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Élections législatives en Angola

Les raisons de la victoire triomphale du MPLA
Legislative Elections in Angola. Analysing the MPLA’s triumph
Eleições legislativas em Angola. As razões da vitória triunfal do MPLA
Paula Cristina Roque
Traduction de Brigitte Lachartre
p. 3-23

Résumés

Les élections législatives du 5 septembre 2008 en Angola ont vu le parti au pouvoir depuis 1975 l’emporter à une écrasante majorité avec 82 % des voix. Sa victoire ne faisait aucun doute, mais il restait à voir si le MPLA parviendrait à s’assurer d’une majorité des deux tiers au Parlement. Beaucoup d’espoir avait été placé dans ces élections, 40 % de l’électorat votaient pour la première fois. Nombreux ont donc été les déçus, l’opposition ayant été écrasée à l’issue d’une campagne de propagande et d’intimidation soigneusement orchestrée. Une victoire de cette ampleur n’est guère favorable à la démocratie en Angola, pays marqué par un mode répressif de gouvernement, la corruption, l’exclusion sociale et économique, la mauvaise gestion des richesses naturelles. Du fait que la paix est une conséquence de la défaite militaire de l’Unita en 2002, le gouvernement n’a guère été incité à promouvoir la réconciliation, la société civile et les conditions d’une politique transparente, juste et responsable.

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Notes de la rédaction

Cet article est la version française adaptée d’un Rapport de situation publié par l’Institute for Security Studies (ISS, Pretoria) en date du 16 septembre 2008. Traduction et adaptation de Brigitte Lachartre, révision par Elizabeth Vignati et Michel Cahen. Les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses responsables, membres du Conseil ou donateurs. Les articles et commentaires sont ceux des chercheurs de l’Institut et des contributeurs extérieurs et ne représentent pas la position officielle de l’ISS La rédaction de Lusotopie remercie l’ISS et l’auteur pour l’autorisation de publication en français.

Texte intégral

1Les élections législatives du 5 septembre en Angola ont vu le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), le parti au pouvoir, l’emporter à une écrasante majorité avec 82 % des voix, réduisant l’opposition à une force politique marginale. L’Union nationale pour l‘indépendance de l’Angola (Unita) n’a réussi à obtenir que l0,5 % des voix, le Parti de rénovation sociale (PRS) 3 % et le Front national de libération de l’Angola (FNLA) 1 % seulement. Le parti du président José Eduardo dos Santos est à présent en mesure de modifier la constitution et de gouverner sans avoir à engager de réel débat politique avec l’opposition et la société civile. Ces résultats entraînent également d’importants changements dans la composition du pouvoir législatif, en comparaison avec la situation d’après 1992, lorsque le MPLA obtenait 125 sièges, l’Unita 70, le PRS 6, le FNLA 5 et un certain nombre de petits partis s’assuraient un siège parlementaire chacun. Le résultat des dernières élections ne donneront à l’opposition qu’environ 40 sièges sur les 223 que compte l’Assemblée.

  • 1  Voir « Time for transparency », Global Witness, Mars 2004, <www.globalwitness.org/media_library_detail.php/ll5/en/time_for_transparency>, (au 13/10/09). (...)

2D’un point de vue théorique, une victoire de cette ampleur n’est guère favorable à l’avancée de la démocratie en Angola, pays marqué jusqu’ici par un mode répressif de gouvernement, par la corruption, l’exclusion sociale et économique, la mauvaise gestion des richesses naturelles et la marginalisation politique1.

3Du fait que la paix est une conséquence de la défaite militaire de l’Unita en 2002, le gouvernement n’a guère été incité à s’attaquer aux véritables causes de la longue guerre civile qui a déchiré le pays, ni à promouvoir une vraie réconciliation entre citoyens en réintégrant les vaincus, ni à encourager la société civile à constituer des plateformes nationales pour ouvrir largement le débat politique, permettant ainsi de créer les conditions d’une politique transparente, juste et responsable. Pour autant, il était indispensable pour le gouvernement angolais d’affirmer sa crédibilité démocratique auprès de la communauté internationale, aspect qui revêt une grande importance aux yeux du Président J.E. dos Santos qui se préoccupe de la place qu’il aura dans l’histoire du pays. Quoi qu’il en soit, il est hautement improbable que cette victoire éclatante sur l’opposition ait pour effet de persuader le gouvernement d’engager un développement socio-économique durable et d’asseoir des institutions libres et démocratiques.

4Pour les Angolais, ces élections ont été l’occasion de faire l’expérience des urnes en exerçant de manière constructive leurs droits de citoyens ; c’était également pour eux un moyen décisif d’œuvrer pour la consolidation de la paix et la réconciliation, ainsi que le début d’un nouveau chapitre de leur histoire. Beaucoup d’espoir avait été placé dans ces élections, à mesure que la population s’engageait davantage politiquement, démontrant son sens du devoir civique et sa volonté de prendre part à la vie politique nationale. Trop jeunes pour les élections de 1992, environ 40 % de l’électorat votaient pour la première fois. Nombreux ont donc été les déçus, l’opposition ayant été écrasée à l’issue d’une campagne de propagande et d’intimidation soigneusement orchestrée, par l’utilisation partisane des services d’information de l’État et par la cooptation des autorités traditionnelles qui a permis d’étendre le contrôle de Luanda jusqu’aux régions les plus reculées du pays.

5La victoire du MPLA à ces élection n’a jamais fait aucun doute, mais il restait à voir si le parti parviendrait à s’assurer d’une majorité des deux tiers au Parlement, compte tenu du poids d’un certain nombre de facteurs tels que la composition de l’électorat jeune, le sentiment de déception largement répandu parmi la population appauvrie, l’intensification des conflits fonciers entre les habitants des bidonvilles et les promoteurs et l’accumulation de richesses de plus en plus ostentatoires par l’élite dominante à Luanda. Beaucoup d’Angolais parmi les employés qualifiés et les couches modestes de la classe moyenne, en dehors du circuit des bénéficiaires de privilèges politiques, étaient également des déçus du gouvernement. En raison du caractère imprévisible qu’ils constituent, en particulier à Luanda où réside 21 % de l’électorat, le MPLA a tout fait pour garantir une victoire écrasante. La manipulation des médias, l’intimidation de l’opposition, une campagne nationale visant à instaurer la peur parmi la population, le désordre organisé du scrutin à Luanda et la cooptation des autorités traditionnelles ont donné au parti au pouvoir la possibilité d’assurer sa domination pour les quatre prochaines années.

6Malgré le manteau de légitimité fourni par les réformes visant à améliorer l’image internationale du pays, parmi lesquelles des mesures relatives à la transparence fiscale et la réhabilitation rapide des infrastructures, le gouvernement angolais a lourdement usé de son pouvoir de contrôle et d’intervention dans la préparation d’une victoire certaine, ce qui soulève bien des questions quant aux perspectives de démocratie et de répartition des richesses à l’avenir dans le pays.

Guerre et sortie de guerre : les Accords de paix de Luena (2002)

7Entre 1975 et 2002, l’Angola a connu l’une des guerres civiles les plus longues et les plus meurtrières d’Afrique, avec seulement quelques années d’une paix intermittente et tendue. La guerre civile en Angola peut se définir comme un conflit mené par deux blocs s’excluant mutuellement du point de vue idéologique, politique et culturel, et soutenu par des intérêts étrangers.

  • 2  Les assimilados étaient les Angolais intégrés et éduqués qui, ayant assimilé la langue, la culture (...)
  • 3  Voir T. Hodges, Angola from Afro-Stalinism to Petro-Diamond Capitalism, Bloomington, Indiana Unive (...)

8Dans les années 1960, trois mouvements de libération avaient fait leur apparition dans le pays, chacun représentant principalement un groupe ethnique, une classe sociale et une région du pays. Le FNLA comprenait essentiellement des Bakongo (de l’ethnicité Kongo, le troisième par sa taille vivant dans les provinces de Zaïre, Uige et Cabinda au nord-ouest du pays), et d’origine rurale. Le MPLA, créé à partir des centres urbains par des élites radicales de Luanda, était composé de métis, d’assimilados2, d’intellectuels et de blancs, même si sa base ethnique était mbundu (provinces de Bengo, Luanda, Kwanza Nord et Malange). Les Kimbundu, formant le deuxième groupe ethnique (23 % de la population), avaient intégré la langue et la culture portugaise dans leur mode de vie, au cours de leur longue interaction avec le pouvoir colonial3. L’Unita, dirigée par Jonas Savimbi, avait pour base les « communautés rurales indigènes » et la majorité des Ovimbundu (37 % de la population) des hauts plateaux du centre du pays (provinces de Huambo, Bié, Benguela, Moxico et Cuando Cubango).

