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Latitudes. Cahiers lusophones n° 25

Paris, décembre 2005, 128 p.
Michel Cahen
p. 231-234
Référence(s) :

Latitudes. Cahiers lusophones (Paris), 25, décembre 2005, 128 p., ISSN : 1285-0756

Texte intégral

1Ce volume inclut notamment un dossier « Regards sur le Mozambique » (p. 2-91), à la fois extrêmement diversifié et… limité dans ses approches. L’éditorial de Manuel dos Santos Jorge (p. 2) est aussi lyrique (et lusotropicaliste) que favorable au parti au pouvoir, le Frelimo. Le pays, « orienté à la brise d’un rêve jadis » et qui « déploie sa dignité devant les autres peuples, à l’aune de la langue portugaise commune », a certes connu une « guerre civile horrible » qui fut aussi une « grande épreuve, lors de l’adolescence identitaire nationale vers l’unité communautaire » mais bénéficierait aujourd’hui d’« assises fiables […] vers le consensus ». Voici ainsi ignorées les graves tensions sociales, régionales et ethniques dans le pays provoquées notamment par une politique hypertrophiant l’extrême sud et la capitale, la perpétuation de la fusion État-parti, ainsi que les graves soupçons de fraude électorale en 1999 et 2004. Voici aussi validée la vision frelimiste de la construction de la nation homogène, fondée essentiellement sur la répression/résorption des identités ethniques des sociétés paysannes (ladite « adolescence identitaire »). Notons encore que, selon l’éditorialiste, l’« essor inventif d’une nation, récemment confirmée apparaît en contrepoint des mines déconfites [souligné par moi] ». Or, que s’est-il passé, « récemment », si ce n’est l’élection d’Armando Gubebuza à la présidence de la République ? Si l’on avait encore quelque doute sur la nature de l’« essor inventif », la phrase suivante nous éclaire, relevant « au passage » que sont publiés dans le dossier (mais c’est le premier article !) les « apports éclairés d’Armando Guebuza, actuel président de la République ». Bien que l’éditorial soit signé et n’engage donc pas entièrement la rédaction, Latitudes nous avait habitués, au long de ses numéros d’excellente vulgarisation et réflexion culturelles, à une indépendance plus sourcilleuse…

2L’article de Armando Guebuza, « A nossa missão : o combate contra a pobreza » (p. 3-7) est présenté par la rédaction juste comme « um discurso prográmatico da sua acção » alors qu’il s’agit de son discours-cadre de campagne électorale. Il est toujours tristement amusant de voir que le nouveau Président, immensément enrichi depuis son accession au ministère des Transports dans l’après-Nkomati (1984), axe son action sur le « combat contre la pauvreté ». Il est vrai que c’est l’orientation officielle de la Banque mondiale et du FMI…

3Suit une intéressante entrevue avec l’historien Elikia M’Bokolo (« Les problèmes de l’Afrique et du Mozambique dans la perspective d’Elikia M’Bokolo » : 7-11), qui nous ramène heureusement à une vraie réflexion sur le long terme et replace le Mozambique comme pays non point tant « ex-portugais », que, depuis toujours, africain et bantou ; un pays qui n’a pas encore réussi à enclencher un « cercle vertueux où les ressources humaines sont suffisamment fortes pour produire une économie moderne » (p. 9). Restera à définir la modernité… E. M’Bokolo parle aussi de la nation, mais dans une approche critique : « Il existe une espèce de discours national au Mozambique où les gens considèrent que le seul parti légitime est le Frelimo, [qui] conduit à décrédibiliser complètement les autres » (p. 10). Pour gérer la diversité, il se fait l’avocat d’un fédéralisme modéré. Il relève les potentialités du pays, et notamment de son université. On est cependant étonné de le voir espérer un essor de l’UFICS (Unidade de formação e investigação em Ciências sociais), alors que cette initiative universitaire a été dissoute depuis cinq ans… À noter enfin une erreur factuelle (mais courante) de F. de Mira et D. Lacerda interrogeant E. M’Bokolo : ils parlent sans nuance d’un « plus grand renforcement du Frelimo » en 2004. S’il est vrai que le Frelimo a vu son nombre de députés augmenter, en raison de la hausse de son pourcentage des suffrages validés, le trait le plus important est, qu’à l’inverse, il n’a jamais eu aussi aussi peu de voix : moins qu’en 1999, moins qu’en 1994, pour ne point parler de la période du « parti de tout le peuple ». Sa victoire provient de la chute encore plus prononcée de l’électorat de la Renamo et d’un fort abstentionnisme dans les régions favorables à cette dernière. Victoire institutionnelle, mais fragilité de sa base sociale, telle est la contradiction, dangereuse pour la stabilité, dans laquelle se trouve placé le Frelimo.

