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La recherche : Indiens des cinq colonisations d'Afrique orientale. Mobilités et identités en diaspora de 1870 à nos jours
Les Indiens d'Afrique orientale et centre orientale

Identités disséminées.

Musulmans d’origines indopakistanaises en Afrique orientale
Identidades disseminadas. Muçulmanos de origem indo-paquistanesa na Àfrica oriental
Disseminated Identities. Muslims of Indo-Pakistani origin in East Africa.
Jean-Claude Penrad
p. 125-140

Résumés

Après un rappel sur l'insertion des sociétés plurielles d'Afrique orientale dans des dynamiques de longue durée, une rapide exposition de la complexité humaine, sociale et religieuse caractérisant les communautés musulmanes locales d'origines indopakistanaises nous introduit à la reconnaissance d'une dissémination identitaire, de modulations individuelles des appartenances affichées ou subies. Les domaines du politique, de l'économie comme du religieux nourrissent l'émergence des liens sociaux multiples, de cercles d'appartenance plus ou moins pérennes. Le développement de l'itinéraire de vie d'une personnalité chi'ite isma'ilienne intervient dans le discours afin d'expliciter ce thème des identités disséminées débouchant sur le constat d'une conjugaison de la mémoire, des temporalités et des pratiques sociales.

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Texte intégral

1Bien avant le partage colonial de l’Afrique et sa consécration par la construction des États indépendants, le facteur d’intégration des îles et rivages de l’océan Indien occidental réside dans les processus mis en œuvre, depuis des temps lointains, par les échanges commerciaux, par la fluidité océanique, celle du savoir-faire des navigateurs et des négociants. Les « sociétés du ressac » (Penrad 1994) dispersées sur le pourtour de l’océan, façonnées et rythmées par l’horlogerie naturelle des moussons, figurent concrètement les dynamiques associées aux rencontres des peuples du continent africain avec ceux de leur outre-mer, ceux d’un horizon lointain inscrit dans la longue durée.

  • 1  Le bois d’œuvre utilisé à Sumer, dans le Shatt al-Arab et à Bahreïn, pour la construction navale n (...)
  • 2  Anonyme, 1995 : 119-120 : « Le jour de Pâques [15 avril 1498] les Maures que nous tenions captifs (...)
  • 3  Anonyme, 1995 : 123 : « […] le roi envoya aussitôt un pilote chrétien, et le capitaine libéra le s (...)
  • 4  Nestoriens de rite chaldéen.

2Il est certain que des navigateurs originaires des régions aujourd’hui réparties entre l’Inde et le Pakistan ont participé de longue date à ces échanges. Dès les temps reculés de Sumer, nous savons, à la lumière des travaux des archéologues et des épigraphistes, que les habitants des côtes nord-ouest du sous-continent indien commerçaient avec les rives du golfe Persique, de la « mer inférieure »1 (Alster 1983 : 50-51). Le sud de l’Arabie, la mer Rouge et probablement l’Éthiopie étaient déjà intégrés aux horizons de cette navigation antique. Lorsque les Portugais arrivent pour la première fois sur la côte swahilie, ils mentionnent la présence d’Indiens, qu’ils qualifient à tort de chrétiens lors du premier voyage de Vasco de Gama2. Le sultan de Malindi leur enverra l’un d’eux qui leur servira de pilote pour les conduire à Calicut, sur la côte Malabar, au sud de Goa, par la voie directe, transocéanique3. Par la suite, nous savons que des Goanais, christianisés par les Portugais ou rattachés par la contrainte à l’église de Rome alors qu’ils appartenaient à la branche syro-malabar de la chrétienté4, seront employés comme clercs et artisans là où les places fortes lusitaniennes sont établies sur la côte africaine, comme à Mombasa ou sur l’île de Mozambique.

  • 5  Les articles de synthèse de Alpers (1976) et de Subrahmanyam (1995) nous permettent d’apprécier le (...)

3Jusqu’au xixe siècle, nous disposons de peu de données et de trop rares études qui pourraient nous informer sur les mouvements de populations du sous-continent indien ayant bénéficié des circuits océaniques et notamment de leur présence sur les côtes africaines5. L’activité de commerçants du Sindh, puis du Kutch, est attestée en Oman où des temples hindu ont été construits dès le xve siècle et où des Luwâtiyya (pl. de Lûtî), Khoja shi’ites isma’iliens originaires du Sindh sont présents depuis au moins le xviiie siècle (Allen, 1981). Ces positions doivent beaucoup au réalisme politique des commerçants. Ils avaient soutenu la dynastie des Ya’âriba contre les Portugais, puis s’étaient tenus à l’écart des conflits qui avaient accompagné la prise du pouvoir par les al-Busaidi, au milieu du xviiie siècle. Les visées commerciales du Sultan Sayyid Said (n. 1791 - r. 1806 - m. 1856) et notamment sa volonté de contrôler l’accès direct aux denrées (esclaves, clous de girofle, ivoire) le conduiront à transférer sa capitale de Masqat à Zanzibar, attirant avec lui des négociants et des créanciers indiens alors que d’autres profiteront de la dispersion du pouvoir, entre l’Arabie et l’Afrique, pour dominer les circuits financiers de Oman. Ses successeurs encourageront également ces nouveaux arrivés, d’abord employés de firmes commerciales du Gujarat fuyant les conditions de vie désastreuses qui étaient les leurs dans leur région d’origine, ensuite parents des précédents venus renforcer des entreprises qui développent leurs activités et s’étendent sur le continent africain, puis travailleurs sous contrat acheminés jusqu’en Afrique pour participer à la construction des infrastructures coloniales. En moins d’un siècle, de nouveaux acteurs, des gens de diverses religions, disséminés en communautés plus ou moins stables sociologiquement, des Hindu, des Jain, des Parsi, des Sikh, des Goanais chrétiens et des Musulmans, vont participer aux bouleversements socio-économiques et politiques qui affectent l’océan Indien occidental.

Anatomie d’une dispersion

4Différents arguments peuvent être avancés pour reconnaître les groupes humains touchés par une dispersion en provenance directe, ou par ricochet, du sous-continent indien, et qui se trouvent ainsi naturellement engagés dans l’histoire africaine contemporaine. L’origine régionale, les critères sociaux et culturels, comme l’appartenance religieuse, peuvent être pris en compte.

  • 6  Au Caire, les Bohra ont restauré la mosquée al-Hakîm, lieu hautement symbolique de l’histoire fati (...)
  • 7  Il est vrai que les photographies de personnalités bohra qui nous sont parvenues révèlent que les (...)