9Au-delà de cette diversité ethnique, la société était caractérisée par l’absence de croisements et de passerelles sociales entre les différents groupes (en partie à cause de l’isolement des campagnes), ce qui contribuera ensuite à renforcer le caractère exclusif de l’appartenance au MPLA et à l’Unita. Les divisions furent maintenues dans toutes les strates de la société, chacune des parties en guerre créant ses mouvements de jeunesse, ses organisations de femmes et ses syndicats de travailleurs.

  • 4  Les 29 et 30 septembre 1992 eurent lieu les premières élections générales dans une atmosphère glob (...)

10Cette situation politique fut aggravée pendant la Guerre froide par les puissances internationales, défendant leurs propres intérêts géopolitiques et stratégiques et se livrant bataille par pays tiers interposés. Les forces nationalistes devinrent de nouvelles recrues dans le conflit idéologique entre les super-puissances, l’Union soviétique soutenant le MPLA et, plus tard, les États-Unis, l’Afrique du Sud et la Chine soutenant l’Unita. Ces différents éléments donnèrent au conflit sa nature profondément polarisée qui ne put que se confirmer à l’occasion des élections de 19924. Celles-ci constituèrent la première et unique expérience d’élections multipartites du pays depuis l’époque coloniale, et elles aboutirent à la reprise des hostilités qui prirent des dimensions encore plus violentes, avec des massacres, purges politiques et ethniques qui causèrent la mort de plus de 300 000 Angolais et le déplacement de millions de personnes à l’intérieur du pays et au-delà de ses frontières.

11Après 27 ans de guerre, la paix survint en février 2002 après que les principaux leaders de l’Unita, dont Jonas Savimbi, soient tombés dans une embuscade et aient été tués dans la province de Moxico. Dans le Mémorandum d’accord signé peu après à Luena (mars 2002) par l’Unita et le MPLA figuraient l’adoption d’une loi d’amnistie pour tous les crimes commis durant le conflit, l’intégration de 5 000 soldats de l’Unita dans les Forces armées angolaises ainsi que l’établissement d’un calendrier pour la démobilisation des forces restantes de ce mouvement. Suite à sa défaite militaire et au coup sévère porté aux structures politiques du parti, l’Unita fut considérablement affaiblie et son pouvoir de négociation réduit à l’acceptation des conditions et exigences posées par le gouvernement.

12Avec 90 000 soldats et 400 000 membres de leur familles désarmés, l’Unita lutta pour se redéfinir en tant qu’organisation civile et dut combler d’urgence le vide laissé par la mort du président-fondateur Jonas Savimbi. En 2003, le MPLA et l’Unita tinrent leur premier congrès de parti de l’après-guerre, l’un confirmant Dos Santos comme président du MPLA, l’autre transférant le pouvoir du leader de l’Unita par intérim, le Genéral Paulo Lukamba « Gato », à son rival sorti victorieux des élections pour la présidence du parti, Isaias Samakuva.

L’arène politique sous contrôle

  • 5  A. Santana, Political Parties and Political Evolution in Angola, The Electoral Institute of Southe (...)

13Le Gouvernement d’unité et de réconciliation nationale (GURN) définit ensuite un accord pour le partage du pouvoir entre l’Unita et le MPLA conformément au Protocole de Lusaka (1994), qui demeura en vigueur jusqu’aux dernières élections. Ceci fut salué comme une concession importante de la part du MPLA, même si le parti au pouvoir en tira également profit. L’Unita ayant fait partie du GURN, elle se trouvait placée dans la position ambiguë d’être associée au gouvernement tout en essayant de jouer le rôle de principal parti d’opposition. Cet arrangement, en affaiblissant l’autonomie et la crédibilité de l’Unita, fournissait au gouvernement la possibilité de la neutraliser sur les deux fronts : en tant que parti d’opposition et en tant que partie prenante au gouvernement5. Aux yeux du public, les membres de l’Unita siégeant au GURN furent soupçonnés d’être tout aussi corrompus et incompétents que certains autres membres du gouvernement et c’est ainsi qu’ils furent considérés par la population en général. Ce fut, semble-t-il, l’un des facteurs d’affaiblissement de la position de l’Unita dans ces élections, son incapacité à définir une stratégie nationale qui lui aurait permis de se qualifier comme force politique alternative.

  • * Ndlr : cette situation étrange (des ministres ou gouverneurs de l’Unita en pleine situation de guer (...)

14Depuis 1997, l’Unita avait occupé trois portefeuilles ministériels : Commerce, Tourisme et Santé. Elle avait compté cinq vice-ministres : Finance, Défense, Réinsertion sociale, Agriculture et Information (en réalité, dans chacun de ces ministères, il y avait l’équivalent d’un ou deux vice-ministres du MPLA, ce qui réduisait le rôle des représentants de l’Unita à celui d’administrateurs). Les gouverneurs de Cuando Cubango, Uige, Lunda Sul appartenaient à l’Unita, de même que les vice-gouverneurs de Kwanza Sul, Benguela, Huambo, Bié et Luanda*.

  • 6  À la différence des accords de paix précédents, les Accords de Luena ne prévoyaient pas de contrôl (...)

15Le modèle de réconciliation adopté en 2002 s’appuyait sur les Accords de Bicesse et le Protocole de Lusaka, qui constituaient les principaux piliers du règlement de paix. Il revenait à la Commission politique et militaire mixte de vérifier le processus de désarmement et de réintégration des anciens combattants6, la tenue d’élections multipartites, la participation dans l’administration du pays et enfin, la formation du GURN. Les dernières élections ont entraîné la fin du GURN et les implications en sont très importantes. L’Unita et les autres petits partis, les cadres du GURN qui avaient été partie prenante dans ce gouvernement durant les onze dernières années n’ont plus désormais aucune responsabilité dans la gouvernance du pays, la gestion de son budget ou une quelconque autorité (si minime soit-elle), ou quoique ce soit à dire à propos du processus de paix ou l’avenir de l’armée. Ils ont également cessé de recevoir un salaire et se sont retrouvés sans revenus.

Les partis de l’opposition : divisions internes et fragmentation

16Depuis l’indépendance, la vie politique en Angola a été largement dominée par la rivalité entre MPLA et Unita, partis qui avaient assis leur prééminence aux élections de 1992. Indépendamment des irrégularités qui ont donné au parti au pouvoir une victoire décisive aux dernières élections, l’opposition n’a pas réussi à convaincre les électeurs qu’elle pourrait constituer une alternative crédible. Divisions internes, allégations de pots-de-vin reçus du gouvernement, manque de ressources, en plus du haut degré d’intolérance politique prévalant dans tout le pays, ont fait que toute candidature contre le MPLA était pratiquement perdue d’avance. Le manque de cohésion de l’opposition, son incapacité à donner l’impression de pouvoir assurer le leadership, et son inexpérience à gouverner auraient inévitablement donné au MPLA un avantage certain, même sans avoir recours à des moyens frauduleux.

17Dix partis et quatre coalitions étaient en compétition aux élections de 2008, y compris les partis qui avaient eu des représentants au Parlement au cours des seize dernières années, à savoir : le PRS, le FNLA, l’Alliance des jeunes, ouvriers et paysans (PAJOCA), le Front pour la démocratie (FpD), le Parti démocratique pour le progrès-Alliance nationale angolaise (PDP-ANA).

18Le FNLA, troisième mouvement de libération en Angola, est devenu, en dépit de son histoire, une petite formation politique divisée en factions internes exacerbées par la mort de son fondateur, Holden Roberto, en août 2007. Ces divisions ont commencé en 1998 lorsqu’un courant réformateur mené par Lucas Ngondo, soupçonné d’avoir été financé par le MPLA, constitua un «  FNLA rénové ». Après la mort du leader historique, Ngola Kabango prit la direction du parti. Mais Kabango dirige en réalité ce qui s’apparente essentiellement à un mouvement bakongo, et lui-même étant mbundu, l’électorat bakongo s’est divisé entre le FNLA et le PDP-ANA.

19En juillet 2004, le leader charismatique et membre du Parlement du PDP-ANA, M’fulumpinga N’landu Victor avait été tué. L’hypothèse a couru qu’il s’est agi d’un assassinat politique, bien que le gouvernement ait expliqué sa mort comme résultant d’une malheureuse tentative par des criminels de voler sa voiture. Depuis, le mouvement est dirigé par Daniel Mbindi, qui n’a pas la même capacité à mobiliser les masses.

20Le PRS, troisième parti, qui avait remporté six sièges en 1992 – un de plus que le FNLA – en se présentant sur un projet fédéraliste, a comme soutien les communautés chokwe, principalement dans les provinces riches en diamants de Lunda Sul et Lunda Norte. Le PRS a fait de gros efforts pour mobiliser un électorat solide et il est à présent généralement perçu comme une force d’opposition crédible au niveau national. Le FpD, composé des cadres les plus qualifiés, d’intellectuels et d’universitaires, dont la plupart ont été partisans du MPLA, risque de perdre son unique siège au Parlement, ce qui réduira le niveau et la pertinence du débat politique dans la prochaine législature.

