1Canhane est un village situé à la lisière du Parc Transfrontalier du Grand Limpopo, au sud du Mozambique, qui accueille depuis 2004 un projet de développement touristique communautaire. Ce projet a été conçu et mis en place par l’ONG suisse Helvetas, grâce à un financement de l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID). L’objectif d’Helvetas était d’utiliser les opportunités offertes par le tourisme international pour construire un modèle de développement local, en associant étroitement les villageois à la gouvernance du projet. La gérance du gîte d’accueil pour les touristes fut ainsi confiée à une Commission de Gestion Sociale (Comissão de Gestão Social) représentant les habitants de Canhane.
- 1 Voir par exemple le bilan effectué en 2009 par Naomi Leite et Nelson Graburn pour le volume publié (...)
2Ce projet de développement touristique local, qui fut pionnier au Mozambique, est l’objet du livre de João Afonso Baptista. Cette étude est plus largement le résultat d’une décennie de recherches le développement du tourisme dans le “Sud global”. L’essentiel des données analysées dans ce livre a cependant été recueilli lors d’un travail de terrain ethnographique conduit entre 2006 et 2008. Cet intervalle temporel entre la recherche et la publication de l’ouvrage se ressent parfois à la lecture du livre. Les problématiques et les références théoriques mobilisées renvoient en effet aux débats qui ont marqué les études du tourisme il y a une décennie, lorsque de nouvelles recherches, notamment en anthropologie, se sont attachées à dépasser le cadre des études d’impacts (économiques, culturels ou sociaux) du développement du tourisme, pour analyser les pratiques locales de gouvernance ou de management de l’industrie du tourisme et les modes de partenariat commercial impliquant des communautés1. Selon cette perspective, les formes de tourisme alternatif (tourisme solidaire, tourisme équitable, écotourisme, etc.) apparaissent comme des objets d’étude particulièrement riches et complexes, où la prise en compte des questions éthiques liées aux modes de consommation permet l’émergence de nouvelles formes d’exercice de gouvernance locale non-institutionnelle. L’analyse critique des réseaux de signification associant consommation touristique et ce qui est ici nommé « l’éthique de bienveillance » (ethics of benevolence) est au cœur du projet de João Afonso Baptista. Le principal intérêt de cette approche est de considérer le développement du tourisme à Canhade à la fois comme un processus impersonnel qui opère à une large échelle (globalisation, développement international, marché global du tourisme international) et comme le résultat des aspirations et actions personnelles des individus impliqués dans ce processus (p. 54). À chaque étape, cette étude cherche à concilier les points de vue et les intérêts des différents acteurs engagés dans le développement du projet de tourisme communautaire à Canhade : dirigeants des ONG, habitants du village, membres de la Commission de Gestion Sociale du gîte et touristes. Par exemple, les notions de communautés et de tourisme communautaire (community-based tourism) sont analysées comme de puissantes catégories idéologiques qui légitiment les interventions extérieures dans le cadre des politiques de coopération et de développement. Mais, au niveau local, elles sont aussi clairement identifiées comme des ressources viables sur le plan économique. En d’autres termes, l’auteur conclut que “the homogeneous Other is more workable and economically more advantageous (…) than the heterogeneous Other” (p. 73).
3The Good Holiday n’est donc pas une simple monographie qui aurait pour objectif de restituer les différentes dimensions du processus de transformation de Canhade en lieu touristique, contribuant ainsi à donner une nouvelle illustration de l’impact du développement touristique dans le “Sud global”. Le livre se présente plutôt comme un recueil d’études thématiques (certaines d’ailleurs déjà publiées isolément sous la forme d’articles), toutes plus ou moins centrées sur le cas de Canhane mais qui élargissent souvent leur propos à d’autres contextes et échelles d’observation : les organisations humanitaires et le « Sud global », les reconfigurations du tourisme international, etc. Le premier chapitre de l’ouvrage retrace le processus de création de la communauté touristique de Canhane, entre la présentation du projet aux autorité régionales (octobre 2002) et l’inauguration du gîte d’accueil pour les touristes (mai 2004). Ce chapitre analyse aussi en détail les statuts et le fonctionnement de la Commission de Gestion Sociale chargée de l’administration du gîte communautaire. Les deux chapitres suivants déconstruisent les notions de “community” (chapitre 2) et “developmentourism” (chapitre 3) en jouant sur la comparaison entre différents usages et échelles d’analyse. Du point de vue des études du tourisme, les chapitres 4 et 5 sont ceux qui apportent le plus de données nouvelles. C’est là aussi que l’approche ethnographique donne sa pleine mesure. En étudiant le réaménagement de l’infrastructure de la distribution d’eau dans le village (chapitre 4) et le parcours des touristes qui visitent le village (chapitre 5), l’auteur parvient à saisir la participation des touristes dans la reconfiguration matérielle et symbolique de l’espace public, mais surtout les formes d’interaction entre les touristes et la communauté des villageois de Canhade. L’auteur montre en particulier comment la constitution et l’organisation de cette communauté résultent en grande partie du développement du tourisme. L’implication des touristes comme habitants du lieu (João Afonso Baptista reprend le concept heideggerien de dwellers) est ici particulièrement bien mise en évidence. L’étude s’inscrit implicitement dans une ligne devenue aujourd’hui très féconde dans le champ des études touristiques et développée notamment par la géographie culturelle qui est ici assez peu convoquée.
4Le chapitre 6 intitulé “Problematizing poverty” souffre d’un certain décalage avec les nombreuses contributions sur ce thème parues ces dernières années. L’étude marquante de Bianca Freire-Medeiros sur le « tourisme de favelas » (Freire-Medeiros 2013) n’est par exemple évoquée qu’à travers la citation d’un court article de 2007. Finalement, les conclusions développées dans le septième et dernier chapitre du livre portent sur les formes de gouvernance locale qui sont mises en place par et pour le développement du tourisme. L’auteur se garde de généraliser son propos – ses conclusions portent spécifiquement sur le cas de Canhane –, mais il se montre particulièrement convaincant sur les possibilités de convergence entre tourisme et développement, sur un mode participatif et non-gouvernemental.
5Écrit dans un style clair et concis, le livre de João Afonso Baptista apporte une contribution importante à l’étude critique des politiques de développement touristique. Les spécialistes des études du Mozambique pourront aussi apprécier l’apport de cet ouvrage qui remet en perspective les politiques de développement économique local des deux dernières décennies dans ce pays. La relative ancienneté des données présentées dans ce livre suscite cependant une interrogation sur la prise en compte de la transformation dans le temps de cette communauté touristique. On aurait aimé savoir ce qu’est devenue cette communauté, près de dix ans après la conclusion du travail ethnographique qui étaye cette étude. Surtout l’absence de profondeur temporelle (João Afonso Baptista a accompagné les toutes premières années du développement de la communauté touristique, son arrivée à Canhane se produisant seulement deux ans après l’inauguration du gîte) n’est jamais évoquée ou questionnée. L’inscription ou la transformation dans le temps de ces formes de gouvernance locale apparait comme un angle mort de cette recherche.