Masculinités pour tous ? Genre, pouvoir et gouvernementalité au Cap-Vert
Résumés
L’article se base sur deux terrains ethnographiques menés à Praia : le premier de 1987 à 1991 et le second en 2002. Ces terrains montrent combien les transformations des relations de genre ne se comprennent qu’en association avec les changements politiques (la démocratisation) et les nouvelles politiques économiques et sociales mises en œuvre sous l’égide de la libéralisation. L’article se concentre sur les changements concernant la conception idéale de soi et la production des désirs.
Le concept de gouvernementalité est une ressource essentielle. Il permet d’articuler les relations complexes existant entre des modèles de référence collectifs enracinés dans l’histoire des îles, les pragmatiques des identifications contemporaines et les logiques du capitalisme libéral à l’œuvre. L’appropriation par les femmes du genre de la masculinité hégémonique dans ce contexte post-colonial et le conservatisme têtu des hommes se conjuguent pour rendre caduque le foyer (lar) comme unité sociale de base où les femmes et les hommes peuvent partager un espace et des ressources en commun.
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Mots-clés :
masculinité, pouvoir, genre, changements politiques, politique économique, politique sociale, libéralisation, gouvernementalitéPlan
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- 1 . W.F. Hanks, Language and Communicative Practices, Boulder, Col., 1996.
- 2 . Governo de Cabo Verde, Programa nacional de luta contra a pobreza, 1998. Consulté le 25 janvier 2 (...)
1Quels sont les changements récents dans les relations de genre au Cap-Vert ? On cherchera à répondre à cette question à partir de l’exemple de Praia, la capitale, située dans l’île de Santiago. Alors que les hommes semblent s’accrocher à une identification et donc à un genre, caractéristiques d’une masculinité hégémonique, les femmes, quant à elles, embrassent des points de vue et stratégies individuels qui leur permettent de se soustraire à l’emprise imaginaire et matérielle du modèle d’organisation de l’unité sociale de base – le foyer, o lar – et donc de le redéfinir et d’en instituer d’autres1. Cette nouvelle configuration rend de plus en plus problématiques et/ou brèves les cohabitations entre partenaires. Or, le pourcentage de familles dirigées par des femmes au Cap-Vert est déjà très élevé, près de 42 %2. En outre, on sait que ces familles sont particulièrement affectées par la pauvreté.
2Mon analyse des transformations des relations de genre est orientée par une ethnographie de la personne idéale à laquelle aspirent les Capverdiens urbains de Praia. Plus encore que dans les années 1990, la capitale de la République, sise sur l’île la plus grande et qui fut la première peuplée, est le centre de décision et d’innovation principal du pays. La démographie en démontre la vitalité : de 71 000 habitants en 1990, elle a atteint les 106 000 en 2000, soit une croissance d’environ 50 %.
- 3 . J. Comaroff & J. Comaroff, « Introduction », in J. Comaroff & J. Comaroff (eds), Civil Society an (...)
3D’anciens modèles définissant des idéaux et possibilités différenciées selon les genres restent centraux dans la conception idéale de soi à Praia ; le changement naît d’une redéfinition des idéaux qui informent les conduites des femmes. Cela concerne plus précisément l’adoption par les femmes d’une conduite dans les relations intergenres régie par l’idéal de l’hégémonie masculine. Le phénomène se combine à un processus de marchandisation généralisée des échanges et à l’incarnation des très masculines qualités de prospérité, santé et vitalité par la consommation3. Toutefois, la pragmatique de la consommation des biens et des services ne peut être résumée à une fonction métaphorique. La consommation ne serait que démonstration ; or, la consommation est ici désir d’individu, soif et plaisir propres. La consommation réalise la prospérité, la beauté et, je le soupçonne, la liberté. Alors qu’elle produit ses propres contraintes et ses propres réseaux, la consommation permet à l’individu de multiplier ses liens avec l’altérité ; en tissant un réseau de choses autour de l’individu, la consommation augmente sa portée sociale.
- 4 . J. Comaroff, & J. Comaroff, « Ethnography on an Awkward Scale : Postcolonial Anthropology and the (...)
4Dans la mesure où l’analyse de ces changements renvoie à des processus qui dépassent de loin le Cap-Vert, le lecteur sera convié au long de ces lignes à articuler des logiques locales à des logiques globales ; mieux, l’observation des transformations des relations de genre dans la vie quotidienne non seulement implique des phénomènes, des objets, des idées, des valeurs produites bien au-delà des sphères de vie locale – au-delà dans le temps et dans l’espace, mais implique aussi des phénomènes relevant de la sphère publique, convoquant politique et économie. En d’autres mots, l’ethnographie de ces relations interpersonnelles de genre convoque de multiples phénomènes, logiques et identifications : locaux et transnationaux, passés et présents, politiques et économiques, matériels et virtuels4. Le champ pertinent de la dynamique des identifications qui traversent les relations de genre s’est élargi, densifié ; la dynamique a pris un coup d’accélérateur.
- 5 . A. Appadurai, « Disjuncture and Difference in the Global Cultural Economy », in M. Featherstone ( (...)
- 6 . F. Coronil, « Towards a Critique of Globalcentrism : Speculations on Capitalism’s Nature », Publi (...)
- 7 . O. Cunha, « Reflexões sobre biopoder e pós-colonialismo : relendo Fanon e Foucault », Mana, VIII (...)
- 8 . J. Comaroff & J. Comaroff, « Introduction », op. cit. : 33.
5En effet, ces transformations nous renvoient à l’intensification incontestable des flux, au cœur desquels ce qu’il est coutume d’appeler le néo-libéralisme donne le ton idéologique à un système qui a retrouvé son nom, le capitalisme contemporain5. Dans les descriptions qui suivent, apparaît clairement l’intrication des logiques matérielles et idéologiques de ce capitalisme qui entretient un climat utopique et irrigue les discours de termes évocateurs d’espace, d’ouverture, de liberté, voire d’égalité qu’elle ne produit manifestement pas6. Olívia da Cunha parle des attraits (encantamentos) du capitalisme, pour mieux souligner ces performances imaginaires : « Les attraits du capitalisme millénariste opéreraient justement à travers leur capacité à combiner le salvationisme, des principes de différence, et des prescriptions légales et morales : l’individu est allégé de ces liens locaux et resitué sous des logiques classificatrices régulatrices propres à l’ordre global mondial »7. Cette observation ne doit pas sous-estimer que ces attraits (encantamentos) produisent également des idées potentiellement émancipatrices, comme celle de société civile par exemple8.
- 9 . H. Cardoso, « O erro de A. Carreira », Cultura Cabo Verde, 1998, 2 : 33-43.
6Le caractère central, dans l’histoire du Cap-Vert, de l’articulation de la réalité locale avec des processus globaux afin d’assurer l’existence d’une population au seuil de la survie n’est plus à démontrer, elle a profondément marqué l’imaginaire et les pratiques des Capverdiens9. Plus, le Cap-Vert comme espace humain fut fondé justement dans le mouvement du développement d’une économie globale, principalement comme escale dans le développement du commerce triangulaire aux xvie et xviie siècles (principalement sur Santiago et Fogo), plus tard encore au dix-neuvième, c’est toujours pour son rôle dans une économie transcontinentale que la ville de Mindelo est fondée ; sa baie et sa position géographique en font un parfait entrepôt de charbon dans l’Atlantique.
- * Note de la rédaction : habitants de Praia.
