João Mosca, S.O.S. Africa
João Mosca, S.O.S. Africa, Lisbonne, Instituto Piaget, 2004, 206 p., bibl., index, ISBN : 972-771-745-4 (« Economia e Política », 94).
Texte intégral
1Cette analyse de la « crise africaine » porte non seulement sur les « symptômes », les effets, mais également sur les causes endogènes et surtout exogènes qui la provoquent. On reconnaîtra à l’auteur, un économiste, le mérite d’avoir adopté une lecture qui privilégie les facteurs sociopolitiques plutôt que les modèles économico-financiers. La « crise », caractérisation sui generis usuelle dans la littérature du développement, est d’une gravité telle qu’elle justifie amplement le titre alarmiste et évocateur des slogans de campagnes médiatiques de promotion des concerts charitables. Le titre révèle également le penchant afropessimiste de João Mosca, né au Mozambique et installé depuis une décennie à Lisbonne où il enseigne dans l’établissement universitaire privée éditeur de l’œuvre.
2Le livre est organisé en quatre chapitres d’inégale longueur, dont l’articulation semble tenir davantage au programme d’un cursus universitaire qu’à un dispositif explicatif interne. La bibliographie est essentiellement de nature économique, en anglais et produite, directement ou non, par ou à l’intention des organismes internationaux.
3En effet, le premier chapitre égraine au long d’environ 100 pages, soit la moitié, des sous-chapitres qui recouvrent aussi bien les aspects sociétaux selon un découpage usuel (population, économie, santé, éducation) que les « symptômes » (« pauvreté et faim », concentration urbaine, globalisation, conflits). En exposant des faits macro à partir des données fournies par les PNUD (Le Programme des Nations Unies pour le développement), la Banque mondiale ou le FMI, l’auteur passe en revue les principales thèses sur chaque sujet. Rubriquées, elles sont appuyées ou invalidées tantôt par les citations d’un ouvrage tiers, tantôt par des assertions de l’auteur lui-même qui se cite curieusement à la troisième personne ou alors par une invitation « à la réflexion », précisant parfois que certaines questions « n’ont pas de réponse » (p. 31).
4Le mode de production des indicateurs eux-mêmes ne fait pas, en revanche, l’objet de questionnement. L’échelle continentale est la toile de fond et si des cas nationaux sont évoqués pour illustrer des cas concrets, la dimension comparative ne fonctionne que pour établir les scores du pire. Divers tableaux montrent des données statistiques sur le Cameroun, le Mozambique, le Nigéria et l’Ouganda, sans que l’on sache pourquoi on a choisi ces pays et non pas d’autres. De sorte que l’on traite globalement de l’Afrique comme si tous les pays et les situations étaient similaires ou équivalents, indépendamment de leur histoire passée et présente, de leurs ressources, de leur géographie, de leurs organisations politiques ou autres spécificités.
5Au fond, l’auteur ne s’écarte pas des tableaux usuels brossés sur les mêmes sujets, quitte à mélanger parfois causes et effets. Ainsi la croissance démographique, fruit de la pauvreté et non pas sa cause, pourrait être un potentiel en termes de main-d’œuvre disponible, nous dit-il. Mais la question du travail, et a fortiori du chômage, qui va de pair avec l’augmentation du phénonème de concentration urbaine, n’est pas traitée. L’aspect des ressources naturelles ne l’est pas, non plus, et on est surpris de constater que seule l’agriculture retient son attention dans le court chapitre IV, en prenant comme cas l’Angola. Nous y reviendrons.
6Les différents « maux » (carences alimentaires, famines, épidémies, taux de mortalité élevé, exode rural, carence d’infrastructures, etc.) sont liées à une répartition inégale des ressources entre Nord et Sud. C’est donc la théorie de la dépendance qui se manifeste dans la persistance d’un régime d’accumulation contrôlé par les métropoles occidentales. Loin d’atteindre les résultats espérés, les réformes budgétaires et les privatisations économiques prescrites par les bailleurs de fonds ont surtout renforcé l’allégeance des élites locales prédatrices aux bureaucraties internationales. Le phénomène de globalisation ne fait que marginaliser davantage l’Afrique, oubliée par les flux financiers mondiaux. À cela s’ajoutent les conflits armés qui surgissent autour de divergences idéologiques internes, mais sont amplement alimentés par des intérêts stratégiques internationaux. Dans les exemples cités de l’Angola et du Mozambique, la dimension de mécontentement social et contestation du gouvernement est aussi évoquée, mais ne constitue pas la motivation principale (p. 98).
7Les remèdes proposés pour ces « maux » sont des recettes classiques : la « bonne gouvernance », la lutte contre la pauvreté, la démocratisation et, sur le plan économique, une augmentation de l’aide étrangère au développement, ainsi que la réforme de principales organisations internationales, ce qui entraînerait de nouveaux équilibres dans ces institutions.
