Jorge Zaverucha, FHC, forças armadas e polícia, entre o autoritarismo e a democracia (1999-2002)
Jorge Zaverucha, FHC, forças armadas e polícia, entre o autoritarismo e a democracia (1999-2002), Rio de Janeiro, São Paulo, Editora Record, 2005, 288 p., ISBN : 85-01-07449-7.
Texte intégral
1Jorge Zaverucha poursuit avec ce livre l’examen des rapports civils-militaires au Brésil, initié lors de l’analyse de la transition démocratique exceptionnellement longue entre régime militaire et civil. Le présent ouvrage présente d’emblée un intérêt dans un pays où les forces armées, pourtant historiquement importantes dans la politique nationale, constituent l’objet d’études trop peu nombreuses. La situation de paix depuis plus d’un siècle et demi et l’absence de menaces externes expliquent en partie ce désintérêt. Vingt ans après le « retour aux casernes » des militaires, la consolidation de la démocratie brésilienne semble faire l’objet d’un consensus dans la communauté scientifique nationale et internationale, les médias et la classe politique. Zaverucha ébranle ce consensus en qualifiant cette affirmation de mythe : comment affirmer que la démocratie brésilienne est consolidée, si une enquête d’opinion réalisée en 2003 en Amérique latine révèle qu’à peine 37 % des Brésiliens voient en la démocratie le meilleur système de gouvernement ? L’auteur s’attache alors, par le biais de l’analyse des relations entre civils et militaires, à démythifier cette représentation.
2Le politologue met tout d’abord en garde quant aux ambiguïtés du terme démocratie. Se pose le défi de concilier démocratie formelle – ou de droit – et démocratie de contenu – ou de fait. Cet avertissement initial s’impose en raison de la situation politique dans le tiers-monde où ce terme est évoqué par les médias seulement pour qualifier le bon déroulement des scrutins électoraux. Pour comprendre cette vision minimaliste, l’auteur renvoie à Schumpeter qui ne concevait la démocratie que comme une méthode. Cependant, en fondant l’idée de liberté politique aussi simplement que celle de liberté économique, Schumpeter ignora les nombreux cas où existe un gouvernement de par la loi (rule by law) au lieu d’un gouvernement de la loi (rule of law). En d’autres termes, l’existence de lois ne garantit pas une situation d’État de droit ; sans l’assurance d’exercice des droits civils, les droits politiques ne peuvent qu’être fragilisés. Or au Brésil, de nombreux droits ne sont de fait assurés que pour une minorité. On peut alors tout au plus parler de semi-démocratie.
3Après avoir éclairci ces divergences sémantiques, Zaverucha s’attache alors à analyser l’état de la démocratie au Brésil sous l’optique des relations entre civils et militaires. La fragilité de la démocratie brésilienne est révélée sous ses aspects normatifs, institutionnels, fonctionnels et géographiques, résultat illustré par d’abondants exemples concrets.
4Sur le plan normatif, plusieurs questions soulignent des contradictions constitutionnelles. Comment la Constitution votée en 1988 et qualifiée de « citoyenne » peut-elle entendre l’armée à la fois comme responsable du maintien des institutions gouvernementales et soumise à ces dernières ? Un lobby militaire spécialement bien organisé se chargea de convaincre un nombre suffisant de parlementaires de maintenir intactes certaines clauses héritées du régime antérieur. Rappelons que la transition démocratique se déroula lentement et graduellement pour assurer le maintien d’une marge de manœuvre politique à l’armée pour les questions relatives à la défense nationale (Zaverucha 1994).
