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« Le yao est ‘fait’ pour se reproduire ! » De l’intimité dans le candomblé

“O Yao é ‘feito’ para reproduzir-se!” Intimidade no candomblé
Yao are ‘made’ to reproduce themselves!” Intimacy in Candomblé
Diane de Morais

Résumés

Le candomblé est une religion brésilienne qui se structure en « famille-de-saint », composée d’initiés réunis par des liens d’ordre rituel, biologique et affectif. Cette densité de relations est le schème moteur de ce complexe socioreligieux, qui définit aussi bien la hiérarchie au sein du culte que les modes de transmission de la pratique rituelle. En prenant appui sur le parcours d’un italien en phase de devenir « père-de-saint », cet article propose d’interroger les mécanismes subjectifs de légitimation au sein d’une communauté internationale (Brésil, Italie, Portugal).

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Texte intégral

Je tiens à remercier les correcteurs pour leur remarques pertinentes, Christophe Pons pour ses encouragements et sa patience, Michael Houseman pour ses conseils avisés, enfin Sandrine Lartoux, Caroline Laurent, Romain Bertrand et Mathilde Bielawski pour leurs précieuses relectures à chacune des étapes de cette réflexion.

  • 1 « Ce qui sera, quand cela sera, c’est cela qui sera ce qui est ». F. Pessoa, extrait de Lorsque vie (...)

« O que for, quando for, é que será o que é1 »
F. Pessoa,
Quando vier a Primavera, 1915.

Italie, 28 juin 2020. La naissance d’une « famille-de-saint » : l’enredo, ou comment se tissent les liens

  • 2 Il s’agit d’une sorte de calebasse recouverte d’un filet de perles utilisée pour accompagner les pe (...)
  • 3 Les orixás sont des divinités tutélaires d’origine yoruba associées aux différents éléments de la n (...)

1Au nord de Milan, le 28 juin 2020, une quinzaine de personnes descendent en file indienne sur un petit chemin de terre qui conduit au lac d’Annone. Le groupe est très chargé et transporte des fleurs, des nattes de paille tressée et plusieurs grands sacs qui contiennent différents plats cuisinés un peu plus tôt dans la matinée. Ils sont presque tous en blanc : les hommes portent une simple chemise et un pantalon en coton, les femmes de longues jupes qui descendent jusqu’aux chevilles, avec un tissu coloré noué autour de la tête ainsi qu’un autre autour de la poitrine. Seul Leonardo, le chef de file, porte une tenue rouge et blanche, agrémentée de plusieurs longs colliers de perles autour du cou. D’une main, il porte un grand sac, plutôt lourd, et de l’autre un chequeré2 qui balance légèrement à chacun de ses pas. Nous sommes dimanche, au beau milieu de l’après-midi, et le cortège se heurte sans cesse à d’autres promeneurs. Surpris par cet étrange défilé, quelques-uns s’interrogent : « S’agit-il d’un mariage ? » ; « Pas du tout », répond Leonardo. Ils appartiennent tous au candomblé, une religion afro-brésilienne, et s’apprêtent à faire une offrande au lac pour remercier Oxum, l’orixá3 ou la divinité des eaux douces, dont il est lui-même le « fils » et qui l’encourage à devenir « père-de-saint ».

  • 4 Selon la cosmologie du candomblé, la tête de chaque personne est composée de plusieurs entités : en (...)

2La « famille-de-saint » est un dispositif relationnel éminemment complexe qui entremêle toutes sortes de liens de parenté de natures multiples. Bien plus qu’une simple métaphore rituelle, elle est véritablement le pivot central d’une pratique religieuse dont elle est autant la condition que l’instrument de réalisation. Afin d’en saisir au mieux les nombreux rouages, je propose de l’appréhender par la notion d’enredo, sur la base des travaux de Miriam Rabelo et de Clara Flaksman, portant sur des lieux de culte de Salvador de Bahia au Brésil. Difficile à traduire en français, le terme recourt surtout au langage explicatif spécifique de l’univers afro-brésilien dans sa globalité (Flaksman 2016 : 24). Pour paraphraser Rabelo, l’enredo est cet enchevêtrement de chemins qui s’entrecroisent pour former une histoire (Rabelo 2014 : 93). Une histoire dont la trame se déroule communément entre les orixás, leur fils et la famille dans laquelle ils s’inscrivent. En effet, les liens de filiation qui existent entre les initiés et chacune des divinités qui les composent4 requièrent d’être « faits » rituellement par l’intermédiaire d’un père ou d’une mère-de-saint. Pour Flaksman, l’enredo est davantage conçu comme une relation ou, plutôt, une manière particulière d’être en relation avec différentes entités en même temps (Flaksman 2014 : 148). Ces relations se manifestent à la fois sur le plan mythologique, au travers de l’ensemble des récits qui tissent les liens de parenté entre les orixás ; sur le plan rituel, entre les membres d’un même candomblé ; mais également sur le plan biologique, puisque Flaksman observe que la relation avec les divinités se transmet d’une génération à l’autre au sein d’une même famille, cette fois consanguine (2018 : 127). Dès lors, l’enredo est le résultat d’un héritage dont il n’est pas toujours possible de retrouver l’origine, mais qui prédétermine et justifie la nécessité de l’initiation comme le rôle à jouer au sein d’une maison de candomblé. Cette dernière hypothèse n’est pas sans évoquer les recherches d’Arnaud Halloy qui, d’une autre manière, s’intéresse également au rôle de la consanguinité dans les enjeux de transmission d’une famille de Recife (2005, 2010). À nouveau, il observe que la charge de chef de culte s’hérite d’une génération à l’autre, gage d’une « compétence » et d’un « style rituel » transmis directement par les liens du sang (Halloy 2010 : 44). Ceci étant, d’une façon ou d’une autre, la parenté biologique détermine la trajectoire de l’enredo et ordonne la position des membres d’une même famille-de-saint les uns par rapport aux autres.

  • 5 L’Ilé Òsùmàrè Aràká Àse Ògòdó, plus connu comme la Casa (maison) de Oxumaré, est l’un des plus anci (...)

3Pour en revenir à Leonardo, italien de naissance, ce ne sont pas les liens du sang qui l’introduisent à la religion. À sa connaissance, aucun de ses ancêtres ne s’est jamais retrouvé en contact avec le candomblé, ni même avec une religion similaire. Pourtant, il y a près d’une vingtaine d’années, il s’est initié dans le Piémont auprès d’un père-de-saint italien mais descendant, par la parenté rituelle, de la Maison d’Oxumaré5 située à Salvador de Bahia. Quelques temps plus tard, Leonardo change de maison et se délocalise au Portugal, dans un candomblé dirigé par celui qui était au départ le père de son premier initiateur. Finalement, il achève, en 2017, le premier cycle de son parcours initiatique au Brésil, et s’organise à présent pour fonder sa propre famille à Milan.

  • 6 Sur l’ancrage des religions africaines au Brésil et le syncrétisme, voir R. Bastide (1995 [1960], 1 (...)