21Le PADEPA (Parti angolais pour le soutien démocratique et le progrès) est issu des bidonvilles de Luanda et était considéré parmi les partis minoritaires comme le plus susceptible d’obtenir des sièges au Parlement en raison d’une stratégie de campagne courageuse et honnête, organisant des meetings et ralliant la jeunesse des bidonvilles de la capitale. Ce parti fut lui aussi affaibli par des divisions internes, qui aboutirent à l’expulsion de son président fondateur, Carlos Leitão, en 2007, suite à des affrontements de type personnel avec le leader actuel, Luis Silva Cardoso.

  • 7  Des Entrevues, menées en 2004 dans les provinces de Moxico et Huambo auprès d’ONG internationales, (...)

22Au sein de l’Unita, les divisions ont pris une importance croissante porteuse d’affaiblissement du parti. Son déclin auprès de son électorat des provinces centrales des hauts plateaux n’a pas été une surprise, étant donné les efforts consentis par le gouvernement pour investir cette région à la fin de la guerre. Les zones de cantonnement dans ces provinces furent rapidement démantelées et les anciens combattants et leurs familles dispersés à travers le pays, de manière à empêcher toute forme de solidarité ancienne ou toute tentative par les anciens rebelles de se réorganiser en fonction de leur structures militaires d’origine comme moyen de reconstituer leur communauté. En 2003 et 2004, des ONG internationales et des agences humanitaires ont pu voir comment ces communautés déplacées, considérées comme des soutiens de l’Unita, et des anciens combattants, étaient réinstallées en certains lieux déterminés et totalement empêchées de s’installer ailleurs par le fait de l’action coordonnée des administrateurs locaux et des leaders traditionnels7.

23De plus, il y a toujours eu des tensions entre les provinces de Huambo et celles de Bié – ce que l’on décrit communément en Angola comme une « culture de la trahison » – qui permettent d’expliquer les divisions internes au sein de l’Unita entre Samakuva, lançant ses appels à partir de Bié, et Abel Chivukuvuku – à partir de Huambo. Un autre élément qui a rendu plus difficile la possibilité de réduire les divisions au sein de l’opposition, en particulier de l’Unita, a été la série de défections en faveur du MPLA, prétendument causées par l’appât des fonds gouvernementaux. Bien que Samakuva ait réussi à transformer l’ancien mouvement rebelle d’une force de guérilla en parti politique (il avait lui-même été diplomate et n’a jamais été membre actif de la structure militaire de l’Unita), il échoua à rassembler et à « protéger » la population des hauts-plateaux ou encore à leur donner une vision nouvelle du futur.

  • 8  Témoignage informel recueilli par l’auteur lors de conversations avec d’anciens généraux et milita (...)

24Le résultat de ces élections va contraindre l’Unita à repenser sa stratégie et son approche en vue du scrutin présidentiel de l’an prochain ; d’ici là, le parti devra envisager d’importants changements dans sa direction. Certains pensent qu’Abel Chivukuvuku, homme charismatique doté d’une bonne compréhension de la mentalité urbaine de Luanda, a la capacité de faire avancer le parti, tandis que d’autres croient que Lukamba Gato, qui dirigea l’Unita après la mort de Savimbi en 2002 et signa les Accords de Luena, correspond aux aspirations de la base et des d’anciens combattants8.

Le MPLA et la présidence

  • 9  Voir M. González Bustelo, « Angola : A Monarchy Supported by Oil Companies », Madrid, The Peace Re (...)
  • 10  Voir C. Messiant, « La Fondation Eduardo dos Santos. À propos de l’investissement de la société ci (...)

25La présidence est aujourd’hui l’institution la plus puissante d’Angola, avec José Eduardo dos Santos chef d’État, président du parti, commandant en chef des forces armées et principal « conseiller » de tous les autres organismes chargés de l’administration du pays. Depuis son accession ay pouvoir à la mort d’Agostinho Neto, premier président suite à l’indépendance, J.E. dos Santos a tenu MPLA et gouvernement sous contrôle par la mise en place d’un système de népotisme extrêmement efficace, dans lequel les récompenses sont octroyées à une élite fidèle, au sein de laquelle certains (politiciens, parents et membres de l’armée) ont amassé d’immenses fortunes personnelles9. Des groupes affiliés au MPLA, comme la Ligue des jeunes, (JMPLA), la Ligue des femmes (OMA), ainsi que le « Mouvement national spontané », contribuent tous à consolider l’influence du parti à tous les niveaux de la vie sociale. Jusqu’à la Fondation José Eduardo dos Santos (FESA) qui fournit au Président les moyens d’opacifier la séparation des pouvoirs et de « coordonner » la société civile ainsi que les secteurs privés et publics10.

26Après la fin de la guerre en 2002, le MPLA s’est mis à recruter de nouveaux membres, en particulier dans les régions qui avaient été les places-fortes traditionnelles de l’Unita, comme Huambo et Bié. Sur une population de seize millions d’habitants, le MPLA compte 2,8 millions de membres. Tenant compte d’indications selon lesquelles il n’était pas certain de remporter une nette victoire aux élections, dos Santos opéra des remaniements dans son entourage immédiat ; il congédia le chef de ses services secrets et renforça sa garde présidentielle, dominée jusque-là par des Cuanhama et des Cubains, à la fin de l’année 2007.

27Il était crucial pour le gouvernement angolais de tenir les élections en 2008, car un délai supplémentaire aurait entamé sa crédibilité sur le plan international, sa légitimité nationale et, par extension, l’héritage historique du président dos Santos lui-même. Ces élections visaient aussi à donner plus de poids à l’ambition de l’Angola d’accéder au statut de puissance régionale et de partenaire économique important et respecté. Les élections présidentielles de l’an prochain devront compléter ce processus.

L’organisation des élections législatives

28Les modalités et institutions appelées à réguler les élections démocratiques en Angola proviennent essentiellement des Accords de Bicesse (1991) et de Lusaka (1994) qui établissaient les conditions nécessaires à des élections multipartites, à la mise au point de la législation appropriée et à l’établissement d’un gouvernement d’unité nationale.

29Bien que les institutions centrales, telles que la Commission nationale électorale (CNE) et la Cour constitutionnelle, de même que les procédures officielles fussent en place, un certain nombre de facteurs restreignirent néanmoins sévèrement la possibilité d’un débat politique ouvert et authentique. En particulier, le fait que le gouvernement garde le contrôle sur les ressources de l’État (outre un véritable monopole sur les richesses économiques et minières) et sur les médias, y compris les stations de radio, qui ont l’audience nationale la plus large.

Le dispositif législatif

  • 11  Pour plus de détails sur les pouvoirs légaux du Président, voir P. Rainha, « Republic of Angola : (...)

30La culture politique de l’Angola a été dominée par un État hautement centralisé et des périodes de guerre civile répétées qui ont engendré une dégradation des institutions démocratiques, entachées par la méfiance, le patronage et le clientélisme, par l’inefficacité des mécanismes de contrôle sur les institutions et le budget, par l’amalgame des pouvoirs législatif, judiciaire, exécutif et militaire et de sécurité sous la houlette de l’institution la plus puissante : la présidence11.

31En théorie, l’Angola a un système semi-présidentiel, mais en réalité il s’agit d’un système présidentiel dans lequel le chef de l’État exerce seul le pouvoir de nommer et démettre le Premier ministre, les ministres, et les gouverneurs provinciaux ; cela affaiblit le mandat du Parlement ainsi que sa capacité à exercer son rôle de contrôle et d’équilibrage vis-à-vis de l’exécutif. Le rôle de l’Assemblée nationale dans les débats sur des questions telles que le budget de l’État a été limité, de sorte que des questions importantes, comme la réaffectation des revenus pétroliers vers la satisfaction des besoins de base des populations, sont laissées en suspens.

  • 12  Entrevues de juristes angolais et de professeurs d’université, Luanda, le 7 septembre 2008.

32À présent que le MPLA jouit d’une écrasante majorité parlementaire, il va être en mesure de changer la constitution, une mesure que, selon certains analystes angolais, il pourrait utiliser pour réduire les pouvoirs constitutionnels en vigueur qui autorisent actuellement la cohabitation politique, au cas où le Président et la majorité parlementaire appartiendraient à des partis différents12. Il est clair que le Président dos Santos n’est pas près d’accepter une quelconque séparation des pouvoirs, qui, bien qu’assez improbable, viendrait menacer son autorité et sa capacité à conduire la politique du pays.

33Le dispositif législatif a connu un certain nombre de modifications depuis les dernières élections, en particulier suite aux amendements apportés en 2005 et 2006 à la loi électorale, à la loi sur la presse, à la loi sur les inscriptions électorales et autres dispositions relatives au scrutin. Des retards provoqués par certains aspects du protocole d’organisation du scrutin ont privé les partis politiques du temps nécessaire pour se préparer du point de vue logistique. Le 25 juillet, la Cour constitutionnelle nouvellement nommée se prononça officiellement sur le nombre de partis qualifiés pour prendre part au scrutin, cinq jours seulement avant le début officiel d’une campagne électorale limitée à un mois. Il y eut d’autres retards, et le montant des fonds alloués par l’État aux partis politiques ne fut connu qu’après l’annonce de cette décision. Les difficultés liées aux systèmes de communication, au déplacement dans les zones reculées et une culture de peur diffuse, vinrent aggraver l’impact de ces contraintes de temps sur une opposition déjà désavantagée par rapport aux moyens financiers et à l’organisation du MPLA.

