants gisements pétroliers dans les eaux territoriales santoméennes.

3On peut toutefois regretter qu’une telle profusion de renseignements soit livrée à l’état presque de journal de terrain. Une biographie des principaux personnages de la vie politique santoméenne contemporaine et leurs différentes trajectoires, ainsi qu’une chronologie des principaux moments de l’histoire du pays auraient sans doute permis une meilleure compréhension et éviter quelques répétitions. Toutefois, la structuration des neuf chapitres, qui comportent chacun une introduction et une conclusion dans lesquels les principaux arguments et faits sont résumés, permet une lecture aisée de cet ouvrage de plus de 600 pages. Soulignons notamment l’adjonction, dans cette édition, d’un index des noms propres, des lieux et de certains mots clés qui facilite le repérage dans le texte.

4Seibert inscrit sa recherche dans le débat sur les changements politiques intervenus dans les pays africains à la suite de leurs indépendances, notamment ceux qui, après avoir connu un régime socialiste, ont adopté le modèle de démocratie libérale occidentale. La problématique exposée dans l’ouvrage a pour objectif de déterminer si l’adoption du modèle de démocratie libérale au début des années quatre-vingt-dix a entraîné des changements dans les conditions économiques, sociales et politiques de ce pays.

5Le territoire de São Tomé e Príncipe, deux îles inhabitées avant 1471, a été colonisé dès le xve siècle par les Portugais qui y avaient installé des plantations de canne à sucre. Ce pays a également été une plaque tournante de la traite atlantique jusqu’au début du xixe siècle. « Recolonisé » ensuite par des aventuriers métropolitains, il est devenu, dans les années 1910, l’un des premiers producteurs mondiaux de cacao grâce à la main-d’œuvre engagée de force dans les autres colonies portugaises, remplaçant ainsi les esclaves. Un siècle après, la production cacaoière santoméenne est quantitativement dérisoire face à celle de la concurrence et subit de plein fouet la baisse des cours du cacao sur les marchés mondiaux. Une telle situation accélère le déclin de cette monoculture d’exportation qui reste, néanmoins, la principale ressource du pays. Au cours de la dernière décennie le pays vit au rythme des négociations autour du pétrole, mais les premiers barils ne sont attendus qu’à l’horizon 2010.

6Après s’être minutieusement penché sur un événement marquant de l’historiographie nationale, le massacre de Batepà de 1953 qui fait l’objet du deuxième chapitre, Seibert introduit brièvement les membres et les péripéties du comité de libération et centre son propos sur la période postcoloniale, à ses luttes et ses intrigues. À l’indépendance, Manuel Pinto da Costa devient le premier chef d’État de l’archipel. Il instaure, selon l’auteur qui ne prend malheureusement pas la peine de clarifier les concepts utilisés, un régime socialiste autoritaire. En décembre 1989, subissant l’adoption des plans d’ajustement structurel, il organise la première conférence nationale du continent africain qui met fin au régime de parti unique du MLSTP (Mouvement de libération de São Tomé e Príncipe). Deux ans après, les premières élections présidentielles libres sont organisées. Sous le régime du parti unique, en effet, le Président était élu par les trente-trois membres de l’Assemblée populaire, composée de députés agréés ou nommés par le comité central du MLSTP, la moitié étant élus par acclamation dans les assemblées des comités de district. Miguel Trovoada, revenant d’un exil de près de huit ans à Paris, après avoir été emprisonné de 1979 à 1981 par le régime de Pinto da Costa, dont il avait été le Premier ministre pendant quatre ans, est le seul candidat resté en lice. Il sera réélu en 1996 au deuxième tour, face à son rival, Pinto da Costa, revenu sur la scène politique après la victoire de son parti aux législatives anticipées de 1994.