5Les identités régionales se vérifient dans les regroupements d’intérêts ou associatifs qui ont marqué la période coloniale et qui perdurent encore aujourd’hui. Provenir du Penjab, du Sindh, du Kutch, de Surat où du Konkan qualifie parfois des formulations communautaires. Les arguments sociaux et culturels, notamment linguistiques, se combinent naturellement avec la référence géographique. Ainsi les Surati et les Penjabi parlent l’urdu, alors que les Memons et les shi’ites originaires du Gujarat utilisent le gujarati comme langue maternelle et souvent comme idiome professionnel, notamment dans la tenue des livres de comptes et dans les échanges épistolaires entre partenaires commerciaux, indépendamment de la confession. Les coutumes matrimoniales, comme la pratique d’une endogamie plus ou moins rigoureuse, fournissent un indicateur du degré d’intégration ou d’ouverture communautaire. Le contexte et la fréquence des mariages exogames peuvent dans certains cas révéler l’affaiblissement d’un groupe ou bien sa capacité à intégrer, à des degrés divers, les conjoints (essentiellement des femmes) et surtout la descendance née de ces mariages. Les coutumes vestimentaires particulières, occasionnelles, affichées seulement lors d’évènements festifs et cérémoniels, ou permanentes, et les traditions culinaires qui, au-delà des influences régionales (entre le Gujarat, le Penjab et le Konkan par exemple), intègrent parfois des notions de pureté participant aux mécanismes d’intégration/exclusions, figurent parmi les repères les plus visibles de l’étalonnage communautaire. Les Bohra donnent ainsi une bonne illustration de ces deux repères culturels. Le vêtement, très caractéristique, des femmes affichant un comportement respectueux des traditions d’origine invoquées, et celui des hommes, porté surtout aux moments des obligations religieuses et des cérémonies communautaires, sont des marqueurs non équivoques. Par ailleurs, la conception qu’ils ont de la pureté, probablement héritée des traditions indiennes, se manifeste dans l’attachement à se nourrir d’une cuisine qui préserve la personne d’une corruption par ingestion des aliments considérés comme impurs6. Différemment, les autres isma’iliens, ceux partisans de l’Aga Khan, notamment depuis les directives de Sultan Mohammed Shah, le grand-père de l’actuel imam isma’ilien, évitent tout comportement communautaire affiché, ostentatoire. Aussi, ils adoptent publiquement les coutumes vestimentaires du pays où ils vivent. Dans le contexte du Sultanat de Zanzibar, il est donc naturel de voir sur les photographies de l’époque que les notables isma’iliens portent le vêtement omanais, alors que pendant la période coloniale et ceci jusqu’à aujourd’hui les tenues occidentales sont adoptées7. Il reste, cependant, que, dans le cadre fermé des manifestations communautaires, les notables, mais aussi les gens ordinaires, revêtent des habits figurant une tradition originale, une identité propre reliée à une histoire minoritaire au sein du monde musulman, depuis l’époque fatimide.

  • 8  Le troisième courant, celui des kharédjites, représenté en Afrique orientale par les Arabes omanai (...)
  • 9  Leur courant religieux est aussi connu sous le nom de Ahmadiyya.

6L’argument religieux, à côté de ceux qui viennent d’être brièvement évoqués, apparaît comme le plus déterminant, comme le plus permanent. Indépendamment des ensembles humains constitués autour des religions autres que l’islam, un grand nombre de groupes musulmans peuvent être identifiés, témoignant à la fois d’une longue histoire tourmentée du monde de l’islam et des caractéristiques sociales des sociétés du sous-continent indien affectées par les différents modes de conversion mis en œuvre à travers les siècles. Deux des trois grandes branches historiques qui divisent l’umma musulmane sont représentées dans l’océan Indien occidental et en Afrique orientale et australe : le shi’isme et le sunnisme8. Il conviendrait d’ajouter un groupe marginal combattu par les autres musulmans, celui des qadiani, revendiquant cependant son appartenance à l’islam, en dépit de l’accusation d’hérésie dont il fait l’objet9.

  • 10  L’islam sunnite est divisé en quatre écoles juridiques, madhâhib (sing. madhhab), déterminant les (...)
  • 11  Le travail de Cynthia Salvadori (1983) présente une description détaillée des différentes communau (...)
  • 12  Le principal contractant de main-d’œuvre indopakistanaise, pour le compte de l’Imperial British Ea (...)

7Le sunnisme, branche majoritaire au niveau mondial, et très prosélyte à travers l’action de certains groupes politico-religieux, à prétentions hégémoniques, est représenté par une grande diversité communautaire. En Afrique orientale, la plupart des musulmans sunnites d’origine indopakistanaise se rattachent à l’école hanafite10, exceptés les Kokni, peu nombreux et dont les ancêtres sont natifs du Konkan, qui eux sont de rite shafi’ite comme la grande majorité de leurs coreligionnaires africains ou arabo-swahili11. Les Baloutches, surtout présents au Kénya, anciennement employés comme personnel militaire par les sultans de Mombasa et de Zanzibar, forment une petite communauté qui à Mombasa s’est regroupée tardivement autour d’une structure associative, à vocation essentiellement culturelle. Dans cette ville, la mosquée, connue comme baloutche, a été construite en 1875, avec leurs fonds propres, pour remplacer celle, voisine, qui avait été bâtie, pour l’usage de ses soldats, par Mbaruk b. Rashid al-Mazrui. Depuis la colonisation britannique et la perte de leurs positions militaires, les Baloutches n’ont pas vraiment bâti une organisation communautaire favorisant leur reproduction en tant que groupe spécifique. Ils n’ont pas construit d’édifices particuliers et remplissent leurs obligations religieuses en se mêlant avec les autres musulmans. Il en est de même pour les Penjabi, arrivés pour la plupart comme travailleurs sous contrat afin de participer à la réalisation de grands travaux, comme celui de la construction du chemin de fer Mombasa-Ouganda12. Ils n’ont pas développé de structures communautaires et utilisaient à l’origine les mosquées construites le long de la voie ferrée, avant de se confondre avec le reste de la population musulmane, dans les régions et les quartiers où ils sont établis. Les Surati, originaires du district du Surat, représentent un cas limite. Leur importance démographique est faible et leurs liens avec l’Inde se sont rapidement espacés. Locuteurs d’Urdu, à leur arrivée, ils sont devenus polyglottes. Beaucoup exercent des fonctions religieuses (enseignants de madrassa, gardiens ou imams de mosquées) à côté de métiers intermédiaires tels que ceux de clercs, d’épiciers, de techniciens ou de comptables. Ils ne se sont pas regroupés en associations communautaires, mais en revanche ils sont très actifs dans des organisations qui mettent en avant l’unité du monde musulman. Chez eux les intermariages sont fréquents avec des Arabes, des Penjabi ou des Swahili et ils se fondent parfois dans d’autres groupes perméables, comme les Penjabi et les Kokni (bien que ces derniers soient shafi’ites). Occasionnellement ils se retrouvent dans les communautés memon et cutchi, du fait de relations de voisinage ou religieuses étroites ou à la suite d’alliances exceptionnelles. Au Kénya, ils sont parfois présentés, dans un contexte communautariste accentué, comme le modèle de la « non-communauté ». Il en va différemment des autres groupes sunnites qui se sont dotés des infrastructures et des cadres leur permettant de pérenniser localement des systèmes sociaux en harmonie avec leurs traditions d’origine.

  • 13  Leur nom provient de momeen, signifiant « croyants ».
  • 14  Cette tendance pouvait être vérifiée jusqu’à ces dernières années. Désormais l’usage d’internet au (...)

