Navigation – Plan du site

AccueilNumérosXIII(2)La chronique des lecturesLes comptes rendusCatherine Prost, L’armée brésilie...

La chronique des lectures
Les comptes rendus

Catherine Prost, L’armée brésilienne : organisation et rôle géopolitique de 1500 à nos jours

Paris, L’Harmattan, 2003, 354 p. (« Recherches-Amériques latines »).
Gabriel Périès
p. 214-215
Référence(s) :

Catherine Prost, L’armée brésilienne : organisation et rôle géopolitique de 1500 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2003, 354 p., ISBN : 2-7475-5192-X, (« Recherches-Amériques latines »).

Texte intégral

1Catherine Prost a livré un travail original basé sur une recherche doctorale réalisée sous la direction d’Yves Lacoste. Original, puisque l’auteur tout en se basant sur un travail d’érudition couvrant la longue durée d’une institution aussi spécifique que les forces armées brésiliennes, dépasse l’étude structuro-fonctionnaliste des latino-américanistes classiques. En effet, elle propose au lecteur averti une recherche des articulations entre l’histoire du développement de l’armée, son rôle politique et la définition même du territoire national brésilien. Or, il apparaît que ce triptyque repose pour une large part sur l’intégration, puis sur la production d’un dispositif théorico-pratique très spécifique : la géopolitique ratzelienne, reprise et reformulée par les intérêts spécifiques de l’institution militaire, représentés par des grands intellectuels prétoriens de la période de la Guerre froide, tels que le général Golbery do Couto e Silva.

2Ce projet, Catherine Prost en signale tant les origines que ses réalisations pratiques qui marquent la particularité de l’armée brésilienne par rapport aux autres institutions sœurs d’Amérique latine, en particulier l’armée argentine – du moins telle qu’elle se positionne après son rôle de conquête territoriale entre la fin du xixe et le début du xxe siècle, avec la Conquista del desierto, qui voit la modernité technicienne occidentale avancer sur des territoires contrôlés par des caudillos, des Indiens et des métis, voire, les lambeaux de la société coloniale. Ce que met en relief Catherine Prost est que, contrairement à sa rivale argentine, l’armée brésilienne n’a jamais abandonné sa vocation « impériale », de conquête interne du territoire brésilien qu’elle entend, tout au long du xxe siècle, encore modeler et moderniser selon des critères qui in fine, ont somme toute vocation à faire perdurer une tradition technicienne et autoritaire en son sein.

3L’originalité réside, comme le démontre l’auteur, dans la projection territoriale et administrative militairement contrôlée de ce projet. Celui-ci est par ailleurs, il faut le souligner, porté à la connaissance du public français dans une description précise des deux grandes projections élaborée par des militaires brésiliens dans les années 1970 : celle de la modernisation du Nord brésilien (projet « Calha Norte ») et surtout celui de surveillance et de protection de l’Amazonie (SIVAM/SIPAM). Catherine Prost, y décèle une sortie évidente du projet idéologique de la geopolítica des années de la dictature, qui définissait l’ennemi intérieur (le communisme international) et celui de l’extérieur (l’armée argentine), au profit d’un redéploiement vers l’intérieur du pays qu’elle contenait également. C’est sans doute pour cela que cette modernisation continue à s’inscrire sous le mode autoritaire. Ainsi, si l’accent est mis sur les ruptures entre les différentes périodes, en particulier les plus récentes, telles que la sortie de la Guerre froide, Catherine Prost pointe aussi les continuités. On ne se débarrasse pas aussi facilement des ressources doctrinales qui légitiment l’action et les pratiques. Surtout celles qui apparaissent comme des ressources de légitimation importantes constructivistes et volontaristes, car, assurant la cohésion et la mobilisation internes de l’institution. C’est ce « noyau dur », que le travail de Catherine Prost rapporte : l’armée brésilienne se situe toujours à l’intérieur du projet géopolitique brésilien qui, au demeurant montre, en tant que ressource idéologique, une forte plasticité. C’est ainsi que relativement à l’organisation territoriale, administrative spécifiquement militaire, mais également technicienne – en particulier lié aux différents projets de voies et de systèmes de communication trans-amazoniens – la géopolitique, au-delà des conjonctures, continue à proposer une praxis de la projection d’une institution dont on aurait pu croire que la fin de la Guerre froide marquerait le déclin, comme dans le cas argentin par exemple. Ceci pour dire que Catherine Prost éclaire de façon documentée et précise ce qui constitue aujourd’hui un pan des interrogations relatives à la vie politique du continent américain, du nord au sud, à savoir : l’intégration dynamique du projet national brésilien et sa modernité, dans lequel les Forces armées, non sans tensions intrasectorielles, jouent leur rôle de ressource d’autorité sur des territoires déterminés.

4Le projet idéologique d’une certaine géopolitique ne rejoindrait-il pas, par ce canal, les interrogations, si ce n’est les convictions de Max Weber, en montrant que l’État brésilien est toujours en construction ? Ce stimulant ouvrage permet de s’interroger et affûte le regard sur une institution qui reste, malgré les avancées récentes et fragiles de la démocratie, toujours autoritaire. Une inconnue tout de même : qu’en est-il aujourd’hui de la coordination continentale des forces armées latino-américaines ? Si elle perdure, au-delà de la Guerre froide, a-t-elle adopté d’autres formes que le système de la Junta Interamericana de Defensa ? Et quelle place spécifique y occuperaient les forces armées brésiliennes ? Ce sont des questions que nous posons à Catherine Prost en la remerciant pour son travail.

514 avril 2006

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Gabriel Périès, « Catherine Prost, L’armée brésilienne : organisation et rôle géopolitique de 1500 à nos jours »Lusotopie, XIII(2) | 2006, 214-215.

Référence électronique

Gabriel Périès, « Catherine Prost, L’armée brésilienne : organisation et rôle géopolitique de 1500 à nos jours »Lusotopie [En ligne], XIII(2) | 2006, mis en ligne le 10 avril 2016, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1370 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01302025

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search