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Les chroniques
Revue des revues

« Poderes locais em perspectiva comparada », Revista crítica de Ciências sociais 77, 2007

Coimbra, Centro de estudos sociais, 225 p.
Michel Cahen
p. 253-257
Référence(s) :

Fernando Ruivo & Daniel Francisco (eds), « Poderes locais em perspectiva comparada », dossier de la Revista crítica de Ciências sociais (Coimbra, Centro de estudos sociais), 77, juin 2007, 225 p.

Texte intégral

1On ne se plaindra pas qu’une revue de sciences sociales portugaises étudie surtout des espaces non portugais, ici à propos des « pouvoirs locaux en perspective comparative ». De fait, les études publiées traitent de l’Union européenne, de l’Angleterre, de la France, de l’Italie, de l’Afrique (non lusophone) et du Mozambique. À l’exception de l’introduction (F. Ruivo & D. Francisco) et, très partiellement, de l’article en fin de dossier (D. Francisco), le Portugal n’est pas traité. Contre le luso-localisme trop souvent présent dans les publications portugaises, le balancier du comparatisme sera-t-il ici allé trop loin ? On regrette surtout que le Brésil, État fédéral dans lequel les « municipes » ont une importance considérable, et berceau de la démocratie participative, ne soit pas abordé.

2Elisabeth Dupoirier (« À descoberta da sociedade civil regional : os parceiros sociais, agentes das políticas regionais financiadas pela União europeia : 11-35) montre comment ladite société civile est certes stimulée par l’UE, mais comment la grande complexité des processus européens de coopération régionale la repousse vers des habitudes plus classiques. Pierre Mazet (« Os usos institucionais da sociedade civil : o exemplo dos Conselhos de Aglomeração » : 37-57) montre comment la démocratie participative en France a été encouragée par les « conseils de développement » des « pays » et agglomérations (au sens de la loi Voynet de 1999), mais est largement confisquée par des « spécialistes ». Rob Atkinson, Ian Smith et David Sweeting (« A governação urbana inglesa em transformação : um paradoxo de descentralização e (re)centralização » : 59-79) abordent la gouvernance urbaine anglaise à partir de 1997. Silvia Bolgherini (« Os presidentes de Câmara italianos : uma revolução de compromisso » : 81-100) aborde les réformes de la décennie 1990 en Italie, qui ont bouleversé le pouvoir local ; pour autant, les habitudes n’ont pas été éliminées… Giovanni Allegretti et Massimo Allulli (« Os orçamentos participativos em Italia : uma "ponte" para a construção do novo município » : 101-130), traitent, toujours à propos de l’Italie, de ce qui devrait faire sens dans la démocratie dite participative : le budget participatif, animé, dans les cas étudiés, par des réseaux hétérogènes proches de l’extrême-gauche. René Otayek (« A descentralização como modo de redefincição do poder autoritário ? Alguns reflexões a partir de realidades africanas » : 131-150) démontre que l’essor du pouvoir local en Afrique n’est pas tant une démocratisation, mais une réponse du pouvoir central à la revendication de démocratisation et au contexte international. Néanmoins, cela permet localement l’émergence de nouveaux acteurs, parfois plus indépendants de la tutelle étatique. Tiago de Matos Fernandes aborde le cas mozambicain (cf. infra : 151-164).

3Daniel Francisco (« Territórios chamados desejos : da largueza dos conceitos à contenção das experiências » : 165-199) a écrit un texte qui n’est pas à proprement dire une conclusion de dossier mais n’est pas par hasard situé en fin de volume. Il se veut une réflexion théorique approfondie sur les évolutions du pouvoir local en Europe, et c’est effectivement un texte ambitieux. Il montre comment le gouvernement cède souvent la place à une diffuse gouvernance du fait du déclin des limites entre public et privé, entre État et société civile, politique et administration, centre et périphérie. Mais cette « diffusion » n’est pas synonyme de meilleure citoyenneté et doit être relativisée en raison du maintien du clientélisme et d’une territorialisation qui relève aussi de l’État. Il est dommage que l’auteur n’ait pas rédigé une vraie conclusion du dossier, sans rien retirer de son ambition conceptuelle, en élargissant son propos à l’Afrique, présente dans le dossier (importante bibliographie : 193-199).