7En 2001, Fradique de Menezes, entrepreneur santoméen et ancien ambassadeur à Bruxelles à l’époque du parti unique, est nommé président de la République (Il vient d’être réélu en juillet 2006). Il s’opposera très vite à son prédécesseur, Miguel Trovoada, qui avait pourtant soutenu sa candidature en mobilisant l’ADI (Action démocratique indépendente), la formation politique présidentielle créée ad hoc en 1992 par ses partisans et dont Menezes avait été député jusqu’à ce moment, tout en gardant des intérêts économiques à Lisbonne. À son tour, ce dernier a formé en 2002 son propre parti, le MDFM (Mouvement démocratique Force pour le changement) qui, allié au PCD-GR (Parti démocratique de convergence-Groupe de réflexion) premier parti d’opposition surgi en 1991 et auparavant allié du ADI, a remporté les élections législatives en mars 2006, mettant fin à la domination du MLSTP à l’Assemblée nationale.

8Utilisant les notions de politique comparée empruntées à J.-F. Bayart (stratégie d’extraversion) et Clapham et Edie (clientélisme et dual clientélisme), et s’appuyant sur une analyse empirique copieuse en détails, l’auteur défend la thèse selon laquelle le système politique santoméen n’a pas véritablement évolué et l’élite au pouvoir continue à opérer dans une logique d’État néopatrimonial, confondant ressources publiques et privées. Bien que São Tomé e Príncipe soit, par divers aspects, singulièrement différent des autres pays du continent africain, la culture politique (au sens de L. Diamond) reste imprégnées de pratiques nuisibles au développement national. De ce fait, la situation socio-économique s’aggrave. Bien que le pays bénéficie d’une considérable aide étrangère, dont il est entièrement dépendant depuis vingt ans, la majorité de la population est de plus en plus pauvre tandis qu’une petite couche de privilégiés ne cesse de s’enrichir. Il conclut ainsi que la démocratisation et le multipartisme n’ont pas apporté les changements espérés dans l’archipel.

9Il y a, selon Seibert, continuité dans la culture politique du pays, l’élite ayant largement influencé le modèle de multipartisme introduit de l’extérieur. L’échec des politiques publiques de développement s’explique principalement par la lourdeur bureaucratique interne et l’incapacité d’organisation dans tous les secteurs de la société. Le non-respect des normes, qui serait enraciné dans la culture locale, n’a ainsi pas permis le succès du modèle de démocratie libérale. La corruption est l’un des éléments central de sa démonstration, l’argent étant une composante importante dans la compétition politique. S’appuyant sur le travail d’Olivier de Sardan sur l’économie morale de la corruption, il affirme, comme lui, qu’il n’y a pas de corrélation entre les degrés de corruption et les modèles de système politique. Cette dernière se développe grâce à la persistance des logiques culturelles clientélistes et au pragmatisme normatif. L’auteur reconnaît, par ailleurs, que la corruption est presque inévitable en raison de la taille du pays et des relations de parenté dont la société dépend.

10Pour illustrer comment l’élite santoméenne gaspille le budget de l’État, financés à plus de 80 % par les bailleurs étrangers, il explique, par exemple, que les ministres et les hauts-fonctionnaires saisissent toute occasion « officielle » pour effectuer des voyages à l’étranger, souvent effectués en comités pléthoriques, et ainsi bénéficier de défraiements et d’indemnités qui, fixés en devises, dépassent souvent leurs salaires mensuels. Cette absence du territoire est particulièrement remarquée dans les situations importantes et dénote le désengagement et l’instrumentalisation des fonctions publiques. Est cité le cas du président de la Commission électorale qui a quitté São Tomé en juillet 1996 pour se rendre aux Jeux Olympiques à Atlanta alors qu’on était à quelques jours du second tour décisif de l’élection présidentielle, qui opposait le candidat sortant Trovoada à l’ancien président Pinto da Costa.

