Newitt, M. 1994, A History of Mozambique, London, Hurst.
Pinto, A. Oliveira 2016, História de Angola da Pré-História ao início do Século XXI, Lisboa, Mercado de Letras Editores.
Recherches politiques internationales sur les espaces issus de l’histoire et de la colonisation portugaises
Malyn Newitt, A Short History of Mozambique, London, Hurts & Co, 2017, ISBN 978-1-84904-833-0.
1Malyn Newitt est un historien de la longue durée de la colonisation portugaise et de l’Afrique et de l’Asie sous ce joug. Il est l’auteur de travaux tant sur l’Afrique moderne (early-modern en anglais), que d’histoire contemporaine (modern en anglais) et même d’histoire du temps présent, sur l’Afrique australe (principalement le Mozambique), l’Afrique équatoriale (São Tomé) et de l’Ouest. Ce nouvel ouvrage actualise A History of Mozambique (Newitt 1994) mais le resserre afin de respecter le genre Short ou Concise History. Il est donc principalement une synthèse écrite à partir de sources secondaires (y compris les ouvrages précédents de l’auteur) et rendra de grands services d’une part aux étudiants en histoire coloniale ou africaine, mais aussi, à titre comparatif, aux spécialistes d’autres pays africains. À l’inverse d’un ouvrage récent sur l’Angola (Pinto 2016) dont l’auteur, en une espèce de souci anticolonialiste, voulut faire démarrer l’histoire de ce pays à la préhistoire, rappelant que l’étude des peuples ne saurait se limiter à la période sous domination coloniale, Newitt commence au xvie siècle. Il a raison. Certes, si une partie des peuples que l’on trouve aujourd’hui dans l’espace « Mozambique » étaient bien sûr déjà sur place avant l’arrivée des Portugais (mais leurs identités ont changé, cf. pp. 15-22), il est téléologique de considérer que cela allait donner le présent Mozambique, alors qu’il s’en fallut souvent de très peu, en Angola comme au Mozambique ou ailleurs, pour que l’histoire ne prenne un tout autre cours. Il serait même justifiable de ne faire commencer le Mozambique qu’en 1753, puisque c’est à cette date que le territoire devint directement une colonie du Portugal et non plus une dépendance de Goa (Estado da India) mais, surtout, qu’il fut considéré comme un territoire unique avec un gouverneur-général. La conscience coloniale d’un « Mozambique » date donc de cette époque-là. Cela n’empêche nullement de faire des recherches remontant à bien plus loin, mais il s’agira alors de l’histoire de communautés humaines et non pas du Mozambique.
2Cet ouvrage, même s’il insiste en permanence sur la prégnance de traits issus du passé dans la fabrique du contemporain, penche vers ce dernier. Les xvi, xvii et xviiie siècles sont exposés en un seul chapitre (chapitre 2), trois chapitres (3, 4 et 5) abordent le xixe siècle et le début du xxe (jusqu’en 1919), deux chapitres (5 et 6) traitent du court xxe siècle colonial (1919-1975) pendant que trois chapitres abordent la période postérieure à l’indépendance, pendant la guerre civile (chapitre 7), depuis la fin de cette dernière (chapitre 8). Le dernier chapitre (chapitre 9) est consacré au temps présent mais sous l’angle des structures sociales et économiques et point des événements comme les deux précédents. Il permet de conclure ce livre d’histoire sans hypertrophier l’importance des tout derniers faits.