34À la fin de juillet, le Conseil des ministres, contre l’avis du Parlement, approuva la somme totale de 17 millions de dollars pour la campagne électorale de l’ensemble des dix partis et des quatre coalitions. Ceci en violation de la loi électorale, qui prévoyait que ce financement devrait être mis à disposition au moins 90 jours avant la date des élections. Sous cet angle, le parti du MPLA au pouvoir avait un avantage en raison de son contrôle sur toutes les ressources de l’État, y compris les médias, le Trésor et les institutions publiques. On estime à 300 millions de dollars le coût de la campagne électorale du MPLA, qui proviendrait de donations faites par la Sonangol et Endiama (respectivement compagnies nationales du pétrole et des diamants) ainsi que de compagnies privées et d’investisseurs.

35La Constitution stipule que l’Assemblée nationale compte 223 sièges, dont 130 alloués à la représentation nationale, 90 aux représentants des provinces et 3 aux représentants élus par les Angolais de l’étranger. En violation à la loi électorale (art. 29/a,b,c de la loi 6/2005), la décision fut prise d’exclure ces derniers du processus électoral, ce qui visait particulièrement l’Unita, dont de nombreux éléments vivent depuis longtemps en exil ou ont décidé de quitter le pays après 2002.

Les médias comme véhicule de la propagande étatique

  • 13  Voir I. Mateus, « The role of the media during conflict and in the construction of democracy », Co (...)

36La venue de la paix a permis aux médias de surmonter un certain nombre de difficultés qui les empêchaient de se transformer en forum de débat public, mais ils continuent néanmoins d’être considérés comme un vecteur de débat politique. Aussi l’État contrôle-t-il les principaux supports médiatiques : l’agence de presse Angop, le quotidien Jornal de Angola, la station de télévision publique (Televisão Publica de Angola) et la radio nationale (Rádio Nacional de Angola), qui jouent le rôle effectif de porte-paroles du MPLA. La presse privée est réduite à un petit nombre de journaux qui circulent pour l’essentiel dans la capitale, Luanda, et deux stations de radio qui ne peuvent pas émettre au-delà de la capitale. Tout au long de la guerre, les médias ont été utilisés comme arme idéologique et militaire, faisant état des victoires importantes, cachant les défaites sérieuses et destinés à remonter le morale des troupes13.

37Durant la campagne électorale, les média étatiques, les seuls à disposer d’une couverture nationale, intensifièrent leur propagande en faveur du MPLA, freinant toute possibilité de diversité et de pluralisme d’opinion. Des observateurs électoraux ont reconnu que ce monopole était un des éléments mettant en péril le caractère équitable de l’ensemble du processus, même si à partir du 5 août, au démarrage de la campagne, chacun des partis eut droit à cinq minutes par jour à la radio et à la télévision, conformément au principe d’égalité de traitement par les médias.

  • 14  Voir World Press Freedom Review , Vienne, International Press Institute, Erreur ! Référence de lie (...)

38En 2006, un nouveau projet de loi fut promulgué en vue de libéraliser davantage les médias et de protéger la liberté d’expression et d’opinion en Angola. C’était une mesure nécessaire étant donné que l’ouverture créée fin 1991, avant les premières élections, pour dépolitiser les médias et permettre l’émergence d’une presse privée, fut vite refermée avec la reprise de guerre. La nouvelle législation est certes encore restrictive et inclut des conditions visant les journalistes qui ont le « devoir » de fournir une information « exacte » et d’une manière qui ne soit pas « déloyale »14. Journalistes et éditeurs risquent la prison, le licenciement, des amendes dissuasives ou importantes s’ils diffament le Président ou ses représentants. Un exemple récent fut l’incarcération, au mois de juin, de Felisberto Graça Campos, le directeur de l’hebdomadaire privé Semanário Angolense, pour trois allégations de diffamation.

39La radio est le moyen le plus efficace de communiquer et d’accéder à l’information en Angola, compte tenu des taux élevés d’analphabétisme et des niveaux de pauvreté dans les provinces, mais toutes les stations de radio indépendantes ont soit été fermées, soit ont vu leur rayon d’émission restreint, ou ont été réduites au silence d’une façon ou d’une autre. En juillet, la Radio de l’Unita, Rádio Despertar, fut interdite d’antenne pendant six mois sous prétexte d’avoir étendu sa transmission 400 km au-delà de la capitale. Rádio Ecclesia, de l’Église catholique, un des médias les plus critiques, se bat depuis 1978 (date à laquelle elle commença à subir des restrictions imposées par le MPLA) pour pourvoir émettre au niveau national et sur la FM. En novembre 2003, le ministre de l’Information a mis en garde l’Église de ne pas émettre dans les provinces, indiquant que toute tentative de passer outre serait une atteinte à la loi et à l’État. Il en résulta que, durant les élections, les seules informations circulant à travers le pays étaient celles contrôlées et manipulées par le MPLA, accordant au parti au pouvoir tous les bénéfices des projets de construction, en affirmant que le seul parti préparé à diriger le pays était le MPLA.

Les dividendes de la paix : croissance économique et pauvreté

40La mauvaise gestion de l’économie et la corruption endémique ont empêché la majorité de la population de bénéficier de la rapide croissance économique portée par l’industrie pétrolière et l’exploitation d’autres ressources naturelles. Le boom du pétrole, associé à la volonté de la Chine d’avancer des milliards de dollars de prêt, ont permis au gouvernement d’agir en dehors du contrôle de la communauté internationale. Freedom House estime que plus d’un milliard de dollars de revenu pétrolier disparaît chaque année, preuve de l’opacité et de l’inefficacité du système financier15. Transparency International place l’Angola au 147e rang sur les 180 pays de l’Indice de perception de la corruption pour l’année 2007. Les écarts de richesses font de l’Angola un des pays les plus inégalitaires du monde, et il occupe la 16e place en partant du bas dans l’échelle du développement humain du PNUD (soit la 162e sur 177) pour la même année.

41Les améliorations dans les secteurs sociaux clé ont été négligeables (en dehors des trois grandes villes), laissant des pourcentages importants de la population, en particulier dans les zones périphériques de Luanda et dans les zones rurales, sans accès à l’eau potable, à l’assainissement, à l’électricité, au logement, à l’emploi, à la santé et à l’éducation. Les Angolais ont vu très peu de changements significatifs depuis la fin de la guerre et la majorité d’entre eux vivent dans la pauvreté, sans espoir d’emploi en dehors de l’agriculture de subsistance (qui assure 85 % des moyens d’existence) ; certaines communautés n’ont d’autre choix que de vendre du charbon de bois ou du bois de cuisine pour pouvoir manger une, parfois deux, fois par jour. Le boom économique entraîné par le pétrole n’a pas servi à combattre ces niveaux d’extrême pauvreté qui offrent un contraste saisissant avec les 41 milliards de dollars de revenu rapportés par l’activité pétrolière en 2007 et à propos desquels le gouvernement a de plus en plus de mal à s’expliquer. Pendant la campagne électroale, le gouvernement a fait des promesses ambitieuses pour combattre la pauvreté, créer des emplois, construire un million de logements neufs, combattre la corruption. Il sera à présent jugé sur le fait qu’il tienne ou non ces promesses.

L’insécurité organisée16

  • 16 Sous-titre de la rédaction.
  • 17  Entrevues auprès de groupes de personnes réinstallées (comprenant des personnes déplacées de l’int (...)

42Depuis la fin de la guerre, harcèlement et intimidation politiques ont été largement répandus. Par le biais d’une stratégie de violence politique, de cooptation, de persécution d’opposants présumés et la présence des membres des Services de renseignement (SINFO), le MPLA est parvenu à neutraliser toute forme d’opposition réelle ou d’indépendance politique. Les milices civiles de l’Organisation de la défense civile (ODC), créées en 1992, ont été légalisées du fait de leur intégration dans les forces de sécurité en mars 2002 par le ministre de la Défense et ont joué un rôle actif dans la protection des intérêts du parti au pouvoir, en s’organisant stratégiquement au sein des communautés rurales. Les agents de cette organisation sont tous membres du MPLA et sont connus pour user de tactiques « marxistes-léninistes » pour faire régner la peur. Ils ont été très actifs dans la phase de retour et de réinstallation des populations affectées par la guerre en utilisant l’intimidation et une violence de basse intensité comme moyen d’étendre le contrôle effectif du gouvernement sur tout le territoire17.