7La multiplicité des sphères, des atmosphères dans lesquelles se jouent les jeux de pouvoir de la vie des Praienses* ne cesse d’étonner. La micro-politique capverdienne, les jeux de pouvoirs significatifs (tels ceux qui traversent les relations de genre) restent encore peu intégrés dans les discours et les techniques institutionnelles de gouvernementalité. Des sphères essentielles de la politique restent tues ou plutôt peu explicitées, très effectives mais pas encore rendues visibles, lisibles, et donc puissantes. Les relations entre, d’une part les dispositifs de gestion et d’analyse de la société justifiés par une morale globale et des normes énoncées, importées, théorisées, opérationnalisées par des procédures concrètes d’« implantation », de contrôle, de suivi et d’autre part, les modèles et modalités locales de sociabilité ; ces relations, objets de multiples tensions, luttes et combinaisons, constituent le terrain d’enjeux qui fragmentent la société. Les dimensions principales de cette fragmentation me semblent les classes, le genre et l’espace de résidence. La fragmentation s’accompagne d’une différenciation sociale accrue, plus ample et plus marquée dans la matérialité.
- 10 . D. Mitchell, Governmentality. Power and Rule in Modern Society, Londres, Sage, 1999, 229 p.
8J’aborde le pouvoir par la notion de gouvernementalité, laquelle invite d’abord à penser cette complexité des espaces interactionnels où se jouent les pouvoirs10. La pertinence des sphères qui échappent à la conception classique de l’arène politique et des règles et modalités de participation politique doit retenir l’attention. Penser en termes de gouvernementalité permet de mieux prendre en considération ces sphères plus privées de vie, irriguées par les discours et les normes locales et globales qui orientent les désirs, les choix, les reconstruisent. Les identifications constituent des éléments essentiels d’une étude des dimensions concrètes de la gouvernementalité, car elles entretiennent des relations dialogiques et privilégiées avec des pratiques, expressions, émotions spécifiques. Elles hiérarchisent les entités qu’elles définissent.
- 11 . J. Fabian, Time and the Other. How Anthropology Makes Its Object, New York, Columbia University P (...)
9La consommation, l’individualisme, les signes de distinction sociale de plus en plus patents dans l’espace public, la multiplication et l’élargissement du spectre des classes sociales, l’exacerbation des tensions et conflits entre les genres, … Il n’en faut pas plus pour attester de la postmodernité de nos contemporains africains11. Je tenais à présenter les questionnements et les repères avec lesquels ce travail principalement ethnographique dialogue.
La question ethnographique
Praia. Cap-Vert. 23 août 2002. Notes de terrain
- 12 . Les termes en italiques sont en créole capverdien. J’ai tenté dans mes transcriptions de respecte (...)
10[En prenant un café noir avec un ami au snack du coin]. Mon vis-à-vis engage les deux femmes qui prennent un verre à la table d’à côté à « rester encore un peu ». Elles sourient, s’excusent. Elles ne peuvent pas ; elles sortent du boulot et doivent aller préparer le déjeuner. Il les regarde longtemps s’éloigner, en pantalon et top serrant, un peu enveloppées. Elles marchent lentement côte à côte en bavardant. « C’est comme cela que je les aime les femmes, mûres (maduras)12, bien, elles ont leur âge, mais ne te prennent pas la tête (ka ta dau dor di kabesa). Tu paies la location [de son logement] et la bouffe et c’est tout, tu dors là. Quand tu as mal la tête, elles vont te chercher une aspirine à la pharmacie ; si tu as mal ici ou là, elles te massent ». Il fait un geste de la main. Je risque « kariñoza ? (tendre) ». « Yèh, kariñoza ». « Ce n’est pas comme ces meninas (jeunes filles). Tu leur parles dans la rue, elles disent : "attends une minute, je viens". Entre-temps, elles sont déjà en train de parler avec quelqu’un d’autre : "dis, attends, je reviens tout de suite…" Et ainsi de suite, elles vont de l’un à l’autre […]. Ces meninas, elles te font un nettoyage général [limpeza geral], après qu’elles soient passées, il ne reste plus rien. Pfuuiiit ! C’est de l’argent pour le portable, les chaussures, les fringues, défriser les cheveux. […] si tu as des difficultés ou que tu es malade, Ciao. ».
- 13 . G. Massart, Communication et postmodernité : approche ethnographique de la pragmatique des identi (...)
11Huit ans après mon départ du Cap-Vert, je reviens rendre visite aux amis avec la ferme volonté d’éprouver la thèse que j’avais entre-temps défendue, à savoir : la poursuite d’une masculinité hégémonique par les jeunes urbains de Praia que je côtoyais durant plusieurs années ne pouvait faire sens que dans le cadre de certaines relations sociales et surtout de relations politiques qui concouraient à leur reproduction13. Depuis, le multipartisme s’était installé au Cap-Vert. Le MpD (Movimento para democracia – Mouvement pour la démocratie) avait assuré deux mandats et le PAICV (Partido africano para independência de Cabo Verde – Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert) était revenu en force au parlement et au gouvernement à l’occasion des dernières élections législatives. Mes interlocuteurs et interlocutrices privilégiés entraient dans leur quarantaine. Les hommes, la majorité de ces interlocuteurs, ne vivaient plus avec les compagnes que je leur connaissais au moment de mon départ. En fait, la plupart ne vivaient pas en couple. Ils répétaient toujours ce désir, plus murmuré que dit, de toute façon toujours entre quatre yeux : le désir de vivre dans un foyer (lar) ou plus exactement, de diriger un foyer. Un lar implique une maison (kaza), un lieu, une compagne, une femme (mudjer) qui gère la maison, des enfants qui le respectent, à qui il assure les moyens de subsistance. Un lar incarne pour les hommes un idéal : un espace social où ils satisfont leur désir profond d’autorité, de prestige, de puissance et de reproduction. Manifestement, mes interlocuteurs n’ont pu réaliser ce désir. Pour eux, les femmes sont responsables de cet échec :
« Le plus grand problème, c’est celui-là : la dispute dans le foyer (guerra dentru di lar). La femme ne veut en faire qu’à sa tête (mudjer krê fazi di sel), elle boit, elle sort, elle va en boîte. Voilà. Elle sort (pega) avec un, l’autre. […]. Difficile. Elle veut se marier ; quand on se sépare, la moitié des choses sont à l’un, l’autre moitié à l’autre et chacun sa vie. De nous, ce qu’elle veut c’est la moitié du salaire, rien de moins, pour acheter des souliers, des pantalons, des robes, des chemisiers, voilà ». Entretien, Praia, 8 août 2002, Homme , 43 ans.
- 14 . En clair, « les conditions économiques » désignent les ressources que l’homme peut offrir. En eff (...)
- 15 . J. Pina Cabral, Filhos de Adão, filhas de Eva. A visão camponesa do mundo no Alto Minho, Lisbonne (...)
12Pour les hommes, les femmes qu’ils convoitent, les partenaires potentielles (déterminées par les liens de parenté et l’âge) coûtent cher. Elles demandent de plus en plus de choses. Elles se plaignent des « condições »14 que l’homme peut leur offrir. En d’autres mots, elles accusent l’homme d’être trop pauvre. Ensuite, elles se plaignent de ce que les hommes sortent trop, de ce qu’ils ont des pequenas (littéralement petites, pequena est une menina convoitée, une amante généralement plus jeune). Ils crient ou battent. Ils ne se préoccupent pas assez des difficultés de la maison, pas assez de la vie que mène leur compagne, toujours à leur service sans argent. Ils rentrent soûls, s’écroulent dans le lit : pas de sexe. Cette critique-là est radicale. Au contraire des autres, elle est sérieusement considérée par les hommes eux-mêmes. La relation sexuelle est communication, échange essentiel sans lequel il n’y a pas de couple. La relation sexuelle permet à chacun des deux partenaires de renvoyer une image positive de l’autre. Les griefs et exigences évoquent le modèle méditerranéen classique de relations de genre : la soumission de la femme, mais sa préséance dans la gestion de la maison ; l’obligation pour l’homme de gagner le pain quotidien (en fait, des espèces sonnantes et trébuchantes) du foyer à l’extérieur et de construire une maison ; le « gendering » des espaces et de la sociabilité, la rue pour les hommes, la kasa pour les femmes ; l’importance des relations sexuelles comme valorisation, rétribution, célébration de l’union, mais aussi, théâtre des rapports de soumission et domination entre les deux partenaires15.