3Même si Malyn Newitt n’emploie pas ces expressions, l’ouvrage montre très bien comment le territoire a connu deux âges coloniaux distincts : un premier âge colonial, mercantile et esclavagiste au cours duquel les Africains sont liés à l’économie mondiale via les réseaux portugais, indiens et arabes mais sauvegardent leur hégémonie sur les relations de pouvoir ; et un second âge, celui du capitalisme colonial, marqué par la conquête effective du territoire, la fin des États africains, puis la massification du travail forcé pour les habitants devenus indigènes. Mais il montre aussi que, dans le cas du Mozambique, ce passage d’un âge colonial à un autre fut également une révolution géopolitique puisque le territoire, alors partie prenante de la sphère indiano-swahilie, avec sa capitale située au nord-est du pays (à l’Île de Moçambique, en face des Comores) bascula vers l’Afrique australe à partir de 1898 quand la capitale fut établie dans l’extrême-sud afin de permettre le développement d’une économie de service envers le Transvaal et la Rhodésie. Pour autant, même si Newitt ne mène pas une discussion spécifique sur ce plan, jamais il ne décrit le Mozambique comme une « semi-colonie » de l’Angleterre (thèse en vogue chez certains auteurs) et montre au contraire la profonde hostilité que provo-qua au Portugal, envers Londres, l’ultimatum de 1890, en partie responsable de l’essor du républicanisme (p. 87 et suiv.). Il n’empêche que le territoire fut, pour des raisons financières, « branché » sur l’Afrique du Sud, ce qui aggrava un déséquilibre régional et structurel qui laissera un pays profondément compartimenté, sans aucune unité, d’autant plus qu’il sortit en lambeaux de la Première Guerre mondiale (pp. 115-117). Cela sera, l’auteur le rappelle, une des causes de la guerre civile peu d’années après l’indépendance (1977-1992, voir notamment chapitre 7). Pour autant, ce pays où il n’y a que des minorités n’a pas connu de conflits ethniques, même si ce facteur fut utilisé par le colonisateur lors de sa conquête (p. 149, par exemple). Les ressentiments sont plus régionaux (un pouvoir actuel vu comme « du Sud » en raison de la prédominance, dans les sphères du pouvoir, de dirigeants originaires du Mozambique méridional) ou sociaux (une élite enrichie par les méga-projets gaziers et charbonniers) qu’à proprement parler ethniques.
4Naturellement, certains points d’histoire me semblent soulever questions et débats. Le premier point concerne l’esclavage africain (je n’aborderai pas ici les traites européenne ou arabo-swahilie, bien décrites). Même en peu de pages, il me semble que l’auteur aurait dû préciser mieux de quoi il s’agit (p. 46, p. 67). En effet, s’il paraît fondé de dire, un peu partout en Afrique, que, à la fin de la traite, l’esclavage africain a connu une certaine croissance dans le cadre du développement des cultures licites et à destination de marchés urbains locaux et même international (pp. 69-72, p. 110), il ne faudrait pas donner l’impression que des plantations serviles de propriété africaine, comparable à ce qui existaient aux Amériques, se sont développées à la fin du xixe siècle. Il n’y a, au Mozambique, rien de comparable au Dan-Homey (plantations d’huile de palme) ou au califat de Sokoto (coton). L’essentiel de la production agricole servile se fait par la dissémination d’esclaves au sein des populations elles-mêmes, où les premiers finissent après deux ou trois générations par former des lignages dépendants. Mais surtout, en ce dernier quart du xixe siècle où il n’y avait déjà plus (beaucoup) la traite et pas encore la massification de l’indigénat et du travail forcé, la population africaine en général a accru sa production, y compris pour le marché. À lire Newitt, on a parfois l’impression que c’est à l’esclavage africain que l’on doit cet essor de la production agricole, et on ne sait pas trop si ce fut en plantations ou, comme je le soutiens, par dissémination dans la population.
5Le deuxième point concerne un autre aspect de l’esclavage, relatif aux Chicunda, qui formaient les troupes des prazeiros dans le centre du Mozambique (propriétaires des prazos, territoires en principe donnés en concession à un capitaine blanc pour le délai (prazo, en portugais) de trois générations, à condition qu’il se marie avec une femme blanche), profondément africanisés et goanisés avec le temps. Il n’y a pas de doute que les Chicunda était une sorte d’élite guerrière, qui, de par cette identité professionnelle, finirent par ressentir une identité ethnique. Mais Newitt considère qu’ils n’étaient pas des esclaves (pp. 17-18, p. 39, p. 65). Je crois qu’il s’agit d’une méprise. Le phénomène chicunda des esclaves-soldats est, toutes proportions gardées, comparable à celui des Mamelouks d’Égypte. Certains de ces derniers étaient généraux et leur caste finit même par prendre le pouvoir : pourtant, il s’agissait d’esclaves ! La complexité historique du phénomène servile a permis de telles formations sociales, de même que des esclaves ont pu être propriétaires d’esclaves.
