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La chronique des lectures
Les comptes rendus

George E. Brooks, Eurafricans in Western Africa – Commerce, Social Status, Gender, and Religious Observance from the Sixteenth to the Eighteenth Century

Athens, Ohio University Press, 2003, 355 p., ISBN : 0-85255-489-3
Alexis Wick
p. 187-189
Référence(s) :

George E. Brooks, Eurafricans in Western Africa – Commerce, Social Status, Gender, and Religious Observance from the Sixteenth to the Eighteenth Century, Athens, Ohio University Press, 2003, 355 p., ISBN : 0-85255-489-3

Texte intégral

1Cet ouvrage provient de la mûre réflexion d’un historien d’Afrique occidentale, complétant (chronologiquement et thématiquement) son livre précédent Landlords and Strangers : ecology, society, and trade in Western Africa, 1000-1630, Boulder, Westview Press, 1993) qui couvrait la période entre l’an 1000 et 1630, et annonçant un troisième volume sur la période des dix-neuvième et vingtième-siècles. Puisant dans sa spécialité – les communautés hybrides de la côte atlantique –, l’historien montre que l’expansion coloniale ne se résumait pas au contrôle des « Africains » par des « Européens ». Bien au contraire, les dynamiques commerciales et sociales de la côte étaient en général soumises aux coutumes et habitudes locales (jusqu’au xixe siècle au moins) plutôt que l’inverse, et ce livre fait donc écho à d’autres recherches récentes qui suggèrent que les termes « Européens » et « Africains » eux-mêmes devraient être compris comme un produit de ce long processus, plutôt que comme son point de départ. Ce livre contribue donc à briser le mythe de l’omnipotence des colonisateurs (ou plus tard de « l’État colonial »), en montrant que la colonisation était en fait une affaire bien plus complexe que l’image issue de l’idéologie arrogante de l’Europe hégémonique du dix-neuvième siècle, impliquant médiation et conciliation constantes plutôt que conquête et subjugation perpétuelles. Le groupe qui personnifie cette médiation et qui fait ressortir le plus fortement la vulnérabilité des Européens est sans doute celui des Euro-Africains (d’abord Luso-, puis Franco- et Anglo-Africains), un nom sciemment composé de deux termes inégaux pour souligner l’apport prépondérant du second. Ceux-ci jouaient un rôle essentiel dans le commerce de la côte avec les Européens, ayant un avantage considérable sur ces derniers précisément de par leurs liens organiques avec les sociétés locales. Le statut d’« homo economicus » n’est ainsi plus le monopole d’une quelconque rationalité occidentale : États et individus « africains » participent activement à l’histoire qu’écrit Brooks, jouant un rôle déterminant dans l’accroissement des échanges commerciaux dans la région.

2Les communautés intermédiaires côtières apparaissent tout au long de ces trois siècles d’histoire comme fermement ancrées dans leur milieu local, « africain », ce qui ne les empêche pas de se démarquer par certaines caractéristiques (« européennes ») dans leurs modes vestimentaires, alimentaires, ou de logement. La catégorie des « Euro-Africains » devrait ainsi être comprise comme un « groupe » parmi d’autres qui participait à la régulation de la vie socio-économique locale, plutôt qu’une greffe allogène. Le détachement des « Euro-Africains » d’une Europe prématurément hégémonique permet également à l’auteur de montrer le rôle crucial qu’ils jouèrent dans la continuité et la persistance des réseaux commerciaux avec l’Afrique de l’Ouest malgré les nombreuses guerres dévastatrices entre États européens.

3L’analyse débute par un large panorama des paramètres écologiques, culturels et sociaux de la région. Brooks l’insère ainsi directement dans le cadre historique et géographique locaux – ce qui paraîtrait relever de l’évidence méthodologique méritant à peine une mention, sauf que le paradigme dominant eurocentrique tend à l’ignorer – et adopte une approche méthodologique à la fois régionaliste et spécifique. Cette approche synthétique, alliant une ambition totalisante avec un style accessible au lecteur non spécialiste, est poursuivie tout au long du livre, ce qui n’empêche pas l’auteur d’y intégrer une multitude de détails précis et incisifs – signe supplémentaire, s’il en fallait, de sa maîtrise du sujet.

4De plus, le centrage sur une histoire sociale (au sens le plus large) plutôt que sur une simple histoire politique, qui se focaliserait sur « l’État » et ses opérateurs comme agents d’une Histoire hégélienne, lui permet de montrer le dynamisme de la région et de ses différents acteurs. Le résultat est percutant, s’agissant par exemple des femmes euro-africaines, actrices principales de la trame tracée par Brooks. Nous les trouvons en effet faisant preuve d’un dynamisme commercial et politique tel que leurs voix se font entendre par-dessus les obstacles d’archives généralement antipathiques à leur égard (et qui sont produites presque entièrement par des hommes européens).

5L’historien fait également ses preuves dans le plus délicat des critères de sa discipline : une habileté et une versatilité dans la découverte et le dépouillement de sources historiques multiples. Si ces sources sont à l’évidence extrêmement problématiques – l’auteur lui-même l’admet dès la préface – l’usage qui en est fait n’en est que plus impressionnant.

6Une faiblesse théorique de ce livre est l’utilisation répétée de catégories coloniales, encore courantes et toujours problématiques, comme l’idée de sociétés « acéphales », « animistes », ou « segmentaires ». Mais l’aspect le plus déconcertant du volume est la présence-absence de l’Islam, alors que le rôle d’institutions et de coutumes chrétiennes y est subtilement intégré. En effet, l’islam apparaît dans de multiples détails de la narration historique que présente Brooks, mais demeure remarquablement absent de son analyse systématique. Un exemple typique est l’affirmation de la constitution, à un moment donné, d’un « État fondé sur des principes islamiques » (p. 200) sans explication et sans approfondissement. L’islam est présent de façon centrale dans l’histoire de la région, et d’ailleurs cette présence va croissante au cours du livre, mais les modalités de son introduction, le rayon de son influence, les sources de son dynamisme ne font presque jamais l’objet d’une analyse : l’index en fin de volume ne recense d’ailleurs même pas de manière systématique les mentions de cette religion dans le texte. Brooks affirme en fin de compte que « l’expansion de l’islam s’avéra incompatible avec les intérêts des Luso-Africains » (p. 249) – rien de plus central, donc, et rien de moins discuté…

7Enfin, le dénouement de ce livre remarquable se clôt malheureusement de manière brusque et abrupte – les derniers mots annoncent un âge d’or pour les Euro-Africains ! – ce qui laisse le lecteur sur sa faim, que l’annonce d’un prochain volume peine à pallier.

8Juin 2006

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Pour citer cet article

Référence papier

Alexis Wick, « George E. Brooks, Eurafricans in Western Africa – Commerce, Social Status, Gender, and Religious Observance from the Sixteenth to the Eighteenth Century »Lusotopie, XIII(2) | 2006, 187-189.

Référence électronique

Alexis Wick, « George E. Brooks, Eurafricans in Western Africa – Commerce, Social Status, Gender, and Religious Observance from the Sixteenth to the Eighteenth Century »Lusotopie [En ligne], XIII(2) | 2006, mis en ligne le 10 avril 2016, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1345 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01302013

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