11Tant sous le régime autoritaire qu’actuellement dans le cadre du multipartisme, l’élite a adapté ses stratégies de conquête du pouvoir en s’impliquant dans des rapports de patronage tant à l’échelle internationale, pour capter des fonds des pays étrangers (Angola, Portugal, Gabon, France, Nigéria, Chine puis Taiwan à partir 1997, etc.), qu’au niveau interne, en renforçant ses capacités de captation de vote (pratique de l’achat de vote dite banho, le bain).

12Il reconnaît néanmoins certains aspects positifs de la culture locale comme la nature généralement pacifique de la vie politique, même si ce micro-État a dû faire face à trois tentatives de coups d’État (1987, 1995 et 2003), l’absence de violence armée et la relative transparence dans le processus décisionnel et démocratique.

13Un autre élément plus récent renforce la thèse de l’auteur, la possible rente pétrolière à laquelle il consacre deux sous-chapitres dans cette nouvelle édition. L’archipel est perçu déjà par certains comme le futur Bahreïn du Golfe de Guinée. Cette rente, si elle était bien gérée, permettrait de rompre avec la spirale du « sous-développement ». Néanmoins, malgré l’adoption en décembre 2004 d’une loi de gestion transparente des ressources pétrolières, loi vivement souhaitée et prescrite par les organisations internationales, des irrégularités ont déjà eu lieu notamment dans les appels d’offres et dans l’attribution des licences d’exploration, démontrant, à nouveau, la persistance du système néopatrimonial de l’État santoméen.

14Cela n’empêche pourtant pas à Seibert de conclure, avec un optimisme inattendu, que le caractère pacifique des Santoméens, la faible population et le faible niveau de pluralisme culturel sont des atouts pour la consolidation de la démocratie libérale et la gestion transparente du nouvel enjeu pétrolier.

15Cet ouvrage est donc un outil indispensable à tous ceux qui souhaitent connaître la vie politique et économique contemporaine de São Tome e Príncipe. Il fournira aussi à tous les chercheurs intéressés par les débats actuels sur le clientélisme, la corruption, et la gouvernance une étude empirique détaillée sur ce petit archipel africain. Ce travail est en effet ancré au cœur des réflexions actuelles sur l’État néopatrimonial et l’(in)efficacité de l’aide au développement.

16On regrettera toutefois que cette seconde édition n’apporte pas énormément d’éléments sur la période 1998-2005, ne consacrant par exemple que deux pages à l’élection présidentielle de 2001 (il en consacre une trentaine à celle de 1996) et n’apportant que de maigres développements sur le coup d’État de juillet 2003. Il est aussi dommage que ne soit pas consacré un plus long développement à la question pétrolière. Seibert ne fait référence à aucun auteur et ne procède à aucune analyse comparative avec d’autres pays producteurs. Il ne parle pas du rôle croissant du Nigeria qui s’ingère de plus en plus dans les affaires pétrolières (et non seulement), de São Tomé e Príncipe avec qui il partage de façon inégalitaire (60 % le premier et 40 % le second) une zone de production commune (Joint Development Zone) depuis 2001. Et il reste trop discret sur les États-Unis, pourtant tentés un temps d’installer une base militaire à São Tomé afin de « sécuriser » le Golfe de Guinée, une zone relève d’intérêts stratégiques de plus en plus déterminants.

17Enfin, on ne peut que déplorer le coût élevé de cet ouvrage (93 €), la première édition ayant été restreinte par le manque de diffusion (édition universitaire).

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Pour citer cet article

Référence papier

Antoine Dulin et Elisabetta Maino, « Gerhard Seibert, Comrades, clients and cousins. Capitalism, socialism and democratization in São Tomé and Principe »Lusotopie, XV(1) | 2008, 223-227.

Référence électronique

Antoine Dulin et Elisabetta Maino, « Gerhard Seibert, Comrades, clients and cousins. Capitalism, socialism and democratization in São Tomé and Principe »Lusotopie [En ligne], XV(1) | 2008, mis en ligne le 09 mars 2016, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/860 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01501020

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Auteurs

Antoine Dulin

Elisabetta Maino

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