6À propos des mêmes événements militaires qui ont mené à évoquer les Chicunda – ce sera mon troisième point –, Newitt parle systématiquement de leurs chefs, prazeiros notamment, comme de seigneurs de guerre (warlords).
7Cela me semble bien contestable (p. 18, p. 62 et suivantes, p. 101). Jamais il ne justifie ce choix ni ne définit ce qu’est un seigneur de guerre. Certes, les prazos tardifs étaient méconnaissables, avec à leurs têtes notamment des aventuriers goanais, impliqués dans la poursuite de la traite servile (qu’ils avaient embrassée tardivement), organisant des expéditions de conquête, etc. Ils faisaient la guerre. Mais n’est-ce pas très précisément ce que faisaient en pratique les Portugais eux-mêmes au même moment ? Pourquoi ne pas les qualifier de la sorte ? Cela nuit à une analyse de ce que furent, comme phénomène social et politique, les prazos tardifs. Ils formèrent de véritables États secondaires, intermédiaires entre l’administration impériale portugaise dont ils se réclamaient et qu’ils représentaient et les chefferies africaines, en général laissées inchangées (sauf dans le cas du Báruè). Les guerres que le Portugal « moderne » dut mener contre une partie d’entre eux furent parmi les plus difficiles, mais les restreindre à un conflit entre le Portugal officiel (légitime ?) et des seigneurs de guerre, empêche de comprendre qu’il s’est agi d’une véritable guerre civile intra-coloniale, entre des structures politiques venues du premier âge de la colonisation et l’État portugais passé au capitalisme colonial. Cette guerre civile entre formations sociales liées à deux âges distincts de la colonisation est également une explication de la compartimentation du Mozambique à l’orée du xxe siècle.
8Quatrième point : un peu en contradiction avec le choix, justifié à mes yeux, de l’auteur, de commencer l’histoire du Mozambique au xvie siècle, le chapitre 2 est sous-titré : “African Agency in the creation of Mozambique” (p. 49). Dans ce chapitre consacré au xixe siècle, l’auteur parle du Mfecane et de la formation de l’État de Gaza, de la mutation Yao, du tournant productif lié à l’essor du commerce licite, etc. Tout cela est avéré mais ne signifie nullement que les Africains aient développé une capacité d’action (agency) pour former le Mozambique. Le Mozambique est un espace sans pertinence pour les Africains au moins jusqu’aux années 1960.
