Carlos Alberto Vieira (photos) & Ana Paula Lemos (texte), Recordações de Lourenço Marques ; Pascal Letellier & Jordane Bertrand (textes), Luís Basto (photos), Voyage au Mozambique, Maputo
Carlos Alberto Vieira (photos) & Ana Paula Lemos (texte), Recordações de Lourenço Marques Lisbonne, Alêtheia Editores, 2005, 168 p., ISBN : 989-622-022-0.
Pascal Letellier & Jordane Bertrand (textes), Luís Basto (photos), Voyage au Mozambique. Maputo, Paris, Éditions du Garde-Temps, 2005, 96 p., très nombreuses photos, ISBN : 2-913545-36-X, traduction en portugais d’Ana de Carvalho.
Texte intégral
1Voici deux ouvrages en principe opposés, puisque portant, l’un sur la Lourenço Marques coloniale et constitué de photographies tout autant coloniales, l’autre sur la Maputo indépendante avec textes et photos post-coloniaux, et qui finalement se ressemblent à plus d’un titre…
2Pour le premier, on pourra dire : « encore un livre de souvenirs coloniaux ! ». En effet, ces toutes dernières années se sont multipliés, à un rythme jamais connu auparavant au Portugal, des ouvrages d’anciens militaires ou civils des colonies, racontant, désormais sans l’inhibition que la Révolution des Œillets avait produite, la vie qu’ils eurent dans l’Ultramar. Il y aurait toute une étude à faire sur cette nouvelle littérature. Le cas présent est un peu différent car Carlos Alberto Vieira, bel et bien photographe de la vie coloniale, est toutefois resté au Mozambique jusqu’à sa mort, acceptant le nouveau cadre politique et social. Par ailleurs, à la différence des ouvrages désormais bien connus de João Loureiro (Lusotopie 2003 : 520-522 et supra dans ce volume la note de David Birmingham), il s’agit ici non point de cartes postales, mais de photographies d’auteur. Carlos Vieira, né à Xai-Xai (pardon !… João Belo !) est décédé à Maputo en 1995. Comme nous en prévient Ana Paula Lemos, les photos à présent publiées ne représentent qu’une très petite partie de son œuvre, qui fut multiforme : des grandes entreprises à la faune sauvage, des projets sociaux aux villages de brousse, de la guerre coloniale à la guerre civile, des portraits de Samora Machel à ceux des caniços (« quartiers du roseau ») laurentins. Les photos sont ici toutes en noir et blanc et – il n’y a pas tromperie sur la marchandise – représentent « Lourenço Marques », la ville coloniale. « Aqui é Portugal », rappelle d’ailleurs la vue de la place Mouzinho de Albuquerque (p. 15). Les voitures sont omniprésentes dans le livre – peut-être plus nombreuses que les êtres humains ! Est-ce pour rappeler que Lourenço Marques était la « ville portugaise » au plus fort taux d’automobiles pour 100 habitants dans les années 1960 ? Les Portugais prennent des consommations aux belles terrasses des cafés, les Africains cirent leurs chaussures (p. 29, p. 158), le béton envahit la ville et donc les photos de Vieira… Le petit peuple africain n’apparaît que pour le carnaval (p. 84), les quartiers du caniço sont à peine évoqués (p. 79). Il s’agit bien de souvenirs de la vie coloniale, charmante et insupportable ! Pourquoi ne pas publier un ouvrage parallèle avec des photos du même C.A. Vieira, mais sur la ville africaine, en croissance rapide des années 1960 et jusqu’en 1974 ? On peut se demander si le choix exclusivement colonial de la teneur des photos était vraiment justifié, surtout quand on connaît l’engagement ultérieur de l’auteur dans le Mozambique indépendant. Mais admettons que tout, dans cet ouvrage, et jusqu’à la typographie de son titre, nous replonge dans l’atmosphère d’une modernité des années 1950-1960 qui était bel et bien celle d’un autisme colonial enkysté au cœur d’un pays africain.
3Après la vie coloniale, la vie post-coloniale. L’ouvrage Voyage au Mozambique. Maputo, qui a bénéficié de l’aide de la Coopération française, est un cri d’amour lancé à Maputo, par deux Français, P. Letellier et J. Bertrand, et le photographe Luís Basto. Les textes sont bilingues français-portugais grâce à la traduction d’Ana de Carvalho. On sent encore, dans la patte photographique des vues sensibles et réalistes de L. Basto, l’école de Cartier-Bresson naturalisée au Mozambique par Ricardo Rangel. Un superbe ouvrage assurément. Cela dit, le titre est, cette fois-ci, trompeur. Non seulement il ne s’agit pas du Mozambique mais de Maputo, mais, de celle-ci, presque exclusivement de la « ville de ciment ». Les immenses caniços ne sont pas abordés et le petit peuple de la périphérie (soit 80 % de la population), n’est entrevu – cité dans les textes ou photographié – que lorsqu’il vient dans la ville de ciment. L’ouvrage est ainsi une ode à la créolité mozambicaine et à cette charmante petite-bourgeoisie urbaine qui est le cœur de la base sociale du Frelimo. Cela n’enlève rien à la beauté du livre, mais en souligne l’angle de vue.
4Population coloniale dans le premier ouvrage, monde social créole et urbain du cœur de la capitale post-coloniale de l’autre, les deux livres montrent avant tout le rêve d’un Mozambique diversement mondialisé, mais point bantou. Ce Mozambique (post-) colonial existe et il est superbement photographié. Cependant, on attend que l’autre aussi le soit !
5Mai 2006
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Cahen, « Carlos Alberto Vieira (photos) & Ana Paula Lemos (texte), Recordações de Lourenço Marques ; Pascal Letellier & Jordane Bertrand (textes), Luís Basto (photos), Voyage au Mozambique, Maputo », Lusotopie, XIII(2) | 2006, 216-217.
Référence électronique
Michel Cahen, « Carlos Alberto Vieira (photos) & Ana Paula Lemos (texte), Recordações de Lourenço Marques ; Pascal Letellier & Jordane Bertrand (textes), Luís Basto (photos), Voyage au Mozambique, Maputo », Lusotopie [En ligne], XIII(2) | 2006, mis en ligne le 10 avril 2016, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1376 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01302027
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