4Les ethnographies qui portent sur le champ des études afro-brésiliennes s’attachent majoritairement à identifier les différents mécanismes de réadaptation d’une religion tantôt africaine au Brésil, tantôt afro-brésilienne en Europe6. Au regard des grandes familles-de-saint traditionnelles, il est certain que le cas de Leonardo est atypique, tant par son éloignement géographique que culturel, car pour lui tout est à construire. C’est précisément la raison pour laquelle son parcours permet de faire émerger la structure de relations d’ordinaire noyées dans un flot de liens déjà enchevêtrés. En conséquence, cet article propose de creuser les processus de subjectivation qui permettent à Leonardo de devenir un chef de culte légitime au sein d’une communauté internationale. Autrement dit : comment se déroulent les fils de son enredo ?

Photo 1. L’enredo de Leonardo

Photo 1. L’enredo de Leonardo

Leonardo déballe et accommode les différents plats pour les orixás. Pour l’occasion, il contracte un photographe afin de documenter son site, « Candomblé Milano », au travers duquel il présente et diffuse toutes ses activités religieuses. Sur cette photo, on le voit qui enroule un long tissu blanc qui sera ensuite noué autour d’une offrande dans un geste particulièrement évocateur des questions abordées dans cet article.

© Filippo Tadei, Annone – 28/06/2020

Arborio (Piémont), 2003 : la feitura de Leonardo. Une sainte trinité : le père, le fils et l’orixá

  • 7 La ville d’Arborio est distante d’environ 70 kilomètres de Milan.
  • 8 Il s’agit d’une pratique oraculaire qui consiste à lancer des cauris (des coquillages consacrés à c (...)
  • 9 Il existe différents statuts parmi les membres du culte : les yaos, qui sont prédestinés à la posse (...)

5Originaire du Nord de l’Italie, Leonardo emménage à Milan pour commencer des études en psychologie. Séduit par l’univers new age, il fréquente un groupe de médiums qui l’amène à faire la connaissance d’une maison de candomblé située dans la ville d’Arborio7. Dès que l’occasion se présente, il assiste à une première fête, au cours de laquelle, aux rythmes des tambours rituels, il souffre de fortes palpitations et de vertiges. Ce sont là les premiers signes de la possession, aussitôt remarqués par le père-de-saint, qui l’invite à revenir dès le lendemain pour une séance de búzios8. Il en ressort que Leonardo est yao9 (de ceux qui entrent en transe), fils de l’orixá Ayra. Dans son cas, le besoin de « faire le saint » est si fort que s’il refuse, il risque la mort. Affolé, mais fortement attiré, il fréquente le candomblé pendant toute une année avant de décider finalement de s’initier en août 2003, à l’âge de 25 ans.

6Le processus initiatique du yao s’appelle la feitura – littéralement « la fabrication »  et consiste à « faire » en même temps l’orixá, qui prend forme dans un ensemble d’objets consacrés, ainsi que la « tête de l’initié », qui renaît simultanément en tant que fils de sa divinité et fils de son initiateur. Notons que le dilemme qui se pose à Leonardo obéit à un schéma parfaitement classique : sous peine de représailles, c’est l’orixá lui-même qui réclame d’être « fait ». Ayra fait cependant déjà partie de son enredo, même si les pleines potentialités de cette relation échappent encore à l’un comme à l’autre. Tout l’enjeu de l’initiation est justement de fixer ce lien précisément pour le consolider, le contrôler et, mieux encore, pour le nourrir dans un sens tout à fait concret. C’est pourquoi, une fois que le novice a subi les rituels de purifications d’usage, le chef de culte commence par matérialiser l’orixá en montant l’assentamento dans lequel il va pouvoir prendre forme. Le terme est issu du verbe assentar qui signifie asseoir, ou plutôt installer. Le plus souvent, il s’agit d’une soupière disposée dans une bassine et entourée d’assiettes, de sorte à composer un objet à la fois esthétique et fragile (Rabelo 2014 : 193).

Photo 2. Assentamento classique de yao

Photo 2. Assentamento classique de yao

Une fois consacré à son orixá, l’assentamento ne peut plus être photographié. Cette photo, extraite du site d’un magasin d’articles religieux dont les commerçants sont initiés au sein de la même famille que Leonardo, représente la composition de l’objet dans sa forme la plus classique.

© Source : https://www.facebook.com/​pg/​pilaodeourosp/​photos/​?ref=page_internal

7À l’intérieur de la soupière, sont placés quelques accessoires qui symbolisent la divinité ainsi que différents éléments – tenus secrets – nécessaires à sa fabrication. Après quoi, le novice et son assentamento reçoivent ensemble le même axé de la main du chef de culte (Opipari 2009 : 111). L’axé désigne la force vitale qui circule dans la nature au sein du règne animal, minéral et végétal (Elbein Dos Santos 1977 : 41). L’essentiel du savoir-faire du candomblé tient dans l’habileté de ses membres à détenir un peu de cette essence sacrée, puis à la transformer en diverses substances de sorte qu’elle puisse être distribuée et partagée entre les hommes et les orixás. Ainsi, au cours des rituels, l’axé se chante, se danse et se cuisine par la famille-de-saint. L’axé se boit, se mange, se peint et se verse conjointement sur le novice et son assentamento. Surtout, à travers tous ces procédés, l’axé se transmet par le chef de culte aussi bien dans les corps que dans les objets. C’est justement ce qui signe la relation de filiation rituelle : le fils et sa divinité héritent ensemble de ce principe ancestral qui les intègre tous deux au sein d’une lignée initiatique. Dès lors, ils changent de nature : le premier devient yao de l’orixá et l’autre, l’assentamento, devient l’incarnation de l’orixá de l’initié. Dans le cas qui nous intéresse : Leonardo Yao de Ayra et l’Ayra du Yao Leonardo. De fait, si Ayra, l’orixá du feu et de la justice, est une divinité globale, vénérée par tous les membres du candomblé, l’Ayra de Leonardo qui vient de prendre forme dans cet ensemble d’objets, en même temps que lui, sur cet axé et de la main de ce père-de-saint, est absolument unique et ne correspond qu’à lui.

8Peu de temps après son initiation, la relation entre Leonardo et son père-de-saint se dégrade pour des raisons de mésentente personnelle et le jeune yao quitte le candomblé, en prenant soin d’emporter son assentamento chez lui. En dépit de la rupture avec sa famille, il maintient une forme de discipline personnelle, principalement en ce qui concerne les interdits alimentaires et vestimentaires. Malgré tout, ses efforts ne semblent pas suffire car Ayra ne tarde pas à manifester son mécontentement, en provoquant notamment des problèmes financiers :

  • 10 Extrait d’un entretien mené en août 2018 à Rome : « Tutti giorni andavo su Youtube a vedere video, (...)

Tous les jours, j’allais sur YouTube regarder des vidéos, j’écoutais les musiques, je dansais, c’est toujours resté à l’intérieur de moi ! Je suis retourné au candomblé parce que je sentais que… je travaillais tellement, mais je n’arrivais jamais à exploser, à décoller, et ça je le sentais tellement relié à Ayra.10

  • 11 Le terme désigne les différentes étapes du parcours religieux et renvoie précisément à tout ce qui (...)