9Il y a ensuite – cinquième point – une discussion intéressante sur les frontières (p. 93 et suiv.), que Newitt s’attache à décrire comme un processus moins arbitraire qu’il n’y parait, s’inscrivant en faux contre la thèse du colonialisme-qui-a-découpé-des-territoires-à-la-hache, sans respect aucun pour les peuples africains. Effectivement, chacun des morceaux de frontières a son histoire propre, qui n’a pas été réglée en vingt-quatre heures, bien que finalement sanctionnée par le traité luso-britannique de 1891. Mais le Mozambique est un pays dans lequel la grande majorité des nations africaines précoloniales (ou « groupes ethniques », comme ou voudra) se prolonge au-delà des frontières de 1891. Il suffit de regarder la carte pour voir qu’il n’y a aucune justification populaire, historiquement produite et socialement enracinée aux frontières du pays. Bien sûr, le Mozambique n’est pas le seul en Afrique dans ce cas, mais il est l’un des cas extrêmes, un pays dans lequel aucune ethnicité ne dépasse, grosso modo, les 30 % du total. Ce mépris pour les peuples avait été typique de la structuration portugaise de la colonie en provinces (ou districts), pures circonscriptions territoriales de l’État impérial (fût-il républicain). Newitt se trompe quand il écrit (p. 19) que les provinces du Frelimo ont été différentes de celles du colonisateur : elles en sont la copie conforme, à l’exception de la capitale faite province. Car la « nation une » ne saurait avoir de territoires de prégnance identitaire… Les provinces sont la représentation de l’État central au niveau local et non point la représentation des populations locales auprès de l’État. C’est d’ailleurs actuellement (2016-2018) la teneur des négociations entre le Frelimo et la Renamo : faire des provinces un véritable pouvoir local. Néanmoins, l’auteur insiste à juste titre que la structure ferroviaire coloniale, exclusivement d’ouest (hinterland britannique) en est (débouché sur l’océan Indien) absolument pas servi un objectif de cohésion territoriale (p. 103 et suiv.). C’est que, pour sauver son empire après le Congrès de Berlin, le Portugal a dû en passer par le système des Compagnies, avec ou sans charte, qui étaient principalement de capitaux britanniques et dura ici jusqu’en 1942 quand il disparaît ailleurs en Afrique avant la première Guerre mondiale. Force est de constater que le Frelimo n’a jamais songé à la construction d’un chemin de fer nord-sud…
10Dans ce livre relativement court pour cinq siècles et demi d’histoire, l’auteur consacre plusieurs pages au système des cultures forcées (riz, coton, pp. 123-127), ce qui est pleinement justifié au regard de sa réalité démographique et sociale et des contradictions économiques qu’il provoqua (coton de mauvaise qualité, etc.). En revanche – sixième point –, j’aurais aimé plus de détails sur le travail forcé dit « sous contrat » (à peine plus d’une seule page, pp. 112-113) pour les plantations coloniales ou les services de l’État, six mois sur douze, pour tous les indigènes masculins âgés de 15 à 60 ans (en pratique, jusqu’à la mort). La massivité de ce système de l’indigénat à partir de la fin des années 1930 était paradoxalement liée à la législation sur l’assimilation. L’auteur, soulignant la fai-blesse du nombre des assimilés, n’en écrit pas moins que la pleine assimilation pour la totalité de la population était l’objectif ultime de la politique coloniale (p. 121). Il reproduit ici un mythe tenace. Jamais l’Estado Novo ne voulut faire de l’Angola ou du Mozambique de nouveaux Brésil et la législation sur l’assimilation fut d’abord publiée au sein du… Code du Travail indigène (1929) : la définition de l’assimilé (qui parle portugais, a abandonné les « us et coutumes de sa race » et possède une activité économique moderne) servait avant tout à définir qui était indigène et astreint au travail forcé. Cela fut la réalité, massive, de toute la période de l’Estado Novo. Même quand l’indigénat fut finalement supprimé en 1962, il fut remplacé par un « Code du travail rural » qui s’adressa aux mêmes personnes, certes désormais sans travail forcé mais avec des rémunérations restant « indigènes » et indigentes.
11Septième point, d’une manière générale, je trouve que l’analyse de l’Estado Novo reste trop événementielle : quelle fut l’emprunte spécifique du régime métropolitain (fasciste, ou national-autoritaire, selon les historiens) aux colonies ? Le Mozambique fut le territoire où les Sindicatos-Nacionais et les grémios, structures corporatives, furent les plus développées, mais l’auteur a choisi de ne pas les aborder. Inversement, il n’aborde pas non plus l’associationnisme africain.
