Grossesse à l’adolescence
Résumés
L’article présente le résultat d’une enquête réalisée entre 1997 et 1999 dans le quartier du Pina de la ville de Recife, dans l’État du Pernambouc, au Brésil. Trente et une adolescentes âgées de 12 à 17 ans ont été interviewées. Les grossesses dites précoces étaient-elles un phénomène nouveau ou se situaient-elles dans le cadre de la reproduction sociale ? La santé de la jeune mère et de son enfant était-elle en danger ? Qui ces grossesses à l’adolescence dérangeaient-elles ? Pour qui étaient-elles un problème et pourquoi ?
Les approches sociales, économiques, culturelles, sanitaires, politiques et symboliques, ont toutes été utilisées. Il est apparu que ces grossesses n’étaient pas des accidents mais correspondaient à un phénomène de reproduction sociale où la normalité passe par la maternité entre 14 et 16 ans. La grossesse est alors souhaitée, attendue, provoquée. Cependant, ces jeunes mères n’ont pas un désir d’enfant mais un désir de grossesse. L’avenir de leur enfant, son éducation n’est pas leur préoccupation principale. Cette situation s’inscrit dans une logique de stratégie de survie : dans les quartiers populaires, on n’abandonne pas une mère et son enfant.
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- 1 . La recherche action présentée se situe dans le Nord-Est du Brésil, urbain et pauvre. Elle s’est d (...)
- 2 . M. O.L. da Silva Dias, Quotidiano e poder em São Paulo no século 19, Edição Brasiliense, São Paul (...)
- 3 . Le jeitinho est le mot brésilien pour dire la « débrouillardise », le « système D ».
1La problématique de la grossesse à l’adolescence doit être appréhendée dans le cadre de la reproduction sociale d’un groupe donné1. Il semble incontournable d’avoir recours à l’histoire du Brésil pour comprendre la formation et les diverses structures du groupe familial. Maria Odile Leite da Silva Dias2 explique qu’au début du xixe siècle à São Paulo l’urbanisation galopante multipliait les possibilités de commerces divers et que seul le système de domination et de l’autorité paternaliste déjà installé permettaient de mélanger les espaces du privé et du public en un processus de pouvoir et de violence et… de contourner la loi. C’est ainsi qu’a commencé à se tisser la toile des relations personnelles, du jeitinho3. Le petit commerce et la prostitution étaient alors les deux aspects de la vie urbaine publique (tout au moins de celle considérée féminine). La prostitution était secondaire, occasionnelle et complémentaire aux activités de vendeuse de rue. Ces femmes étaient rejetées par la classe dominante car elles étaient déjà des mères célibataires et/ou des concubines reconnues.
2Selon Heleieth Saffioti,
- 4 H. Saffioti, A mulher na sociedade de classe : mito e realidade, São Paulo, Ed. Livraria quatro art (...)
« en 1872, les femmes représentaient 45,5 % de la force de travail effective de la nation (l’agriculture était alors très développée). 33 % de ce total féminin travaillaient dans le secteur domestique. En 1920, ce taux baisse à 15,3 % (ce qui correspond au phénomène d’industrialisation) »4 …
- 5 . Ibid. : 17, 45.
« Ainsi, à l’époque de l’indépendance, 40 % de la population de São Paulo étaient des femmes seules, chefs de famille… Ce phénomène est étroitement lié à la structure coloniale. Il apparaît comme un phénomène particulier à l’urbanisation et comme un tout dans les colonies du Brésil ». « Les jeunes filles pauvres, sans dot, demeuraient célibataires ou tendaient à avoir des unions successives. Elles ne se fixaient pas avec un compagnon et, suite à une rupture, elles tentaient de nouveau l’expérience d’une vie à deux. Dans ces conditions, le nombre d’enfants illégitimes, dans la ville de São Paulo, atteignait 40 % des naissances »5.
3Cette constatation directement liée aux attitudes des femmes au sein des couches populaires, à la fin du xixe siècle. En ce sens, elles se rapprochaient des femmes noires, qui avaient été réduites en esclavage, amenées au Brésil sur les navires négriers. Beaucoup de ces femmes, employées à la Casa Grande dans des activités domestiques, ou encore escravas de ganho qui vendaient des douceurs dans la rue tout en ramenant les gains à leurs propriétaires, ont également intégré le secteur informel, notamment comme vendeuses ambulantes de nourriture dans la rue. Elles élevaient fréquemment seules leurs enfants.