9À propos de la santería afro-cubaine, Martin Holbraad soutient que l’initiation redéfinit les liens entre l’initié et son orixá en termes de dépendance réciproque (2008 : 229). En effet, le bien-être de Leonardo dépend désormais de celui d’Ayra ; au yao d’apprendre à solidifier toujours plus les bases de cette relation pour recevoir en échange une forme de stabilité et de prospérité. En pratique, cela signifie que l’orixá comme son fils doivent s’alimenter régulièrement en axé au cours de leurs obligations11 communes. Et le fait est que tous deux ont besoin d’un cadre religieux pour pouvoir réaliser ces rituels qu’ils reçoivent toujours en même temps, de sorte que ce sont les autres membres de la famille, guidés par le chef de culte, qui se chargent d’accomplir les actes cérémoniels. Définitivement, le candomblé ne peut pas se faire seul, mais repose sur les ressorts d’une mécanique de réciprocité qui actionne une avalanche de liens inconditionnels : pour que le yao s’engage envers son orixá, il faut que le chef de culte s’engage à fournir un lieu propice à la vie religieuse et que tous les membres de la famille s’engagent à leur tour à participer aux différentes obligations des uns et des autres. Ayra a beau être « à l’intérieur » de Leonardo, leur relation n’est pas pour autant immédiate mais fondamentalement dépendante d’un autre lien, celui qui se tisse avec la famille-de-saint. Ce qu’il convient de retenir à ce stade de l’argumentation, c’est que le yao est responsable de la relation avec sa divinité à travers les liens qu’il entretient avec sa communauté religieuse, au point que se désengager de la famille, c’est aussi se désengager de l’orixá. Concrètement, au cours de l’initiation, c’est surtout la relation entre cette triade élémentaire qui est « faite » : l’orixá, son fils et son père ou sa mère-de-saint. Voilà pourquoi, après plusieurs années d’éloignement, Leonardo finit par se rapprocher de ses frères et sœurs-de-saint du groupe d’Arborio. À leur tour, ceux-ci ont presque tous quitté ce premier candomblé pour devenir les fils du père de leur premier chef de culte : Pai Tanderam. Ce dernier est brésilien et dirige un immense lieu de culte dans la périphérie de São Paulo, ainsi qu’une maison annexe à Lisbonne, où beaucoup de ses fils brésiliens ont émigré et à laquelle une dizaine d’Italiens sont associés. Rapidement, Leonardo décide lui aussi de s’affilier à Pai Tanderam et, en 2013, il transfère son assentamento au Portugal. Sa formation religieuse peut maintenant se poursuivre.

Lisbonne, 2013. La lente progression du yao : l’intimité comme gage de légitimité

10Reprenons. Tout commence par l’orixá, le « donné » de départ qui est pourtant « fait » au cours de l’initiation. Il est fixé à la fois à l’intérieur du corps de l’initié et à l’extérieur, dans l’assentamento qui, lui, reste auprès du chef de culte dans une pièce réservée à cet effet. En premier lieu, c’est bien ce qui contraint le yao à fréquenter régulièrement son foyer religieux. En parallèle, il se doit aussi de prendre part aux rituels qui s’y déroulent parce qu’il est inscrit dans un système qui rend chacun dépendant de la présence et de la bonne volonté des autres. Pour finir, l’implication dont le novice fait preuve garantit la qualité de son apprentissage. D’ailleurs, il n’est pas seulement question d’apprendre le candomblé, la formule consacrée étant de « tout réapprendre, de zéro », ou plutôt « de tout en bas, à l’extérieur ».

11Quand il renaît à la religion, le yao a une place et un statut très précis au sein de la hiérarchie : il est le dernier. Il baisse le regard quand passent ses aînés, s’assied, dort et mange sur une natte de paille à même le sol. Il s’occupe des tâches les plus ingrates : il nettoie, fait la vaisselle, range et lave. Il ne dispose d’aucune autonomie en ce qui concerne « les choses de l’axé ». Pendant la plupart des rituels, il est soit possédé par l’orixá, soit agenouillé sur sa natte, la tête au sol, dans une position fort indélicate qui ne lui permet pas de distinguer ce qui se passe autour de lui. Par contraste, les plus anciens se positionnent toujours en hauteur, mangent à table, observent les comportements des plus jeunes et dirigent les cérémonies. Entre les deux, au moins sept ans d’un très long processus d’apprentissage, pendant lequel le yao se relève doucement et progresse un peu plus chaque jour. Il lui faudra intégrer de nouvelles habitudes alimentaires (beaucoup de choses sont désormais proscrites) et tout un corpus gestuel très codifié (les différents saluts et les nombreux pas de danses). Il devra maîtriser un nouveau vocabulaire empreint de termes yoruba, ainsi que tout un répertoire de chants pour les orixás. Il est plus que souhaitable qu’il sache cuisiner les recettes des principaux plats rituels (aussi bien pour les offrandes que pour les cérémonies de purification et de protection) et, donc, il est aussi tenu de connaître les préférences comme les tabous de chaque divinité, c’est-à-dire un peu de mythologie. L’enseignement de ces connaissances n’est cependant pas entièrement garanti par la famille-de-saint, mais passe davantage par la capacité du yao à s’investir.

12Concernant les modalités de transmission du savoir-faire religieux, Halloy identifie deux modèles principaux : la transmission par « les liens du sang », auquel cas l’initié hérite de naissance d’une certaine compétence religieuse (Halloy 2005 : 638) ; et la transmission par « participation », qui s’effectue au contraire de manière graduelle, essentiellement par observation et imitation (ibid. : 642). À partir de mes observations de terrain, je distinguerai deux formes de participation. Une première que l’on pourrait décrire comme superficielle, qui concerne ceux qui ne sont présents que pendant les fêtes les plus importantes et lors de leurs propres obligations rituelles. Ceux-là posent leurs limites et restent en marge du groupe. Il va sans dire que ce comportement est plutôt mal jugé par l’ensemble de la famille, qui considérera, toujours dans cette logique de partenariat multiple, que leur faible implication est révélatrice d’un manque de considération pour leur divinité, ce qui est d’autant plus mal considéré. À l’inverse, il y a ceux qui font preuve d’un véritable dévouement, comme Leonardo, qui travaille vraiment très dur. Précisons que participer aux préparatifs d’une cérémonie n’est pas peu de chose : cela implique de passer des journées entières à cuisiner, nettoyer, puis chanter, danser et prier en groupe jusque très tard le soir ; en conséquence, cela suppose aussi de rester présent plusieurs jours d’affilée à travailler, manger et dormir sur place, toujours en compagnie des autres membres de la maison. Quand bien même, Leonardo se déplace autant que possible, pour toutes les fêtes et dans tous les candomblés, aussi bien à Rome, à Milan ou à Lisbonne, où il réalise dorénavant ses obligations.

  • 12 Et qui concerne dans ce cas aussi bien les membres de la famille-de-saint que des sympathisants non (...)