5Par ailleurs, l’auteur dévoile comment l’indéfinition de certains concepts dans les textes de loi se traduit par des risques sérieux pour la démocratie : en raison de la polysémie du terme « ordre » dans la Constitution, les limites de la loi et de l’ordre ne sont pas définies. Ce vide peut laisser cours à une interprétation selon laquelle l’armée est chargée de définir quand l’ordre est en danger, ouvrant ainsi l’hypothèse d’un coup d’État militaire… constitutionnel ! Cette indéfinition se retrouve aussi dans le statut de l’Agence brésilienne de renseignement (Agência brasileira de inteligência, ABIN) en ce qui concerne le concept d’« intérêt national », concentrant en la seule personne du chef de l’État la compétence pour le définir. En outre, la notion de renseignement (inteligência) n’est pas non plus définie, ce qui entraîne la prise en charge tant du renseignement civil que militaire, ainsi qu’une confusion entre information et renseignement, activités qui ne sauraient être exécutées par une même organisation dans un souci de démocratie.
6L’auteur souligne également des absences normatives lourdes de conséquences : sans loi fédérale concernant les crimes politiques, la Loi de Sécurité nationale (LSN), promulguée pendant le régime militaire, est restée en vigueur sous les gouvernements civils ultérieurs et s’applique tant aux militaires qu’aux civils, et ce, même pour des crimes ordinaires. Certains exemples d’actions à l’encontre du Mouvement des Paysans sans terre (MST) illustrent le maintien en vigueur de la thèse de l’« ennemi intérieur » dans la doctrine militaire. La LSN apparaît donc comme un instrument utilisé par l’armée pour conserver ses activités d’espionnage en raison de « forces adverses » – associations et mouvements sociaux –, comme l’illustrent ses actions dans la région de l’Araguaia pendant des décennies après la liquidation de la guérilla des années 1970. Pour une majeure protection de l’armée, un décret, promulgué en 2002, prolongea le caractère confidentiel des documents de sécurité nationale au-delà du délai de 30 ans – mesure typique des dictatures. Plus récemment, le gouvernement Lula a rétabli le délai de 30 ans pour l’ouverture de ces archives et a créé une commission de vérification des processus d’indemnisation des familles des victimes du régime militaire. Pendant ce temps, l’armée entrave toujours la transmission aux familles des informations sur les corps des disparus, informations qui leur sont nécessaires pour obtenir réparation.
7Sur le plan institutionnel, Zaverucha analyse plusieurs organisations liées à l’armée. En conservant la police militaire (PM), la Constitution de 1988 homologua l’exercice d’activités de police par une organisation militaire, bien que celle-ci soit source potentielle de danger explosif en cas de conflit entre États fédéral et fédérés, puisqu’elle est placée sous le contrôle de ces deux niveaux de pouvoir. L’armée est certes considérée comme une force de réserve de la police, mais l’auteur met en garde contre des lectures trop rapides et optimistes car la PM continue d’être étroitement soumise au contrôle de l’armée et sa structure fortement militarisée.
8Quant à l’ABIN, le président F.H. Cardoso a réalisé un recul institutionnel en transférant son contrôle de la Présidence de la République au Cabinet de sécurité institutionnelle, dirigé par un général. Cet acte allait contre l’esprit de la loi, puisque l’organisme de collecte des informations était désormais celui-là même qui décidait des mesures à prendre, illustrant le maintien d’une optique de type « ennemi intérieur ». L’auteur met l’accent sur les risques démultipliés, pour la démocratie, en raison de la forte concentration de l’information : les États fédérés sont indirectement obligés de collaborer à la fourniture d’informations sous peine de se voir supprimer des subventions fédérales.
9L’auteur signale d’un œil critique le manque d’intérêt de la classe politique pour les questions militaires et de défense nationale. Plusieurs dénonciations de la presse sur des cas d’espionnage politique ont été nécessaires pour provoquer la création d’une commission parlementaire de surveillance des activités de l’ABIN. Cette innovation tardive positive n’a pas fonctionné dans la pratique. L’auteur propose alors la création d’une commission permanente formée de parlementaires spécialisés dans les thèmes de défense nationale, incluant la surveillance des services d’information des trois branches des forces armées et de la police. Sans cela, les gouvernements brésiliens ne pourront que continuer à confesser, à l’instar de celui de F.H. Cardoso, le manque de contrôle de l’État sur l’Agence.