4L’homme ? L’homme pauvre a toujours été amené à migrer, à se déplacer en fonction des différents cycles économiques (sucre, café, cacao, caoutchouc, or) et du travail qu’il était capable de faire. Le nordestin continue de quitter sa terre pour aller chercher une vie meilleure ailleurs. Cet homme, que l’on dit « absent, qui n’assume rien », « n’est ni père ni mari »… « ne vaut rien »… « ne s’engage pas »… a d’abord été rejeté par la société car il n’est pas prêt, n’est pas formé pour intégrer le marché formel du travail où la concurrence est difficile pour ces hommes peu instruits, peu formés professionnellement.
5Ces hommes pauvres, parfois violents, souvent n’assument pas l’enfant qui va naître, parce qu’ils sont trop jeunes, trop pauvres, parce qu’ils ne savent pas ce qu’il faut faire, parce que cet enfant, très souvent, ils ne l’ont pas désiré.
- * Cette traduction, ainsi que les suivantes entre crochets et suivies d’une astérisque, sont de la ré (...)
6Historiquement, les femmes ont toujours eu des enfants très jeunes, « à l’âge des poupées » disent certains. Les enfants « c’est des affaires de femmes ». Au cours de l’enquête qui m’a amenée à rencontrer des garçons de 12 à 18 ans, ils ont tous affirmé ne pas vouloir d’enfant tant qu’ils n’ont pas de travail, pas avant 25 ans, dans tous les cas. Ils ont tous décrété parallèlement que la contraception n’était pas leur problème mais celui de leur partenaire. C’est donc à elle de se protéger : « Problema dela… Ela que sabe … se não quiser engravidar tem que tomar a pilula »… [« C’est son problème… C’est à elle de savoir… Si elle ne veut pas tomber enceinte, elle doit prendre la pilule »*]. Si elle est enceinte, ils ne se sentent pas obligés d’assumer l’enfant, dans la mesure où ils n’ont pas clairement abordé ce sujet ensemble, où il n’y avait pas de projet de vie commune. Ces garçons se sentent plutôt manipulés en tant que géniteurs par des femmes qui assouvissent leurs désirs d’enfants.
- 6 . D. Le Breton, Passions du risque, Paris, Métaillié, 2000.
7Parallèlement, les jeunes filles n’assument pas l’usage du préservatif. Elles affirment que si elles en ont sur elles, le partenaire va avoir une bien mauvaise image d’elles : « Vai pensar que a gente é galinha, transa com todo mundo ». [« Il va penser qu’on est facile, qu’on sort avec tout le monde »*]. Elles prennent alors le risque d’une grossesse, ce qui n’est pas fait pour leur déplaire. Cette attitude correspondrait à ce que David Le Breton appelle des « prises de risque », quelles qu’elles soient chez les adolescents6. Personne ne mesure les risques concernant une grossesse ni ceux des maladies à transmission sexuelle. Dans le groupe étudié, personne jusqu’en 2000 n’avait été contaminé par le virus VIH mais de nombreux garçons se plaignaient de MST (Maladie sexuellement transmissible) sans toutefois en informer leurs partenaires.
Les mères adolescentes d’un quartier pauvre de Recife
- 7 . Selon le recensement de l’IBGE de 1991. Le document « Diagnostic Pina » produit par le Centre Jos (...)
- 8 . La maré correspond à l’intertide ou zone d’oscillation des marées.
8L’étude a été réalisée dans le quartier du Pina de la ville de Recife, État de Pernambuco au Nord-Est du Brésil. Ce quartier est un lieu de vie et de travail qui compte environ 27 000 individus7. C’est un quartier populaire d’îles et de maré8, situé dans l’estuaire de petits cours d’eau, construit dans ce qui était une mangrove, peuplé par des pêcheurs et des ouvriers du port qui ont transformé ce lieu d’eau et de vase en terrain habité. Une population pauvre vivant d’expédients dans le secteur informel (pêche, ramassage des déchets et pour quelques-uns trafics et prostitution) s’y est installée. Depuis les années 1980, il s’est développé commercialement ; il est lieu de passage obligatoire entre le centre-ville et les quartiers résidentiels. Nombreuses sont les femmes et les jeunes filles qui travaillent dans les quartiers sud de la ville, comme employées domestiques, cuisinières, femmes de ménage, gardes d’enfants. On retrouve les hommes dans le bâtiment, gardiens de voiture, livreurs, manutentionnaires et bien souvent… chômeurs. Ce sont fréquemment les femmes qui ramènent un maigre salaire à la maison. Cette inversion des rôles masculin et féminin ne va pas sans attiser la violence dans les rapports de genre.