13Suite aux travaux de Halloy, Marcio Goldman (2012) reprend le débat sur la manière dont s’articule la part de ce qui relève de l’initiation (soit ce qui est acquis avec le temps au fur et à mesure de la fabrication rituelle) et la part de ce qui relève d’une forme de prédisposition personnelle, héréditaire ou donnée dès la naissance dans les religions afro-brésiliennes. En vue de dépasser cette dialectique de l’inné et de l’acquis, il suggère que la participation cache en réalité deux formes de contribution à la communauté : d’une part, une participation aux rituels qui passe nécessairement par l’initiation à la religion ; mais, d’autre part également, une participation à la vie domestique d’un lieu de culte par tous ceux qui sont amenés à le fréquenter12, en d’autres termes une participation par cohabitation favorisant une forme de promiscuité vectrice de liens forgés dans le flux de l’activité. En effet, le yao est considéré comme un nouveau-né, récemment « ouvert » par de légères incisions en certaines parties du corps pour recevoir l’axé. Il est donc très fragile, délicat et particulièrement réceptif aux différents fluides qui circulent (Flaksman 2018 : 136). Au contact répété des matières, de la commensalité, des odeurs et des corps en mouvement, c’est toute sa personne qui prend forme au sein d’un nouveau régime de sensorialité. Par conséquent, Goldman suggère que le « donné » (les liens du sang) et le « fait » (l’initiation) sont en réalité les deux versants complémentaires d’un même système, mis en relation par un troisième : la participation ou la cohabitation au quotidien dans un candomblé (Goldman 2012 : 277). Ainsi, d’abord réunis par le partage de l’axé, les relations entre les membres d’une famille-de-saint s’intensifient, acquérant peu à peu une consistance affective par le partage de substances intimes, conséquence d’une commune participation. Toutefois, cette familiarité qui s’installe entre des individus au départ strictement reliés par les seuls liens rituels n’est pas uniquement le corollaire de la vie de groupe, mais aussi l’objectif fondamental initialement visé.

14Poursuivons. Plus Leonardo se lie avec sa famille, plus sa relation avec Ayra se renforce et plus sa vie personnelle s’équilibre. Dans le candomblé, chaque geste, chaque plat, chaque chant et même chaque pièce a sa propre raison d’être, quelque chose de visible et quelque chose de caché, d’enterré, qui permet pourtant de faire le lien entre les hommes et les divinités : ce sont les fundamentos (fondements ou fondations). À mesure que les liens se resserrent et que la complicité s’installe, le yao progresse, les gestes rituels s’automatisent, les portes s’ouvrent et les secrets se dévoilent, parfois même au-delà de ce que le statut autorise à voir – mais en pareille circonstance, ce n’est pas très grave, voire même mérité, ou légitime, précisément grâce à la teneur de la relation. À ce propos, Halloy relève combien la confiance qui s’instaure entre l’initié et sa famille est aussi d’une importance fondamentale pour la transmission (2005 : 645) qui opère justement à partir des formes d’attachements (Whatelet 2009 : 581). Dès lors, plus le yao gagne en intimité avec les membres les plus anciens et reconnus de la famille, plus l’étendue de ses connaissances s’agrandit. Ces quelques éléments d’ethnographie mettent en évidence combien l’intimité est le nerf de tout ce système relationnel qui ouvre sur l’espace privilégié de diffusion des savoirs les plus essentiels. Parce qu’elle instaure une séparation entre ceux qui sont à l’intérieur du groupe et ceux qui restent à l’extérieur (Dassié & Etienne 2017 : 31), l’intimité est le gage d’une compétence rituelle acquise, aussi légitime et nécessaire que celle qui s’hérite. Voilà d’ailleurs tout le problème de ceux qui ne participent que sur un mode plus superficiel : un pied dedans, l’autre dehors, ils ne s’abandonnent pas suffisamment à la communauté. Le devoir du yao, dans l’absolu, est donc de pénétrer toujours plus loin à l’intérieur de la vie domestico-religieuse, dont résulte un nœud de relations qui tressent ensemble, et sans relâche, l’enredo de chacun de ses membres.

São Paulo, 2017. Ayra déménage au cœur de l’axé : entre proximité affective et distance physique

15En novembre 2017, Leonardo clôture finalement le cycle du yao pour devenir ebomi. Une nouvelle étape de socialisation commence pour lui. Dorénavant, il est plus autonome et, s’il le souhaite, il est même en droit d’ouvrir son propre candomblé. Pour rendre cette occasion encore plus spéciale, il organise le rituel directement à São Paulo, avec la contribution de toute sa famille, au cœur de l’axé construit par Pai Tanderam.

16Si la préparation des obligations de candomblé réclame déjà une organisation colossale, les difficultés se multiplient depuis l’Italie, alors qu’il faut organiser le transfert des assentamentos de Lisbonne jusqu’au Brésil (il a maintenant deux orixás « faits »). Et déplacer une divinité n’est pas simple : à nouveau, il s’agit d’un assemblage de pièces de vaisselle fragiles qu’il faut démonter, dont il faut ensuite emballer précieusement chaque partie, ce qui prend une place considérable dans les valises. Sans oublier tout le reste que Leonardo emporte avec lui : plusieurs tenues de fête, pour lui et ses orixás ; d’autres plus simples pour travailler à la préparation des rituels ; différents accessoires religieux, auxquels s’ajoute une très longue liste de cadeaux pour toute sa famille. Une valise entière lui sera nécessaire seulement pour le transport des parfums qu’il laissera aux invités en souvenir de la fête. Il emporte aussi une belle cafetière italienne au couvercle de porcelaine pour Pai Tanderam qui fait collection de vaisselle, des bijoux pour les proches de son père-de-saint qui partagent sa maison (sa mère, fille adoptive et petite-fille notamment), du parmesan pour l’une de ses sœurs brésiliennes qui était présente en Italie au moment de son initiation et même une des nappes héritées du restaurant de sa grand-mère pour la laisser sur place.

17Flaksman remarque que l’une des caractéristiques de l’enredo est d’être toujours incomplet (2016 : 20), c’est-à-dire qu’il produit toujours plus de relations, dont il faut pouvoir prendre soin. Leonardo ne connaît que le cercle restreint de ceux qui accompagnent Pai Tanderam chaque année en Europe. Vis-à-vis des autres membres de la communauté de São Paulo, le lien est fait puisqu’il est un fils au même titre que les autres ; cependant, la relation n’est encore que purement rituelle. Il faut que Leonardo fixe ce lien, qu’il s’immerge dans ce nouvel environnement, de manière d’autant plus flagrante qu’il devra repartir rapidement en Italie. Aussi, tous ses présents fonctionnent-ils comme autant de supports relationnels permettant à la fois de sceller une relation par des cadeaux-souvenirs (parmesan), de créer un rapport via des objets s’insérant dans l’intimité des destinataires (parfums, bijoux), ou encore de se glisser subrepticement dans le décor (la cafetière qui prend place dans le buffet). En un sens, et comme par un étonnant retournement de situation, avec tous ses dons, Leonardo s’approprie un peu les lieux. Tout du moins, il se rapproche par ces diverses matérialités qui font écho à son histoire et éveilleront régulièrement son souvenir auprès de sa famille, peut-être avec nostalgie, comme une présence pérenne et diffuse de sa personne.

18Sur son terrain, Rabelo constate que les orixás sont toujours les médiateurs qui guident le déroulement de la trame relationnelle, sans cesse en mouvement au sein des maisons de candomblé (2014 : 191). Immanquablement, ils conditionnent le motif de base qui structure et façonne le dessin final. Ainsi, juste après son obligation, alors que Leonardo se prépare à repartir chez lui, Ayra scelle le lien une fois pour toutes entre l’Italien et sa famille brésilienne : via les búzios, il indique qu’il veut rester sur place, qu’il ne rentrera pas à Lisbonne. Leonardo s’en ira donc sans son assentamento mais, surtout, et c’est ce qui est important, avec le devoir de revenir régulièrement puisque, désormais, les prochaines cérémonies se feront à São Paulo.

