Williams da Silva Gonçalves, O realismo da fraternidade Brasil-Portugal. Do tratado de Amizade ao caso Delgado
Williams da Silva Gonçalves, O realismo da fraternidade Brasil-Portugal. Do tratado de Amizade ao caso Delgado, Lisbonne, Imprensa de Ciências Sociais, 2003, 256 pages, ISBN : 972-671-104-5.
Texte intégral
1Tiré d’une thèse de doctorat en histoire soutenue à l’université de São Paulo en 1994, le livre de Williams da Silva Gonçalves décrit les relations luso-brésiliennes entre 1953 et 1960. S’il décrit le système international issu de la Seconde Guerre mondiale, la situation du Brésil et du Portugal depuis 1945 et l’état de leurs relations bilatérales, l’auteur se penche plus précisément sur la présidence de Juscelino Kubitschek, entre 1956 et 1960, lors de laquelle les relations entre les deux pays ont connu une apogée. C’est lors de cette présidence en effet qu’a été mis en application, en 1960, le traité d’amitié et de consultation signé en 1953, traité prévoyant, entre autre, l’égalité de traitement des citoyens des deux pays. Cette présidence fut également marquée par les deux venues du Président brésilien au Portugal (1956 et 1960) et le voyage officiel du Président de la République portugaise au Brésil (1957), le premier depuis 1922. Lors de cette période, marquée au niveau international par la détente, la décolonisation et la montée en puissance du tiers-monde, le Brésil soutint la politique coloniale du régime salazariste qui était alors menacée par la volonté de l’Inde d’annexer les territoires sous domination portugaise de Goa, Damião et Diu. Williams da Silva Gonçalves démontre que ce rapprochement diplomatique s’est inscrit dans une rhétorique mettant en avant les sentiments affectifs nés de l’histoire commune des deux pays. D’un côté, le régime salazariste exaltait son passé colonial, pour légitimer sa pérennité, et, d’un autre côté, sous l’influence de l’œuvre de Gilberto Freire, les élites politiques dominantes brésiliennes reconnaissaient le Portugal comme le créateur d’une civilisation tropicale originale. Ceci contribue à expliquer pourquoi le Brésil appuyait la politique coloniale du Portugal au lieu d’aider les territoires soumis à Lisbonne à prendre leur indépendance ou à devenir des « nouveaux Brésils » dans lesquels les colons se détacheraient de la métropole. Cet appui se traduisit au niveau des discours mais aussi de l’aide fournie par la diplomatie brésilienne notamment à l’ONU où le Portugal subissait les attaques des pays du tiers-monde. L’auteur suggère que ce rapprochement s’est révélé conjoncturel, puisqu’il a cessé avec le départ de la présidence de Kubitschek et l’arrivée au pouvoir de Jânio Quadros qui prit ses distances avec le Portugal salazariste et sa politique coloniale.