- 16 . M. Vale de Almeida, The Hegemonic Male. Masculinity in a Portuguese Town. Providence, Oxford, Ber (...)
13Les hommes (urbains) avec lesquels j’ai travaillé déplorent l’abandon du modèle. Ces femmes ne seraient finalement pas assez émotives, pas assez romantiques, trop masculines, trop calculatrices, trop sociables, trop présentes, trop à l’aise dans les espaces publics, … Les femmes en fuyant les comportements prescrits, remettent en cause la conception idéale de soi, poursuivie par les hommes, la masculinité hégémonique, alimentée à l’aulne des masculinités périphériques16. En d’autres mots, les femmes déploient dans la vie quotidienne des masculinités hégémoniques dans leurs relations avec les hommes. Une expression populaire traduit très clairement cette situation : des jeunes femmes qui négocient avec leurs amants ; ces derniers disent qu’elles donnent un « soku na rostu » (littéralement : « un coup-de-poing dans le visage »). Le soku en question sont les exigences pressantes des femmes pour des cadeaux de valeur, qui achèvent l’homme. Cette expression met en exergue la violence des relations, le caractère masculin des comportements des femmes dans la relation intergenre, le poids des revendications féminines et enfin souligne la blessure narcissique que ces coups occasionnent pour l’homme, frappé au visage.
- 17 . M. Giraud, « Une construction coloniale de la sexualité. À propos du multipartenariat hétérosexue (...)
14M. Giraud à propos des Caraïbes et M. Solomon relativement au Cap-Vert ont défendu que les relations entre les genres étaient régies par la recherche du prestige pour les hommes et la respectabilité pour les femmes, plaçant l’homme dans une situation difficile et de compétition avec d’autres dont il remet continuellement la masculinité en cause17. Il construit son prestige, d’une part, sur la conquête de femmes convoitables (adultes et non ménopausées et sans lien de parenté), défaisant leur respectabilité et d’autre part se doit de préserver les femmes membres de son foyer, sa famille, de la perte de la respectabilité. Le prestige pour les hommes, la respectabilité pour les femmes. L’exigence de respectabilité n’est jamais aussi contraignante pour les femmes que lorsque les potentiels partenaires masculins et les responsables du foyer, masculins eux aussi, partagent le régime d’exclusion de la masculinité hégémonique. La menace pesant sur la femme dans ces relations de contraintes inégales, est de se retrouver sans foyer (lar), rejetée, seule, sans moyen de subsistance. Or, la rue n’est pas l’espace des femmes, surtout pas des femmes respectables. Dans nombre de relations que j’ai pu observer au cours de mon premier séjour, la femme jouait son corps dans les relations avec les hommes ; plutôt les hommes avaient le pouvoir de cadrer leurs relations avec les femmes ainsi : la femme comme un corps à consommer – source de plaisir, mais surtout de prestige, comme une acquisition, une conquête (il faut ici prendre le terme dans son acception militaire) lui renvoyant ainsi qu’à ses pairs, une image de lui-même comme puissant, tandis que la femme cherchait à troquer son corps contre un lar : la sécurité.
- 18 . J. Pina Cabral, Filhos de Adão…, op. cit.
15Dans ce régime dicté par la masculinité, la femme ne pouvait que rechercher la stabilité, courant le risque de donner sans rien recevoir et de perdre de surcroît la respectabilité. La taille de l’enjeu pour la femme dans ces relations impliquait souvent des expressions émotionnelles proportionnelles, renforçant la perception de la femme comme particulièrement instable et fragile par nature. Pragmatiquement, ce cadrage dominant des relations avec les femmes par les hommes reproduisait une identité essentialisée des femmes, prisonnières de leurs faiblesses, leur cupidité, guidées par leur éternel souci de stabilité, de survie. Si Pina Cabral trouve les fondements imaginaires de ce modèle dans une interprétation tout aussi fondamentaliste de la Genèse18. Au Cap-Vert, ce mythe semblait réinterprété dans celui de la fondation du Cap-Vert : La femme noire, africaine, en copulant avec les colons blancs fondait bien sûr le Cap-Vert et la créolité, élément essentiel de l’identité du Cap-Vert, en permettant le métissage, mais était guidée dans ce mouvement par son souci d’assurer le futur de ses rejetons, puisque les enfants nés de relations « mixtes », échappaient à la condition d’esclave. Quoi qu’il en soit, la femme dans les deux mythes est dangereuse, peu fiable, traîtresse, prête à se servir de son corps à des fins propres, peut-être même pour satisfaire sa cupidité et son appétit « naturel », bref est source de perturbation, changement. Tandis que l’homme reste le garant de l’ordre. Il assure la reproduction du foyer et finalement, le contrôle de la femme s’impose comme essentiel à la reproduction de la société.
16Logiquement, dans ce modèle de relations de genre, l’enfant a un rôle particulier comme acteur central du lar, de la reproduction de l’ordre ; l’enfant en engageant la responsabilité de l’homme dans la reproduction, devrait faire basculer sa mère du statut de pequena (amante) à celui de mudjer (femme). En mettant au monde son enfant, la femme engage l’homme dans une autre relation, elle engage la responsabilité de l’homme. Les hommes soupçonnent toujours leur pequena, enceinte d’eux, de manipuler leur fertilité pour soit s’attacher l’homme et donc un foyer contre son gré, ou alors pour l’exploiter, puisque l’homme a l’obligation morale d’assurer les condições, le bien-être des membres de sa famille. La femme, responsable de la domesticité, se préoccupe beaucoup du bien-être et de l’apparence extérieure de son enfant. Son investissement dans l’espace domestique est tel qu’elle tend à se confondre avec les éléments de son espace. Les personnes, objets attachés à la domesticité, sont de véritables métonymies de la femme. Ces objets attachés à la maison l’incarnent ; les évaluations dont ils sont l’objet, la jugent, elle. Une dame de soixante-dix ans, Miña, avec laquelle je discutais du multipartenariat dit :
« Et qu’est-ce que l’homme a à donner à la femme ? Deux ou trois femmes, et qu’est-ce que l’homme a (kuz é ki ômi tem) ? Rien que pour donner à manger à trois femmes, aux enfants ? ».
17La critique de Miña s’insère dans le modèle dominant ; l’homme n’a pas les moyens de sa politique. Il veut des femmes, mais n’a rien à leur donner. Il a pourtant l’obligation de pourvoir aux besoins de ses femmes, celles avec lesquelles il a des enfants. Entre l’homme et la femme, il y a un contrat, le corps est à lui, mais il doit l’entretenir. Finalement, Miña ne met pas directement en cause la prétention des hommes à avoir plusieurs partenaires en soi, elle n’attaque pas l’instrumentalisation, la domination de la femme par l’homme : intelligemment, elle insiste sur le fait que l’homme ne peut respecter le contrat. Il n’en a pas/plus les moyens.
