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Les chroniques
Les comptes rendus

Álvaro Nóbrega, A luta pelo poder na Guiné-Bissau

Lisbonne, Universidade técnica de Lisboa, Instituto superior de ciências sociais e políticas, 2003, 334 p.
Michel Cahen
p. 275-277
Référence(s) :

Álvaro Nóbrega, A luta pelo poder na Guiné-Bissau, Lisbonne, Universidade técnica de Lisboa, Instituto superior de ciências sociais e políticas, 2003, 334 p., bibl., index, ISBN : 972-8726-19-8.

Texte intégral

1Pourquoi publier une thèse de mestrado, que l’on peut comparer en France, selon les cas, aux anciennes thèses de troisième cycle ou aux mémoires de masters de cinquième année d’université ? La recherche ici présentée aurait en effet gagné à être approfondie en thèse de doctorat, si possible en élargissant le cadre institutionnel où l’auteur a « vécu », à savoir l’ISCSP, à d’autres milieux académiques et scientifiques. La recherche menée a été importante, malgré des conditions difficiles. Les sources, cependant, restent lacunaires, des travaux considérables de langue anglaise ne semblant pas connues (livres de P. Chabal, R. Chilcote, J. Forrest, R. Lobban, L. Rüdebeck). Il en va de même pour ceux, moins nombreux, de langue française (comme les articles de Lusotopie, en accès intégral, libre et gratuit sur le site internet de la revue ; ceux de Politique Africaine ; les ouvrages de Rüdebeck en français). En langue portugaise enfin, on s’étonne de ne rien trouver de P. Havik ou D. L. Handem dans la bibliographie.

2Mais le problème n’est pas là. Une grande partie du travail consiste en une description très classique des « ethnies » et de leurs religions (1e partie), sans que, malgré un effort de cartographie important, l’hétérogénéité sociale dans le rapport à l’État moderne ne soit clairement étudié. L’auteur a raison de remplacer la violence dans son cadre historique (2e partie), mais d’une part on aurait aimé que cette « violence » fût mise en rapport avec la formation sociale des peuples présentés (sociétés hiérarchisées et centralisées, ou segmentaires voire acéphales) et d’autre part, on est gêné de l’approche en terme de « longue tradition de violence », comme si la violence était un atavisme culturaliste et non point un produit social contextualisé.

3Outre l’hétérogénéité du pays – constat statistique – on voit mal l’historicité de la crise du rapport à l’État, et notamment la contradiction « fondatrice » entre un « lieu de l’État » (Bissau) situé loin des sociétés les plus aptes à entrer en contact fécond avec lui (les sociétés musulmanes de l’Est). En effet, le Portugal catholique avait largement utilisé les auxiliaires musulmans pour vaincre les sociétés côtières acéphales. La guerre de libération n’est ainsi pas assez vue comme guerre civile non créatrice, en elle-même, d’un sentiment national.

4Une sociologie historique et politique des élites était également nécessaire. Finalement, ce qui restera de plus utile dans ces 334 pages, est la troisième et dernière partie, surtout les pages qui traitent de la situation postérieure au 14 novembre 1980, en tant que chronique politique de l’instabilité endémique du pays. Une étude plus poussée du Partido de Renovação social (PRS) aurait été fort utile : est-ce l’apparition d’une expression politique plébéienne, au-delà des aspects ethniques ? Par ailleurs, le formidable retournement de situation après les élections de 1999, qui voit le « PAIGC résiduel » sauvegarder de l’influence surtout en zones musulmanes – traditionnellement réticentes pendant la guerre de libération –, n’est pas entrevu, et repose pourtant la question de l’« alliance structurelle » entre les sociétés fortement hiérarchisées et l’État moderne. La Guinée-Bissau, si petite et si complexe, peut être analysée, dans sa crise permanente, comme un modèle invivable de néopatrimonialisme pauvre. L’auteur aurait gagné à mieux connaître la littérature française sur le thème : J.-F. Bayart, J.-F. Médard, J.-P. Olivier de Sardan, etc..

5Enfin, certaines pages sont étonnantes dans une thèse, comme ces pages 44-47 où l’auteur dérive vers des recommandations en vue d’augmenter l’influence du Portugal en Guinée-Bissau, allant jusqu’à proposer des manœuvres militaires conjointes Portugal/Guinée (que naturellement la Guinée-Bissau post-cabralienne n’acceptera jamais !). Que l’on sache, l’ISCSP n’est plus l’École coloniale et une thèse n’est pas un rapport de consultance pour le ministère… Et je n’écris point cela parce que je suis français ! D’ailleurs, il y aurait eu une analyse extrêmement intéressante à produire sur la farouche rivalité politique Portugal/CPLP versus France/UMEOA dans les pourparlers de paix de 1998-99, qui fit capoter un premier accord, mais se solda in fine par une claire « victoire » du Portugal et par la montée d’un sentiment anti-français à Bissau, vu le soutien accordé par la France au dictateur Nino Vieira et à l’intervention sénégalaise ressentie par tous comme « péri-française » !

6L’ISCSP et l’auteur avaient sans doute des raisons institutionnelles de publier ce mestrado le plus vite possible. Mais on regrettera, sur le plan scientifique, cette précipitation, car on reste sur sa faim relativement au besoin maintenu d’une analyse, sur la durée, du rapport au pouvoir en Guinée-Bissau. Un pas a été fait en ce sens par Fafali Koudawo, Cabo Verde e Guiné-Bissau, da democracia revolucionária à democracia liberal, Bissau, INEP, 2001, 230 p. (« Kacu Martel », 14) et par Lars Rüdebeck, en deux versions légèrement différentes, anglaise et portugaise : On Democracy’s Sustainability. Transition in Guinea-Bissau, Stockholm, SIDA, 2001, 125 p. (« Sida Studies », 4) et Colapso e reconstrução política na Guinée-Bissau, 1998-2000. Um estudo de democratização difícil, Uppsala, Nordiska Afrikainstitutet, 2001, 124 p., ISBN : 91-7106-482-6, livres qui auraient impérativement dû entrer dans la bibliographie de l’auteur.

7Souhaitons qu’Álvaro Nóbrega remette main à l’ouvrage, joignant plus profondément histoire, anthropologie politique et sciences politiques.

8Mai 2005

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Cahen, « Álvaro Nóbrega, A luta pelo poder na Guiné-Bissau »Lusotopie, XII(1-2) | 2005, 275-277.

Référence électronique

Michel Cahen, « Álvaro Nóbrega, A luta pelo poder na Guiné-Bissau »Lusotopie [En ligne], XII(1-2) | 2005, mis en ligne le 30 mars 2016, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1297 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-0120102023

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Auteur

Michel Cahen

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