4Au total, voici huit articles mis à la disposition du public lusophone. C’est donc un grand service rendu, au Portugal, au champ d’études de ce que Fernando Ruivo appela le « pouvoir labyrinthique » des institutions locales.

5Il est normal que, dans une revue comme Lusotopie, on aborde plus d’attention au seul article consacré à un pays de langue officielle portugaise, le Mozambique. Il s’agit de celui de Tiago de Matos Fernandes, « Descentralizar é fragmentar ? Riscos do pluralismo administrativo para a unidade do Estado em Moçambique » (pp. 151-164). Il s’agit, de surcroît, avec l’introduction et l’étude de Daniel Francisco, de l’un des seuls articles originaux du volume (les autres étant, on l’a dit, d’opportunes traductions d’articles publiés ailleurs). Malheureusement, l’article est très contestable : en présenter une critique présente cependant l’intérêt d’élaborer, plus largement, celle d’une certaine manière de développer des analyses sans la distance critique minimale envers la culture politique du pouvoir d’État.

6L’étude est extrêmement spécifique, puisqu’elle porte uniquement sur l’Île de Moçambique, l’ancienne capitale du premier âge colonial, dont la municipalité a été gagnée par la Renamo (l’ancienne rébellion devenue parti politique) aux élections de 2003. Cela dit, il était bien intéressant de voir ce que devient l’État (on comprendra infra pourquoi j’insiste d’ores et déjà sur le concept d’État) unitaire mozambicain quand ce n’est pas le Frelimo (parti au pouvoir depuis 1975) qui règne localement. L’auteur décrit le système du pouvoir local au Mozambique, qui est légalement de deux grands types : d’une part ce que l’on peut nommer par commodité des « structures modernes », à savoir, dans la plupart des cas des « gouvernements de district » nommés, ou, dans 33 villes dont la Renamo a conquis 4 des municipalités élues ; d’autre part des « autorités communautaires ». En pratique, la situation est bien plus complexe parce que la municipalité élue occupe parfois seulement une partie de l’aire du district, et parfois la totalité. Quand son extension est partielle, l’État dans sa forme déconcentrée de gouvernement de district, maintient sa gestion sur la zone non municipale (rurale), exactement comme au temps colonial. Mais quand la municipalité s’étend dans toute l’aire du district, c’est elle qui exerce les fonctions du gouvernement de district (qui ne sont pas minces : santé, éducation, sécurité, etc.). Enfin, normalement… En effet dans les deux cas où une municipalité s’étend dans toute l’aire du district et a été gagnée par la Renamo (à savoir les villes de Nacala et de Moçambique), le gouvernement central a, sans aucune base constitutionnelle, recréé un gouvernement de district exactement sur la même aire que la municipalité !

7Autre facteur de complexité, la nature des « autorités communautaires » est très variable : il s’agit d’une catégorie officiellement définie, sensée recouvrir à la fois des chefs traditionnels, des dignitaires religieux, des secrétaires de quartier, etc., du moment que la population les ressent comme leaders locaux. Dans la pratique, la loi a servi, à la grande fureur de la Renamo, à noyer les chefs traditionnels (reconnus comme tels par la population, quels que soient leurs passés variables) dans la grande masse de secrétaires de quartiers nommés par le Frelimo. À l’Île de Moçambique cependant, la situation est différente pour deux raisons : premièrement, les autorités communautaires ressenties comme les plus importantes par la population sont les dirigeants des confréries musulmanes soufies, et deuxièmement, la municipalité de la Renamo a pu faire la même chose que ce que le Frelimo fait presque partout ailleurs, à savoir faire nommer des autorités communautaires de sa convenance.