Harcèlement et intimidation

  • 18  Accusations portées par les secrétaires provinciaux des partis d’opposition, Huambo, le 4 septembr (...)
  • 19  Déclarations de l’opposition faites à différents observateurs et communiqués à la presse privée an (...)

43Pendant la campagne électorale, l’opposition s’est exprimée à plusieurs reprises sur des actes d’intolérance politique, accusant des membres du MPLA, de la JMPLA et de l’ODC de l’assassinat de sympathisants, de violences physiques, de sabotage d’activités politiques et de destruction de biens privés18. Par articles de presse ou récits d’individus, Unita, FpD, PRS et PAJOCA ont accusé le gouvernement d’orchestrer une telle campagne d’intimidation et de harcèlement19. Il y a eu de nombreux assassinats pour raisons politiques depuis l’instauration de la paix, l’Unita déclarant qu’en 2006 et 2007, trente membres du parti ont été tués, chiffre qui a nettement augmenté en 2008. Samakuva a échappé à une tentative d’assassinat en mars 2007 pendant une tournée qu’il effectuait dans la province de Kwanza Norte.

  • 20  Sujet largement repris dans la presse écrite de Luanda, privée et publique.

44Les forces de police ont, elles aussi, joué leur rôle d’intimidation ou de complicité de harcèlement de militants de l’opposition, en feignant d’ignorer la violence perpétrée pour raison politique et les tentatives des militants du MPLA d’interrompre les manifestations et réunions publiques organisés par les représentants provinciaux de l’opposition. Il est connu que la police agit dans l’impunité, le cas le plus récent étant celui de la fusillade de Sambizanga où huit hommes ont été exécutés dans un des bidonvilles de Luanda20. Les efforts de l’opposition pour mobiliser leurs supporters ont aussi été entravés par des barrages formés par des gangs bloquant l’accès à des centaines de villages.

  • 21  Entrevue avec des militants de l’opposition ayant eu des membres de leur famille expulsés pendant (...)

45Fin août, les autorités angolaises firent monter d’un cran la campagne qui avait commencé en mai, en expulsant des migrants congolais dans les provinces de Lunda Norte, Lunda Sul, Uige et Zaïre, le nombre d’expulsés atteignant un total de 85 000 personnes. Le gouvernement justifia officiellement ces expulsions par le fait que ces migrants congolais travaillaient illégalement dans le secteur des mines de diamants, dans des régions où l’on estime à 400 000 le nombre de ceux qui y vivent. Cette décision par le gouvernement de « nettoyer » certaines zones frontières avec la République démocratique du Congo, y compris de citoyens angolais appartenant aux groupes ethniques Bakongo et Chokwe, a été interprétée comme visant à diluer les soutiens aux partis de l’opposition21.

Les services de renseignement

46Une analyse de la hiérarchie du pouvoir en Angola placerait nécessairement la Présidence tout en haut de l’édifice, avec ensuite le groupe des conseillers du Président, dont font partie les chefs des services de sécurité et des services d’espionnage. Ces corps spéciaux, militaire et civil, sont affectés au service du Président et placés sous le commandement d’un chef des Services, actuellement le général Manuel Helder Vieira Dias « Kopelika » ; ils sont chargés de conduire des opérations à l’extérieur du pays par l’intermédiaire des Premiers secrétaires de chacune des missions diplomatiques à l’étranger, tout en s’assurant, au niveau central, de réunir tous les moyens nécessaires pour garantir le succès de leurs missions. De fait, cela signifie que l’importance des services de renseignement dépasse de beaucoup celle de la plupart des autres départements gouvernementaux, pour la bonne raison que l’étendue de l’administration et du contrôle étatique sur les populations est plus efficace à travers ces services qu’à travers les ministères et gouvernements provinciaux.

47Le Service d’information (SINFO) est le principal organisme de sécurité intérieure ; il est chargé principalement de collecter les renseignements et est utilisé comme une « force de police politique ». Les opérations du SINFO sont toujours caractérisées par les méthodes, techniques et pratiques organisationnelles calquées sur le modèle de sécurité des États soviétique, est-allemand et cubain. Le SINFO a joué un rôle important dans ces élections et au cours des trois dernières années de préparation du scrutin national, en créant de vastes réseaux d’informateurs largement dispersés et en instillant une culture de peur au sein de la population.

48Le procès et l’emprisonnement, en 2006, du général Fernando Miala, ancien chef des Services de renseignements et principal architecte du Service de sécurité extérieure, ont envoyé un message clair indiquant que même les conseillers les plus proches du président dos Santos ne sont pas irremplaçables et que lorsque trop de pouvoir et d’influence sont concentrés dans une seule personne, cet individu doit être « recyclé ». Miala est devenu une menace à partir du moment où il a été perçu comme leader d’un groupe « africaniste » au sein des Services de sécurité (étant lui-même bakongo) entrant en conflit avec le groupe des « métis » de Kopélika. C’est dire si classe et race jouent un rôle important dans la création de la loyauté et la méfiance tout autant que l’ethnicité et l’affiliation politique.

Le jour du scrutin et l’encadrement des provinces

  • 22  Une autre difficulté pour certaines missions d’observation africaines fut le nombre limité de pers (...)

49Les élections législatives ont été suivies par un nombre restreint de missions d’observation qui ont tenté de se rendre dans le plus grand nombre de zones possibles. Compte tenu de la taille du pays et des problèmes de communication dus au piètre état des infrastructures, cette tâche s’est avérée difficile22. L’Union européenne envoya 40 observateurs de longue durée plusieurs semaines avant le scrutin et 40 observateurs de courte durée quelques jours avant le vote ; le Parlement panafricain délégua une mission de 15 observateurs aidés de 11 agents ; la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) 17 observateurs ; la Communauté de développement économique des pays de l’Afrique australe (SADEC) avait une mission comprenant 80 observateurs, la mission diplomatique américaine envoya une équipe de 40 personnes ; il y eut un groupe ou deux émanant de la société civile angolaise autorisés par le gouvernement, et enfin une petite mission d’observation de l’Union africaine. Aucun autre observateur ne fut invité ; notoirement absents, le Carter Center, connu pour la rigueur de son travail d’observation et le Forum parlementaire de la SADEC, qui avait mis en cause l’indépendance et l’impartialité de la commission électorale et de l’organisme chargé de l’inscription des électeurs dans un rapport produit après sa visite de mars 2007. De plus, le ministère des Affaires étrangères angolais fit une déclaration fin août limitant les déplacements de toutes les missions diplomatiques à Luanda, dont le personnel n’était pas autorisé à voyager hors de la capitale sans demande préalable, sous prétexte de leur propre sécurité.

  • 23  Voir « Angola : Irregularities marred historic elections. No independent oversight, media bias », (...)

50Des membres de la Plateforme électorale de la société civile, qui avait constitué un groupe d’observateurs nationaux indépendants, ne purent surveiller les élections correctement à cause de l’obstruction délibérée de la Commission nationale électorale (CNE), selon le communiqué de presse de Human Rights Watch du 15 septembre. Parmi les obstacles mentionnés, l’obtention des accréditations réduisit finalement le nombre d’observateurs de la société civile de 2 640 (personnes formées à l’observation) à 1 300. Il semble que les médias officiels aient publié un communiqué 12 heures avant l’ouverture des urnes pour informer que seulement 28 observateurs sur les 370 de la Plateforme pourraient contrôler les bureaux de vote à Luanda23.

51Les missions d’observation de l’Union européenne et du Parlement panafricain mirent en lumière plusieurs failles dans le processus électoral, bien qu’ils saluèrent la manière pacifique dont il se déroula. Elles soulignèrent la patience et la civilité manifestées par la population, de même que l’absence de violence surtout si l’on considère la tension des jours précédents et les risques réels d’agitation. La plupart des missions d’observation émirent des réserves à propos du contrôle et de l’abus des médias étatiques par le MPLA et de leur favoritisme évident pour le parti au pouvoir.

52La composition de la CNE suscita également des réserves ainsi que sa capacité à agir en médiateur impartial, car 8 de ses 11 membres appartiennent au parti au pouvoir ou à des institutions gouvernementales. La CNE, présidée par Caetano de Sousa, qui avait déjà présidé les élections de 1992, était composée de deux membres nommés par le Président, trois par le parti au pouvoir, trois par les partis d’opposition, d’un représentant de la Cour suprême de Justice, un du ministère de l’Administration territoriale, et d’un membre élu par le Conseil national des médias.

  • 24  Entrevues de journalistes menés à Luanda, le 2 septembre 2008.

53Selon certains rapports d’analystes angolais, lorsque les meetings de l’opposition commencèrent à rassembler un réel soutien populaire et à attirer du monde, le MPLA décida de placer discrètement des membres du SINFO, de l’armée et de la présidence auprès de la CNE comme conseillers auprès du Président Caetano de Sousa, qui se trouve être également Vice-président de la Cour constitutionnelle. Parmi eux, d’anciens membres de la police et des experts en technologie. Selon plusieurs journalistes, ces actions et la « stratégie de la confusion » à Luanda furent, semble-t-il, mises au point après un sondage réalisé au mois d’août par une firme brésilienne engagée pour aider à la campagne du MPLA, indiquant des résultats qui ne furent pas du goût du parti au pouvoir24.