Rome, 2018. Assoir ses fondations : le dernier fil de l’enredo

19De retour en Europe, Leonardo doit signifier son nouveau statut et prendre position par rapport aux autres membres du culte. En accord avec Pai Tanderam, il prend l’initiative de dynamiser la vie religieuse de la maison de Lisbonne, qui souffre de l’absence de son père-de-saint ; il organise deux cérémonies dans le courant de l’année 2018. Surtout, à Rome, il s’occupe d’un groupe d’initiés chez son frère, durant leur période de réclusion initiatique, et coorganise de nombreuses fêtes dans le candomblé de sa sœur, dont certaines données spécifiquement en l’honneur de ses orixás. Pour autant, la confusion règne toujours quant à son statut : tantôt parrain ou grand frère en Italie, tantôt fils au Portugal, Leonardo cherche encore sa place. Finalement, durant l’été 2018, alors que Pai Tanderam est en Europe, il apprend que son deuxième orixá, Oxum, souhaite qu’il devienne père-de-saint.

20Si la perspective lui plaît, il se ravise très vite : « ce ne sera pas pour tout de suite ! ». Il ne se sent pas encore prêt pour assumer une telle responsabilité. De son point de vue, il n’a pas encore acquis suffisamment de connaissances et craint d’être à l’origine d’une « mauvaise racine » qui pourrait prendre en Italie. Le fait est que ce n’est pas tant par rapport à d’éventuels futurs fils, ni à sa famille-de-saint italienne qu’il cherche à se situer, mais bel et bien par rapport à ses pairs brésiliens. Il tient à être reconnu comme le dépositaire d’une pratique qu’il n’invente pas mais qui le précède et qui puisse rendre fiers ses aïeuls. Pour résumer, il veut être en mesure de faire un candomblé de tradition et de fundamentos. Pourtant, compte tenu des circonstances, il serait doublement dans son droit : d’abord, parce qu’il est ebomi ; ensuite, parce que cela n’est pas le fruit de son ambition personnelle mais la volonté de l’orixá, donc de son enredo, c’est-à-dire quelque chose qui lui appartient déjà, qui est inscrit dans sa trajectoire. Dans ce cas, quelles sont donc les fondations qui lui font encore défaut pour accepter sa charge ? Que lui faudrait-il d’autre pour se sentir complètement légitime ?

21Dans le candomblé, il existe toute une liste de cargos – charges ou rôles  qui garantissent le fonctionnement rituel et social de la communauté. Ces fonctions ne possèdent pas toutes le même degré d’importance et peuvent aller du simple titre honorifique à des responsabilités plus essentielles. Néanmoins, notons, avec Carmen Opipari, que l’autorité religieuse est toujours détenue par les membres de la famille de sang du chef de culte ou bien par des gens de confiance (2009 : 118). Prenons l’exemple du candomblé de Pai Tanderam au Brésil : sa petite-fille a déjà été choisie pour prendre sa succession et sa sœur (de sang) est Yalaxé du candomblé, donc en charge de l’axé de la famille. Pour le reste, les fonctions primordiales reviennent quasiment toutes à la famille de Suely, l’une des premières initiées de Pai Tanderam. Cette dernière a quitté son travail pour se consacrer entièrement au candomblé dès l’ouverture du site en 1996. À l’époque, il n’y avait rien, à part une vieille bâtisse en ruines au milieu de la forêt ; il a fallu tout construire. Suely entraîna tous ses proches avec elle, ses sœurs, ses neveux et même quelques voisins qui ne tardèrent pas à faire partie de la famille ; mais aussi ses deux fils, qui ont grandi sur place, initiés depuis leur plus jeune âge et mariés à d’autres membres de la communauté religieuse ; enfin, chacun de ses sept petits-enfants qui s’insèrent dans la famille à la fois par les liens du sang et ceux du saint. En un sens, son exemple ramène la notion d’engagement, à maintes reprises mobilisée depuis le début de cet article, à sa dimension plus littérale : celle de se mettre en gage. Suely est, à elle seule, une fondation tant son propre groupe de parenté est intimement lié à celui de sa famille rituelle depuis les débuts de sa conception. Le même phénomène se reproduit à l’identique en Italie où la mère-de-saint de Rome (et sœur-de-saint de Leonardo) a fait initier toute sa famille (sa sœur, neveux et nièces, son ex-mari, son actuel compagnon et ses quatre enfants) auprès de Pai Tanderam. Et, bien sûr, chacun occupe un poste crucial dans la famille-de-saint qu’elle construit. Ailleurs encore, d’autres chemins témoignent de cette consolidation des liens de sang et rituel : ainsi, le premier père-de-saint italien de Leonardo qui, quelques temps après son initiation, s’est marié avec la belle-sœur de Pai Tanderam, elle-même Yalaxé du candomblé de son propre frère, soit celui du compagnon de Pai Tanderam. Là encore, la boucle est bouclée, toujours par l’entremise du lien biologique, qui garantit non seulement la solidité de la relation mais aussi une forme de légitimité. Quel que soit le chemin que l’on prend, l’analyse se resserre toujours autour de la question de l’intimité et dessine progressivement les termes d’un dernier partenariat : celui qui s’établit entre la famille-de-saint et la famille de sang.

22Certes, Leonardo a été un yao exemplaire, mais il ne fait pas encore vraiment partie de la famille. Il n’a pas d’enfants, ni personne parmi ses proches qui pourrait s’initier, et il n’est pas non plus en ménage avec un membre influent du culte. Son histoire personnelle (le « donné ») n’est pas encore complètement entrelacée avec celle de sa famille-de-saint (le « fait »). En somme, il n’est pas totalement engagé, il n’a pas vraiment tissé d’enredo avec les hommes. Voilà les fondations qui lui manquent. Par chance, le savoir-faire du candomblé repose précisément sur l’art de fabriquer les relations ou, pour mieux dire, de les concrétiser à la fois par les substances et dans les objets. C’est exactement ce que Leonardo va faire.

Salvador de Bahia, 2019. S’insérer dans la lignée : les dons de Leonardo

23Au cours de l’été 2019, il décide de partir au plus proche de la tradition, à la rencontre de ses racines, à Salvador de Bahia. En vérité, il rêve depuis toujours de visiter la fameuse Casa de Oxumaré, la maison-mère de sa lignée initiatique. Qui plus est, son séjour coïncide avec le plus gros événement de l’année, la fête d’Oxumaré. Le jour dit, la maison est en pleine ébullition entre les activités rituelles, les très nombreux fils-de-saint venus de tout le Brésil, mais aussi la présence de touristes et même de quelques journalistes. Dans ce contexte, difficile pour Leonardo de créer des liens. Après s’être présenté au père-de-saint, il se propose donc de revenir dès le lendemain cuisiner un repas italien pour tous ceux qui seront encore là, soit environ 200 personnes. Il aimerait ne pas repartir sans avoir réussi à partager quelques instants privilégiés avec sa famille éloignée.