4Retour à une voix officielle, avec l’entrevue de Fernanda Lichale, ambassadeure du Mozambique à Paris (« Moçambique procura abrir novos horizontes através da acção diplomática » : 12-13), qui est, cependant, intelligemment « titillée » par les questions de Feliciano de Mira sur la coopération française. Puis on passe aux « vrais articles ». À noter principalement :

5– Alfredo Margarido « A sombra dos Moçambicanos na casa dos estudantes do Império » (p. 14-16), met en exergue l’activité de Mozambicains, moins connue que celle des Capverdiens ou Angolais, de la Maison des étudiants de l’Empire, dans les années cinquante et soixante.
– Feliciano de Mira, « Processos de transição económica e responsabilidades políticas em Moçambique » (p. 17-20) brosse l’évolution économique du pays depuis le début du xxe siècle et jusqu’en 1992 (date des accords de paix), dans l’espoir du « futuro melhor que merece ». L’auteur reprend ainsi, sans doute au second degré, ce slogan électoral du Frelimo (« Futuro melhor ») pour terminer d’une manière aussi compliquée qu’ambiguë : « Não duvido que a elite dirigente está consciente que, apesar do imperdoável tempo, fará tudo para […] concretizar o bem comum ». Ne « pas avoir de doute » sur le fait que l’élite dirigeante « est consciente » qu’« elle fera le bien commun », voilà une vision optimiste des choses. Dommage que, dans la bibliographie citée, soient ignorés les plus importants travaux sur la transition économique, surtout de langue anglaise mais aussi française (par exemple le dossier de Lusotopie 1995 sur les « transitions libérales en Afrique lusophone »).
– Filimone Meigos, « Ensaio sobre a mentira e a inveja. O caso moçambicano » (p. 21-25), tente, à la manière d’un essayiste, une analyse de certaines tensions internes à l’intelligentsia mozambicaine.
– Manuel Roberto, « L’émigration des Capverdiens vers le Mozambique dans les années 40 » (p. 26-29) aborde l’aspect le moins connu de la diaspora capverdienne, s’appuyant notamment sur les travaux de Augusto Nascimento. On regrettera que soit abordée seulement l’émigration économique consécutive aux grandes famines des années 1940 dans l’archipel, et non point l’utilisation, par le colonisateur, de Capverdiens dans l’administration coloniale, notamment à la toute fin de la période. Un Capverdien ne fut-il pas maire de Nampula avec la bénédiction du parti salazariste ?
– Aníbal Frias « Les étudiants mozambicains à l’Université de Coimbra » (pp. 30-35) aborde la difficile vie des étudiants africains aux bourses intermittentes…
– António Garcia, « Por terras d’África : memórias do Chiveve » (p. 36-42), raconte la ville coloniale de Beira, par petites touches qui évitent le saudosismo colonial mais exprime la nostalgie de la terre africaine…

6D’autres articles abordent prioritairement la littérature (António Jacinto Pascoal, « Craveirinha : existência, literatura e culturas » : 51-56 ; Daniel Lacerda, « O conto, género superior da literatura moçambicana », à propos de la thèse récemment publiée de M. Fernanda Afonso : 84-86), y compris orale (Américo Correia de Oliveira, « Acerca das adivinhas moçambicanas » : 45-50), ou dans une approche « genrée » (Paula Ferraz, « A(s) voz (es) do feminino pelo feminino da voz » : 57-62) ; et enfin l’architecture et le patrimoine (Luís de Sousa Morais, « O património arquitectónico da cidade de Maputo » : 63-69 ; Antónia Genchi, « Júlio Carrilho : entre poesia e arquitectura » : 70-71). Dommage que ne soit pas abordée la thèse de Maria-Benedita Basto, A guerra das escritas. Literatura e nação em Moçambique (Lisbonne, Universidade Nova, 2004), sans doute l’analyse la plus approfondie sur le sujet depuis des années. Un index des articles publiés sur le Mozambique par Latitudes depuis sa création (p. 87) et un recueil de poésies mozambicaines terminent ce dossier. Le reste de la revue contient, comme d’habitude, une masse d’informations culturelles et critiques.

7Outre un parti pris surprenant en faveur de la formation au pouvoir dans les premières pages du dossier (mais qui se dissipe par la suite), ce que l’on peut regretter est que Latitudes n’ait pas pris la mesure des déséquilibres du Mozambique. Le Frelimo n’est pas qu’un parti, c’est un « monde social », la trajectoire d’une élite (surtout sudiste) et de la sphère de l’État moderne. Une partie de la population est intégrée à cette sphère, mais une autre ne l’est pas et c’est dans cette autre que se recrute principalement le « monde social » de la Renamo – que seul Elikia M’Bokolo aborde indirectement. On aurait aimé un ou des articles étudiant les 40 % de Mozambicains qui ne se reconnaissent pas dans le Frelimo, et, plus généralement, des textes portant plus sur le pays réel que sur le microcosme culturel de la capitale.

8Il n’empêche : Latitudes occupe une place fort originale dans le paysage des publications « lusophones » : à mi-chemin entre activisme culturel, vulgarisation de bon niveau et recherche, la revue s’est affirmée comme le phare intellectuel de la communauté portugaise, et plus généralement des lusophiles, en France.

9Janvier 2006

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Cahen, « Latitudes. Cahiers lusophones n° 25 »Lusotopie, XIII(2) | 2006, 231-234.

Référence électronique

Michel Cahen, « Latitudes. Cahiers lusophones n° 25 »Lusotopie [En ligne], XIII(2) | 2006, mis en ligne le 10 avril 2016, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1546 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01302033

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Auteur

Michel Cahen

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