54Sur le terrain, la structure de la CNE était reproduite à l’identique dans les 164 municipalités des 18 provinces, donc lourdement biaisées en faveur du parti au pouvoir. Tous les partis avaient des représentants dans les Commissions provinciales électorales (CPE), mais celles-ci ne furent enregistrées que le 28 juillet, date à laquelle elles devaient indiquer quels représentants étaient affectés à chacun des bureaux de vote. L’opposition ne disposait pas d’un système de communication lui permettant de faire la répartition de milliers de personnes entre les 12 000 bureaux de vote à travers le pays. Elle était également limitée par des problèmes d’argent et incapable de mobiliser le nombre de personnes nécessaires pour suivre les cours d’éducation civique et recevoir les accréditations dans un laps de temps aussi court. La composition de la CNE et la manipulation des médias furent les deux principaux sujets d’inquiétude parmi les observateurs internationaux.

  • * Ndlr : il s’agit bien sûr de la version originale en anglais.
  • 25  Au moment de l’impression de l’article d’origine.

55Les représentants de l’opposition au sein de la CNE soulevèrent le problème du contrôle des bulletins supplémentaires, du lieu où ils étaient conservés, de ce qu’il adviendrait de ceux qui n’étaient pas utilisés et quel était le nombre exact de bulletins qui avaient été commandés et imprimés. Chaque bureau de vote était préparé à recevoir 1 200 personnes, mais ce nombre pouvait varier en fonction du nombre d’électeurs dans la zone. De ce point de vue, ce sont les grandes villes comme Luanda et Lubango qui posaient les plus graves problèmes à l’opposition. Il y avait 15 % de bulletins supplémentaires commandés pour chacun des 12 000 bureaux de vote, de façon à permette à tout le monde de voter au cas où il y aurait plus de 1 200 votants, car en l’absence de registres électoraux et de plans des quartiers, il était impossible d’avoir une indication exacte du nombre d’électeurs dans chaque zone. Autrement dit, s’il n’y avait que 900 votants, il n’y avait aucun moyen de contrôler les 300 bulletins restant. Ce manque de transparence ajouta au problème de crédibilité des élections. En date du 16 septembre au moment de mettre cet article sous presse*, alors que tous les votes avaient été comptabilisés et que le MPLA était déclaré vainqueur, le nombre exact des votants et des abstentions n’était toujours pas connu25.

56L’ensemble du système électronique, avant les élections, connut des problèmes de fonctionnement et fut, par exemple, incapable d’indiquer clairement aux électeurs à quel bureau ils étaient censés se rendre pour voter. Les agents chargés d’aider les personnes à utiliser le système électronique ne furent envoyés sur place que quatre jours avant les élections. Selon la loi, tous les partis auraient dû recevoir des plans, indiquant l’emplacement des bureaux de vote, qui auraient dû être distribués 25 jours avant la date des élections. À Luanda, ces plans n’ont jamais été distribués, alors qu’au niveau provincial, la qualité de d’organisation avait permis aux partis de les recevoir dans les temps.

57Des membres de l’armée ainsi que de l’opposition soulevèrent, avant le jour du scrutin, le problème des urnes spéciales. Du fait que les différents délais prévus par la loi électorale n’avaient pas été respectés, il fallut créer une « urne spéciale » pour permettre aux gens de voter hors de la zone municipale où ils s’étaient inscrits. À l’origine, il avait été stipulé que pour utiliser l’urne spéciale, un formulaire (indiquant les détails de l’identité de la personne), devait être au préalable rempli, puis placé dans une enveloppe, elle-même insérée ensuite avec le bulletin de vote dans une enveloppe plus grande. Deux groupes différents devaient ouvrir les deux enveloppes, reflétant à l’identique la composition de la CNE. Lorsque des observateurs et l’opposition firent remarquer que ce système violait le secret du vote, la Commission décida d’autoriser les gens à voter sans remplir de formulaire.

  • 26  Informations rapportées par plusieurs membres de la société civile qui ont parcouru la ville cette (...)

58Le vote commença dans toutes les provinces le 5 septembre vers 7 heures du matin, avec quelque retard ici ou là, mais dans le calme et dans l’ordre. Pourtant à Luanda, des problèmes logistiques conduisirent au chaos. De toutes les provinces, celle de Luanda était considérée comme la plus imprévisible et l’on se demandait comment les 2,3 millions d’électeurs, soit 21 % de l’électorat total, aller voter, en raison du sentiment croissant de frustration des masses appauvries (70 % des habitants de la capitale) confrontées au luxe ostentatoire de l’élite vue comme faisant partie de la clique du MPLA. Sur les 1 522 bureaux de vote de Luanda, 320 n’ont pas pu ouvrir du tout à cause du manque de matériel ; un certain nombre d’autres ne commencèrent à fonctionner que 4 heures après l’ouverture officielle, car il leur manquait des bulletins de vote, des urnes et autres matériels, ce qui obligea à prolonger le scrutin d’un jour. Sur les 320 bureaux de vote, 100 n’ont pas ouvert non plus le lendemain, et comme les 220 autres n’avaient toujours pas le matériel nécessaire, on les regroupa en 48 bureaux de vote. Autre point noir : les urnes furent laissées sans surveillance toute une nuit car le personnel accrédité était si fatigué après avoir passé 24 heures dans le bureau de vote sans boire ni manger, que les gens tombèrent de sommeil26.

59Le chaos provoqué par ces événements le jour du scrutin dans la capitale et le lendemain, 6 septembre, journée qui n’avait pas été prévue au calendrier, amenèrent l’opposition à crier au scandale. L’Unita alla même jusqu’à demander de nouvelles élections dans les huit jours et déclara vouloir déposer une demande d’annulation des élections devant les tribunaux. Le PRS, le FNLA et le PDPA-ANA firent également connaître leur désaccord affirmant que la désorganisation dans la capitale avait été provoquée à dessein, en particulier dans les quartiers très populaires, fiefs de l’opposition, comme Quilamba Quiaxe, Sambizanga, Viana, Ramiros, Palanca et d’autres encore. L’Unita accusa le gouvernement d’avoir cherché à créer le chaos dans les circonscriptions où le MPLA ne pouvait pas s’attendre à remporter la majorité des voix.

  • 27  Détails fournis à la conférence de presse du PRS à Luanda, le 6 septembre 2008.

60La société civile, des journalistes indépendants et des membres du clergé attirèrent aussi l’attention sur ce que le gouvernement s’est ingénié à mettre en place pour apprivoiser la population rurale et l’insérer dans un « cadre » afin de l’amener à voter pour le MPLA. Intimidation et menaces de guerre aboutirent à une véritable « mise en condition » et les sobas (leaders traditionnels de chaque village) furent utilisés pour se porter garants de la coopération des électeurs de leurs secteurs. Le processus pour gagner les sobas dans les provinces et les inclure dans le réseau clientéliste du MPLA se fit de façon bien coordonnée grâce à la création d’une ONG intitulée O Nosso Soba (Notre soba). Depuis la fin de la guerre, les autorités traditionnelles sont devenues des instruments dans la stratégie du gouvernement qui permettent à celui-ci de maintenir son contrôle sans la présence gênante des militaires. Dans certaines provinces, comme Lunda Sul et Moxico, on a surpris des sobas, le jour du scrutin, avec des piles de bulletins préalablement marqués, qui avaient été distribués par le gouvernement dans les villes, municipalités et villages27.

  • 28  Des images en ont été régulièrement diffusées sur les ondes de la télévision nationale.

61Le parti au pouvoir a coopté et corrompu autorités traditionnelles, administrateurs locaux et électeurs avec de l’argent, des voitures, des ordinateurs, des vélomoteurs, des bicyclettes et en promettant d’autres avantages à venir28. Les sobas et des militants non accrédités du MPLA sont restés à proximité des bureaux de vote pour observer comment votait la population. Des fonctionnaires et des entreprises privées ont été « encouragés » à voter pour le MPLA s’ils voulaient conserver leur emploi. Le SINFO intensifia sa présence à travers le pays, de manière à avoir des représentants et des informateurs dans toutes les communes de toutes les municipalités des 18 provinces. Certains représentants provinciaux de l’opposition affirmèrent qu’il y avait des agents du SINFO dans les files d’attente parmi les civils devant les bureaux de vote.

62Les militaires et la police, dont le nombre total dépasse les 300 000 personnes, reçurent instruction de voter de manière patriotique. Il y eut une campagne nationale prévenant les forces armées de ne pas se mêler de politique et leur rappelant leur devoir à l’égard de leur commandant en chef (le Président). On ne sait pas comment le vote fut contrôlé dans les casernes et si des membres des forces armées furent autorisés à voter ailleurs que dans leurs casernes.