Les temps changent
18J’ai présenté le modèle idéal défendu et réclamé par les hommes, ce qu’un de mes interlocuteurs masculins appelle les principes (prinsipius). Évidemment, ce modèle idéal n’est jamais atteint. Plus qu’une représentation théorique, il s’agit d’un discours, formidable instrument légitimant, motivant la prétention hégémonique de l’homme, préconisant une sociabilité idéale dont les relations avec les femmes convoitables ne sont qu’un aspect, évidemment fondamental. Ce discours détermine les désirs de l’homme en termes de réalisation de soi. Bien sûr, le modèle de relations sociales préconisé a toujours été contesté et est souvent irréalisable, même dans les zones rurales, pour des raisons objectives telles que l’absence des « chefs de famille » émigrés, le manque de ressources des hommes, les résistances et luttes des femmes.
19La lutte quotidienne des femmes pour que les termes de l’échange soient respectés est ancienne. La nouveauté viendrait plutôt d’un autre regard de la femme sur ces termes. Peu confiante dans la volonté et capacité de l’homme à entrer dans une réciprocité déterminée par le modèle idéal, refusant la domination, la femme négocie directement la relation avant tout engagement. L’accès au corps sexué de l’autre passe par une négociation individuelle entre les potentiels partenaires dans laquelle une partie poursuit prestige et possession et l’autre reconnaissance et respect. D’un point de vue masculin, le corps de la femme comme amante ou partenaire implique une négociation centrée sur l’échange de biens et espèces. En se comportant comme un produit dans les espaces publics, elle adopte des comportements masculins. Ainsi, les changements dans les relations de genre pourraient être résumés par deux traits : d’abord, une marchandisation du corps de la femme, une rétribution immédiate de ses faveurs sexuelles et une exigence morale affirmée de contribution aux services qu’elle rend en s’occupant de la reproduction. La perte de légitimité du modèle classique et sa prégnance continue résument ces traits et débouchent sur l’adoption par les femmes de comportements caractéristiques de la masculinité hégémonique à Santiago. Je vais analyser plus en détail ces deux traits.
Masculinité pour tous
- 19 . W.F. Hanks, Language…, op. cit. ; R. Bauman & C. Briggs, « Poetics and Performance as Critical Pe (...)
20L’idéal de la masculinité hégémonique n’est pas remis en question. Il est de plus en plus poursuivi par tous les individus et génère conflits et accommodations distanciées entre les deux genres. Cette dynamique de changement bouleverse l’organisation sociale et génère pour les femmes comme pour les hommes une anxiété à la mesure de la remise en question de l’unité sociale de base, le lar. Le propos doit toutefois être nuancé. Les femmes ont toujours dû et ont poursuivi ce genre de la masculinité, mais dans leur sphère sociale propre, contraintes à la domesticité, avec d’autres femmes, des jeunes, des vieux, mais pas dans la sphère publique et en confrontation directe avec des hommes dans les interactions quotidiennes19. Il a toujours été fréquent d’entendre une femme justifier une colère, une attitude, une opinion, un conflit par le fait qu’elle est une personne « qui ne tolère pas d’être trompée, abusée », « qui sait et qui sait convaincre de la pertinence de son savoir ». Mais maintenant des femmes s’opposent aux desseins des hommes et les confrontent en défendant être une personne digne de respect, une personne autonome ; elles adoptent les mêmes comportements sociaux dans leurs relations avec les hommes. Contraintes à « dezenraska vida » (se débrouiller) seules parce que les hommes n’assurent pas, elles en prennent acte et poursuivent leurs propres stratégies, recourant aux ressources disponibles localement. J’ai évoqué le discours de la masculinité associé dans les pratiques de communication locales à l’autonomie et le respect, je vais poursuivre l’exploration de ces ressources.
21Outre ces interprétations en terme de réactivité, ne concevant finalement le pouvoir que comme contrainte, dans l’analyse qui suit, je m’attarderai sur les effets incitateurs du pouvoir. Si dans le discours des hommes, ces nouvelles femmes urbaines perdent des traits de féminité (tendresse, générosité, attention, serviabilité, …) et en gagnent en masculinité, elles restent toutefois des femmes. Ils insistent inlassablement sur leur appétit de consommation (entre autre sexuel), sur leur vanité, leur manie d’imitation de pratiques étrangères. Évidemment ces traits « féminins » renvoient au modèle classique évoqué plus haut ; ils renvoient au mythe, la femme consommatrice, toujours encline à fuir les usages habituels, futile voire cupide. Cette image essentialisée de la femme infantilisée et donc à contrôler est reproduite avec acharnement par mes interlocuteurs.
22Ainsi, entre les genres, chacun a de plus en plus les moyens de poursuivre une aspiration profonde et partagée : être respecté par les autres et avoir une image positive de soi-même, être une personne autonome, « réalisée » (realizadu), respectée, ne pas avoir la honte qui naît du sentiment de se faire flouer (Neñum ômi ka ta pisam na ombru : aucun homme ne me met le pied sur l’épaule). En revanche, une autre aspiration partagée, celle de former un foyer se révèle difficilement réalisable.
23La quête du respect est contrainte, non seulement par le contexte économique difficile ; le manque d'emploi, de « travail » est une critique sempiternelle du peuple envers les politiques, mais aussi par le modèle de domination masculine que les hommes rabâchent toujours aussi obstinément. Dans ces conditions, la poursuite du respect rend les stratégies des deux genres irréconciliables. Les hommes et les femmes partagent de moins en moins le même espace de résidence ; le respect n'est possible que dans la préservation d'une opacité entre les deux partenaires. La femme refuse de plus en plus de subir tacitement les velléités auxquelles l'expose la poursuite du prestige de l'homme et se distancie elle-même de lui ; quant à l'homme, il refuse d'abandonner la dispersion qu'impliquent cette quête de prestige et cette convivialité masculine essentielle à l'auto-estime.
- 20 . Les clients des nombreux projets de micro-crédit présents à Santiago sont dans leur grande majori (...)
24Les femmes continuent à développer leurs capacités de survie, s'efforçant d'échapper à leur dépendance financière vis à vis de l'homme. Elles font preuve d’une grande imagination, créativité et volonté20. Les relations occasionnelles se multiplient, le multipartenariat est constant et partagé. La cohabitation entre des relations occasionnelles et une relation plus stable est fréquente, mais les partenaires ne partagent pas le même espace de vie. Je me suis souvent étonné des tensions entre les partenaires, traversées de reproches, de négociations ; et puis d’ordres de l’homme lancés à la femme. Tandis que lors des contacts avec les femmes à conquérir, l'homme oscille entre un comportement grivois et mielleux. La femme se met de plus en plus dans une position de fournisseur de services, plus valorisante, semble-t-il, que celle d’épouse.
Nouveaux systèmes, nouvelles ressources
- 21 . G. Massart « Communication et postmodernité… », op. cit.
25Jusqu’à présent, j’ai décrit les changements dans les relations de genre à Praia grosso modo depuis les premières élections libres et l’avènement de la seconde république. Mon travail ethnographique sur les dynamiques identitaires des jeunes hommes de Praia au début des années 1990 a montré que la reproduction des modèles conservateurs par les hommes est intimement liée aux relations politiques et aux conditions économiques dans lesquelles ils vivent21. Dans la mesure où ils constatent, dans des situations spécifiques de communication et réflexivité leur impuissance ou leur statut d’inférieur dans les deux derniers domaines cités (politique et économie), les hommes se referment sur les sphères et réseaux sociaux dans lesquels ils ont une image positive d’eux-mêmes, ou plutôt dans lesquels ils peuvent mettre en œuvre des identifications conformes à leur conception idéale de soi, c’est-à-dire la sphère domestique et la sphère semi-publique des relations entre des pairs, dans les réseaux sociaux, familiaux, régionaux. C’est la compensation.
Les infrastructures, les offres
- 22 . J. Paley, “ Toward an Anthropology of Democracy », Annual Review of Anthropology, 31, 2002 : 470.