8Les Memon et les Cutchi ont transposé en Afrique, dans la distribution des cimetières et des mosquées, comme dans les regroupements résidentiels et associatifs, l’éclatement communautaire qui les caractérise. Les Memon13 proviennent du Sindh. Ils descendent de populations de caste Lohana converties à l’islam et se dispersent en trois groupes identifiés au Kénya par Cynthia Salvadori : les Memon Halai (de Kathiawar), les Memon Cutchi (de Akai) et les Memon Nasserpuri (du Cutch), ces derniers étant les plus nombreux. Dès leur arrivée, au xixe siècle, ils se sont préoccupés de fixer leur présence sur les territoires où ils se sont établis en acquérant des terrains pour enterrer leurs morts et bâtir des mosquées, avant même d’organiser la vie quotidienne autour de quartiers plus ou moins réservés, là où c’est possible. Les pratiques endogames assez strictes nécessitent de maintenir vivant les réseaux régionaux, jusqu’au sous-continent indien et plus tard vers le Royaume-Uni ou l’Amérique du Nord où sont maintenant établies des communautés importantes. Localement, le conseil des aînés ou des chefs de famille, a souvent laissé place à des associations dirigées par un secrétariat et un président élus. Les Cutchi, originaires du Cutch, sont dispersés en une vingtaine de communautés homogènes reproduisant un modèle de castes ayant survécu à leur conversion à l’islam. Parmi eux, les Badala, originellement constructeurs de bateaux et pêcheurs, et les Khumbar, potiers et transporteurs, sont notamment très présents à Mombasa et à Zanzibar. Théoriquement, les mariages sont interdits entre les différents groupes qui au Kénya sont rassemblés en cinq associations, quatre pour chacune des « castes » démographiquement les plus importantes, et une regroupant toutes les autres. Cependant, malgré le fort marquage identitaire de ces groupes, l’éloignement du sous-continent indien et leur faiblesse démographique les ont progressivement amenés à assouplir les règles matrimoniales14, au moins pour les familles les moins riches, et à partager les édifices religieux qu’ils ont pu édifier, comme la mosquée Badala de Mombasa qui est maintenant une mosquée comme une autre fréquentée par tous les habitants du quartier.

  • 15  Le courant isma’ilien est apparu après la mort de l’Imam Ja’far as-Çâdiq (765), suite à la querell (...)
  • 16  Ashgar Ali Engineer (1980 : 232-292) propose une analyse de ces mécanismes communautaires en relat (...)

9Les shi’ites présents dans l’océan Indien occidental se répartissent en trois groupes principaux, deux isma’iliens et un duodécimain. Les Bohra, isma’iliens musta’lites ou da’udites15, seraient arrivés très tôt dans la région, il y a environ deux-cent cinquante ans. Leur origine religieuse remonte à l’époque fatimide, au début du xiie siècle. Petits commerçants pour la plupart, provenant du Gujarat et de Bombay où certains subissent la pauvreté, ils sont contraints à la migration parfois sur le conseil de parents dont ils dépendent. Ils s’établissent d’abord dans les cités insulaires et côtières, Kisimayo, Lamu, Mambrui, Malindi, Mombasa, Zanzibar, Bagamoyo, Moroni, Madagascar, île Maurice avant de suivre les voies de pénétration caravanière à l’intérieur du continent où ils multiplieront des relais commerciaux sur lesquels s’articulent leurs réseaux diasporiques. La constitution de ces noyaux communautaires procède d’une logique partagée par beaucoup de groupes humains dispersés, comme il a déjà été dit plus haut. Dès la réunion, en un même lieu, de quelques familles, d’un ensemble de quelques dizaines d’individus, ceux-ci contribuent, selon leurs moyens, à l’achat de terrains destinés à l’ouverture de cimetières, à la construction d’une mosquée et éventuellement de bâtiments à usages communautaires. Comme pour les Memon, il est fréquent que l’habitat soit regroupé dans des quartiers particuliers et même très circonscrits, avec un accès par un point d’entrée unique comme c’est le cas à Mombasa pour ce qu’il est convenu d’appeler le « ghetto » bohra, là où vivent jusqu’à cent-cinquante familles. Localement, les Bohra créent une jamaat, une organisation centralisée, décidée ou approuvée par le Dâ’î al-mutlaq qui désigne ceux qui seront élus dans les jamaat les plus importantes et confirme l’élection des autres. La place centrale du Dâ’î, parfois mise à mal par des réformistes qui se sont manifestés tout au long de l’histoire de ces isma’iliens, est renforcée depuis que certains Bohra ont réussi à acquérir une envergure financière qui les autorise à doter leur guide de moyens lui permettant de renforcer son autorité sur le Dawat-e hadiyah (la Mission unifiée), représentant l’ensemble des jamaat dispersées dans le monde, et de visiter régulièrement ses fidèles là où ils sont établis16. Ces voyages sont l’occasion d’organiser périodiquement des cérémonies, telle celle du misaq, du vœu d’allégeance à l’Imam al-Tayyib par le canal de la personne du Dâ’î, que les jeunes des deux sexes prononcent à la puberté. Le premier déplacement du Dâ’î en Afrique orientale est intervenu en 1963. À cette occasion, le chef spirituel de la communauté bohra a conseillé à ses disciples de prendre la nationalité des pays accédant à l’indépendance, suite au processus de décolonisation engagé à cette époque.

  • 17  Voir note 15 pour le rappel du schisme marquant la première séparation d’avec les Bohra.
  • 18  Respectivement neveu et fille du Prophète de l’islam.
  • 19  Terme d’origine persane signifiant « seigneur » et désignant les membres d’une caste musulmane iss (...)

10L’autre groupe isma’ilien est celui qui, à l’époque fatimide, réunissait les partisans de Nizar, écarté du califat fatimide et mort emprisonné17. Connus comme isma’iliens nizarites, ils considèrent que leur Imam, descendant de ‘Ali et de Fatima18, actuellement Karim Aga Khan, est toujours vivant, contrairement aux autres shi’ites qui font intervenir la mise en occultation (satr) du dernier Imam. En Afrique orientale, la combinaison de réussites commerciales individuelles remarquables avec une organisation communautaire efficace, renforcée au début du xxe siècle par l’Imam Sultan Mohammed Shah, grand-père de l’actuel Aga Khan, a permis la construction d’un ensemble socio-religieux très structuré, articulé localement avec les autres composantes isma’iliennes à travers le monde (Penrad 1988a). Cette communauté est un modèle de réussite ayant développé des institutions religieuses, sociales, éducatives et culturelles destinées à son usage propre, puis pour certaines, depuis les années 1960, intervenant en partenariat dans des projets économiques et humanitaires régionaux et nationaux. Le soucis des isma’iliens nizarites, notamment ceux des khoja19 originaires du sous-continent indien, a toujours été de concilier le maintien, voire le renforcement, du lien communautaire avec une insertion déterminante dans la modernité économique et sociale, tout en se préservant de toute stigmatisation politique, sociale et religieuse. Ce dernier point, historiquement fondé par une situation de minorité souvent persécutée, depuis l’époque fatimide au xie siècle, est manifeste dans leur mode de paraître au monde. Celui-ci relève de la discrétion, voire de l’évitement, en privilégiant des comportements vestimentaires et culturels conformes à ceux qui dominent dans la société où ils vivent. Il renvoie à la notion arabo-musulmane de taqîya, de précaution voire de dissimulation, licite en islam pour préserver la transmission de la croyance, comme l’avait été en son temps l’hijra, l’émigration à Médine pour fuir l’oppression des Mekkois. En un sens, la taqîya est une migration mentale, comportementale, pour se préserver collectivement des menaces pouvant émerger soudainement au sein des groupes dominant politiquement ou culturellement.