24En début de matinée, alors que la fête s’est achevée à peine quelques heures plus tôt, je me rends en sa compagnie au supermarché. Il remplit trois chariots qui débordent de pâtes, de viande hachée et de fromage. Quand nous arrivons au candomblé, il est presque 11 heures et beaucoup dorment encore. Par chance, quelques-uns sont déjà au travail et nous conduisent en cuisine. Leonardo se met aussitôt à la tâche : il doit émincer des kilos d’oignons et râper des quantités industrielles de fromage. Quelques curieux viennent observer ce qui mijote, l’occasion pour lui de se présenter et de discuter. Pendant ce temps, Leonardo découpe, remue, goûte, puis rajoute et transforme patiemment chaque ingrédient pour sa recette surprise. L’un d’eux, qui habite São Paulo et connaît bien Pai Tanderam, vient le féliciter en personne : « Ton père sera fier de toi ! ». Leonardo est ému. Un peu plus tard, un des membres parmi les plus éminents immortalise la scène par une vidéo destinée au site officiel de la maison, sur laquelle on peut le voir remuer sa sauce béchamel, au-dessus de grandes marmites, en pleine chaleur, avec une cuillère en bois si grande qu’il est obligé de la prendre à deux mains. Leonardo est gêné. Quand le repas est enfin servi, en fin d’après-midi, tout le monde est affamé et mange avec appétit, d’autant que Leonardo sait parfaitement cuisiner italien pour les Brésiliens. Ses recettes sont éprouvées depuis longtemps maintenant, son secret : « très peu de légumes et beaucoup de fromage fondu ». Les compliments pleuvent, le tour de main du cuisinier est salué, Leonardo est ravi. De cette manière, il devient celui qui, le jour normalement consacré à finir les restes, prolongea un peu les festivités en proposant quelque chose de différent, et manifestement de bien à lui. Dans ce cas, son objectif n’est pas tant d’établir une relation solide mais simplement de partager quelques instants chaleureux et conviviaux. Il cherche à créer un souvenir, qu’il espère être durable sur place, mais surtout qu’il emporte avec lui.

25Toujours à Salvador, Leonardo en profite pour visiter tous les marchés et toutes les boutiques d’articles religieux qui se trouvent sur sa route. Il se rend au musée de Carybé, où il achète les reproductions de quelques dessins de l’artiste représentant les orixás. À la Fondation Pierre Verger, il se procure des dizaines de livres sur les cultes afro-brésiliens. Quelques jours plus tard, il complète sa bibliothèque au Musée de la gastronomie avec d’autres ouvrages sur les traditions culinaires de Bahia et les mythes religieux qui les accompagnent. Il passe toute une journée à la Feira de São Joaquim et retourne par trois fois au Mercado Modelo. Il achète des dizaines de colliers, des tenues de candomblé, des T-shirts à l’effigie des orixás, des instruments de musique, deux belles haches sculptées en bois (accessoires d’Ayra) et même une belle nappe blanche brodée pour ses borís, l’un des rituels les plus intimes du candomblé qui consiste à « nourrir sa propre tête ». D’ailleurs, il envoie aussitôt une photo de sa trouvaille à Pai Tanderam, qui la montre à son propre père-de-saint qui s’empresse à son tour de réclamer la même pour lui à Leonardo. La liste de ses acquisitions est encore longue, entre les nombreux cadeaux et ce qu’il ramène en Italie, il repartira de Salvador avec six valises de trente kilos chacune.

26Plus que des souvenirs du Brésil, ce comportement obéit surtout à une autre logique : à sa manière, Leonardo se construit un capital religieux. Comme le souligne Keterina Kerestetzi, dans les religions afro-américaines la subjectivité rituelle se conçoit de pair avec sa production matérielle (2018 : 13-14). Une partie de ses acquisitions est destinée à l’association culturelle qu’il projette de monter à Milan. Il a déjà prévu d’y mettre à disposition ses livres sur le candomblé pour qu’ils puissent être consultés, d’exposer quelques objets rituels et même certains tableaux qui serviront pour la décoration. Au passage, dans la mesure où il devient collectif, ce capital se convertit en véritable patrimoine pour sa future famille avec, de surcroît, toute une collection d’objets puisés directement à la source, dans le berceau du candomblé.

27Le reste de ses achats est réservé au candomblé de São Paulo, où il se rend tout de suite après Salvador. Comme toujours, Leonardo a pensé à tout le monde : des vêtements, des objets rituels, des sucreries et même des crevettes séchées pour les offrandes aux orixás ! Une fois encore, tous ces objets débordent de liens auxquels il est d’office associé. Prenons l’exemple de la nappe qu’il offre à son grand-père-de-saint afin que celui-ci en fasse usage au cours de ses prochains borís : ce sera la « nappe de Salvador de Leonardo » ! C’est d’abord la provenance de l’objet qui compte. Mais, à y regarder de plus près, un autre lien, plus subtil, émerge parallèlement : il s’agit de sa nappe (puisqu’il a la même) qu’il a acheté pour son grand-père à Salvador. Cette fois, c’est bien l’appartenance qui est prioritaire. Un peu comme si, grâce à cette nappe, il s’élevait à un rang supérieur au sein de sa hiérarchie. En tout cas, il s’insère dans la chaîne de transmission de la lignée initiatique ; et ce, aussi bien par le biais d’outils rituels que d’objets plus personnels. En effet, au cours de cette même visite au Brésil, alors que Leonardo se rend chez Suely pour lui montrer ses livres de cuisine de Bahia, il aperçoit sur la terrasse, parmi le linge qui sèche, la nappe de sa grand-mère, qu’il avait apportée l’année précédente. Tout ému, il étreint alors la nappe en s’exclamant : « Elle l’utilise vraiment ! ».

28Ainsi, Leonardo s’assure-t-il de sa présence partielle mais constante parmi les siens. Et si tous ces efforts ne font pas de lui un père-de-saint légitime en soi, dans les faits, ils alimentent constamment un lien avec ceux qui le sont ; un lien sans doute peu réciproque, mais néanmoins suffisamment significatif à ses yeux pour lui permettre de se positionner vis-à-vis de ses aïeuls et de se construire une identité rituelle. Le fait est qu’il a besoin de ce sentiment d’appartenance à la communauté religieuse afin de pouvoir fonder la sienne.

Milan, 2020. La consécration d’un père, l’alliance matricielle

29À son retour du Brésil, Leonardo se sent prêt. Au printemps 2020, en pleine quarantaine liée à l’épidémie de Covid-19, il se consacre à l’élaboration d’un site internet dans l’intention de contribuer à la diffusion du candomblé en Italie. Régulièrement, il y propose des vidéoconférences sur des thèmes variés, qui vont de l’origine des religions afro-brésiliennes à l’expérience de la possession, en passant par la cuisine, les vêtements ou la musique. Ces événements attirent quelques premiers adeptes, pour la plupart des Brésiliens qui résident en Italie ou des Italiens déjà sensibilisés aux religions afro-américaines en général. De fil en aiguille, il se lance lui aussi dans la lecture de ses premiers búzios et une poignée de candidats s’organise déjà pour s’initier, idéalement à l’été 2021. Afin que tous puissent se rencontrer autour d’un acte fédérateur, Leonardo organise le 28 juin 2020 une offrande pour ses orixás dans un parc régional bordant quelques-uns des grands lacs au nord de la Lombardie. La veille de la cérémonie, il prépare un dîner chez lui avec certains participants. Sans surprise, l’appartement regorge de références au candomblé. Entre les photos accrochées un peu partout, les tableaux et les livres, il est difficile d’y échapper. Et quand bien même cette vue n’éveillerait que de la curiosité chez le novice, celui-ci serait rapidement rattrapé par les saveurs car, ce soir-là, c’est la gastronomie de Bahia qui est à l’honneur, avec une moqueca de poisson. Comme toujours, le repas est un délice. Leonardo est parvenu à ramener un peu de la saveur du Brésil en Italie. Et, sur la table dressée spécialement pour l’occasion, se trouve exactement la même nappe que celle qui séchait sur la terrasse de Suely à São Paulo.

