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Comptes rendus

Luís Silva, Identidade nacional. Práticas e representações junto à fronteira do Guadiana

Lisboa, Imprensa de Ciências Sociais, 2016, ISBN 978-9-72671-370-8.
Cyril Isnart
p. 182-185
Référence(s) :

Luís Silva, Identidade nacional. Práticas e representações junto à fronteira do Guadiana, Lisboa, Imprensa de Ciências Sociais, 2016, ISBN 978-9-72671-370-8.

Texte intégral

1Luís Silva, qui s’est formé une solide réputation de spécialiste des usages touristiques et patrimoniaux des espaces ruraux européens (Silva et Figueiredo 2013 dir., Silva 2014), présente ici une version actualisée de son travail de mestrado d’anthropologie qu’il a soutenu en 2000 au département d’anthropologie de l’ISCTE (Lisbonne). Dans la lignée de Richard Handler et Benedict Andersen, l’ouvrage propose d’explorer les représentations des caractères nationaux que deux communautés frontalières du sud de la péninsule ibérique, Montes Juntos au Portugal et Cheles en Espagne, construisaient l’une à propos de l’autre et comment ces stéréotypes nourrissaient les logiques de différenciation et les relations entre les deux groupes au tournant du xxe siècle. Séparées par une frontière ancienne, qui correspond au cours du fleuve Guadiana, distantes de sept kilomètres à vol d’oiseau, sans liaison routière, Cheles étant plus peuplée que Montes Juntos, les deux communautés partageaient cependant des moments récréatifs pendant les fêtes patronales et les touradas (courses de taureaux), les habitants traversant à pied le fleuve ou parcourant un détour automobile de plus de 80 kilomètres. Les Portugais pouvaient se ravitailler en Espagne, mais ils fréquentaient surtout les discothèques et les bars espagnols pendant les week-ends. Le livre est entièrement consacré à la description croisée des différences que ces deux populations voisines énoncent à l’anthropologue, qui se propose d’illustrer les effets que le contexte de frontière produit sur la construction de l’altérité nationale. Il contribue ainsi à la littérature sur le nationalisme ordinaire en Europe et la frontière, après un certain nombre de publications qu’il sait mettre à profit dans une visée comparative et théorique. Il a pu, grâce à une méthodologie de terrain classique en anthropologie, recueillir les énoncés des représentations des caractères nationaux en jouant entre des “eux” et des “nous” contextualisés et en listant les critères qui, concrètement, servent de support ou actualisent ces différences dans le domaine des pratiques festives, de la nourriture ou des usages sociaux coutumiers.

2Presque 20 ans après le travail de terrain, l’introduction et la conclusion en témoignent, le paysage local a radicalement changé, car les deux agglomérations sont depuis les années 2000 riveraines de la grande retenue d’eau d’Alqueva, dont les pouvoirs publics et les promoteurs privés ont soutenu la construction en pariant sur l’essor de l’agriculture irriguée et le développement du tourisme. Localement, les retombées espérées ne sont pas significatives et les deux localités sont maintenant séparées par l’étendue d’eau qui recouvre le lit du Guadiana.

3Le livre conserve le style des mémoires universitaires et n’évite pas les écueils d’une écriture scolaire, les répétitions de la structure rhétorique de la comparaison terme à terme, et des formules banales qui alourdissent la lecture. Mais ce parti pris permet cependant de laisser une large place aux extraits d’entretiens bruts, et d’évoquer de manière très utile la littérature théorique sur le nationalisme et les frontières, deux objets qui structurent thématiquement le propos. Le livre est scindé en deux grandes parties. Les quatre premiers chapitres sont consacrés aux représentations des habitants de Montes Juntos sur ceux de Cheles et sur leur propre identité (histoire, fêtes, alimentation, nationalité). Les deux derniers chapitres croisent les regards, en portant soit sur les habitants de Cheles, soit sur les quelques Espagnols vivant à Montes Juntos et Portugais ayant migré à Cheles. L’introduction et la conclusion systématisent l’approche et les résultats, alors qu’une postface rappelle utilement l’évolution récente des deux villages suite à la construction du barrage d’Alqueva. Trois fils de commentaires paraissent devoir être tirés pour saisir l’intérêt du livre de Luís Silva.