8L’article de Tiago de Matos n’est pas une approche de la dialectique entre secteurs sociaux et orientations politiques rivales au niveau local. Il fait intégralement sienne l’orientation du parti au pouvoir, selon laquelle tout ce qui n’est pas du parti hégémonique entraîne la fragmentation de l’État. Son article ne distingue jamais ces niveaux d’analyse (État, parti) : si l’opposition gagne une municipalité, et bien que cette municipalité élue reste une institution locale de l’État, il y a selon lui risque de fragmentation de l’État – non pas même de la vie politique (n’appelle-t-on pas cela « démocratie » ?), mais de l’État lui-même. Voyons plutôt.

9Relativement aux autorités communautaires, l’auteur indique que, à l’Île de Moçambique, « a administração municipal, ao abrigo dos mecanismos legalmente previstos para a articulação entre as autarquias locais e as autoridades comunitárias […] tem vindo a manipular os processos de ligitimação das autoridades comunitárias » (p. 156). Si l’on comprend bien, le fait que la Renamo ait utilisé localement une loi généralement faite pour assurer, en faveur du Frelimo, l’« articulation » entre pouvoirs locaux et communautaires, est une « manipulation ». On pourrait le suivre car une opposition n’est pas obligée de reproduire les travers du pouvoir en place, à savoir le couple autoritarisme/clientélisme : mais dire seulement cela, sans faire aussi remarquer que, à Moçambique (ce ne fut pas même le cas à Nacala), la Renamo a fait la même chose que ce que le Frelimo a fait dans 126 des 128 districts, est une approche bien étrange. Voici donc le Frelimo devenu victime : « Naturalmente [sic], este processo tem gerado a resistência da Frelimo e do representante do estado ao nível local (o administrador distrital) » (p. 156). Sauf que la « résistance » de ce parti, au pouvoir dans seulement 126 des 128 districts, s’est matérialisée par une décision parfaitement anticonstitutionnelle : la duplication du pouvoir local au sein de l’aire du district entre une municipalité élue et un « gouvernement de district » nommé, mesure prise seulement dans les deux cas où la Renamo a gagné les élections dans une municipalité couvrant toute l’aire d’un district (là où une municipalité de même extension est du Frelimo, l’État n’a pas recréé un « gouvernement de district » !). L’auteur n’aborde jamais cet aspect et justifie la décision par une confusion totale entre vie politique partisane et fonctionnement institutionnel : le district a été réintroduit dans la municipalité « após a vitória da Renamo nas eleições municipais de 2003 (em parte [sic] com o objectivo de defender o exercício da soberania do estado [sic] no âmbito local) » (p. 156). Outre que cette mesure a évidemment été prise non pas « en partie » mais uniquement afin de défendre le pouvoir absolu du Frelimo contre une municipalité gagnée par l’opposition, il est aberrant de parler de « souveraineté de l’État » quand un parti légal d’opposition gagne localement une élection. Doit-on créer une structure de l’État chaque fois qu’un parti autre que le Frelimo gagne une élection ?