Photo 3. La nappe à Juquitiba

Photo 3. La nappe à Juquitiba

Sur la terrasse de Suely à Juquitiba, Leonardo reconnaît la nappe de sa grand-mère qui sèche. Juste à côté, un T-shirt à l’effigie d’Oxossi qu’il a aussi ramené de Salvador pour le petit-fils de Suely, qui occupe une position essentielle au sein du culte. Dans sa main, un livre de cuisine de Bahia, qu’il vient précisément montrer à son hôte.

© Juquitiba, septembre 2019 – Photo Iuri Marco, un autre photographe présent sur place à la demande de Leonardo pour conserver un souvenir de la cérémonie.

Photo 4. La nappe à Milan

Photo 4. La nappe à Milan

La table dressée le soir du 27 juin à Milan chez Leonardo : la moqueca trône au centre de la table ; on aperçoit de la farofa et des petits pães de queijo juste derrière, autres spécialités brésiliennes, disposées sur la même nappe.

© Milan, juin 2020 – Leonardo Moiser

30En réalité, il s’agit des nappes du restaurant de sa grand-mère, dont il a hérité quelques années plus tôt. Il en a donc plusieurs et, n’en n’ayant pas vraiment l’utilité, il a décidé d’en donner quelques-unes. Pour reprendre ses propres termes, il s’est dit que, dans un candomblé, une nappe serait toujours utile. Je voudrais suggérer, cependant, que ces deux nappes, prises ensemble, sont tout sauf anecdotiques.

31Commençons par celle offerte à Suely. À première vue, il ne s’agit pas d’un objet religieux mais d’un objet bel et bien destiné à un usage pratique ; donc quelque chose d’utilitaire, sans grande importance, mais tout de même destiné à la table, soit l’un des emplacements à plus forte teneur interactionnelle de la maison (Kaufmann 2005). Quelque chose qui, en outre, s’inscrit profondément dans la trame ordinaire d’un lieu de vie auquel Leonardo cherche à appartenir. À ce propos, remarquons la force fédératrice qui émane des nombreux gestes du quotidien : régulièrement, cette nappe est sur la table, puis lavée, étendue et séchée, repassée, pliée, rangée, etc. Chaque fois, elle rappelle le souvenir de Leonardo, même en son absence, par le simple contact avec cet objet commun mais qui, de ce fait même, accentue toujours un peu plus le sentiment de familiarité, discrètement, comme un détail. Ajoutons que Leonardo n’a pas donné la nappe à son père-de-saint mais à Suely, celle chez qui le saint et le sang sont complètement entrelacés. Qui plus est, cet objet ordinaire n’est pas anonyme, mais relié à un être cher, sa grand-mère qui avait un restaurant et qui lui avait enseigné « le goût des bonnes choses » ainsi que quelques rudiments de gastronomie. Enfin, autre point véritablement important dans cette affaire, il n’y a pas une seule nappe mais bien plusieurs (deux au moins), qui sont entièrement identiques et multi-situées. À São Paulo, Suely met la table avec la nappe de Leonardo, un de ses nombreux fils, qu’elle affectionne comme tant d’autres. Mais à Milan, Leonardo utilise en même temps la nappe de sa grand-mère, qui est aussi désormais la nappe de son équivalent dans la famille-de-saint, à savoir Suely. Au travers de cette synchronie diachronique, c’est moins Suely qui se positionne par rapport à Leonardo que Leonardo qui situe ses ascendants, religieux comme consanguins, par rapport à lui. De son point de vue, la nappe convoque le souvenir de ces deux cercles de parenté dans un geste tout à fait évocateur au regard de la position qu’il se construit.

32Les auteurs Matteo Aria et Fabio Dei (2016) s’intéressent aux processus de « densification » des objets qui contiennent une forte charge affective, un peu comme si la nature de la chose évoluait en fonction du lien qui l’habite (Bonnot 2015). Dans ce contexte, ces nappes changent de nature parce qu’elles reconfigurent une sorte de mémoire familiale en même temps que celle-ci est recréée ; parce qu’elles fixent un ensemble de relations qui s’établissent sur différents plans et assurent une continuité à la fois géographique, familiale, affective et même temporelle (rappelons que la grand-mère de Leonardo est décédée) ; parce qu’elles concrétisent un lien entre deux individualités qui existent déjà (Flaksman 2016 : 27) ; parce qu’enfin elles mettent en présence deux branches de la parenté de Leonardo, assises à la même table, dont le lien sera nourri, périodiquement, par des petits plats d’un côté comme de l’autre. Inlassablement, depuis le début, c’est toujours la même logique qui s’enclenche et qui tire tous ses effets du mécanisme de répétition ; seulement, cette fois-ci, il ne s’agit pas de matérialiser le lien entre un orixá et son fils, mais celui qui existe entre les deux familles de Leonardo.

Conclusion : retour au point de départ, l’offrande du 28 juin 2020. Du principe génératif13 de l’enredo…

  • 13 J’emprunte ce terme à Tim Ingold (2013) qui l’utilise pour qualifier la manière dont se développent (...)

33Ce qui ressort nettement de l’analyse de ces matériaux, ce sont tous les efforts que Leonardo produit pour entrelacer sa propre histoire (le « don ») à celle de sa communauté religieuse (le « fait ») afin de s’assurer une forme de légitimité en tant que chef de culte. Ceci étant, au regard de cette étude de cas, j’aimerais nuancer l’idée selon laquelle les liens du sang et du saint tendent à « s’absorber » mutuellement (Flaksman 2018), à se « confondre » (Halloy 2010) ou à fusionner par une « communion de substances » (Goldman 2012).

34Le candomblé repose sur un dispositif rituel et affectif complexe qui articule sans cesse plusieurs liens de parenté scellés à l’intérieur des lieux de culte, à la fois par les objets, les sens et les substances partagées. Le « faire » initiatique fixe d’abord un lien entre un fils et son orixá, qu’il faut ensuite constamment travailler par la participation afin de le transformer en relation. Et, comme le lien de filiation avec les divinités se tisse forcément au sein d’une parenté rituelle, le fil de l’enredo se noue automatiquement entre un trio de base : le fils, son orixá et sa famille-de-saint. Par la suite, c’est dans l’intimité que se resserrent toujours plus les mailles du filet, jusqu’à les rendre indéfectibles, mais jamais indiscernables. Le fonctionnement de l’enredo ne repose pas tant sur un amalgame de liens, mais procède véritablement d’une chaîne de dépendances réciproques mue par un principe génératif. Chaque relation en contient toujours une autre, qui s’enchâsse successivement dans la suivante par un mécanisme de fabrication mutuelle qui se déploie à l’infini dans des combinaisons variées. La famille-de-saint de Leonardo émerge exactement de ce même processus d’entremêlement qui intègre progressivement les éléments de sa parenté biologique. Quel que soit le motif de départ qui justifie l’entrée en religion, les parentés rituelles et consanguines, tour à tour données et fabriquées, se trouvent prises dans une relation fondée sur un rapport d’interdépendances, tout comme le sont le yao et son orixá. Somme toute, l’initiation engage l’individu dans un schéma particulier de relations qui construit l’intrigue de son histoire personnelle tout en l’enserrant toujours un peu plus au sein de son groupe d’appartenance par le biais de ce « faire » propre au candomblé, qui active et génère le prolongement de son propre enredo.