8Le deuxième chapitre porte, du reste, sur la coopération présentée comme partie intégrante des stratégies militaires, politiques et économiques des pays développés, qui en sont les véritables bénéficiaires. L’auteur tente de discerner les déterminismes internes et externes, condamnant d’une part l’inefficacité des politiques d’ajustement structurel imposées par les pays capitalistes et, d’autre part, soulignant l’articulation entre élites nationales et supranationales (voir, par exemple le passage « Coopération entre pays ou entre élites ? », p. 121-123). C’est pourquoi l’action des ONG semble être plus à même d’aider les « pauvres » et de promouvoir le processus de démocratisation. Les huit objectifs du Millénaire fixés par le PNUD sont définis comme « illusoires » et insuffisants à la fois. En dépit de ces constats, l’auteur plaide paradoxalement pour une augmentation des politiques publiques d’aides aux pays africains, ainsi que pour un accroissement du rôle de l’État.
9Le titre du troisième chapitre « Etnia, poder, desenvolvimento, nação » (p. 135-177) aborde la question de la construction de l’État-nation, qui constitue pour l’auteur le modèle de référence, à travers trois volets : l’origine et la configuration des conflits ; les aspects prioritaires des politiques de développement et la construction de la nation. Les politiques postindépendance n’ont pas réussi à transformer les sociétés dont les structures sont toujours marquées par le colonialisme, responsable des rigidités productives et de la fragilisation sociale. Les tensions entre élites modernes et traditionnelles, ainsi que l’accentuation des inégalités sociales, les asymétries territoriales, la subordination économique des petits producteurs aux secteurs d’exportation sont générateurs de pauvreté et de conflits. Les « rivalités ethniques séculaires » endiguent l’émergence d’une conscience nationale et se superposent aux luttes de pouvoir, dont la finalité est souvent l’accès aux ressources et la captation de la rente. La solution proposée est la stabilisation des régimes démocratiques dirigés par des élites nationalistes vouées à la défense du « peuple », objet de tous les abus et les misères plus qu’acteur collectif dans cet ouvrage. La terminologie est, en effet quelque peu désuète : il est par exemple question de « bureaucratie » là où nous dirions plutôt « administration ». La construction des nations africaines doit, bien entendu, compter elle aussi sur l’aide internationale, mais une aide désintéressée, non directive, qui viendrait récompenser la surexploitation d’antan.
10Enfin, la quatrième partie traite de l’agriculture et du développement en Angola (p. 179-191). On retrouve un modèle on ne peut plus classique en la matière : les richesses du pays peuvent contribuer à l’autonomie et la sécurité alimentaire, facteur de cohésion sociale et territoriale en sus de la réduction de la pauvreté à court terme. À défaut d’un tel investissement, ces richesses issues du secteur pétrolier et minier risquent d’aggraver les inégalités sociales et territoriales, ainsi que les clivages ethniques et politiques, tout en consolidant les revenus, souvent illicites, de l’élite clientéliste. C’est pourquoi le développement agricole tient moins à des raisons économiques que sociopolitiques. Dans une période d’après guerre civile, la réhabilitation des infrastructures et la normalisation des flux financiers orchestrés par l’État aura sans doute un effet positif sur le processus de pacification et, souligne Mosca, sur la construction de la nation. Un oubli, qui n’est pas des moindres, c’est la question foncière. En effet, comment favoriser le retour aux campagnes de millions de déplacés, et donc la dédensification des grandes villes plus ou moins épargnées par la guerre, dans un contexte foncier toujours marqué par le découpage colonial des grandes plantations ? Et cela d’autant plus que les agriculteurs, et la population rurale en général, n’ont ni structures représentatives, ni la capacité de faire pression sur les organes de gouvernement, comme le fait remarquer l’auteur lui-même (p. 190). L’outil électoral reste, quant à lui, plus un horizon du possible qu’un moyen, aspect qui n’est toutefois pas traité dans le livre.
11Dans la conclusion, l’auteur réitère l’appel à une transformation tant des relations internes qu’internationales, un changement de paradigmes, de critères, de priorités. Mais il remarque aussi que le poids idéologique de la « globalisation » paralyse la recherche de nouveaux savoirs sur les questions du développement. Et il affirme définitivement que la réalité de la crise africaine est bien plus grave et profonde que l’image restitué par les indicateurs socioéconomiques, car l’enjeu ne concerne pas que le présent, mais également les générations futures.
Pour citer cet article
Référence papier
Elisabetta Maino, « João Mosca, S.O.S. Africa », Lusotopie, XV(1) | 2008, 216-219.
Référence électronique
Elisabetta Maino, « João Mosca, S.O.S. Africa », Lusotopie [En ligne], XV(1) | 2008, mis en ligne le 09 mars 2016, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/853 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01501018
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