63Au Nord, dans l’enclave de Cabinda, le gouvernement avait à affronter une difficile campagne ; en effet le Front pour la libération de Cabinda (FLEC), qui s’est battu jusqu’en 2006 pour obtenir la sécession de la région riche en pétrole, appelait à voter en faveur de l’Unita. Des observateurs à Cabinda ainsi que l’opposition ont accusé le MPLA d’avoir amené des Congolais par milliers, aussi bien de la RDC que du Congo Brazzaville, pour voter en faveur du parti au pouvoir. Même si un observateur de l’UE témoigne qu’il n’a vu qu’un campement hébergeant 2 000 électeurs illégaux, des membres de l’opposition affirment qu’il y a eu jusqu’à 50 000 Congolais présents sur place. La population de Cabinda ayant boycotté les élections de 1992 (qui n’ont ainsi recueilli que 25 000 voix), il était d’une importance capitale de mobiliser soutien et participation. Il y eut plus de 140 000 inscrits sur les registres électoraux à Cabinda.

64L’Unita, le PRS et les autres partis d’opposition qui avaient déclaré que ces élections étaient une farce, finirent par accepter le résultat et reconnurent leur défaite, expliquant leur décision par leur volonté de préserver la paix et le bien-être des populations.

Un nouveau pouvoir en Afrique : relations internationales et régionales

65En tant que deuxième producteur de pétrole au sud du Sahara, l’Angola (et par extension le MPLA, parti au pouvoir) joui d’une puissance diplomatique considérable en lien direct avec sa richesse économique, le pragmatisme dont il fait preuve dans la diversification de ses partenaires en développement, et du fait de la taille et de la force de son armée. La stratégie du gouvernement pour assurer sa survie et son poids au niveau international repose sur la façon pragmatique avec laquelle il a normalisé ses relations avec des pays avec lesquels il n’était pas très lié jusque-là, comme les États-Unis, la France et d’autres pays. Son principal pouvoir de négociation réside dans ses richesses naturelles. Pétrole, diamants et autres ressources ont permis à Luanda de signer d’importants contrats de coopération avec des donateurs aussi divers que la Chine, le Brésil, l’Inde et l’Europe. La Chine, en particulier, avec ses liquidités et sa volonté d’investir dans des projets d’infrastructures et d’offrir des lignes de crédit sans conditionnalité politique a renforcé le sentiment d’invincibilité de Luanda.

  • 29  Ceci est particulièrement évident dans l’insistance de l’Angola à intégrer la SADEC et la Communau (...)

66Sur le plan régional, Luanda entend jouer un rôle plus décisif dans la définition du paysage politique, économique et militaire de l’Afrique australe, dans le but à la fois de sécuriser ses propres intérêts et de se placer comme alternative à l’hégémonie sud-africaine29. Par le passé, la politique étrangère de l’Angola a conduit le gouvernement à apporter son soutien à d’autres régimes dans le but d’isoler l’Unita, comme ce fut le cas du soutien accordé au président Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville et à Laurent Kabila en RDC. Cette tendance va se poursuivre, même si l’Unita a été neutralisée, mais elle sera redirigée vers le déploiement de la force nécessaire pour prévenir l’instabilité dans la région des Grands lacs qui pourrait menacer sa sécurité nationale.

  • 30  Voir « Ninjas au Zimbabwe », 25 mars 2007, Strategy Page, <www.strategypage.com/qnd/angola/articles/20070325.aspx>.

67Avec la stabilité qu’apporte cette victoire électorale au MPLA, l’Angola, qui a déjà fait preuve de sa force diplomatique et militaire, va enraciner davantage encore son influence en Afrique subsaharienne par le biais d’accords militaires et économiques. Outre la formation des forces armées au Congo et en RDC, des accords militaires ont été signés avec différents pays, incluant le Zimbabwe et la Guinée Bissau. Luanda a également fourni des hommes hautement entraînés qui constituent le groupe le plus nombreux et le plus important de la garde présidentielle des deux Congo. Bien que le gouvernement démente formellement avoir envoyé un bataillon de force de police au Zimbabwe en 2007, Luanda a bel et bien fourni à Harare quelque 2 500 membres spéciaux de police paramilitaire sous couvert d’un accord « d’échange de formation » entre les deux pays30. La décision d’envoyer ces ninjas entraînés en Israël pour soutenir des gouvernements amis continuera de faire partie de la stratégie de sécurité de l’Angola. Luanda ne se fera pas prier pour occuper le vide laissé par la faiblesse temporaire perceptible dans une Afrique du sud traversée par des luttes de pouvoir intestines, et s’est déjà proposé pour déployer des troupes sur la frontière de la RDC avec le Rwanda dans le but de stabiliser la province du Kivu.

  • 31  Voir « Bid to integrate Cabinda extends Luanda’s influence en DRC », South Scan Bulletin (Washingt (...)

68La question de Cabinda pèse lourdement sur les relations avec les deux Congo qui sont frontaliers avec la riche enclave en pétrole du Nord du pays. La volonté d’intégrer Cabinda a amené le gouvernement à renforcer ses relations avec ses voisins en leur proposant des accords dans le domaine de mégaprojets d’infrastructures, tels que le pont de 13 km sur la rivière Congo et la route de 40 km qui relie les provinces angolaises de Uige et de Zaïre à Cabinda et qui passe par le territoire de la RDC31. Les accords passés en 2003 entre l’Angola, la RDC et le Congo Brazzaville ont effectivement isolé les séparatistes du FLEC à Cabinda et augmenté la pression sur un mouvement déjà divisé au point de l’amener à déclarer le cessez-le-feu.

  • 32  L’« Angolagate » a impliqué Pierre Falcone et Jean-Christophe Mitterrand dans un échange armes con (...)

69Les relations entre l’Angola et un certain nombre de pays sont en passe de se renforcer. Des contrats de construction octroyés à des compagnies portugaises en Angola, l’importance des versements correspondants dans les banques de Lisbonne, de même que le flot d’investissement privé provenant de l’ancien pouvoir colonial dans le pays ont amené le Portugal à prendre toutes les mesures possibles pour sécuriser cette coopération. Agissant comme un fond souverain, Sonangol a pris un pourcentage dans la compagnie pétrolière portugaise Galp et possède 49,99 % de la plus grande banque portugaise, Millenium BCP. De la même manière, la France s’est fermement engagée dans la construction d’une alliance stratégique en termes de sécurité et dans le domaine financier sur le continent. En mai 2008, le président français Nicolas Sarkozy s’est rendu en Angola avec des représentants de la compagnie Total/Fina/Elf du secteur de l’énergie, de la Société Générale et d’autres entreprises, visite au cours de laquelle il a signé différents contrats commerciaux. Deux mois plus tard, l’hebdomadaire Le Point faisait état d’une lettre du ministre français de la Défense adressée à un avocat pour signifier que le scandale de l’« Angolagate » n’a jamais existé32. La défense de leurs intérêts nationaux par les pays occidentaux permet d’expliquer la bienveillance de la communauté internationale et son absence de critiques envers la conduite du MPLA pendant ces élections. La mission d’observation de l’UE, qui avait commencé par exprimer de sérieuses inquiétudes sur le niveau de désorganisation prévalent à Luanda, a loué l’environnement pacifique dans lequel les gens ont voté, tout en reconnaissant que ces élections législatives étaient loin de répondre au niveau des exigences internationales. Des déclarations intempestives par certains observateurs furent plus tard rétractées ou atténuées.

* * *

70Ces élections sont historiques à plus d’un titre : ce sont les premières qui, ayant eu lieu après une période relativement longue de stabilité, ont permis que s’ouvre un espace politique avec davantage de possibilités de débat au sein des partis politiques et de la société civile, et ont vu 4,8 millions d’Angolais exercer leurs droits civiques. Elles ont néanmoins ouvert une période de pouvoir incontesté pour le MPLA, qui prétend disposer de vingt-cinq ans devant lui pour gouverner.

71Compte tenu des antagonismes historiques basés sur l’identité, la classe et l’ethnicité, cette victoire absolue n’est pas bonne pour la démocratie en Angola. Il subsiste encore un réel potentiel de violence, avec des millions d’armes dans les mains de populations civiles qui refusent de désarmer et une culture de peur et de méfiance qui subsiste parmi elles.

72Un débat politique constructif s’est instauré pendant la campagne électorale et a créé des espaces de rencontre et des passerelles sociales nécessaires à la mise en place d’une démocratie. Pourtant, les déclarations de l’opposition sur les irrégularités qui ont entaché le processus, à Luanda en particulier, amènent les électeurs dont les intérêts et les besoins n’ont pas été pris en considération, à douter de la légitimité du nouveau gouvernement. Dans les provinces, l’opposition a développé la thèse que « l’ordre sans la justice n’est maintenu que par la force ». En l’absence d’un parlement comptant une représentation forte de l’opposition et des partis offrant une direction aux communautés fracturées et aux différents groupes ethniques, les chances de voir apparaître des voies et moyens capables de régler pacifiquement les conflits sont faibles.