35Pour conclure, j’aimerais évoquer une dernière anecdote ethnographique qui contribuera peut-être à illustrer l’hypothèse esquissée dans cette argumentation. Il faut revenir au tout début, le jour de la cérémonie au lac du 28 juin. Alors que Leonardo enroule ses tissus autour des plats qu’il se prépare à offrir aux orixás, un peu en retrait, deux yaos discutent. Elles sont italiennes et « faites » depuis peu, l’une à Rome et l’autre à São Paulo. Elles évoquent leurs expériences respectives et s’interrogent sur les différences entre modalités rituelles. C’est alors qu’une ebomi intervient et synthétise la question de la façon suivante : au-delà des possibles contradictions, la seule chose qui compte au cours de la feitura, c’est que « le yao est ‘fait’ pour se reproduire ! ».

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Notes

1 « Ce qui sera, quand cela sera, c’est cela qui sera ce qui est ». F. Pessoa, extrait de Lorsque viendra le printemps, 1915.

2 Il s’agit d’une sorte de calebasse recouverte d’un filet de perles utilisée pour accompagner les percussions et rythmer les chants au cours des cérémonies.

3 Les orixás sont des divinités tutélaires d’origine yoruba associées aux différents éléments de la nature (tels que la mer ou la foudre) ou à des grands domaines de civilisation (tels que la chasse ou la métallurgie).

4 Selon la cosmologie du candomblé, la tête de chaque personne est composée de plusieurs entités : en général au moins cinq orixás, un erê et un exu, les messagers des orixás, qui seront progressivement faits rituellement au cours des années qui suivent l’initiation (pour plus de précisions, voir Goldman 1985).

5 L’Ilé Òsùmàrè Aràká Àse Ògòdó, plus connu comme la Casa (maison) de Oxumaré, est l’un des plus anciens candomblés de Salvador de Bahia, dont les origines remontent au début du xixe siècle. Depuis 2013, le site est classé au patrimoine historique et culturel du Brésil par l’IPHAN (Instituto do patrimônio histórico e artístico nacional). Depuis 2018, je mène une recherche de doctorat sur trois lieux de culte, au Brésil, au Portugal et en Italie, tous issus de cette même lignée initiatique et reliés entre eux par le système de parenté rituelle.

6 Sur l’ancrage des religions africaines au Brésil et le syncrétisme, voir R. Bastide (1995 [1960], 1973 [1967]) ou encore S. Capone (1999). Quant au phénomène plus récent de transnationalisation des religions afro-américaines, voir notamment M. Muchnik (2006) sur l’expansion des cultes afro-brésiliens en Argentine ; M. Guillot (2009) sur l’adaptation de ces cultes au champ religieux portugais ou encore V. Teisenhoffer (2015) sur les pratiques new age d’un temple d’umbanda à Paris.

7 La ville d’Arborio est distante d’environ 70 kilomètres de Milan.

8 Il s’agit d’une pratique oraculaire qui consiste à lancer des cauris (des coquillages consacrés à cet effet) lesquels, en retombant, forment différentes configurations qui sont ensuite interprétées par le chef de culte pour connaître les volontés des orixás.

9 Il existe différents statuts parmi les membres du culte : les yaos, qui sont prédestinés à la possession, et les ekedes et les ogãs (rôles respectivement féminin et masculin), qui n’entrent pas en transe et sont chargés d’autres tâches non moins fondamentales, telles que les chants, les percussions et, surtout, prendre soin des yaos quand ils sont possédés par leurs orixás.

10 Extrait d’un entretien mené en août 2018 à Rome : « Tutti giorni andavo su Youtube a vedere video, ascoltavo la musica, ballavo, è sempre rimasto dentro di me! Sono ritornato al candomblé perche sentivo che… Lavoravo tantissimo, ma non riuscivo ad esplodere nel lavoro, e questo lo sentivo tanto legato ad Ayra. »

11 Le terme désigne les différentes étapes du parcours religieux et renvoie précisément à tout ce qui est dû à l’orixá. Les obligations les plus importantes sont celles des 1, 3, 5 et 7 ans-de-saint qui permettent de clôturer le cycle de yao pour devenir ebomi, puis celles des 14 et 21 ans-de-saint.

12 Et qui concerne dans ce cas aussi bien les membres de la famille-de-saint que des sympathisants non initiés, voire même de simples anthropologues sur le terrain.

13 J’emprunte ce terme à Tim Ingold (2013) qui l’utilise pour qualifier la manière dont se développent les différents organismes en relation avec leur environnement.

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Table des illustrations

Titre Photo 1. L’enredo de Leonardo
Légende Leonardo déballe et accommode les différents plats pour les orixás. Pour l’occasion, il contracte un photographe afin de documenter son site, « Candomblé Milano », au travers duquel il présente et diffuse toutes ses activités religieuses. Sur cette photo, on le voit qui enroule un long tissu blanc qui sera ensuite noué autour d’une offrande dans un geste particulièrement évocateur des questions abordées dans cet article.
Crédits © Filippo Tadei, Annone – 28/06/2020
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/docannexe/image/1800/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 356k
Titre Photo 2. Assentamento classique de yao
Légende Une fois consacré à son orixá, l’assentamento ne peut plus être photographié. Cette photo, extraite du site d’un magasin d’articles religieux dont les commerçants sont initiés au sein de la même famille que Leonardo, représente la composition de l’objet dans sa forme la plus classique.
Crédits © Source : https://www.facebook.com/​pg/​pilaodeourosp/​photos/​?ref=page_internal
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/docannexe/image/1800/img-2.png
Fichier image/png, 391k
Titre Photo 3. La nappe à Juquitiba
Légende Sur la terrasse de Suely à Juquitiba, Leonardo reconnaît la nappe de sa grand-mère qui sèche. Juste à côté, un T-shirt à l’effigie d’Oxossi qu’il a aussi ramené de Salvador pour le petit-fils de Suely, qui occupe une position essentielle au sein du culte. Dans sa main, un livre de cuisine de Bahia, qu’il vient précisément montrer à son hôte.
Crédits © Juquitiba, septembre 2019 – Photo Iuri Marco, un autre photographe présent sur place à la demande de Leonardo pour conserver un souvenir de la cérémonie.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/docannexe/image/1800/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 235k
Titre Photo 4. La nappe à Milan
Légende La table dressée le soir du 27 juin à Milan chez Leonardo : la moqueca trône au centre de la table ; on aperçoit de la farofa et des petits pães de queijo juste derrière, autres spécialités brésiliennes, disposées sur la même nappe.
Crédits © Milan, juin 2020 – Leonardo Moiser
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/docannexe/image/1800/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 401k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Diane de Morais, « « Le yao est ‘fait’ pour se reproduire ! » De l’intimité dans le candomblé »Lusotopie [En ligne], XX(1-2) | 2021, mis en ligne le 20 juin 2021, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1800 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lusotopie.1800

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Auteur

Diane de Morais

Doctorante en anthropologie, Groupe Sociétés, Religions, Laïcités-GSRL (Centre national de la recherche scientifique, École pratique des hautes études, Université Paris Sciences & Lettres-PSL), Paris, France
dianedemorais[at]yahoo.fr

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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