26Si les changements politiques, économiques et sociaux des dix dernières années ont affecté les relations de genre, il faut montrer comment, par quelles relations, quelles associations. Les descriptions précédentes indiquent la centralité des relations de genre dans le processus identitaire. Elles ont montré également combien les identifications de genre étaient diversifiées, impliquant des pragmatiques et des relations différentes. Pour les femmes : les cotas (vieilles), les mudjeres (femmes), a mudjer (la femme-épouse), les meninas (petites filles), les pequenas (les petites), les damas (les dames), les raparigas (jeunes filles), mãe di fidju (la mère d’un enfant). Quant aux hommes : ômi (homme), rapaz (garçon, gars), rapazinho (gamin), velho (vieux), moço (jeune homme), ômi mofinu (homme faible). Ces catégories se distinguent selon l’âge, le lien de parenté, l’accessibilité formelle aux corps des personnes identifiées, l’autorité des personnes, leurs ressources matérielles et selon le degré d’essentialisation des catégories. Ces catégories sont affectées différemment par les changements. Il faut se pencher sur les changements non dans leur dimension formelle, au-delà donc de la transition politique et économique officielle, mais en adoptant une perspective phénoménologique ancrée dans l’ethnographie22. Comment la transition politique et économique a mis à disposition de nouvelles ressources mobilisées dans les relations de genre ? Il ne s’agit pas ici de développer une anthropologie de la transition politique, mais bien de tisser les liens établis dans les pratiques quotidiennes contemporaines et les éléments observés dans les relations entre les genres et les changements attribués à la « mudansa ». « A mudansa » (littéralement, le changement) est l’élément central de l’identité du MpD (« o partido da mudança » – le parti du changement) et désigne au Cap-Vert, l’« ouverture politique » (a abertura política), le changement de régime et de système politiques, la transition du parti unique au multipartisme de 1991.
- 23 . « The accumulated foreign debt that in 1994 was of 148 million dollars rose to 336.4 in 2001 » : (...)
- 24 . Le groupe de funaná Finaçon dans les années 1990 a créé deux chansons très significatives : « Dot (...)
27D’abord, les transformations économiques et sociales ont permis aux femmes un meilleur accès à des ressources essentielles : l’éducation. La décentralisation municipale, les fonds obtenus par la privatisation des entreprises publiques et les emprunts consentis ont permis de multiplier et de décentraliser l’offre de formation, principalement dans l’enseignement général ; l’enseignement technique n’a malheureusement pas connu un développement proportionnel23. L’offre en terme d’enseignement supérieur s’est également accrue. L’évènement le plus significatif dans ce secteur étant l’implantation à Praia de l’université coopérative Jean Piaget. La généralisation des institutions d’enseignement secondaire, à l’échelle du pays, a permis un large accès à l’éducation formelle à un grand nombre de jeunes des deux sexes. L’école secondaire a cessé d’être un privilège où les hommes avaient un accès prioritaire à cette ressource centrale au Cap-Vert. L’importance de l’éducation formelle dans le statut social – et donc et surtout dans l’imaginaire – a des bases solides24.
- 25 . J.C. Dos Anjos, « Cabo Verde e a importação do ideologema brasileiro da Mestiçagem », Horizontes (...)
28D’une part, l’éducation formelle garantit au diplômé des connaissances, un savoir étranger à la majorité qui le valorise25. Or, savoir constitue un élément central de la conception idéale de soi. Dans la mesure où le savoir est associé à l’extérieur du Cap-Vert, il gagne en valeur, dans la perspective évolutionniste caractéristique, plaçant aux deux extrémités d’un continuum les pays « sous-développés » (le continent africain) et à l’autre bout l’Europe et les États-Unis, et entre les deux le Cap-Vert créole, synthèse des deux mondes. D’autre part, dans le discours dominant, et dans l’imaginaire collectif, la survie du Cap-Vert dépend du rôle d’intermédiaires, d’individus capverdiens par lesquels des ressources extérieures complètent les défaillances internes. Le personnage d’intermédiaire est une constante dans les élaborations identitaires nationales, dans la narration de la fondation du Cap-Vert comme nation, peuple. Que l’on pense aux premiers temps du commerce entre les îles et la côte de Guinée où les lançados, jouaient le rôle d’intermédiaires entre les peuples de l’Afrique continentale et leurs mentors restés dans les îles ; que l’on pense au rôle des émigrés comme postes avancés, particules nationales permettant littéralement d’alimenter en ressources diverses et à une échelle inégalée depuis ces dix dernières années, la « terra ». Ces intermédiaires à l’échelle continentale, plus exactement atlantique, se sont doublés d’intermédiaires locaux entre les mondes, entre la réalité locale et les moyens disponibles ailleurs (importation de la technologie de gestion des institutions, de l’environnement aride, etc.). Ce rôle n’a été possible que grâce à l’immense effort d’articulation de l’identité capverdienne, identité culturelle et politique, réalisée par des intellectuels à partir des années 1930, les Claridosos. À partir de ce moment, le rôle des intellectuels diplômés est central dans l’histoire politique des îles du Cap-Vert, dans la poésie, le mouvement claridoso, la lutte pour l’indépendance, la formation du MpD. L’éducation formelle constitue une ressource centrale à l’affirmation de l’identité collective, la transformation du pays, la responsabilité pour le collectif (povo : peuple) et la promotion individuelle.
29Pour les hommes que je fréquentais, les pequenas di liceu (les petites de lycée), constituent une catégorie rebelle, têtue, difficile à dominer. En étudiant, elles se garantissent un meilleur accès à l’emploi et donc à une autonomie financière qui les libère du chantage au rejet dans la rue par l’homme et par sa famille. Elles s’approprient aussi des modèles exogènes questionnant potentiellement l’ordre défendu (et sa morale) par le mâle en quête d’hégémonie. On retrouve ainsi autour de cette ressource la dynamique entre l’innovation régénératrice et dangereuse, risquée, si souvent associée à la femme
30Outre l’éducation, des investissements ont été réalisés dans les infrastructures collectives notamment dans la distribution d’eau potable. Tout effort au profit de l’allégement des tâches domestiques libère la femme à laquelle incombent ces tâches. On ne se lassera pas de souligner le rôle central des femmes dans les initiatives commerciales. La libéralisation du commerce, le rôle actif de la compagnie aérienne nationale ont ouvert de nouvelles opportunités commerciales ; lesquelles ont été principalement saisies par des femmes, s’assurant ainsi des revenus leur garantissant plus d’autonomie et la capacité à éduquer leurs enfants. Comme je le signalais plus haut, la grande majorité des clients de projets de micro-crédit sont des femmes, inventives et créatives. Les femmes plus que les hommes ont saisi ces opportunités nouvelles. Les hommes quant à eux, se lamentent toujours du manque d’emploi ; la construction civile n’absorbe pas toute la main-d’œuvre disponible. Ces emplois salariés ne viennent pas. Et pourtant d’autres types d’hommes sont apparus récemment, des hommes commerçants, vendant des produits importés d’Afrique ou d’Extrême Orient, sur les marchés mais surtout arpentant les rues de la capitale et les routes de l’île entière, chargés de montres, thermos, peignes, produits cosmétiques : des immigrés sénégalais. Ceux-là ont créé leur emploi, mais leur masculinité est souvent raillée ! De nouveaux commerçants chinois ont immigré au Cap-Vert également. Ils ont ouvert des « chinas » (littéralement chines), commerces tenus par des immigrants d’origine chinoise où sont vendus des produits importés de Chine, des produits fonctionnels : chaussures, sacs, valises, thermos, et objets ornementaux : horloges, tapisseries synthétiques et puis les petites figurines réalistes de porcelaine. Pour mes interlocuteurs masculins, ces nouveaux arrivés sont marginaux par rapport au modèle de masculinité qu’ils défendent. Dès lors, ils s’étonnent que ces nouveaux arrivés parviennent rapidement à s’exprimer en créole et puis qu’ils nouent des relations avec des femmes capverdiennes, alors que les femmes d’origine chinoise, bien présentes dans ces commerces, ne sortent pas avec des hommes capverdiens.