  • 20  Ce sujet émerge souvent dans des discussions privées qui concernent des événements familiaux remon (...)

11Autres composantes de la diversité humaine des cités swahili, des shi’ites ithna’asheri, originaires du golfe Persique, des marins ou militaires à la solde du sultan de Zanzibar, étaient présents en petit nombre en Afrique orientale, avant que n’apparaissent sur la scène locale leurs coreligionnaires du sous-continent indien. Ceux-ci, d’origine khoja, ne se sont rattachés à la branche shi’ite ithna’asheri de l’islam que très récemment. Suite à l’arrivée en Inde, en provenance de Perse, du premier Aga Khan, une contestation du leadership de l’Imam isma’ilien, s’est développée à Bombay dès la première moitié du xixe siècle. Des opposants, en pèlerinage à Najaf, font part à un mujtahid de cette cité sainte, le Sheykh Zein ul-Abidîn Mazandarani, de leur intérêt pour recevoir chez eux un enseignant en religion. Ainsi, une collectivité, comprenant de riches commerçants de Zanzibar, se constitue en groupe schismatique autonome à partir de rencontres, à Bombay, avec Mullah Qadir Hussein, le missionnaire envoyé par le sheykh Mazandarani. Cette fréquentation les a conduits à rejoindre la branche duodécimaine du shi’isme alors que leur refus de renouvellement d’allégeance à l’Aga Khan avait entraîné leur exclusion des institutions communautaires et des édifices religieux. Les conditions conflictuelles d’émergence de ce nouvel ensemble vont, pendant des décennies, parasiter les relations humaines au sein des khoja. Des familles se sont en effet trouvées divisées entre deux ensembles religieux, organiquement en devenir « communautaire » séparé. Ainsi, les règles régissant les alliances matrimoniales, endogamiques, au sein de l’ensemble khoja s’en trouveront perturbées20. Une nouvelle endogamie s’est-elle imposée malgré une parenté commune, à quelle génération ? Ce qui est sûr, c’est que la naissance conflictuelle de cette nouvelle communauté confessionnelle va laisser des traces centrifuges pendant plusieurs décennies. Alors que des jamaat, des organisations communautaires se constituent, partout en Afrique orientale et à Madagascar, où des familles khoja en rupture avec l’Aga Khan sont installées, à Zanzibar, comme à Mombasa, des rivalités conduisent à l’édification de mosquées et d’associations rivales. Il faudra attendre, dans un premier temps la création de la Federation of Khoja Shia Ithna’asheri Jamaats of Africa, en mai 1946, avant que les dernières divisions soient surmontées, une vingtaine d’années plus tard.

12De la dissémination économique et politique.

13Historiquement, les individus et les groupes d’origine indopakistanaise, au-delà d’une activité commerciale intense, pour certains, et de l’occupation de métiers intermédiaires (clercs, artisans, soldats et policiers, techniciens et manœuvres), pour d’autres, s’insèrent fermement dans le tissu économique et s’inscrivent dans les évolutions politiques de la région. Durant la colonisation, comme pendant la période postcoloniale, certains, individuellement ou collectivement, démontreront leur capacité d’intervenir dans le développement économique et social, aussi bien que politiquement. Parallèlement à leur implication dans des activités de consolidation communautaire et à leurs efforts d’enrichissement, ces communautés laisseront émerger des personnalités qui œuvreront pour des idéaux, des projets et des rapprochements orientés ailleurs que vers leur groupe social ou religieux d’origine. Les vecteurs de ces ouvertures identitaires nouvelles se situent dans les domaines du politique, de l’action sociale, du développement économique, de l’information et de la culture, voire du religieux.

  • 21  Les Parsi sont des zoroastriens. Bien que numériquement moins présente, historiquement, que celles (...)

14J’ai montré ailleurs (Penrad 1988a et 1988b), de façon marginale, pour ce qui est des isma’iliens nizarites et dans une moindre mesure pour les ithna’asheri, les implications de personnalités appartenant à ces communautés dans les processus de développement économique de la région, à partir de positions commerciales entrepreneuriales. Les exemples de Sewa Haji Paroo, à Bagamoyo, de Tarya Topan, à Zanzibar, et de Allidina Visram, à Mombasa et en Ouganda, tous trois nizarites, sont bien connus pour ce qui est de l’évolution du commerce caravanier, de l’établissement de fondations charitables, destinées aux nouveaux migrants du sous-continent indien et aux porteurs, ou du développement de l’éducation scolaire, notamment par l’aide apportée aux Pères du Saint Esprit, à Bagamoyo, ou par le financement d’un établissement de Mombasa. Ici je me limiterai à d’autres itinéraires, pour compléter l’argumentation de mon point de vue. Ainsi, entre autres, la vie d’Alibhai Mulla Jeevanjee (Patel 1997) constitue un exemple remarquable de la capacité de certains de jouer, par choix ou contrainte, de la diversité humaine qu’ils ne manquent pas d’aborder, entre fidélité à leur entourage familial, religieux, communautaire, et engagement dans leur époque, localement ou globalement. La vie de chacun se construit dans le proche, dans le cadre de la famille, plus ou moins étendue il est vrai, avec ses obligations, ses cadres conceptuels articulés à des ensembles plus vastes, économiques, sociaux, culturels et religieux. Elle s’insère dans une quête inégale, celle du confort matériel, de l’aisance pour soi et les siens, et participe ainsi au bien-être des groupes d’appartenance, c’est-à-dire à leur capacité de survie, de reproduction dans des cadres identitaires propres. Ce faisant, la recherche d’une réussite économique, même justifiée par l’enrichissement personnel et collectif « proche », implique, non sans contradictions ou compromissions, des engagements commerciaux, politiques et sociaux, beaucoup plus étendus que ceux circonscrits aux groupes d’appartenances confessionnelles ou communautaires. Ainsi, comme beaucoup d’autres, Allidina Visram, grand commerçant et entrepreneur isma’ilien travaillait-il avec des partenaires indopakistanais d’origines autres que la sienne, comme par exemple avec Sorabji Manekji Darukhanwalla, un Parsi21 dont le frère, Bamanji Manekji Darukhanwalla, a travaillé pendant 33 ans pour le gouvernement de Zanzibar avant de se retirer à Bombay. L’insertion dans l’édification de l’Empire colonial britannique, les combats politiques pour la dignité humaine et contre les clivages sociaux institués par les acteurs européens de la colonisation participent aux domaines ouverts à la dissémination identitaire.