12En revanche – huitième point –, la nature de l’immigration blanche et la crise de la créolité qu’elle entraîne (pas d’espace social pour une élite africaine), sont très bien montrées (pp. 134-136), ce qui mène à la création du Front de libération du Mozambique (Frelimo, pp. 138-140) et à ses crises (p. 141). L’auteur indique bien que « selon la version officielle », le Front de libération du Mozambique est issu de la fusion de trois groupes régionaux et il indique que cette version est contestée. Mais il ne donne pas vraiment les termes du débat. Il reprend plus nettement la version officielle pour parler des crises du Frelimo de la fin des années 1960, entre une « aile révolutionnaire » et une « aile traditionnaliste ». Or, face à l’élite politico-militaire marxisante, d’origine sociale « moderne », souvent métisse et principalement originaires du Sud (petits fonctionnaires, infirmiers, étudiants …), lesdits traditionnalistes apparaissent tout aussi… modernes (commerçants formés au Tanganyika, prêtres congrégationalistes américains ou catholiques, étudiants) mais peu métis et originaires plutôt du centre du pays. Il est dommage que Newitt ait repris la thèse modernité versus tradition plutôt que de raisonner en termes de trajectoires sociales de modernités alternatives.
13La période finale de la colonisation portugaise – neuvième point – permet à l’auteur de bien montrer les mutations sociales et économiques, et, considère-t-il, que le Portugal avait gagné la guerre (p. 144, p. 146). Or, si cela est avéré dans le cas angolais, c’est bien moins sûr du côté mozambicain ; l’ouverture du front dans la province de Tete et le début des opérations dans la province de Manica e Sofala (centre) montrent nettement que la situation se détériorait, même si le Frelimo ne pouvait pas gagner la guerre (il n’y a qu’en Guinée-Bissau que la lutte armée anticoloniale aurait pu gagner la guerre). Mais bien entendu, la Révolution des Œillets (25 avril 1974) fut une divine surprise pour le Frelimo, et en même temps un grand problème. Lui qui pensait encore en avoir pour dix ans, se retrouva comme interlocuteur du pouvoir portugais alors que sa base sociale (p. 153) était encore faible dans la majeure partie du pays. Selon l’auteur, cela fut la raison principale de son insistance à ne pas procéder à des élections et à obtenir du Portugal un simple transfert du pouvoir. On peut ajouter que, culturellement, il était inconcevable pour le Frelimo, front du « peuple tout entier », de se soumettre à des élections pluralistes.
14Dixième point : Newitt considère que, une fois l’indépendance obtenue (25 juin 1975), la radicalisation du Frelimo fut principalement l’œuvre du président Samora Machel (p. 157). On ne saurait nier le rôle des chefs dans les régimes autoritaires, mais Machel exprima aussi l’angoisse de l’élite politique du Frelimo, très faible socialement, à réussir à « tenir l’État ». L’adoption du « marxisme-léninisme » en 1977, comme théorisation du paradigme de modernisation autoritaire (alors appelée « transition socialiste »), ne peut se comprendre autrement d’autant plus que la distanciation envers l’Union soviétique commence dès 1981 alors que le « marxisme-léninisme » n’est abandonné qu’en 1989. Le lien entre la modernisation autoritaire et l’éclosion d’une guerre rapidement devenue civile aurait ainsi pu être mieux mis en évidence alors que l’ouvrage en reste trop au niveau événementiel (p. 161). L’auteur ne se distancie pas toujours suffisamment des versions officielles, avec une rébellion qui, seule, aurait été principalement occupée à violer et à rapter (p. 166), même si l’auteur met cela en contraste avec la capacité ultérieure du groupe rebelle à devenir un parti doté d’une importante base sociale dans certaines régions du pays (p. 173). De même, si l’on est obligé d’évoquer les résultats officiels des élections – les seuls existants, bien sûr –, s’en tenir aux pourcentages aurait pu être évité : en effet, si le % du Frelimo augmente de 1994 à 2004, le nombre absolu de suffrages qu’il recueille ne cesse de baisser, dans un contexte d’abstentionnisme croissant : la base sociale de la Renamo a cessé de voter après les élections de 1999, qu’elle avait probablement gagnées (pp. 178-179).