La spirale ou le tournis du changement
- 26 . B. Ames, L. Renno & F. Rodrigues, « Democracy, Market Reform and Social Peace in Cape Verde », Af (...)
31Pour saisir les relations entre la transformation du système politique et les relations de genre, il faut revenir aux impressions que le changement, la mudansa, suscite pour mes interlocuteurs. Ces impressions sont traversées par deux mouvements contradictoires qui se fondent sur la polysémie de « a mudansa ». D’abord, la mudansa est le changement de système politique et le changement de gouvernants également. Dans ce sens la mudansa s’inscrit dans le discours politique public. Et ici, les Capverdiens confondus sont très critiques : « rien n’a changé », « c’est pareil (É kel mê) », « qu’est-ce que le MpD a fait ? »26. Les hommes surtout s’étendent volontiers sur ce sujet : les jeunes des autres îles et de l’intérieur de Santiago continuent d’affluer à Praia, ils ont toujours autant de mal à trouver des emplois fixes et à obtenir des revenus qui leur permettent de se stabiliser (realiza). Le Cap-Vert a gardé pour la majorité cette image de fragilité, de pauvreté atavique, liée à la sécheresse, à la mémoire collective des famines. Or, une aspiration profonde des Capverdiens, c’est de pouvoir dépasser cette identité, l’identification avec le pays, la « terra » est telle que cette fragilité de la terra déteint, marque les individus, cultive en eux une perception péjorative de soi. J’ai pu constater dans les classes populaires, mais aussi dans le discours de certains politiciens, anciens politiciens, personnalités culturelles, cette volonté, cette attente envers les gouvernants : qu’ils arrêtent de reproduire le discours de la fragilité, de la pauvreté (koitadeza) sensé leur assurer l’aide internationale, mais qui aussi, leur permet de justifier leur incapacité ou leur absence de volonté et/ou intérêt à stimuler la production nationale, en recourant à l’éternelle raison du facteur « naturel », lequel cultive une mémoire collective douloureuse, une image de soi négative qui tendrait à laisser croire abusivement que la climatologie et le secteur vivrier constituent la ressource principale du Cap-Vert.
« Quoiqu’il y ait eu une mudansa politique et économique, moi, notre population, la mudansa que nous avons vue est bien minime. Mudansa, […] la population est bien plus élevée dans la capitale. Un joli (bonitu) nouveau quartier est apparu, Palmarejo. Ici, par exemple, un quartier qui n’existait pas, Bela Vista, qui a déjà ces quelques milliers de personnes installées dans leur propre maison. Mais, regarde, mudansa, en quoi ? Les parents ont des problèmes avec leurs jeunes qui se plaignent continuellement, peu de travail, pas de développement. Il n’y a pas un politicien qui se lèverait ainsi, un cadre, quoi, qui dirait, non, nous avons une ressource, une chose sur laquelle on peut vraiment compter. […] tu vois, ça, ça n’avance pas. Très peu. Et puis maintenant, eux qui sont au gouvernement, disent qu’ils ne peuvent rien faire, parce que le pays est comme ça, l’aide (apoiu) qu’ils reçoivent est minime. Mais, lui [le gouvernement], il s’en tire comme ça, tu vois ? » Entretien, Praia. 23 août 2002, Femme, 39 ans.
32Les choses difficiles, mais rien n’a changé : la santé de la terra est fragile et la capacité des politiciens à répondre aux attentes des citoyens est également mise en question. La terra est toujours marquée par le sceau de la pauvreté qui s’étend à la majorité de son corps citoyen. Il importe de noter combien cette image négative de la terra par rapport à sa capacité à survivre contraste avec la capacité de sa « kultura » à se valoriser à l’extérieur du pays, notamment dans le domaine musical, toujours très dynamique et innovateur tant à Santiago que dans l’immigration.
33Par contre, les mêmes personnes se réjouissent d’une autre mudansa. « Tu n’as pas vu, me dit une amie, Praia est devenue belle (dja vira bonitu) ». Une autre me dit : « Praia ? Praia est devenue super (sâbi) ». La ville a changé, elle est plus savoureuse (sâbi), il y a plus de bars, de restaurants, d’endroits de divertissement. Des quartiers entiers ont surgi, des quartiers de pauvres, des quartiers de riches. Des immeubles résidentiels et villas privées se sont multipliés ; les immeubles réalisés par les entreprises immobilières privées et de l'État se distinguent par leurs couleurs vives, leurs fluos prononcés, leur degré de finition extérieure. Praia est plus « zonée » que jamais. Les nouveaux quartiers riches se développent à l'Ouest de la ville, occupés par ce que l'on appelle désormais à Praia comme à Rio de Janeiro, la « classe média ». La classe moyenne a fait son entrée dans la sociologie populaire, comme un agent social, son apparition paraît concomitante avec l'inscription dans l'espace de la ville d'une zone qui lui est propre. Un autre terme, une autre réalité sociologique, le « condomínio » a été importé du Brésil comme mode d'organisation de la vie urbaine. Tous mes interlocuteurs surtout les plus modestes qui de toute évidence ne peuvent prétendre s'installer dans ces nouveaux quartiers, trouvent que ces quartiers embellissent la ville.
34Ce changement positif tient beaucoup à l’image que la ville déploie au regard. La ville est devenue belle parce qu’on y trouve de belles choses, des immeubles qui sont beaux, les alentours aménagés, pavés, le bâtiment lui-même peint. Praia est devenue « belle » aussi parce qu’elle présente des traits typiques d’une grande ville « moderne », zonification, trafic automobile, diversification des commerces, services, produits, lieux de distraction, restaurants, boîtes. Image et mouvement, création et importation, Praia accélère son mouvement de digestion et de production de flux de biens, de personnes, d’images, d’informations ; il s’agit donc d’un processus de diversification des corps, des groupes, des classes sociales, des liens, des références, qui s’inscrit dans les matérialités quotidiennes.
35Plus encore que l’apparence, le mouvement, l’accélération des flux, des échanges, des processus d’intégration et innovation séduisent et réjouirent les urbains. Telle une ivresse, la capacité de la ville à absorber et innover emporte ses résidents dans une spirale d’objets, de corps, d’espaces dont le revers est la perturbation de l’ordre. Tension qui consiste à se réjouir d’une articulation plus grande avec le reste du monde sans pour autant renoncer à une insularité identitaire, sectaire, qui rappelle suffisamment d’autres insularités ethniques et de classe.
S’adosser aux forts, renoncer à la dignité
36Je suggérais à un ami que la volonté des femmes à pouvoir consommer, à se doter d’instruments de prestige dans la sphère publique et domestique instaurait une attitude consistant à affirmer et à poursuivre leur autonomie. Il m’opposa une interprétation plus essentialisée, centrée autour de l’image d’une femme subissant la loi de son désir individuel, au détriment de l’ordre :
« Non c’est que les femmes ont plus de difficultés que les hommes à trouver un emploi, elles sont à la marge. Il y a déphasage (desfazeamento) entre le développement de l’économie et le développement des désirs, l’économie ne suit pas ; c’est nourri de l’extérieur, la télé, la radio, l’Internet… Alors, la femme, elle cherche à s’adosser (enkosta na ômi) à l’homme, pour trouver de quoi vivre ».
