Pedro Ramos Brandão, A Igreja Católica e o « Estado Novo » em Moçambique, 1960-1974
Pedro Ramos Brandão, A Igreja Católica e o « Estado Novo » em Moçambique, 1960-1974, Lisbonne, Editorial Notícias, 2004, 259 p., ISBN : 972-46-1567-7, note scientifique de António Costa Pinto, préface de José Capela.
Texte intégral
1Quelles furent les relations entre l’Église catholique et l’État au Mozambique durant les dernières années du régime colonial ? Voilà un sujet passionnant qui n’avait pas encore été traité systématiquement et encore moins à l’aune des évolutions historiographiques de ces dernières années. La période est particulièrement intéressante au Mozambique dans la mesure où le Concile Vatican II remuait alors les esprits catholiques et que les cas de dissidence religieuse, voire politique, se multipliaient au sein de l’Église. On mentionnera ici le cas des Pères Blancs qui finirent par quitter le Mozambique pour protester contre la collusion entre État et Église. On mentionnera aussi le cas de l’évêque de Nampula qui, avec les Pères Comboniens, dénonça publiquement la guerre et le colonialisme, appela à une décolonisation immédiate du Mozambique, et fut expulsé avec ses missionnaires juste avant la chute du régime. La période 1960-1974 est donc une période riche en événements et en retournements, une période que Pedro Brandão analyse en 259 pages. L’ouvrage n’a pas de prétention universitaire, nous dit l’auteur dans l’introduction (quoique ce soit le fruit de son travail de thèse de doctorat en cours). Tout au plus veut-il faire connaître le sujet au grand public et mettre à jour des faits nouveaux.
2Le livre de Pedro Brandão est structuré en dix chapitres, dont trois introductifs. Le premier présente l’histoire de l’Église catholique romaine dans le système politique international entre 1940 et 1974 – en particulier autour de la Seconde Guerre mondiale et de Vatican II. Le second chapitre traite des relations entre Église et État dans l’Outre-mer portugais, et au Mozambique plus particulièrement, durant la même période. Le troisième chapitre reproduit des cartes géographiques de l’Annuaire catholique de l’Outre-mer de 1975 et offre des graphiques comparatifs ainsi qu’une rapide analyse des statistiques catholiques de 1960 à 1975. Suivent quatre chapitres qui portent sur le premier évêque du diocèse de Beira (le « libéral » Dom Sebastião), le « cas de l’évêque de Nampula et des Pères Comboniens », le « cas des Pères Blancs » et le « cas des Pères de Macuti » (jugés par les Portugais pour anticolonialisme). Deux chapitres terminent l’ouvrage avec des extraits du journal intime de l’évêque de Beira et deux documents d’archives – malheureusement sans commentaires et sans croisement avec ce qui est dit dans le texte, et d’une utilité par conséquent limitée. En résumé et autrement dit, après trois chapitres liminaires, l’auteur nous parle des cas de dissidence ou de rébellion du clergé contre l’ordre colonial.
3Cette organisation de l’ouvrage pose un premier problème. Dans l’introduction et dans le deuxième chapitre, l’auteur démontre de manière classique mais correcte que l’Église catholique et l’État colonial au Mozambique collaboraient activement – un Concordat et un Accord missionnaire cimentaient légalement leurs relations. Or, dans les quatre chapitres qui suivent, l’auteur abandonne ce sujet pour ne plus discuter que des évêques et des pères qui résistèrent ou s’opposèrent à cette collaboration entre Église et État. L’introduction ne disant rien de l’argument de l’auteur, le livre n’ayant pas de conclusion et l’auteur ne revenant pas sur la question de la nature des relations entre Église et État après son analyse des cas de « dissidence », le lecteur ne sait pas ce que Pedro Brandão veut nous dire. Veut-il corriger l’idée que l’Église aurait seulement collaboré avec l’« État Nouveau » ? Veut-il dire que, si collaboration il y a bien eu, cela n’empêchait pas certains secteurs de l’Église de résister sur le terrain ? Ou veut-il réhabiliter l’Église coloniale portugaise qui aurait été accusée injustement de compromission avec le colonialisme ? La dernière question se pose d’autant plus qu’il n’y a strictement aucune analyse ou discussion dans l’ouvrage des missionnaires favorables au colonialisme (qui constituaient la majorité du clergé). Même si on peut imaginer que l’auteur vise la nuance historique plutôt que la réhabilitation de l’Église, le lecteur est laissé dans le flou et on peut craindre qu’une partie du grand public (à qui le livre est adressé) ne conclue l’inverse.