73Le message de la population à l’adresse du parti au pouvoir est qu’elle désire la paix, la sécurité et une réelle participation à l’économie. Le MPLA a désormais tous les leviers en main pour répondre au principal problème social en Angola : la lutte contre la pauvreté. Il sera donc jugé sur sa capacité à élargir le cercle des bénéficiaires de la richesse nationale à tous les individus et de réaliser la création du million d’emplois, de 20 000 logements nouveaux et de deux nouvelles villes qu’il a annoncés dans ses promesses électorales.

74Il est désormais de son devoir d’assurer que des élections régulières soient organisées, tous les quatre ans pour les législatives, tous les cinq ans pour les présidentielles ; que les problèmes rencontrés durant les dernières législatives soit réglés avant la tenue des élections présidentielles de 2009 (comme annoncé) ; d’assurer la dépolitisation des forces militaires et de sécurité et de faire cesser leur culture de l’impunité, mais aussi d’assurer la démilitarisation de la société, le désarmement des civils et le démantèlement de l’ODC.

Septembre 2008

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Notes

1  Voir « Time for transparency », Global Witness, Mars 2004, <www.globalwitness.org/media_library_detail.php/ll5/en/time_for_transparency>, (au 13/10/09). Voir également « Angola’s choice, reform or regress », Africa Report, 61, avril 2003, International Crisis Group, <www.crisisgroup.org/home/index>.

2  Les assimilados étaient les Angolais intégrés et éduqués qui, ayant assimilé la langue, la culture et les modes de vie portugais, constituaient un pilier de la structure coloniale dans les villes.

3  Voir T. Hodges, Angola from Afro-Stalinism to Petro-Diamond Capitalism, Bloomington, Indiana University Press, 2001, (« African Issues Series »).

4  Les 29 et 30 septembre 1992 eurent lieu les premières élections générales dans une atmosphère globalement pacifique, auxquelles prirent part 4,8 millions d’électeurs. La victoire du MPLA aux législatives, avec 54 % des voix, lui assura 129 sièges sur les 220 membres du Parlement, tandis que l’Unita, avec 34 % des votes, n’enlevait que 70 sièges, les autres se répartissant entre le PRS, le FNLA et d’autres partis plus petits. La course à la présidence fut, quant à elle, beaucoup plus serrée et José Eduardo dos Santos recueillit 49,6 % des voix contre 40 % à Jonas Malheiro Savimbi. Comme aucun ne l’emportait à la majorité requise, un second tour devait avoir lieu dans un délai de trente jours. Mais cela ne se produisit pas, car l’Unita et les autres partis de l’opposition déclarèrent que des irrégularités dans les élections présidentielles et législatives les frappaient de nullité. Sur les élections de 1992 et la reprise de la guerre, voir divers articles de C. M, « L’Angola postcolonial », Paris, Karthala, 2008 ; sur les accords de Luena, voir en particulier ses articles « Malheurs au vaincus ! » et « Fin de la guerre, enfin, en Angola !, Vers quelle paix ? », in C. Messiant, ibid : 367-385 et 387-400.

5  A. Santana, Political Parties and Political Evolution in Angola, The Electoral Institute of Southern Africa (EISA) Resarch Report, 28, 2006 : 23, <www.eisa.org.za/PDF/rr28.pdf>.

* Ndlr : cette situation étrange (des ministres ou gouverneurs de l’Unita en pleine situation de guerre) s’explique par le fait qu’à chaque fois qu’un accord de paix était en cours, des officiels de l’Unita entraient au gouvernement. Mais, vivant à Luanda et à la merci du pouvoir, ces officiels ne pouvaient alors que rester au gouvernement même quand la guerre reprenait en brousse, provoquant autant de scissions au sein de l’Unita.

6  À la différence des accords de paix précédents, les Accords de Luena ne prévoyaient pas de contrôle des Nations unies, bien que des observateurs de l’ONU aient été invités, de sorte que le processus fut uniquement conduit par les Forces armées angolaises (FAA) et financé par le gouvernement angolais. Ce sont donc les militaires qui furent chargés d’intervenir dans les camps et d’assurer l’approvisionnement des 90 000 soldats et 400 000 membres de leurs familles. Ces opérations furent si mal organisées que, lorsque les agences humanitaires parvinrent aux zones de cantonnement quelques mois plus tard, elles se trouvèrent confrontées à une situation aiguë de crise.

7  Des Entrevues, menées en 2004 dans les provinces de Moxico et Huambo auprès d’ONG internationales, d’anciens combattants dans des centres de transit et de communautés déplacées, indiquent toutes ce type de discrimination dans ces zones.

8  Témoignage informel recueilli par l’auteur lors de conversations avec d’anciens généraux et militants de l’Unita, le 7 septembre 2008.

9  Voir M. González Bustelo, « Angola : A Monarchy Supported by Oil Companies », Madrid, The Peace Research Centre (CIP-FUHEM), 2004, <www.cipresearch.fuhem.es/pazyseguridad/docs/ANGOLA %20ING %20OK.pdf>.

10  Voir C. Messiant, « La Fondation Eduardo dos Santos. À propos de l’investissement de la société civile par le pouvoir angolais », Politique africaine, 73, 1999 : 82-102

11  Pour plus de détails sur les pouvoirs légaux du Président, voir P. Rainha, « Republic of Angola : Legal system and research », GlobalLex, 2007, <www.nyulawglobal.org/globalex/Angola.htm>.

12  Entrevues de juristes angolais et de professeurs d’université, Luanda, le 7 septembre 2008.

13  Voir I. Mateus, « The role of the media during conflict and in the construction of democracy », Conciliation Resources, <Erreur ! Référence de lien hypertexte non valide. 2004.

14  Voir World Press Freedom Review , Vienne, International Press Institute, <Erreur ! Référence de lien hypertexte non valide. 2007.

15  Voir « Freedom in the world – Angola, 2008 », <www.unhcr.org/refworld/docid/487ca1ecc.html>.

16 Sous-titre de la rédaction.

17  Entrevues auprès de groupes de personnes réinstallées (comprenant des personnes déplacées de l’intérieur et des réfugiés de retour), Moxico, avril 2004.

18  Accusations portées par les secrétaires provinciaux des partis d’opposition, Huambo, le 4 septembre 2008.

19  Déclarations de l’opposition faites à différents observateurs et communiqués à la presse privée angolaise ; également citées dans un rapport de Human Rights Watch, trois semaines avant les élections.

20  Sujet largement repris dans la presse écrite de Luanda, privée et publique.

21  Entrevue avec des militants de l’opposition ayant eu des membres de leur famille expulsés pendant cette campagne, le 6 septembre 2008.

22  Une autre difficulté pour certaines missions d’observation africaines fut le nombre limité de personnel parlant portugais. La plupart d’entre eux ne pouvaient pas lire les journaux ni comprendre la radio ou les émissions de TV ou encore juger du climat politique.

23  Voir « Angola : Irregularities marred historic elections. No independent oversight, media bias », communiqué de presse de Human Rights Watch, <http://hrw.org/doc/>.

24  Entrevues de journalistes menés à Luanda, le 2 septembre 2008.

* Ndlr : il s’agit bien sûr de la version originale en anglais.

25  Au moment de l’impression de l’article d’origine.

26  Informations rapportées par plusieurs membres de la société civile qui ont parcouru la ville cette nuit-là, et sont passés par plus de 40 bureaux de vote.

27  Détails fournis à la conférence de presse du PRS à Luanda, le 6 septembre 2008.

28  Des images en ont été régulièrement diffusées sur les ondes de la télévision nationale.

29  Ceci est particulièrement évident dans l’insistance de l’Angola à intégrer la SADEC et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) en même temps. Avec cette stratégie, le pays prépare le terrain pour projeter son influence bien au-delà de l’Afrique australe.

30  Voir « Ninjas au Zimbabwe », 25 mars 2007, Strategy Page, <www.strategypage.com/qnd/angola/articles/20070325.aspx>.

31  Voir « Bid to integrate Cabinda extends Luanda’s influence en DRC », South Scan Bulletin (Washington), 22 (11), 1er juin 2007.

32  L’« Angolagate » a impliqué Pierre Falcone et Jean-Christophe Mitterrand dans un échange armes contre pétrole en 1994 pour un montant de plus de 900 millions de dollars, dont les preuves sont aux mains de la justice en France.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paula Cristina Roque, « Élections législatives en Angola »Lusotopie, XVI(1) | 2009, 3-23.

Référence électronique

Paula Cristina Roque, « Élections législatives en Angola »Lusotopie [En ligne], XVI(1) | 2009, mis en ligne le 16 novembre 2015, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/323 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01601002

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Auteur

Paula Cristina Roque

Institute for Security Studies (ISS, Pretoria)

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Droits d’auteur

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