15Mais il est vrai – onzième point – que c’est le Frelimo qui reste au pouvoir, profitant de son élite bien mieux formée que celle de la Renamo, même si elles sont « étroites » des deux côtés (p. 180). Le Frelimo va utiliser au mieux l’État néopatrimonial et va se renforcer en 2009 (y compris en nombre absolu des suffrages). N’importe quel habitant du pays peut constater, dans sa vie quotidienne, que l’on vit mieux si l’on a le cartão vermelho (la carte du Frelimo) que dans le cas inverse ou plus encore, si l’on est connu comme militant d’un parti d’opposition. Mais l’auteur semble dire que l’État néopatrimonial s’est formé principalement à partir des accords de paix (1992, p. 199). Certes, le retour à la paix va permettre un néopatrimonialisme plus riche et plus efficace, mais s’il s’épanouit alors, c’est parce que le tournant du paternalisme autoritaire (« marxisme-léninisme ») au néopatrimonialisme s’est produit bien avant, dès le milieu des années 1980 quand s’affirme le tournant néolibéral encore en temps de parti unique.
16L’ouvrage se termine par des réflexions sur la complexité mozambicaine, sur sa paysannerie, les origines de la guerre civile, sur le lien entre aide internationale et sous-développement, bref, par un retour vers l’« histoire-structure » après l’« histoire-événement ». L’auteur laisse visible sa perplexité personnelle sur les raisons du non-développement du pays alors que tant d’aide a été déversée, alors que la guerre civile est finie depuis vingt-cinq ans… Un retour sur la trajectoire sociale de l’élite au pouvoir, certes riche et rentière mais qui n’a pas opéré sa mutation en véritable bourgeoisie productive aurait ici été utile.
17L’auteur a réussi à actualiser son ouvrage jusqu’au tout dernier moment, puisqu’est évoquée l’affaire des « emprunts cachés » (deux milliards de dollars), qui ont mené à la rupture des relations avec le FMI, à l’aggravation de la crise économique et à une incertitude accrue pour l’avenir. Il n’est pas certain que l’analyse de l’auteur selon laquelle le Frelimo a maintenu un solide appui dans les classes moyennes (p. 185) soit avéré : c’est précisément dans ces milieux, que la Renamo peine à gagner, que prospère le nouveau et troisième parti d’opposition, le Mouvement démocratique du Mozambique (MDM). Aux élections municipales de 2013, ce parti a obtenu 40 % des voix à Maputo et Matola (la conurbation du Sud qui est le cœur historique de la base urbaine du Frelimo), selon les résultats officiels, c’est-à-dire non compte tenu du fait qu’une étrange panne d’électricité a plongé l’agglomération dans le noir pendant deux heures au moment même où commençait le décompte des bulletins…
18Une Short History est toujours un pari audacieux – balayer cinq siècles d’histoire en 225 pages de texte –, mais le résultat est extrêmement utile. Personnellement, on l’a vu, j’aurais préféré des analyses plus poussées sur le plan des structures et des idéologies, et moins d’événementiel. J’aurais aimé un peu plus de références, moins exclusivement de langue anglaise1 : si l’auteur prévient clairement que ses trois pages et demie de « Further readings » (pp. 227-230) ne constituent pas une bibliographie, on y manque vraiment de plusieurs ouvrages fondamentaux, justement pour des lectures complémentaires. C’est sans doute la loi du genre. Bien qu’ayant choisi de discuter une douzaine de points d’histoire, je considère sans hésiter que cet ouvrage doit figurer dans toutes les bibliothèques d’histoire et d’études africaines.
Newitt, M. 1994, A History of Mozambique, London, Hurst.
Pinto, A. Oliveira 2016, História de Angola da Pré-História ao início do Século XXI, Lisboa, Mercado de Letras Editores.
Michel Cahen, « Le Mozambique dans l’histoire », Lusotopie, XVII(1) | 2018, 159-185.
Michel Cahen, « Le Mozambique dans l’histoire », Lusotopie [En ligne], XVII(1) | 2018, mis en ligne le 01 juillet 2021, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/2770 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-12341704
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