37Ce type de commentaire, typiquement masculin, plus qu’une analyse, réinterprète les phénomènes dans une perspective produisant une femme futile, imitatrice et incontrôlée, dépendante. Le verbe employé « enkosta » (s’adosser), utilisé pour qualifier la relation de la femme à l’homme, signifie une relation de dépendance, marque une relation patriarcale. En discussion avec un jeune producteur de poivrons, bananes et noix de cocos dans l’intérieur de l’île de Santiago, il dit fièrement : « Je n’ai pas besoin de compter sur (enkosta) les politiciens », il ne vend pas son vote, « ce n’est pas comme les rapazes (jeunes hommes) qui attendent un travail en échange [de leur fidélité] ».
- 27 . B. Ames, L. Renno & F. Rodrigues, « Democracy… », op. cit.
38Enkosta implique donc une relation de clientélisme, de soumission au patriarche en retour de quoi, celui-ci aide, protège, promeut. L’analogie des relations entre bailleurs/Cap-Vert, politiciens/travailleurs et hommes/femmes saute aux yeux. Cette critique de la dépendance, nourrie par la conception idéale de soi, marquée par la volonté de s’affranchir de la dépendance et de la domination des entités patriarcales s’applique tant aux relations politiques qu’aux relations de genre. L’énergie de refus de la dépendance et de l’infantilisation a trouvé une nouvelle vigueur dans le processus de transition, tant d’un point de vue matériel qu’idéologique27. On l’aura compris – et comme me le confie un fondateur du MpD, ministre du premier gouvernement du MpD –, ce qu’a permis la transition, c’est la beauté, l’augmentation des flux, l’insertion dans le monde, la levée de contraintes :
« [Lors de la campagne électorale de 1991] Nous sommes arrivés à réunir les personnes autour de quatre ou cinq idées de base : On a dit, la démocratie pluraliste, donner la liberté aux personnes, autonomie de la société civile, liberté syndicale, liberté religieuse, d’organisation politique, liberté de manifestation, liberté… Nous avons facilement trouvé un consensus sur cela. », Entretien avec E., Praia, 21 août 2002.
39Ces idées de base utilisées durant la campagne ont mobilisé les électeurs, elles se résument à trois grands thèmes : plus de libertés, moins d’autoritarisme et plus de moralité dans la gestion de la chose publique. Encore une fois, ces principes propres aux relations politiques s’appliquent aux relations de genre ; dans les deux cas, il s’agit de se libérer individuellement d’une autorité patriarcale qui est finalement très chagrine.
40Si la majorité des Capverdiens partage ce désir profond de respect, d’autonomie, depuis longtemps, l’ouverture politique (a abertura política) donne les moyens et l’élan aux femmes pour poursuivre, plus volontairement que jamais, ce désir d’autonomie, de liberté de pouvoir être, de pouvoir grandir et de refuser la dépendance patriarcale. En outre, se déclarant libéral en contraste avec un régime précédent qui se définissait comme socialiste, participatif, le nouveau système politique rompt l’exigence d’égalité sociale, de lutte contre les classes, il devient donc moral d’afficher son opulence, sa richesse, finalement son prestige par les avoirs. La consommation, en plus d’une articulation avec un extérieur valorisé, est un instrument de prestige. Dans la mesure où l’ouverture politique fomente la « beauté », la consommation, les opportunités d’articulation avec l’extérieur, la liberté et le respect, elle est intimement liée à la transformation des relations de genre. La transition politique a donc favorisé une épiphanie pour certaines femmes.
41Du point de vue masculin, cette transformation est en même temps désirée et redoutée. S’ils partagent l’enthousiasme, le désir de mudansa, se retrouver dans un monde plus ouvert, crée plus de compétition que de sécurité pour lui. Il lui est difficile de s’adapter aux nouvelles conditions car la marchandisation des corps, des objets, des relations, la monétarisation généralisée des échanges véhiculent des valeurs : imitation, apparence qui restent pour le modèle qu’il défend et qui le rend puissant, féminines. Il se retrouve donc piégé dans la logique de son désir et les transformations qui s’imposent à lui ; il n’a toujours pas la maîtrise de sa survie ; les nouvelles stratégies des femmes rendent ses modes de coercition de moins en moins opérants. Pour que la cohabitation entre l’homme et la femme devienne possible, il faudrait que la femme se conforme alors aux vieux « principes » (principius) : dona é da kaza, ômi na rua (femme est à la maison, l’homme à la rue) et ignore la spirale « libérale, démocratique, modernisatrice » à laquelle, elle voudrait participer : accéder à la rue, à la démonstration, à la consommation, instruments de son autonomie et affirmations de son pouvoir.
* * *
42Voici donc des interactions quotidiennes dont les termes et les instruments sont sérieusement cadrés matériellement, mais aussi dans l’imaginaire par des logiques globales qui les rendent lointaines et extrêmement proches, si commodes à la comparaison d’autres quotidiens. De cette configuration actuelle, la « beauté » du développement semble vernir l’inscription dans la matérialité quotidienne d’inégalités avec lesquelles riment la libéralisation et les formes actuelles du capitalisme.
- 28 . F. Coronil, « Towards a Critique… », op. cit.
- 29 . H. Cardoso, « O erro de A. Carreira », op. cit.; F. Coronil, « Towards a Critique… », op. cit. : (...)
43La marchandisation du corps et la remise en cause des masculinités hégémoniques se poursuivent en même temps que les différences sociales s’affirment de plus en plus dans les espaces publics capverdiens28. La valorisation de l’articulation avec l’extérieur comme réflexe pour échapper à la famine, pour la promotion économique, relève d’une logique profondément inscrite dans l’imaginaire capverdien : elle trouve une nouvelle voie d’expression dans les discours de la globalisation néolibérale, dans la mesure où ils « évoquent la potentielle égalité et uniformité de tous les peuples et cultures », mais surtout la promotion de soi à travers l’ouverture, le changement, la libéralisation29.
- 30 . D. Mitchell, Governmentality…, op. cit. : 19.
44L’analyse des changements dans les relations de genre a convoqué, à travers les liens continuellement tissés, des phénomènes habituellement distincts ; l’étude de la gouvernementalité, grâce à sa proximité avec la pragmatique, n’en devient que plus stimulante pour une telle ethnographique diachronique du pouvoir. Une question pratique la traverse : comment chacun se comporte-t-il ? Selon quelles forces, selon quels rapports, les conduites observées et observables s’orientent-elles ? Quelles aspirations, quels désirs sont-ils produits ? Suivant à la trace les éléments centraux des expériences contemporaines des relations de genre, les liens entre l’identité, les désirs, les relations politiques, les conditions économiques, les techniques et les connaissances se sont imposés30. J’ai montré combien les dialogues entre ces différents éléments régulaient les conduites ; ils constituent une sorte de réseau d’entités humaines et non humaines, continuellement en mouvement et en relations plus ou moins stables. Ce qui me frappe dans le cas présent, c’est la tension existante entre différentes propositions de gouvernementalité, qui se distinguent par rapport à la conception de soi, une morale, des modes de communication et de sociabilité. La confrontation entre ces différents réseaux, imbriqués dans la vie quotidienne, mais distincts encore par les pratiques de résistance, de conservation et de compensation, donne lieu à des innovations aux conséquences profondes ; le pouvoir, la multiplication et l’importance des entités non humaines dans ces changements sont patents et pratiques, et au cœur des tensions. Toutefois, il ne faut pas se lasser de souligner l’importance et la spécificité (souvent qualifiée d’individualiste par les Capverdiens) de la conception de la personne idéale. Mes références au modèle méditerranéen classique de relations de genre appellent naturellement à la comparaison avec d’autres pays lusophones africains.