10Une autre innovation institutionnelle introduite par le président Cardoso a résidé dans la création du ministère de la Défense (MD), saluée comme indicateur de consolidation démocratique. Elle est pourtant insuffisante en soi pour assurer le progrès du contrôle civil sur les forces armées. L’état-major des Forces Armées (EMFA), organisme chargé de son élaboration, imprima une vision militaire, mais en marqua aussi les limites : hiérarchiquement inférieur aux anciens ministres militaires, il n’a pas le commandement des trois branches. Malgré l’intronisation d’un civil à la tête du MD, les commandants respectifs ont ainsi gardé leur statut de ministre et siègent dans les instances gouvernementales majeures qui traitent de la défense nationale. L’absence d’une personnalité forte dans les ministres civils a déjà engendré plusieurs crises, certaines d’entre elles tout à fait sérieuses. Le choix d’hommes politiques sans envergure fut ressenti par les états-majors comme une expression de la carence d’intérêt des civils pour les questions militaires, d’où la conclusion (dangereuse) que l’armée est de fait la plus à même de s’occuper directement des questions la concernant. Enfin, d’autres éléments comme l’inexistence d’une politique de défense nationale claire et le maintien du cumul de l’opération et du contrôle de certaines activités d’ordre civil, tel le contrôle de l’espace aérien et de la flotte maritime, prouvent encore la difficulté d’établir un équilibre démocratique dans les relations civils-militaires.
11Du point de vue du fonctionnement de l’armée, un rapide examen sur les effectifs des troupes et les budgets annuels fait apparaître des chiffres surprenants. Dans la décennie 1990, alors que la majorité des États voisins diminuait le nombre de leurs soldats respectifs en raison de la disparition de l’hypothèse de la menace d’un ennemi intérieur, le Brésil augmentait le sien, même en l’absence de menaces extérieures. Je fais observer que les états-majors brésiliens justifièrent leur refus de se soumettre à la volonté des autorités américaines de réduire les troupes et de ne les orienter que vers des missions internes comme la guerre contre le narcotrafic et le combat anti-guérilla afin de ne pas compromettre le devoir de garantie de la souveraineté nationale et la professionnalisation. Toutefois, Zaverucha nous apprend que l’armée est encore organisée pour une guerre conventionnelle, signe de la représentation durable par l’armée de son rôle de maintien de l’ordre interne.
12Sur le plan financier, l’image véhiculée auprès de l’opinion publique transmet une armée bien mal en point, pénurie de fait manifeste dans son précaire état d’équipement Toutefois, comment expliquer que l’institution militaire ait joui d’une remarquable régularité dans ses dotations budgétaires dans la seconde moitié des années 1990, bien que le pays traversât une sérieuse crise fiscale ? La majeure partie du budget sert à payer les soldes et les retraites, trop peu restant effectivement pour l’équipement et l’armement, d’où, selon l’auteur, un manque de professionnalisation et de mobilité stratégique. Ainsi l’armée dispose d’une logistique non seulement onéreuse, mais de surcroît lente et très peu efficace.
13Enfin, du point de vue géographique, Zaverucha met l’accent sur les déséquilibres de la distribution militaire avec une concentration autour des grandes villes côtières, montrant le souci de préserver l’influence interne de l’armée auprès de la majorité de la population brésilienne. Le poids de l’histoire est ici visible, puisque les troupes d’élite se situent à Rio de Janeiro, à des milliers de kilomètres de l’Amazonie, région pourtant présentée par les états-majors comme vulnérable face à des menaces d’ordres divers.
