Alvaro Garrido, Economia e política das pescas portuguesas. Ciência, direito e diplomacia nas pescarias do bacalhau (1945-1974)
Alvaro Garrido, Economia e política das pescas portuguesas. Ciência, direito e diplomacia nas pescarias do bacalhau (1945-1974), Lisbonne, Imprensa de Ciências Sociais, 2006, 189 pages, ISBN : 972-671-180-0.
Texte intégral
1De sa thèse de doctorat intitulée Abastecimentos e poder no Salazarismo. O Bacalhau corporativo (1934-1967) et soutenue en 2003 à l’Université de Coimbra, Alvaro Garrido a tiré deux livres. Le premier et le plus long a été publié en 2004 au Círculo de Leitores. Le second, plus succinct, ici recensé, l’a été en 2006 aux éditions de l’Instituto de Ciências Sociais. Dans cet ouvrage, l’auteur traite de la pêche à la morue entre 1945 et 1974 au regard de trois phénomènes étroitement enchâssés : la recherche scientifique sur les ressources halieutiques, l’évolution du droit de la mer et les relations diplomatiques liées à ce secteur économique. Face à l’évolution du stock de morues dans l’Atlantique Nord, face aux progrès de la recherche sur ces poissons, aux techniques de pêche, aux transformations du droit de la mer et à l’action des autres puissances maritimes, Garrido décrit l’action – ou plutôt la réaction – du gouvernement, de la diplomatie, des armateurs et de la structure corporative portugais. Il s’attache notamment à la figure centrale et incontournable du secteur des pêches pendant l’Estado Novo, Henrique Tenreiro, « patron des pêches » omniprésent au sein des structures corporatives liées à ce domaine d’activité, représentant des pêcheurs auprès du gouvernement et voix du gouvernement auprès des pêcheurs.
2Les années 1945-1974 sont marquées par deux phénomènes majeurs qui vont profondément déstabiliser le secteur de la pêche à la morue portugaise. D’une part, le stock de morues dans l’Atlantique Nord, au large du Canada et du Groenland – régions où opèrent les bateaux portugais – décline. Cette évolution résulte en grande partie de la surpêche. Utilisant des outils technologiques de plus en plus performants et notamment des filets aux mailles étroites, les armateurs des différents pays ont ôté à la mer plus de morues que la reproduction naturelle de cette espèce n’en fournissait. Pourtant ce constat ne s’impose que lentement aux armateurs, à Henrique Tenreiro et au gouvernement portugais. Il faut, en effet, que la pêche décline et que leurs profits diminuent pour que les armateurs prennent conscience du phénomène sur lequel des biologistes attiraient l’attention depuis des décennies et dont les fâcheuses conséquences avaient été diagnostiquées par des économistes. Pour faire face à la diminution des stocks, des conventions internationales sont signées et des structures multilatérales voient le jour. Le Portugal participe pleinement à ces tentatives de régulation de la pêche à la morue qui se révèlent cependant relativement peu contraignantes pour les États et les pêcheurs.
3Le second fait marquant de cette période est l’évolution du droit de la mer et la rupture avec le principe des trois miles, bande côtière de l’exclusive souveraineté des États. Du fait notamment de la Guerre froide et de la volonté de se prémunir d’un péril maritime soviétique, les États-Unis agissent pour que la zone dans laquelle les États disposent d’une entière exclusivité soit étendue. Dans le cadre des Nations Unies, qui organisent plusieurs conférences sur le droit de la mer, le Portugal s’oppose vigoureusement à cette prétention car elle met en péril les intérêts des pêcheurs de morues qui naviguent au large du Canada et du Groenland (appartenant au Danemark). Toutefois, le gouvernement portugais est pris entre deux intérêts contradictoires. Membre de l’OTAN, farouchement anti-communiste, il ne peut que comprendre et adhérer à la dimension militaire de cette proposition. Cependant, les intérêts de sa pêche la plus symbolique, dans laquelle il a abondamment investi depuis des décennies, sont en jeu. Au sein de plusieurs conventions internationales, le Portugal agit donc pour préserver ce qu’il considère ses « droits historiques », légitimés par la « tradition » de la pêche portugaise dans l’Atlantique Nord. Cependant, la convention de 1958 sur la mer territoriale autorise les États à élargir jusqu’à 12 miles leur zone d’exclusivité. Ce que prétendent faire dès 1963 le Canada et le Danemark, au grand dépit du gouvernement portugais qui essaie par le biais de négociations bilatérales de protéger les intérêts de ses pêcheurs. Le résultat de ces négociations n’est guère probant pour la diplomatie portugaise qui n’obtient qu’une phase transitoire. Les bateaux de pêche portugais furent autorisés à continuer leur activité au large du Canada jusqu’en 1970 et au large du Groenland jusqu’en 1973.