2L’aide fournie à l’ancien colonisateur par l’ancien colonisé ne constituait pas le seul paradoxe de cette relation que décortique dans ses différents volets Williams da Silva Gonçalves. La relation entre les deux pays était en effet très asymétrique. Le Brésil n’obtint aucune contrepartie matérielle de son soutien diplomatique. Le Portugal ne concéda aucun avantage au Brésil au niveau commercial. Pire, il s’opposa aux investissements brésiliens en Angola ou au Mozambique, craignant « l’impérialisme brésilien » qui aurait pu ébranler l’étroit contrôle que désirait exercer Lisbonne sur ces territoires. Alors pourquoi ce soutien brésilien mené par Kubitschek qui accentua l’orientation esquissée par Getúlio Vargas avant son suicide et par Café Filho ? Da Silva Williams replace la politique brésilienne envers le Portugal au sein des débats et des luttes internes des élites brésiliennes clivées entre, d’une part, les « occidentalistes » et, d’autre part, « les nationalistes ». Les premiers, fortement implantés au sein du ministère des Affaires étrangères, défendaient vigoureusement l’alliance du Brésil avec les États-Unis, les investissements étrangers au Brésil et la faible participation de l’État dans l’économie. Ils se déclaraient également anticommunistes et s’opposaient à la décolonisation, craignant qu’elle n’aboutisse à une extension de la sphère d’influence de l’URSS. Les nationalistes, eux, présents à la présidence de la République, défendaient une intervention plus ambitieuse de l’État dans l’économie, appelaient de leurs vœux un développement autocentré du pays s’appuyant sur l’industrialisation et voulaient que le Brésil adopte une position plus neutraliste dans le système international, jouant à son profit du conflit entre les deux superpuissances à l’image de Nasser en Égypte ou de Nehru en Inde. Si les premiers étaient favorables au Portugal et à sa politique anticoloniale, les seconds ne s’intéressèrent qu’aux relations entre les deux pays qu’à la fin des années 1950 suite à la crise que connut le café brésilien, concurrencé notamment par le café provenant de l’Angola, et aux remous provoqués par l’asile du général Humberto Delgado, candidat de l’opposition aux élections présidentielle de 1958, dans l’ambassade du Brésil à Lisbonne en janvier 1959. Gérant subtilement ces antagonismes afin de se placer en position d’arbitre, Kubitschek concilia les intérêts et les revendications de ces deux pôles – qui étaient loin d’être homogènes. Mais concernant les relations du pays avec le Portugal, il prit résolument le parti des occidentalistes, fervents défenseurs du Portugal de Salazar.
3Toutefois, la démonstration de l’auteur ne convainc pas pleinement. Les raisons et les motivations de l’action prolusitanienne de Kubitschek et des « occidentalistes » du ministère des Affaires étrangères ne sont pas assez profondément analysées. On ne comprend pas cette politique si, comme l’auteur inspiré de la théorie réaliste des relations internationales, on postule qu’au sein du système international, les États, dans leurs relations avec les autres États, cherchent fondamentalement à défendre leurs propres intérêts. Or, le Brésil était clairement perdant dans cette relation bilatérale. Il ne gagnait pas de marchés au Portugal ni dans ses colonies ; il s’éloignait diplomatiquement des pays issus de la décolonisation comme l’Inde ; il divergeait de la position anticolonialiste prônée par les États-Unis (alors que les occidentalistes défendaient une étroite coopération avec Washington) ; il appuyait une dictature en opposition avec les valeurs démocratiques. Certes, l’auteur répond à cette énigme en mettant en avant l’inclination lusophile de Kubitschek, son admiration pour Salazar, le poids des lobbies portugais au Brésil, l’irradiation de la pensée de Gilberto Freire mettant en exergue l’originalité de la colonisation portugaise dont le Brésil serait le résultat exemplaire, et l’action de la diplomatie portugaise qui entreprit une action de charme efficace auprès de la diplomatie, de la presse et du monde intellectuel brésiliens à coup de décorations officielles, d’invitations au Portugal (métropolitain et colonial) agrémentées de cérémonies pompeuses. Pour mieux saisir l’appui du gouvernement brésilien au Portugal de Salazar, la politique de séduction et de récompenses matérielles et symboliques conduite par les autorités portugaises aurait probablement mérité d’être traitée de façon plus approfondie. L’analyse des cérémonies préparées par les autorités portugaises, des sociabilités lusophiles, des effets de diffusion de cette propagande à peine voilée au sein de la société brésilienne et surtout de l’élite aurait peut-être mieux permis de décrypter la politique paradoxale du Brésil vis-à-vis du Portugal. Une étude plus sociologique des acteurs en présence aurait également été pertinente. Le clivage occidentaliste/nationalistes ne résultait-il pas d’une division au sein de l’État brésilien, division se fondant pour partie sur les origines sociales, la formation, les parcours, les positions, les intérêts et les stratégies des différents acteurs du champ politique et diplomatique ? Cette sociologie des acteurs aurait peut-être alors permis de dépasser la rhétorique de l’affectivité et comprendre les ressorts plus profonds de l’appui au Portugal. De même, une étude du champ culturel et médiatique brésilien aurait pu aider à comprendre pourquoi le lobbying exercé par le Portugal a pu obtenir un tel succès. Ces points auraient alors pu expliquer comment l’élite d’un pays mena une politique qui allait contre certains de ses intérêts et cela sans contrepartie apparente, si ce n’est les rétributions matérielles et immatérielles que certains agents reçurent de l’État portugais.