15A.M. Jeevanjee est né en 1856, à Karachi, cité portuaire du Sindh, dans une famille bohra très religieuse. Son habilité commerciale est d’abord mise en œuvre et rodée en Australie, où il part en 1886, autant pour tenter sa chance que, déjà, pour s’émanciper des contraintes familiales, trop astreignantes. Là-bas, il s’impose comme un partenaire efficace des Anglo-Saxons engagés dans le développement économique local. Après un retour à Karachi, sous la pression de sa famille qui avait arrangé son premier mariage (il avait trente ans), les contacts noués avec des hommes d’affaires britanniques, lors de sa première expérience d’expatrié, seront très utiles lors de son arrivée à Mombasa, en 1890. Deux ans auparavant, en avril 1888, alors que les Allemands renforçaient leur présence au Tanganyika et que la présence commerciale française, américaine et italienne était toujours active, une charte royale avait concédé à l’Imperial British East Africa Company (IBEAC) la prise en charge administrative et coloniale des territoires d’Afrique orientale sous influence britannique. En juin 1895, le Foreign Office reprendra le contrôle direct de cette région, en instituant l’East Africa Protectorate. De fait l’IBEAC, présidée par William Mackinnon, un Écossais dirigeant la British Steam Navigation Company, ne dispose pas de moyens humains et financiers suffisants pour mener à bien son projet colonial. Dès lors, l’apport de main d’œuvre et de compétences indiennes, déjà manifeste dans le cadre du Sultanat de Zanzibar et de ses dépendances, permettra de résoudre des problèmes d’intendance, de crédit et de logistique. Dans ce contexte, et comme en Australie, A.M. Jeevanjee sera mis à contribution. Il fera montre d’efficacité et d’initiative. Georges Mackenzie, administrateur de l’IBEAC, en fait un partenaire important de son dispositif. Il lui confie la responsabilité d’assurer le ravitaillement régulier de la main d’œuvre employée par la Compagnie, notamment celle d’origine indienne, en même temps qu’il lui concède des compétences dans les activités portuaires (arrimage, déchargement, approvisionnement des navires). En 1892, l’importation de chameaux, pour assurer le transport de cargaisons vers l’intérieur du continent, alors que le chemin de fer n’est encore qu’un projet, sera expérimentée par A.M. Jeevanjee mais échouera du fait de la révolte conduite par Mbaruk b. Rashid al-Mazrui et de la capture de ces animaux par les insurgés.

16L’expérience acquise par A.M. Jeevanjee du temps de l’IBEAC, et la reconnaissance de son travail, de sa fiabilité, par des officiels, feront, qu’après l’instauration du Protectorat, il se verra confier la tâche délicate (surtout du côté indien) de recruter une main-d’œuvre indienne sous contrat, employée à la construction du chemin de fer destiné à relier Mombasa à l’Ouganda. Les premiers travailleurs débarqueront en janvier 1896. Les contrats, dont l’échéance est prévue en 1900, seront parfois prolongés jusqu’en 1903. Dans cette affaire, au-delà du recrutement, il s’agit pour A.M. Jeevanjee de fournir aussi, contractuellement, les rations des employés et d’approvisionner le chantier, ceci tout au long du trajet, au fil des mois et des années que durera cette entreprise. Il devient ainsi un partenaire de premier plan de l’installation coloniale britannique, au Kénya notamment. Au moins pendant un temps, les premières années, son action s’identifie-t-elle intimement à ce projet, sans état d’âme. Son sens des affaires et son efficacité, à côté des lacunes de l’administration coloniale naissante, font qu’il occupe des positions commerciales, puis industrielles, de plus en plus importantes et convoitées. Alors qu’il acquiert de l’envergure et, d’une certaine manière, de l’influence, il devient la cible de la jalousie de ses rivaux, toutes communautés confondues, mais surtout de membres de la nouvelle classe de colons qui n’ont ni les compétences, ni les réseaux, ni les finances pour rivaliser économiquement avec lui. A.M. Jeevanjee fournira le bois et les matériaux de construction, avant d’assurer l’édification de bâtiments et d’acquérir des terres. Ainsi, à Nairobi, lorsque le chemin de fer y arrive en mai 1899, tout reste à construire et ce sont ses entreprises qui entreprendront le plus gros des premiers travaux. Il construit, sur ses deniers, un marché accessible à tous, sans ségrégation. Il bâtit également les bâtiments provisoires qui seront loués pour dix ans par la nouvelle administration (police, santé, service postal, éducation…). Il est indéniable que l’activité d’A.M. Jeevanjee, que ses nombreux voyages dans la région, en Inde, à Aden et à Londres, en font une personnalité qui s’identifie, dans un premier temps au moins, au projet colonial, économiquement. Son appartenance bohra n’apparaît que comme une facette identitaire parmi d’autres. Le soin qu’il a toujours mis à s’affranchir du carcan familial et communautaire, sans pour autant renier ses origines et les siens, atteste de sa démarche volontaire et libérale.

  • 22  Un temps associé à A.M. Jeevanjee dans une affaire de distribution de fuel, Charles Palmer, propri (...)
  • 23  Il s’agit de l’ancêtre du Standard, l’un des deux grands quotidiens kényans d’aujoud’hui, le secon (...)

17Ceci étant, pour beaucoup d’Européens installés localement, il reste, négativement, un Indien. À ce titre, sa réussite, pour ses détracteurs, ne peut qu’être associée à la corruption, considérée comme une sorte d’atavisme oriental, et à des pratiques qui ne relèveraient pas d’une « éthique » que seule garantirait l’appartenance « raciale », celle des nouveaux maîtres européens. L’identification objective d’A.M. Jeevanjee au projet historique de la colonisation, sa fréquentation des sphères européennes détentrices d’autorité, au sein des sociétés de l’Empire (Australie, Inde, Afrique), le conduisent à se considérer et à s’affirmer comme un membre à part entière de cette nouvelle sphère communautaire, celles des entrepreneurs engagés avec plus ou moins de convictions dans une phase nouvelle de la globalisation. Face à ses détracteurs, à des concurrents moins performants que lui, il comprend assez vite la place que peuvent occuper les médias dans la nouvelle société qui se construit dans les colonies, en prolongement de ce qui advient en Europe et en Inde. Son image publique devient un enjeu, et donc un paramètre à prendre en compte dans ses affaires. Il ne peut laisser ses détracteurs livrer à la collectivité, officiels et public confondus, un reflet négatif de lui-même, forgé par une presse locale naissante, hostile aux entrepreneurs indiens, les Arabes étant déjà mis hors jeu pour l’essentiel. En effet, un hebdomadaire créé à Mombasa en 1899, le Mail22, mène campagne contre lui, en se faisant le porte-voix des colons les plus ségrégationnistes, ceux qui souhaitent réserver les profits d’une prééminence économique aux seuls Européens. C’est dans ce contexte que A.M. Jeevanjee lance en novembre 1901, l’African Standard, Mombasa Times and Uganda Argus23, un journal destiné à informer ses lecteurs des nouvelles locales, commerciales, administratives et circonstancielles, mais aussi par la plume de son rédacteur de répondre aux attaques et insinuations lancées par le Mail. Celui-ci, après des aventures judiciaires sera déclaré en faillite en août 1904. Une fois abouti le conflit qui l’opposait au Mail, A.M. Jeevanjee vendra son journal en 1905.