45Deux objets me paraissent particulièrement féconds pour une comparaison des gouvernementalités et du pouvoir entre les catégories, entre les situations. Le premier est relatif aux voix, aux musiques populaires : il faudra traquer, filer leurs usages dans la vie quotidienne (politique, affective, économique, idéologique) ; leurs liens dialogiques avec l’expérience journalière. Le second est la consommation. Celle-ci est un mode de relation particulier à certains objets ; elle est performative, elle est processus (d’identification, d’acquisition, de possession, de démonstration, de plaisir, etc.). Un mode de relation aux choses, un mode de relation essentiel au capitalisme et à son expansion, à la fois instrument d’émancipation et étroitement associée à l’accroissement de l’incertitude, des tensions et de la différenciation sociales. La consommation peut être épiphanie, relation et conception particulière du monde, conduite encouragée et stigmatisée. Quels sont ses usages dans les gouvernementalités africaines contemporaines, quelles sont ses dimensions collectives ? Quels autres types de relation avec les objets de plus en plus abondants, observe-t-on ? Que nous apprend-elle sur l’importance des objets non humains pour les sois contemporains ?
46Février 2005
Notes
1 . W.F. Hanks, Language and Communicative Practices, Boulder, Col., 1996.
2 . Governo de Cabo Verde, Programa nacional de luta contra a pobreza, 1998. Consulté le 25 janvier 2005 sur <http://www.africainfomarket.org/esp/cooperacion/marcoregional/docs/sen01_040302.doc. 36. >
3 . J. Comaroff & J. Comaroff, « Introduction », in J. Comaroff & J. Comaroff (eds), Civil Society and the Political Imagination in Africa. Critical perspectives, Chicago, University of Chicago Press, 2000 : 1-43.
4 . J. Comaroff, & J. Comaroff, « Ethnography on an Awkward Scale : Postcolonial Anthropology and the Violence of Abstraction », Ethnography, (IV) 2, 2003 : 147-179.
5 . A. Appadurai, « Disjuncture and Difference in the Global Cultural Economy », in M. Featherstone (ed.), Global Culture: Nationalism, Globalization and Modernity, Londres, Sage, 1990 : 295-310.
6 . F. Coronil, « Towards a Critique of Globalcentrism : Speculations on Capitalism’s Nature », Public Culture, 2000, XII (2) : 369.
7 . O. Cunha, « Reflexões sobre biopoder e pós-colonialismo : relendo Fanon e Foucault », Mana, VIII (1), 2002 : 157-158.
8 . J. Comaroff & J. Comaroff, « Introduction », op. cit. : 33.
9 . H. Cardoso, « O erro de A. Carreira », Cultura Cabo Verde, 1998, 2 : 33-43.
* Note de la rédaction : habitants de Praia.
10 . D. Mitchell, Governmentality. Power and Rule in Modern Society, Londres, Sage, 1999, 229 p.
11 . J. Fabian, Time and the Other. How Anthropology Makes Its Object, New York, Columbia University Press, 1983.
12 . Les termes en italiques sont en créole capverdien. J’ai tenté dans mes transcriptions de respecter la graphie de l’Alupec (Alphabet unifié pour l'écriture de la langue capverdienne) – le créole. Supplément au Boletim Oficial da República de Cabo Verde, 31 décembre 1998, Ie série, 48.
13 . G. Massart, Communication et postmodernité : approche ethnographique de la pragmatique des identités en Afrique Lusophone (Îles du Cap-Vert et Mozambique), thèse de doctorat de l'École normale supérieure de lettres et sciences humaines, Arts et sciences de la communication, Lyon, 2002, 604 p, multigr. ; G. Massart, « Gender and Politics through Language Practices among Urban Cape Verdean Men », in V. Goddard (ed.), Gender, Agency and Change, Londres, Routledge, 2000 : 142-164.
14 . En clair, « les conditions économiques » désignent les ressources que l’homme peut offrir. En effet dans le modèle idéal du lar, l’homme doit assurer le bien-être matériel de son lar, argent, logement, équipement. Le premier membre du lar est la femme. Sans une personne féminine adulte, il n’y a pas de lar.
15 . J. Pina Cabral, Filhos de Adão, filhas de Eva. A visão camponesa do mundo no Alto Minho, Lisbonne, Dom Quixote, 1989 : 115-116 (« Portugal de Perto ») ; G. Massart, Communication et postmodernité…, op. cit. : 268-270.
16 . M. Vale de Almeida, The Hegemonic Male. Masculinity in a Portuguese Town. Providence, Oxford, Bergham, 1996 ; A. Cornwall & N. Lindisfarne (eds), Dislocating Masculinity: Comparative Ethnographies, Londres, Routledge, 1994.
17 . M. Giraud, « Une construction coloniale de la sexualité. À propos du multipartenariat hétérosexuel caribéen », Actes de la recherche en sciences sociales, 128, 1999 : 46-55 ; M. Solomon, « "We Can even Feel that we Are Poor, but we Have a Strong and Rich Spirit" : Learning from the Lives and Organization of the Women of Tira Chapeu, Cape Verde », dissertation of University of Massachusetts, School of Education, 1992, multigr.
18 . J. Pina Cabral, Filhos de Adão…, op. cit.
19 . W.F. Hanks, Language…, op. cit. ; R. Bauman & C. Briggs, « Poetics and Performance as Critical Perspectives on Language and Social Life », Annual Review of Anthropology, 19, 1990 : 59-88.
20 . Les clients des nombreux projets de micro-crédit présents à Santiago sont dans leur grande majorité (plus de 75 %) des femmes, commerçantes du secteur informel principalement.
21 . G. Massart « Communication et postmodernité… », op. cit.
22 . J. Paley, “ Toward an Anthropology of Democracy », Annual Review of Anthropology, 31, 2002 : 470.
23 . « The accumulated foreign debt that in 1994 was of 148 million dollars rose to 336.4 in 2001 » : 47, National Assessments of the Barbados programme of action + 10 review, voir <http://www.sidsnet.org/docshare/other/20040415095055_Cape_Verde_NAR_2003.pdf>.
24 . Le groupe de funaná Finaçon dans les années 1990 a créé deux chansons très significatives : « Dotoradu » et « Kabelu Bedju ». Ces chansons mettaient en scène deux figures centrales de la structure sociale capverdienne d’alors, d’une part, le « docteur », diplômé, puissant, et la femme du secteur informel, de phénotype noir africain, tentant de permettre à sa fille de suivre une éducation formelle pour échapper à sa condition sociale.
25 . J.C. Dos Anjos, « Cabo Verde e a importação do ideologema brasileiro da Mestiçagem », Horizontes antropológicos, VI (14), 2000 : 177-204.
26 . B. Ames, L. Renno & F. Rodrigues, « Democracy, Market Reform and Social Peace in Cape Verde », Afrobarometer Working Paper, 25, 2003, <http://www.afrobarometer.org>.
27 . B. Ames, L. Renno & F. Rodrigues, « Democracy… », op. cit.
28 . F. Coronil, « Towards a Critique… », op. cit.
29 . H. Cardoso, « O erro de A. Carreira », op. cit.; F. Coronil, « Towards a Critique… », op. cit. : 369.
30 . D. Mitchell, Governmentality…, op. cit. : 19.
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Référence papier
Guy Massart, « Masculinités pour tous ? Genre, pouvoir et gouvernementalité au Cap-Vert », Lusotopie, XII(1-2) | 2005, 245-262.
Référence électronique
Guy Massart, « Masculinités pour tous ? Genre, pouvoir et gouvernementalité au Cap-Vert », Lusotopie [En ligne], XII(1-2) | 2005, mis en ligne le 30 mars 2016, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1266 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-0120102018
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