14On peut regretter de ne pas lire plus de considérations d’ordre géographique. Bien que l’auteur soit politologue, la dimension du territoire brésilien méritait que l’on s’y arrêtât quelque peu. Il serait juste par exemple d’informer que le déséquilibre géographique des troupes demeure certes en faveur du littoral, et en particulier de Rio de Janeiro – mais aussi du Rio Grande do Sul en raison d’une histoire particulière de conflits. Toutefois, depuis que l’Argentine est devenue un État allié au sein du Mercosul, l’organisation géographique de l’armée a subi une évolution. Le chiffre de 25 % des troupes en Amazonie reste faible, mais il représente une augmentation de 15 % depuis le début des années 1990. L’auteur note avec pertinence la localisation d’unités stratégiques comme les troupes d’élite, mais il est bon de n’omettre ni l’ampleur de la distribution nationale de l’armée ni le redéploiement en cours des troupes vers l’Amazonie, obéissant une fois de plus à une stratégie de contrôle du territoire national.
15Les priorités et les actions de l’armée en Amazonie auraient mérité plus d’exemples puisque ce thème revient avec fréquence dans les prises de position des militaires pour justifier notamment un rééquipement et une professionnalisation accrue. Sur le plan opérationnel, les problèmes de logistique déjà cités s’aggraveraient dans un théâtre amazonien plus difficilement pénétrable et d’autant moins contrôlable. Certes, la responsabilité de l’armée dans la résolution des problèmes aux frontières doit être relativisée puisque nombre d’entre eux sont de la compétence de la police fédérale et du Trésor (Receita Federal). En revanche, en raison de la logique de l’ennemi intérieur, les décisions de l’armée dans la région méritent d’être examinées. L’Amazonie se distingue des autres régions brésiliennes de par la situation, plus que fragile de l’État de droit qui y prévaut. Rappeler que la moitié des assassinats dans les conflits de terre se passent dans l’État du Pará donne une idée de la fragilité de la démocratie.
16Zaverucha conclut en affirmant que la notion de consolidation démocratique comme troisième phase d’un processus de démocratisation – après la libéralisation et la transition – pèche par manque de rigueur scientifique puisque les deux premières phases ne fondent l’idée de démocratie que comme compétition électorale. Plusieurs faits empêchent en effet de considérer cette notion limitée de la démocratie comme satisfaisante : l’application de l’État de droit est rendue plus difficile avec le maintien de clauses autoritaires dans la Constitution de 1988 ; il n’existe toujours pas de claire séparation entre l’armée de terre et la police militaire ; enfin, le ministère de la Défense agit plus comme agent de l’armée que comme représentant du gouvernement et concepteur de la politique de défense. Ces conditions rendent alors possible la militarisation d’institutions et de politiques gouvernementales, telle que Zaverucha l’illustre abondamment dans un chapitre consacré au gouvernement Cardoso. L’auteur conclut donc sa recherche par une mise en garde : se satisfaire d’une démocratie minimaliste revient à accepter une apparence de démocratie, ce qui constitue une menace pour la démocratie elle-même.
17Le livre est donc aussi un appel à la citoyenneté, que la classe politique brésilienne devrait prendre en compte. Cependant, une telle mutation semble peu probable dans l’équation actuelle des forces politiques représentées au parlement. Même si Lula a été élu président, le Parti des travailleurs ne regroupe qu’environ le quart des parlementaires. Le manque manifeste de volonté politique du gouvernement Lula pour approfondir le contrôle de l’armée par les civils a éloigné la perspective d’un changement sensible et rapide issu d’une initiative gouvernementale. Reste, pour les citoyens intéressés, cette lecture d’un des aspects les moins commentés de la démocratie au Brésil, afin que l’on ne puisse pas dire que l’on ne savait pas.
186 mars 2006
Pour citer cet article
Référence papier
Catherine Prost, « Jorge Zaverucha, FHC, forças armadas e polícia, entre o autoritarismo e a democracia (1999-2002) », Lusotopie, XIII(2) | 2006, 203-207.
Référence électronique
Catherine Prost, « Jorge Zaverucha, FHC, forças armadas e polícia, entre o autoritarismo e a democracia (1999-2002) », Lusotopie [En ligne], XIII(2) | 2006, mis en ligne le 10 avril 2016, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1357 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01302018
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page