  • 24  Samachar, Silver Jubilee Number, 1929, p. 10.

18Cet intérêt pour la presse et l’information de la part d’acteurs d’origine indopakistanaise pourrait être vérifié ailleurs en Afrique orientale. Ainsi, à Zanzibar, c’est un homme d’origine modeste, Fazel Janmohamed Master, né à Hyderabad, au Sindh, qui va conduire l’aventure d’un titre de presse, naviguant entre une formule à périodicité hebdomadaire ou quotidienne, le Samachar. Arrivé à Zanzibar, en 1890, F.J. Master travaillera d’abord comme employé des douanes, puis comme enseignant (d’où le nom de Master que sa famille conservera) avant d’investir avec un autre shi’ite ithna’asheri, Saleh Chagpar, dans une presse qu’ils devront céder assez rapidement à une firme bohra, après avoir appris le métier d’imprimeur. D’abord exclusivement rédigé en gujarati, l’hebdomadaire Islam Samachar verra le jour en juillet 1901, avec l’aide de la firme de Karimjee Jeevanjee. Par la suite, il changera partiellement de titre et ses rythmes de parution, comme ses caractéristiques linguistiques (tentatives de publier aussi avec des articles en anglais) fluctueront jusqu’à un transfert à Mombasa, en 1913. L’East African Samachar, lancé en janvier 1914, y aura une vie très courte du fait du déclenchement de la guerre, la même année. Finalement la parution reprendra plus tard à Zanzibar24. À travers cet exemple, rapidement résumé, on observe que c’est le dynamisme d’un homme qui a porté un projet de presse, à Zanzibar, orienté vers tous les locuteurs de gujarati, mais aspirant toujours à élargir son audience en introduisant plus ou moins efficacement la langue anglaise dans sa rédaction, le but étant d’atteindre le plus grand nombre de lecteurs parmi l’ensemble des résidents d’origine indopakistanaise, même ceux ne provenant pas du Gujarat. Par la suite, après la partition du Pakistan et de l’Inde, la politique éditoriale sera plus orientée du côté pakistanais.

  • 25  Jusqu’à ce qu’il l’annexe pour le transformer en Colonies en juillet 1920.
  • 26  Ces jardins et la statue existent toujours à Nairobi, malgré des tentatives récentes d’opérations (...)
  • 27  “ An appel on behalf of the Indians of East Africa ”, cité par Patel 1997 : 55.

19En dépit d’un engagement indéniable des Indiens dans le projet colonial britannique, ils apportent leur travail, leurs moyens financiers, leur capacité à entreprendre, à innover, et malgré une perception clairvoyante, par les acteurs de l’IBEAC, de leur rôle essentiel dans la réalisation de ce projet, il apparaît assez vite que les colons du Kénya, de plus en plus nombreux, rejoints par des Boers d’Afrique du sud, introduisent des règles de vie communes toujours plus discriminatoires. A.M. Jeevanjee n’acceptera pas cette évolution. À son niveau, il contribuera à la lutte politique qui conduira les représentants de l’ensemble des communautés originaires du sous-continent indien, puis les Africains, à s’opposer au pouvoir colonial. L’engagement politique d’A.M. Jeevanjee devient de plus en plus fort à mesure que ce pouvoir institutionnalise les injustices, que le Colonial Office, en charge du Protectorat d’Afrique de l’Est depuis 190525, s’aligne progressivement sur les positions racistes des colons conduits par Lord Delamere, un aristocrate extrémiste et spéculateur qui s’était accaparé des terres considérables sur les Hauts Plateaux kényans. Alors qu’en 1906 il commande une statue de la reine Victoria, pour l’installer dans les jardins qu’il offre à la ville de Nairobi26, A.M. Jeevanjee travaille dans le même temps à organiser la résistance indienne. La même année, il préside la Mombasa Indian Association qui s’insurge contre les velléités européennes d’exclusion des Asians du droit à la terre et du droit de résidence dans certains quartiers. En 1910, il occupe, jusqu’en septembre 1911, un siège au Legislative Council, malgré une opposition très forte des colons alliés au Gouverneur Girouard. Ses voyages à Londres pour intervenir auprès de certains politiciens britanniques, qu’il pense pouvoir amener à influer sur l’administration coloniale, et l’implication de la branche londonienne de la All-India Moslem League n’empêcheront pas le Colonial Office de s’aligner sur les positions ségrégationnistes. En 1912, il publiera, à Bombay, un opuscule dénonçant le traitement inégal, injuste, de ses semblables, par les autorités, et l’humiliation qui s’ensuit27. A la même époque, entre 1893 et 1914, Mahatma Gandhi, acquis au système juridique britannique, organisait déjà une résistance passive face aux injustices induites par la discrimination raciale. Le 7 mars 1914, l’East African Indian National Congress voit le jour et A.M. Jeevanjee en est le Président. Par la suite, face au durcissement colonial, il radicalise son action en soutenant Marilal Desai, un militant arrivé du sous-continent indien en 1915. Celui-ci organise l’opposition au pouvoir colonial et établit des liens avec Harry Thuku afin de l’aider à créer un mouvement africain anti-colonial. En 1921, ce dernier, à la tête de la East African Association, proclame, lors d’un meeting, son soutien aux revendications portées par les Indiens. Un front anti-colonial se constitue malgré des formulations associatives distinguant les Africains des Indiens, voire des musulmans. A la mort de M. Desai, en juillet 1926, A.M. Jeevanjee confirmera la radicalisation de son engagement. Afin de maintenir et de durcir les actions de résistance, face à un pouvoir colonial autiste, il embauchera comme secrétaire, Isher Dass, un ancien militaire originaire du Penjab, formé par le mouvement ouvrier européen et acquis aux thèses marxistes. A.M. Jeevanjee décèdera le 2 mai 1936, à 80 ans.

20De ce combat politique mené par A.M. Jeevanjee, il ressort que cet engagement l’identifie à une population qui dépasse les membres de sa communauté d’origine, les Bohra. Ses convictions et ses prises de responsabilités politiques, comme ses activités d’homme d’affaires entreprenant, l’ont conduit à construire des réseaux extérieurs à sa communauté d’origine, se surimposant à ses relations familiales étendues. Il jette des ponts en direction des premiers maîtres d’œuvre du projet colonial britannique, avant que celui-ci ne devienne le champ de manœuvre d’une bureaucratie obtuse, comme il recrute des compétences et forge des partenariats commerciaux avec des Européens et d’autres Indopakistanais. Inversement, des tensions dues, dans la première partie de sa vie, aux interventions trop pressantes de parents voulant lui imposer des comportements communautaires standardisés (concernant le mariage, l’exercice de l’autorité des aînés sur sa vie privée et ses choix professionnels), et des conflits d’intérêt avec ses frères aînés, à la fin de sa vie, démontreront qu’il n’y a pas qu’une seule formulation identitaire (communautaire) qui contraint et prédéfinit la vie d’une personne. L’histoire individuelle ou collective atteste en permanence qu’une dispersion des positionnements, des identifications, participe à la dialectique du changement, aux dynamiques des sociétés concernées.

