Miguel Montenegro, Les bruxos : des thérapeutes traditionnels et leur clientèle au Portugal
Miguel Montenegro, Les bruxos : des thérapeutes traditionnels et leur clientèle au Portugal, Paris, L’Harmattan, 2005, 315 p., préf. de Roger Renaud, bibl. + 1 carte, ISBN 2-7475-8279-S (« Mondes lusophones »).
Texte intégral
1Fruit d’une recherche doctorale en ethnologie, cet ouvrage traite d’un sujet – les bruxos (litt. sorciers) au Portugal – tout en s’écartant de l’image stéréotypée qui associe le domaine surnaturel aux populations non occidentales. En effet, l’auteur nous montre comment l’univers des « thérapeutes traditionnels » se porte aussi bien dans les pays développés, où l’accès aux soins n’est pas réservé aux élites économiquement solvables. Toutefois Montenegro ne se place pas dans une posture comparative et se limite à étudier ces pratiques au Portugal.
2Souvent assimilé à la superstition ou au charlatanisme, le monde des guérisseurs ne rivalise pas avec la médecine classique et se perpétue en restant à l’écart, quasi clandestin, pour se protéger du discrédit dont il fait publiquement l’objet. Cette invisibilité sociale participe et s’accorde aux procédés occultes qui caractérisent sa pratique dans l’imaginaire social.
3S’interrogeant sur les appellations réservées à ces thérapeutes, Montenegro constate que, depuis l’Inquisition, le terme bruxo renvoie à une entité surnaturelle maléfique, sens péjoratif que n’a pas celui de curandeiro (guérisseur) utilisé par les ethnographes. Les praticiens eux-mêmes se désignent plutôt comme « médiums » ou « spirites », mais populairement sont appelés bruxos. Les clients en revanche parlent de « madame » ou « monsieur » untel ou alors s’y réfèrent par périphrases.
4Le premier chapitre aborde justement le statut social de ces pratiques dans le regard qu’en ont tant les guérisseurs eux-mêmes que les clients, qui entretiennent une relation ambiguë avec le pouvoir du médium. La dangerosité de ce pouvoir n’est jamais clairement énoncée mais est subjacente au système de croyances partagées. Bien que les guérisseurs se vantent d’avoir parmi leurs clients des « docteurs », des personnes des couches aisées, la clientèle est en majorité issue des milieux populaires.
5Selon l’auteur, tant les guérisseurs que leurs clients sont principalement des femmes. Cependant sur les onze bruxos qui composent son échantillon, cinq sont des hommes, fait expliqué par une plus grande aisance de contact avec des personnes ayant sa propre identité sexuelle. Quant aux clients, le pourcentage d’hommes est similaire à celui des guérisseurs : entre 10 % et 20 %, tenant compte que le plus souvent les hommes accompagnent leur épouse ou leur mère aux consultations. En outre, les hommes, à l’instar des personnes issues des classes aisées, n’aiment pas rendre public le fait de se rendre chez les bruxos.
6Ces pratiques ne sont pas, comme on pourrait le croire, plus répandue en milieu rural, d’autant plus que tant les clients comme les guérisseurs peuvent facilement se déplacer, au point que ces derniers n’hésitent pas à se rendre à l’étranger dans les divers lieux d’émigration de leur clientèle qui se cotise pour prendre en charge les frais du voyage.
7La relation entre médium et client est toujours d’ordre individuelle, bien que le client puisse être accompagné par un familier ou un ami qui peut être à l’origine de la demande de consultation. Les raisons qui poussent les personnes à s’adresser à un médium sont le plus souvent des situations de détresse psychologique ou pour de l’aide à la prise de décisions. Le médium se définit en tant que tel car il estime être un intermédiaire entre le client et un esprit qui oriente le diagnostique et la cure.
8Les diagnostiques/divinations types sont l’encosto (envoûtement) ou une « maladie spirituelle » (mal-être psychologique), dont les divers symptômes sont répertoriés et illustrés par quelques exemples. À cela s’ajoutent des sollicitations d’aide plus pragmatiques, par exemple pour affronter des examens, un voyage, une séparation ou encore favoriser une relation amoureuse. Les remèdes sont le plus souvent des rituels à accomplir tels que allumer des bougies dans un lieu précis, brûler des encens, réciter des prières, observer des prescriptions alimentaires ou encore boire des tisanes.
9Dans la deuxième et troisième parties qui décrivent le processus thérapeutique l’ouvrage s’étend abondement sur quelques cas spécifiques, dont les entretiens sont entièrement retranscrits avec une minutie qui appesantit la lecture, sans pour autant apporter des éléments essentiels à la compréhension du sujet.
10L’auteur se penche ensuite sur la relation d’interaction médium/client afin de saisir les ressorts de l’action thérapeutique. Pour ce faire, il a fait le choix de devenir lui-même client, situation de participation observante dans laquelle c’est sa propre expérience qui constitue l’objet de réflexion. Il en conclut que la légitimité du guérisseur est favorisée par la relation de dépendance acceptée par le client en situation de demande, pour qui faire « l’expérience de l’effraction de la frontière du réel » souvent traumatique, c’est accepter la confrontation avec son indicible, avec la « réalité » mise en lumière par le guérisseur.
11C’est pourquoi la croyance dans les vertus thérapeutiques du guérisseur n’est pas tant une condition préalable à l’efficacité de son action, mais plutôt de son résultat. De sorte que sa position socialement marginale devient un aspect fonctionnel de son activité à la lisière des frontières de cet invisible, vécu par le client comme expérience de réalité.
Juillet 2007
Pour citer cet article
Référence papier
Elisabetta Maino, « Miguel Montenegro, Les bruxos : des thérapeutes traditionnels et leur clientèle au Portugal », Lusotopie, XV(2) | 2008, 274-275.
Référence électronique
Elisabetta Maino, « Miguel Montenegro, Les bruxos : des thérapeutes traditionnels et leur clientèle au Portugal », Lusotopie [En ligne], XV(2) | 2008, mis en ligne le 01 février 2016, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1568 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01502025
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page