4En premier lieu, l’auteur y insiste à plusieurs reprises, le but du travail ethnographique n’était pas de mettre au jour les différences objectives entre les deux populations, mais plus finement de saisir quels sont les éléments, réels ou imaginés, qui font différence dans les discours croisés sur les identités locales. En souhaitant dépasser une perspective objectiviste des identifications, Luís Silva montre de manière tout à fait convaincante que les caractéristiques que l’on s’attribue de part et d’autre de la frontière relèvent d’un processus qui nationalise les spécificités locales et localise les attributs stéréotypés nationaux, mais jouent également sur d’autres échelles d’appartenance. L’opposition structurante entre “eux” et “nous” se décline ainsi de façon subtile et concomitante en termes hyper-locaux (Cheles/Monte Juntos), ontologiques (Portugais/ Espagnols/Tsiganes/ânes), régionaux (Estremadura/Alentejo), intra-nationaux (Alentejo/Espagne et Nord du Portugal) ou internationaux (Portugal/ Espagne) dans d’innombrables combinaisons. Dans sa forme de différenciation la plus simple (Portugal/Espagne), les discussions autour des manières de table, pour reprendre l’expression de Claude Lévi-Strauss, sont ainsi très instructives des processus de différenciation entre les Portugais, dont l’appétit, tel celui des ânes, est considéré comme insatiable, et les Espagnols, dont on rappelle volontiers qu’ils mangeraient des lézards, comme les Tziganes.

5Un second fil qui parcourt l’ensemble du texte touche à l’importance des récits du passé dans les dynamiques d’identification des deux communautés, et notamment ceux qui concernent le xxe siècle, ses bouleversements politiques et certains traits de continuité : conflits, dictatures, entrée dans l’Union Européenne. Si les deux régimes autoritaires ibériques ont couru sensiblement sur la même période, la violence de la guerre civile est rappelée comme un épisode différenciateur du caractère espagnol, alors que le passage des deux pays dans l’orbite de l’Union Européenne ne semble ni avoir profondément modifié les relations frontalières, du fait de la configuration géographique des voies de communication, ni les stéréotypes nationaux. En revanche, mais Luís Silva ne l’interprète pas en tant que récit du passé, la persistance des attachements au pays d’origine exprimée par les habitants vivant dans l’agglomération opposée montre bien une continuité identitaire recherchée par ces migrants. Elle témoigne de la survie des images nationales anciennes qui touchent, et l’auteur en donne de nombreux exemples concrets, les formes de religiosité populaire, les modalités de la tauromachie, la consistance des sauces de cuisson des viandes ou les attitudes des femmes que l’on pourrait facilement associer à une narration nationalisée de ce que Herzfeld nomme la nostalgie structurelle.

6Enfin, la mise en place d’une pratique de la comparaison par l’auteur mérite d’être soulignée. On ne peut qu’être admiratif devant l’effort ethnographique qui a consisté à faire dire aux habitants, ou à écouter patiemment, leurs discours, puis à les confronter avec les performances effectives des fêtes ou des repas, et pour finir à mettre en regard ce que les Portugais disent des Espagnols, ce que les Espagnols disent des Portugais et ce que les migrants en pensent de leur côté. Cette méthodologie révèle des données qui confortent beaucoup d’attendus partagés et qui ne souffrent pas de critiques sévères – les Portugais seraient réservés, serviables et laborieux ; les Espagnols exubérants, fourbes et bon-vivants. Mais elle montre également comment, à partir de faits observés ou imaginés, les différences se transmettent, se confirment et se reproduisent dans un contexte social donné. La référence à l’épidémiologie des représentations de Dan Sperber aurait sans doute permis, si elle n’arrivait pas si tard dans le livre, de développer, par la comparaison, de passionnantes pistes sur l’anthropologie de la culture, en dépassant le cadre des interprétations du nationalisme et de l’objectivation de la culture parfois trop systématiquement et trop scolairement introduites dans l’argumentation.

7On aurait sans doute apprécié également quelques illustrations qui auraient donné un aperçu des ambiances des espaces, des fêtes et des restaurants et ainsi permis de mieux se figurer le travail performatif du discours national, tout comme, mais cela aurait été un autre livre, quelques recettes des plats que l’on dit si différents. Il reste que le livre de Luís Silva propose une lecture originale d’espaces frontaliers et de populations rurales dont l’anthropologie du Portugal avait fait son terrain privilégié. La ruralité revient aujourd’hui par l’analyse du patrimoine et du tourisme qui efface cependant une ethnographie des expériences politiques ordinaires, et pourtant essentielles, telles qu’elles sont décrites et analysées ici.

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Bibliographie

Silva, L. & Figueiredo, E. eds. 2013, Shaping Rural Areas in Europe. Perceptions and Outcomes on the Present and the Future, Dordrecht, Springer.

Silva, L. 2014, Património, Ruralidade e Turismo. Etnografias de Portugal Continental e dos Açores, Lisboa, Imprensa de Ciências Sociais.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cyril Isnart, « Luís Silva, Identidade nacional. Práticas e representações junto à fronteira do Guadiana »Lusotopie, XVII(1) | 2018, 182-185.

Référence électronique

Cyril Isnart, « Luís Silva, Identidade nacional. Práticas e representações junto à fronteira do Guadiana »Lusotopie [En ligne], XVII(1) | 2018, mis en ligne le 01 juillet 2021, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/2810 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-12341702

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Auteur

Cyril Isnart

Aix Marseille Univ., CNRS, IDEMEC, Aix en Provence, France

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