21Cela dit, il ne faut pas en conclure que la dissémination identitaire et les transformations de la société hôte impliquent nécessairement une dilution communautaire. L’enracinement local, le poids démographique, l’enrichissement collectif d’un groupe humain, la prégnance religieuse et le contexte international, économique et politique, constituent des faisceaux de déterminations conduisant à des recentrages ou à des perméabilités communautaires qui ne sont pas unidirectionnels mais peuvent historiquement intervenir sur un mode alternatif. Ainsi, à l’île de la Réunion, les différents groupes musulmans asiatiques ont-ils, dans un premier temps, maintenu des liens étroits et fréquents avec le sous-continent indien. Un espacement, un affaiblissement graduel de ces relations privilégiées ont accompagné leur isolement insulaire et l’ajout de la francophonie à leur palette identitaire. L’adhésion plus ou moins conflictuelle, selon les moments, à l’ensemble français, avant même l’idée d’appartenance à la Nation française, l’effet générationnel aidant, a participé à leur éloignement relatif de la région d’origine de leurs familles. En revanche, lors du départ massif des Indiens de Madagascar, dans les années 1970, du fait de choix politiques locaux, de nombreux shi’ites, isma’iliens ou ithna’asheri, venus s’installer à la Réunion seront mal acceptés par les sunnites, certains iront jusqu’à leur interdire d’enterrer leurs morts dans le carré musulman des cimetières. Pour un temps, c’est donc une polarisation communautaire, religieusement argumentée, qui prévaudra, alors qu’une vingtaine d’années plus tard, la prééminence de la question des pratiques musulmanes et de la représentation institutionnelle de l’islam dans le cadre de la République française conduira l’ensemble des musulmans de l’île à forger des institutions communes leur permettant de se poser collectivement comme interlocuteurs des pouvoirs publics. C’est donc un positionnement identitaire multiple qu’il conviendrait d’identifier. L’origine géographique et sociologique, les « racines » familiales, l’identité linguistique et culturelle, l’appartenance religieuse, la citoyenneté et l’engagement politique participent conjointement à la définition des individus.

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  • 28  Par exemple, nous avons vu plus haut que les isma’iliens nizarites avaient plutôt tendance à dissi (...)
  • 29  L’islam n’est pas seul impliqué dans ces dynamiques fusionnelles, uniformisantes, il n’est que de (...)

22Relativement à l’objet principal de cette contribution, la dissémination identitaire de musulmans indopakistanais en Afrique, il peut être opportun pour conclure de relever que l’argument du particularisme religieux, associé à des faits de culture, à des héritages linguistiques et sociologiques, comme la structuration en castes, intervient souvent dans l’implicite communautariste et aussi, de façon plus ou moins affichée28, dans l’image que le groupe souhaite se donner ou dans celle que l’extérieur lui renvoie. Cependant, les dynamiques politiques contemporaines, pour ne parler que de celles-ci, ne cessent de nous démontrer que la religion musulmane est aussi un vecteur puissant de dilution communautaire29. La dramatisation du politique, notamment à travers des formulations simplistes mettant en scène les notions réifiantes de Bien et de Mal, procédant aux diabolisations réductrices, oblitérant les inégalités objectives et les injustices entretenues, conduit réactivement à l’émergence de nouveaux regroupements, de métacommunautés se fondant sur le concept d’Umma, de « Communauté des croyants ». Pour autant, celles-ci s’avèrent vite fictives, malgré l’effet de masse et les démonstrations associées, celles qui relèvent par exemple de la terreur articulée à la violence inouïe des superpuissances et des régimes dictatoriaux. En effet, l’identité d’un islam politique contemporain doit sans cesse puiser dans une tradition figée des origines canonisées de l’islam afin de légitimer son existence en tant que collectivité constituée. Ce faisant, jamais l’histoire n’est prise en compte, celle qui relate les heurs et malheurs de la diversité humaine, toujours recomposée, même sous le ciel d’une religion universelle. Cette Universalité n’a de sens que parce qu’elle est la combinaison mouvante, la synthèse fluide de la multitude des individualités et de la riche palette des cultures, sans oublier l’immensité de ce qui n’est pas encore connu, des recompositions de l’histoire à venir. Le présent n’est qu’un éphémère. L’étude des sociétés nous apprend beaucoup sur la diversité humaine et ses modulations. Elle nous laisse considérer improbable le succès définitif d’un quelconque totalitarisme. Il reste, cependant, que certains, au moins pour une période de leur vie, se libèrent eux-mêmes d’une appartenance communautaire, pour se fondre (s’enchaîner ?) dans un nouvel ensemble maintenu par la seule tension politique contemporaine, la religion étant instrumentalisée, le spirituel s’effaçant au profit du seul être dans la Cité. La dissémination de l’identité ne relève sans doute pas de la perte et de l’oubli, mais de l’élaboration et de la conjugaison de la mémoire sur des modes et des temps qui sont ceux des constructions humaines.

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Bibliographie

Août 2007

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Notes

1  Le bois d’œuvre utilisé à Sumer, dans le Shatt al-Arab et à Bahreïn, pour la construction navale notamment, était importé des rives du sous-continent indien.

2  Anonyme, 1995 : 119-120 : « Le jour de Pâques [15 avril 1498] les Maures que nous tenions captifs nous dirent que dans cette ville de Mélinde il y avait quatre navires de chrétiens, lesquels étaient indiens […] » ; p. 122 : « Nous avons trouvé là quatre vaisseaux appartenant à des chrétiens de l’Inde […]. Ces Indiens sont basanés et peu vêtus. Ils ont de grandes barbes. Leurs cheveux sont très longs et ils portent des tresses. Ils ne mangent pas, à ce qu’ils disent, de viande de bœuf… »

3  Anonyme, 1995 : 123 : « […] le roi envoya aussitôt un pilote chrétien, et le capitaine libéra le seigneur qu’il avait reçu à bord [retenu en otage]. Et nous nous réjouîmes fort d’avoir le pilote chrétien que le roi nous donnait. » ; note 1 : 123 : « Le pilote que les sources portugaises appellent Malemo Canaqua ou Cana a été longtemps identifié, à tort, avec le célèbre Ahmad ibn Majid. » ; Dans A. ibn Mâjid (1983 : 22), Ibrahim Khoury démontre bien qu’en 1498 l’auteur de « as-Sufaliyya » était probablement mort ou en tout cas trop âgé pour avoir pu servir de pilote à Vasco de Gama.

4  Nestoriens de rite chaldéen.

5  Les articles de synthèse de Alpers (1976) et de Subrahmanyam (1995) nous permettent d’apprécier le contexte du commerce océanique à l’époque moderne.