10Cette confusion des niveaux d’analyse (État central, État local, partis) est exprimée à plusieurs reprises : l’unité de l’État est assimilée à l’hégémonie politique d’un parti, il y a « pluralisme administratif » seulement quand c’est l’opposition qui est au pouvoir. Ainsi, « o pluralismo administrativo, pela forma como se vem manifestado (principalmente nos municípios em que o partido Renamo venceu […]) pode pôr em risco a forma unitária do estado ». La souveraineté de l’État est totalement confondue avec l’hégémonie du Frelimo : « a verdade [sic] é que a tentativa levada a cabo para garantir o domínio local e político das populações pelo partido Renamo leva a que possamos encontrar no território nacional [resic] áreas onde o estado encontra resistências para exercício da sua soberania [reresic] ». On le voit, quand un maire Renamo exerce le pouvoir selon la législation municipale en vigueur, c’est une atteinte à la souveraineté de l’État… Et cela est même une atteinte à la liberté : « os processos de [descentralização] abriu [sic : abriram ?] a porta para o aparecimento de graves entraves ao livro exercício [sic] da soberania pelo estado » (p. 162). On ne peut faire mieux comme propagande en faveur du parti unique… Pourtant, curieusement, l’auteur s’étonne de l’« inexistência de mecanismos independentes de regulação de conflitos » (p. 163). Mais le premier « mécanisme » n’est-il pas de respecter le résultat des élections ? Cela créé « um clima de instabilidade política e social, destinado a forçar o governo províncial a ceder na composição da lista de autoridades comunitárias reconhecidas no final do processo » (p. 163). En effet, la même réglementation – du reste, sans doute, mauvaise – qui assure partout que 95 % des « autorités communautaures » sont membres du Frelimo, a produit dans ce cas presque unique dans le pays que lesdites autorités communautaires ne sont pas frelimistes. Voilà cette réglementation, qui assure la domination du Frelimo dans seulement 126 des 128 districts, bien dangereuse et pleine de graves « riscos resultantes da fragmentação político-partidária e administrativa gerada pelo processo de descentralização ». Et le gouvernement, à ce point menacé, se doit donc de « a tentar compensar [.. ;] através da consolidação do seu processo de descentralização administrativa, com o qual pensa poder garantir melhor a defesa do princípio da unidade do Estado » (p. 163). Confondant à nouveau deux niveaux d’analyse (décentralisation et démocratisation), notre auteur considère que la « déconcentration » permettrait mieux de sauvegarder l’« unité de l’État ». Il a raison puisqu’il confond l’État et son parti ! La déconcentration consistant à nommer un fonctionnaire de l’État aux pouvoirs étendus là où l’opposition a gagné les élections, l’« unité » sera sans aucun doute plus forte !

11Il manque également à l’article une dimension sociologique sans laquelle on ne peut rien comprendre : l’aire de la municipalité de Moçambique comprend trois sous-ensembles aux caractéristiques bien distinctes : sur l’île, la « cidade de pedra e cal » (à savoir l’ancienne ville portugaise, de pierre et chaux) où demeure l’élite créole afro-luso-indienne qui vote majoritairement Frelimo ; sur l’île toujours, en sa partie sud, la « cidade de macuti » (le village africain, surpeuplé, aux maisons couvertes de palmisses) où les votes sont équilibrés ; et sur le continent, le poste administratif du Lumbo, qui vote très majoritairement Renamo. Les rapports des divers milieux sociaux à la municipalité, qu’elle soit Frelimo ou Renamo, sont complexes et doivent être étudiés. L’article ne le fait pas. Mais on peut prévoir sans risque le futur proche. Afin de renforcer l’« unité de l’État », le gouvernement va restreindre l’aire de la cidade, où la municipalité est élue, à l’Île : elle repassera donc au Frelimo. Le poste administratif du Lumbo, sur le continent, restera majoritairement pro-Renamo, mais… il n’y aura plus d’élections puisqu’il deviendra un « gouvernement de district » nommé. Bel exemple de « déconcentration » réussie.

12On peut s’étonner de voir, dans la généralement très bien nommée Revista crítica de Ciências sociais, une telle défense et illustration de la légitimité du parti unique. Heureusement, il s’agit là d’une exception dans un dossier qui demeure très pertinent. Que l’attention soit néanmoins portée sur un type de recherche qui ne réussit pas à acquérir la distance critique nécessaire envers les paradigmes de l’hégémonie du pouvoir au Mozambique.

Novembre 2007

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Cahen, « « Poderes locais em perspectiva comparada », Revista crítica de Ciências sociais 77, 2007 »Lusotopie, XVI(1) | 2009, 253-257.

Référence électronique

Michel Cahen, « « Poderes locais em perspectiva comparada », Revista crítica de Ciências sociais 77, 2007 »Lusotopie [En ligne], XVI(1) | 2009, mis en ligne le 23 novembre 2015, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/524 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01601036

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Auteur

Michel Cahen

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