4Un deuxième problème dans ce livre est l’approche de l’auteur et son manque de connaissance de l’Église catholique. Tout d’abord, la lecture de Pedro Brandão est purement politique. Il résume tout à « être pour » ou « être contre » le colonialisme et il omet ainsi de nombreuses nuances quand il ne comprend pas certaines dynamiques de manière simplement erronée. Par exemple, il présente Jorge Jardim comme le défenseur du statu quo (p. 200) ; et il affirme que le succès (numérique) de l’évangélisation du diocèse de Beira est le fruit du libéralisme politique de son évêque (p. 112). Pourtant, c’est exactement l’inverse dans les deux cas. Ensuite, Pedro Brandão connaît mal l’Église catholique. Il prend ainsi l’Institut espagnol des Missions étrangères (IEME) des Pères de Burgos (auquel il consacre un chapitre entier !) pour l’Institut catholique de Relations internationales de Londres (CIIR). De même, il ne comprend pas la dynamique « ultramontaine » d’une partie du clergé, dynamique qui fait que beaucoup de missionnaires, et Dom Sebastião Soares de Resende lui-même, s’opposèrent parfois à l’État sans être pour autant contre le colonialisme. Enfin, Brandão ignore superbement la théologie, s’empêchant ainsi de comprendre les motivations des missionnaires. Pour ne donner qu’un exemple, l’auteur ne sait visiblement pas que les Pères de Burgos sont adeptes de la théologie de la libération. Du coup, il parle de leur engagement aux côtés des nationalistes du Frelimo en brodant sur leur orientation en faveur de la « démocratisation au sens large », de leur « attitude extrêmement volontariste et généreuse » et de leur « esprit de groupe très fort […] qui leur donna une force unique, créant des problèmes complexes aux autorités portugaises » (p. 75).
5Un troisième aspect problématique concerne l’usage des sources – un problème qui n’est pas spécifique à cet auteur, mais qui est particulièrement aigu chez lui. Il est vrai que Pedro Brandão avertit le lecteur dans son introduction que le livre n’est pas destiné au monde universitaire. Toutefois, si cela peut expliquer la quasi-absence de notes de bas de page, cela ne peut pas justifier que l’auteur reproduise des informations sans aucune critique et qu’il ne recoupe pas ses sources. En effet, Pedro Brandão reproduit les chronologies de la Pide telles quelles, sans critiques ni altération, nous présentant du coup une histoire singulièrement colonialiste et policière. Plus grave, prenant les affirmations de la Pide ou de personnes « interviewées » (sans les mentionner) pour argent comptant, l’auteur en arrive à dire des contrevérités et même des choses tout simplement scandaleuses. Pour ne citer que l’exemple le plus choquant, Brandão avance, sur la base de témoignages de « gens présents à cette date dans cette zone du Mozambique » (sic) que la « responsabilité morale » du tristement célèbre massacre de Wiriyamu ne peut être imputée directement aux militaires portugais ! En effet, selon lui (sur la base des dires d’un seul militaire portugais impliqué…), si les soldats ont bien tué tout le monde, l’ordre de massacrer la population dans ce village aurait été donné par un agent de la Pide – africain et mort depuis longtemps… (p. 176).
6Ce compte rendu de lecture pourrait continuer sur d’autres points. Il y a des erreurs typographiques et de sens : l’auteur appelle « colombiens » les Pères Comboniens (p. 61) ; il confond diocèse et mission (p. 171) ; il fait des abus de langage – les Portugais auraient commis « des génocides » durant la guerre (p. 210) ; il fait une utilisation et des interprétations hasardeuses des statistiques (chapitre 3), etc. Mais ces quelques commentaires suffisent pour dire que ce livre a été publié très prématurément. D’une part, l’auteur était en plein dans sa recherche doctorale et son travail d’enquête comme d’analyse était visiblement loin d’être abouti. D’autre part, son travail de rédaction a été précipité au point d’oublier d’adjoindre une conclusion et, surtout, d’expliciter la thèse du livre. On veut bien croire que l’auteur ait été motivé par des intentions honorables. Il n’en reste pas moins que son travail pose plus de problèmes qu’il n’en résout et qu’il introduit au moins autant (si non plus) d’erreurs qu’il n’amène de nouveautés. Par ailleurs, sa perspective étroitement politique est peu appropriée au sujet et historiographiquement dépassée. Avec un tel éditeur et avec l’appui d’historiens aussi prestigieux et compétents que José Capela et António Costa Pinto (préface et note scientifique), Pedro Brandão aurait pu faire mieux. Il aurait dû faire beaucoup mieux.
7Février 2005
Pour citer cet article
Référence papier
Éric Morier-Genoud, « Pedro Ramos Brandão, A Igreja Católica e o « Estado Novo » em Moçambique, 1960-1974 », Lusotopie, XIII(2) | 2006, 185-187.
Référence électronique
Éric Morier-Genoud, « Pedro Ramos Brandão, A Igreja Católica e o « Estado Novo » em Moçambique, 1960-1974 », Lusotopie [En ligne], XIII(2) | 2006, mis en ligne le 10 avril 2016, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1343 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01302012
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