6  Au Caire, les Bohra ont restauré la mosquée al-Hakîm, lieu hautement symbolique de l’histoire fatimide qu’ils invoquent comme un fondement identitaire. En plus de la restauration, ils ont installé, en haut de l’édifice, sur la terrasse, un restaurant communautaire qui préserve les pèlerins de toute souillure alimentaire.

7  Il est vrai que les photographies de personnalités bohra qui nous sont parvenues révèlent que les hommes portaient souvent, eux aussi, dans le contexte de relations sociales élargies, les habits de l’occident colonisateur.

8  Le troisième courant, celui des kharédjites, représenté en Afrique orientale par les Arabes omanais ibadites, n’a aucune survivance historique dans le sous-continent indien.

9  Leur courant religieux est aussi connu sous le nom de Ahmadiyya.

10  L’islam sunnite est divisé en quatre écoles juridiques, madhâhib (sing. madhhab), déterminant les comportements rituels et fixant des normes juridiques communes conformes à une interprétation du dogme et des traditions religieuses : hanafisme (fondateur, Abû Hanîfa ; m. en 150/767), hanbalisme (ibn Hanbal ; m. en 241/855), malikisme (Mâlik ibn Anas ; m. en 179/795) et shafi’isme (al-Shâfi'î ; m. en 204/820).

11  Le travail de Cynthia Salvadori (1983) présente une description détaillée des différentes communautés indopakistanaises du Kénya, musulmanes et non-musulmanes. Il demeure une référence précieuse pour qui voudrait s’initier au décryptage de la complexité sociale et religieuse de ces communautés. Il sera maintes fois utilisé au fil de cette contribution sur la dispersion communautaire.

12  Le principal contractant de main-d’œuvre indopakistanaise, pour le compte de l’Imperial British East Africa Company (IBEAC), puis pour la construction du chemin de fer de Mombasa à l’Ouganda en 1895, était Alibhai Mulla Jeevanjee, un entrepreneur bohra dont il sera question plus loin.

13  Leur nom provient de momeen, signifiant « croyants ».

14  Cette tendance pouvait être vérifiée jusqu’à ces dernières années. Désormais l’usage d’internet autorise un resserrement communautaire par le biais des annonces matrimoniales inscrites sur la « toile ». Des jeunes gens et jeunes filles, installés dans le monde entier, rompent leur isolement et recherchent ainsi la ou le partenaire idéal, d’un point de vue communautariste, sans que leurs parents aient à entreprendre de longs voyages coûteux pour cette quête.

15  Le courant isma’ilien est apparu après la mort de l’Imam Ja’far as-Çâdiq (765), suite à la querelle de légitimité opposant les partisans de Mûsâ al-Kâzim, 6e Imam des shi’ites duodécimains, à ceux d’Ismâ’îl, Imam éponyme de la branche isma’ilienne du shi’isme. Il s’est divisé, lui aussi, à partir de la mise à l’écart et de l’élimination de Nizâr et de l’installation comme Calife de Ahmad al-Musta’lî (d’où l’appellation musta’lite), pour succéder au 8e Calife fatimide, al-Mustançir Billah I (m. 1096). Les Bohra sont également désignés comme isma ‘iliens tayibites, du nom du deuxième successeur d’al-Musta’lî, al-Tayyib, 21e et dernier Imam vivant, entré en occultation (satr) et, depuis, représenté sur terre par le Dâ’î al-mutlaq. Enfin un schisme important, à la fin du xvie siècle, sépare les Suleymanites du Yémen (ils gardent cependant des contacts avec des petits groupes du Nord-Ouest du sous-continent indien), des Da’udites établis en Inde. La fracture s’est matérialisée autour de la succession du 26e Dâ’î al-mutlaq, Sulayman b. al-Hasan la revendiquant au Yémen alors que Da’ud b. Qutb est désigné à Sidhpur.

16  Ashgar Ali Engineer (1980 : 232-292) propose une analyse de ces mécanismes communautaires en relation avec les mouvements de réforme qui secouent l’histoire récente des Bohra, comme ce fut le cas dans le passé.

17  Voir note 15 pour le rappel du schisme marquant la première séparation d’avec les Bohra.

18  Respectivement neveu et fille du Prophète de l’islam.

19  Terme d’origine persane signifiant « seigneur » et désignant les membres d’une caste musulmane issue de la conversion, au xive siècle, des membres de la caste hindou des Lohana, par le missionnaire isma’ilien pîr (saint) Sadr ad-Din (Ivanow 1974).

20  Ce sujet émerge souvent dans des discussions privées qui concernent des événements familiaux remontant à la fin du xixe et au début du xxe siècle, mais en général sans qu’on s’y attarde. L’évitement du sujet est dominant et de fait aucune étude, aucun récit ne sont produits sur la question.

21  Les Parsi sont des zoroastriens. Bien que numériquement moins présente, historiquement, que celles musulmanes et hindu, cette communauté a fourni des personnalités, clercs, juristes, ingénieurs, architectes et commerçants, ayant occupé des positions éminentes à Zanzibar et Mombasa, notamment. Sur le personnage voir son récit (Darookhanawala 1997).

22  Un temps associé à A.M. Jeevanjee dans une affaire de distribution de fuel, Charles Palmer, propriétaire du Mail, aura un conflit d’intérêt avec lui qui sera aggravé par le fait que le mari de son éditorialiste est un rival malheureux du même (Patel 1997 : 30-31).

23  Il s’agit de l’ancêtre du Standard, l’un des deux grands quotidiens kényans d’aujoud’hui, le second étant The Nation, journal appartenant à une société éditrice à capitaux majoritairement isma’iliens. Racheté en 1905 par A.G Anderson et F. Mayer, le Standard s’illustrera rapidement par la défense des intérêts des colons avant d’entrer en juillet 1974, dans l’orbite du groupe minier Lonrho, puis d’être racheté, en 1995, par un groupe d’investisseurs.

24  Samachar, Silver Jubilee Number, 1929, p. 10.

25  Jusqu’à ce qu’il l’annexe pour le transformer en Colonies en juillet 1920.

26  Ces jardins et la statue existent toujours à Nairobi, malgré des tentatives récentes d’opérations immobilières. Ils sont connus comme Jeevanjee Gardens.

27  “ An appel on behalf of the Indians of East Africa ”, cité par Patel 1997 : 55.

28  Par exemple, nous avons vu plus haut que les isma’iliens nizarites avaient plutôt tendance à dissimuler leur différence, au lieu de l’afficher.

29  L’islam n’est pas seul impliqué dans ces dynamiques fusionnelles, uniformisantes, il n’est que de considérer l’expansion du christianisme en Afrique pendant la période coloniale et de sa modulation pentecôtiste actuellement.

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Jean-Claude Penrad, « Identités disséminées. »Lusotopie, XV(1) | 2008, 125-140.

Référence électronique

Jean-Claude Penrad, « Identités disséminées. »Lusotopie [En ligne], XV(1) | 2008, mis en ligne le 08 mars 2016, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/810 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01501010

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Auteur

Jean-Claude Penrad

École des hautes études en sciences sociales (Paris)

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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