4Dans le dernier chapitre de son livre, Garrido montre comment l’oligarchie corporative des pêches, dominée par Tenreiro, fit face à ces évolutions et notamment à la diminution du volume des morues pêchées à partir de 1957. Confrontés à la baisse de la production, les armateurs exigent une hausse du prix de vente, fixé par le gouvernement dans une optique mercantiliste. La pierre de touche de la politique économique et financière de Salazar était en effet de stabiliser les prix et de combattre l’inflation, se protégeant ainsi contre ses effets politiques (revendications de hausses de salaire, parfois violentes). Le gouvernement résiste à cette revendication des pêcheurs mais multiplie les concessions (octroi de subventions, exonérations d’impôts, etc.). Toutefois, le système corporatif salazariste a entraîné la sclérose de ce secteur qui en trente ans évolue peu et se révèle incapable de moderniser ses outils de production (les bateaux) et ses manières de faire. De plus, l’évolution du droit de la mer et l’épuisement des ressources halieutiques amènent ce secteur au déclin. En 1967, le gouvernement libéralise le secteur d’activité en démantelant l’étroite régulation à laquelle il était soumis. Garrido décrit alors comment s’est opérée la transition du Portugal de puissance maritime à la situation d’État côtier, transition résultant de la révolution de 1974, de la décolonisation et de l’évolution du droit de la mer marqué par la création des zones économiques éxclusives s’étendant à 200 miles.
5Dans sa conclusion, Alvaro Garrido estime que son étude sectorielle peut constituer un apport à la connaissance de l’Estado Novo, de sa politique économique et de son fonctionnement administratif. En effet, de nombreux parallèles auraient pu être tracés avec d’autres politiques publiques et notamment la politique agricole. Là aussi, le gouvernement portugais a dû affronter le déclin d’un secteur politiquement influent. Comme dans le domaine de la pêche à la morue, le gouvernement a dû gérer les revendications des propriétaires agricoles (hausse des prix de vente de la production agricole) qui allaient à l’encontre de la stabilité des prix et des salaires imposés par Salazar. Dans ces deux « secteurs traditionnels », le système corporatif révéla son impuissance à gérer des intérêts divergents et sa tendance à freiner l’innovation. Néanmoins, Garrido achève son travail en soulignant la dimension diplomatique de la pêche à la morue. Il écrit ainsi que « a mais surpreendente conclusão desta pesquisa» est que « mesmo sob um regime ditatorial e embora privilegiando uma “diplomacia historicista”, Portugal cedeu a princípios e práticas de multilateralismo para defesa dos interesses da pesca do bacalhau nas águas longínquas da Terra Nova, do Labrador e da Gronelândia » (p. 154). On ne peut toutefois que nuancer cette conclusion. En dépit des discours de Salazar, de la propagande exaltant l’indépendance du Portugal et de la politique économique visant la substitution des importations par les productions nationales, le Portugal salazariste n’a pas pour autant quitté la scène internationale. La participation portugaise au sein de commissions prétendant connaître les ressources halieutiques est à mettre en parallèle avec la participation du pays à plusieurs institutions internationales nées après la seconde Guerre Mondiale (OECE, OTAN, ONU, AELE, etc.). Le Portugal intégrait les instances internationales afin d’influencer, modestement, les décisions prises. Pour défendre ses intérêts et notamment son indépendance, le gouvernement portugais préférait se trouver dans ces institutions plutôt qu’en dehors. C’est l’entrée du Portugal dans une institution supranationale qui aurait été véritablement surprenante. En effet, nationaliste, Salazar refusait toute perte de souveraineté. Mais cela n’était nullement le cas de ces institutions qui se limitaient, dans le cas de la pêche à la morue, à promouvoir la connaissance des ressources halieutiques. Du reste, le Portugal n’avait pas vraiment d’autre choix que de participer à ces institutions. Ses armateurs pêchaient au large d’autres États (le Canada et le Danemark surtout), le Portugal était extrêmement dépendant de leur volonté d’autrui et ne disposait de quasiment aucun élément de négociation. Se couper de toute organisation internationale et refuser toute négociation diplomatique n’auraient conduit qu’à l’incapacité de défendre les « droits historiques » revendiqués par les pêcheurs portugais
6Néanmoins cet ouvrage, reposant sur des archives diversifiées, analyse finement dans les multiples implications de la science, du droit international et de la diplomatie tout en rendant compte de la manière dont le système corporatif et le gouvernement portugais réagirent. Se démarquant d’études trop centrées sur le Portugal et peu attentives aux contraintes internationales et naturelles, il peut offrir des pistes pour des études similaires dans d’autres politiques publiques sous le salazarisme.
Janvier 2008
Pour citer cet article
Référence papier
Victor Pereira, « Alvaro Garrido, Economia e política das pescas portuguesas. Ciência, direito e diplomacia nas pescarias do bacalhau (1945-1974) », Lusotopie, XVI(1) | 2009, 205-208.
Référence électronique
Victor Pereira, « Alvaro Garrido, Economia e política das pescas portuguesas. Ciência, direito e diplomacia nas pescarias do bacalhau (1945-1974) », Lusotopie [En ligne], XVI(1) | 2009, mis en ligne le 22 novembre 2015, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/445 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01601019
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