- 1 Y. Léonard, « Salazarisme et lusotropicalisme, histoire d’une appropriation », Lusotopie, 1997 : 2 (...)
4Ce livre souffre enfin d’un manque d’actualisation depuis son achèvement sous forme de thèse, en 1994. Or, entre 1994 et 2003, la bibliographie mettant en lumière des sujets traités par l’auteur s’est grandement élargie et des fonds d’archives importants ont été mis à la disposition des chercheurs, du moins au Portugal. Certains passages du texte apparaissent, lorsqu’ils sont lus à la lumière d’œuvres publiées depuis 1994, dépassés ou limités. C’est le cas notamment de l’étude de la réception et de l’instrumentalisation de l’œuvre de Gilberto Freire par le régime salazariste. L’auteur tend à faire de la réception de l’œuvre de Freire au Portugal un processus linéaire, les thèses de l’auteur emportant d’emblée un bon accueil dans le Portugal salazariste car elles permettaient de légitimer le maintien de l’empire colonial. Or l’élite du Portugal salazariste a d’abord été dubitative, si ce n’est opposée, aux thèses de Freire exaltant le penchant des Portugais au mélange interracial. Ce n’est que progressivement, dans les années 1950, que le régime, au premier rang duquel Salazar, s’accapara de l’œuvre de Freire et la transforma en une espèce d’idéologie d’État1. De même, l’auteur n’a recours qu’aux sources du ministère des Affaires étrangères portugais et brésilien. Or, depuis 1994, d’autres archives portugaises essentielles sont devenues consultables pour les historiens. Ce sont le cas des archives d’António de Oliveira Salazar déposées à la Torre do Tombo qui comptent les documents les plus importants pour l’étude de l’Estado Novo et donc des relations luso-brésiliennes. Par exemple, les correspondances que les ambassadeurs portugais au Brésil envoyaient au président du Conseil, sans passer par le ministère des Affaires étrangères, ou les courriers que les autorités brésiliennes pouvaient envoyer directement à Salazar apporteraient, sans aucun doute, des éléments essentiels à la compréhension des relations entre les deux États.
5Au final, ce travail clair et de facture classique offre une intéressante contribution à l’histoire diplomatique brésilienne, portugaise et aux relations entre les deux pays. Cependant, l’absence d’une étude fine des acteurs de cette politique et la non-utilisation d’importants fonds d’archives portugais et brésiliens lui donnent le statut d’un premier éclairage sur un sujet appelant d’autres approfondissements.
Notes
1 Y. Léonard, « Salazarisme et lusotropicalisme, histoire d’une appropriation », Lusotopie, 1997 : 211-226 ; C. Castelo, O modo português de estar no mundo. O luso-tropicalismo e a ideologia colonial portuguesa (1933-1961), Porto, Afrontamento, 1999.
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Référence papier
Victor Pereira, « Williams da Silva Gonçalves, O realismo da fraternidade Brasil-Portugal. Do tratado de Amizade ao caso Delgado », Lusotopie, XV(1) | 2008, 213-216.
Référence électronique
Victor Pereira, « Williams da Silva Gonçalves, O realismo da fraternidade Brasil-Portugal. Do tratado de Amizade ao caso Delgado », Lusotopie [En ligne], XV(1) | 2008, mis en ligne le 09 mars 2016, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/851 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01501017
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