9A l’entrée du Pina, les maisons sont en « dur », simples, propres. Au fur et à mesure de l’approche de la zone intertidale, les rues deviennent des ruelles, puis des passerelles, les maisons plus petites, qu’elles soient de brique, de bois et/ou de bâches en plastique. Cet habitat a accès à l’eau potable et à l’électricité. De la rue principale partent les becos (des ruelles) sombres et étroites qui amènent aux palafitas (maisons en bois sur pilotis, au-dessus de la maré). Ces ruelles, seulement devinées par un œil averti, s’élargissent au bout de quelques mètres et amènent à des habitations de tailles diverses, en bois, qui entourent la zone inondable. C’est dans ces espaces, sortes de grandes cours, que la vie se déroule. Les mêmes scènes se répètent à chaque visite : les femmes lavent le linge, préparent le repas, les enfants de six à huit ans s’occupent des plus petits, les adolescentes se font les ongles et s’occupent des nourrissons ; les quelques hommes présents émergent de la maison, sans entrain alors que plusieurs radios hurlent des musiques chaloupées.
10Une partie de la population vit de la pêche de crabes et de crevettes. Cette pêche est vendue directement dans la rue, dans les avenues principales, au jour le jour. Selon l’Instituto Brasileiro do Governo de Estado, 35 % de l’ensemble des 6 500 foyers auraient des revenus inférieurs à un salaire minimum. Celui-ci s’élevait en 2000 à 150 reais mensuels, soit 90 euros environ. Un tiers de ces 6 500 foyers compte une femme comme chef de famille. 12 000 jeunes ont moins de 20 ans et 4 800 sont âgés de 7 à 14 ans, âge de scolarité obligatoire au Brésil. Cependant, tous ne fréquentent pas l’école. Un grand nombre abandonne bien avant 14 ans. Beaucoup ont des difficultés à suivre les enseignements, d’autres n’ont pas de place et surtout une grande majorité doit travailler pour participer aux dépenses du groupe familial. On trouve huit écoles publiques et une crèche municipale ainsi que dix-huit écoles privées. Elles sont relativement chères et pour les populations pauvres, la question d’y inscrire leurs enfants ne se pose pas, bien que le réseau public ait perdu tout crédit auprès des parents d’élèves.
- 9 . Jornal do Comercio, 27 avril 1996.
11La problématique de la grossesse à l’adolescence a été posée par divers professionnels. L’Instituto Materno Infantil de Pernambuco et l’Universidade Federal de Pernambuco ont publié un article en avril 19969 affirmant que le taux de naissance d’enfants de mères adolescentes au sein de cette première institution était passé de 25 % en 1992 à 28 % en 1996, une évolution peu significative. Ce thème a été cependant vivement débattu car il était porteur de moralité normalisatrice, et aussi mobilisateur de bonnes volontés souvent gênées par ces grossesses précoces, dénoncées sous des prétextes de santé, puisque l’on parlait de « grossesses à risque ». On dénonçait la télévision, porteuse d’influences négatives, manipulatrice et sans censure aucune, qui montre des scènes de sexe à tout moment, mais aussi la faiblesse de l’éducation dans certaines couches sociales, l’absence de pudeur de la part des jeunes et particulièrement chez les filles… Personne ne respectait plus rien, on ne contrôlait plus rien et la « bonne moralité » était mise à mal.
12Quelle est la problématique de la grossesse à l’adolescence : s’agit-il réellement d’un phénomène nouveau, de grossesse dite précoce ? Ou au contraire est-ce un phénomène de reproduction sociale ? Serait-ce alors le regard de la société qui se serait modifié ? Et si oui, en quoi ? Dans quelle mesure les codes et valeurs interviennent-ils pour affirmer que telle réalité se situe dans le domaine du normal ou de l’alarmant dans le tissu social comme un tout ? En résumé, la grossesse à l’adolescence est-elle précoce et pour qui ?
La méthode
13Une recherche-action a été réalisée dans la communauté du Pina entre janvier et avril 1997 auprès de trente et une adolescentes âgées de 12 à 18 ans, enceintes ou ayant récemment accouché. Recherche avant tout qualitative, puisque nous souhaitions répondre conjointement aux demandes du « Réseau Pina » tourné vers le thème de la famille et au projet de crèche de l’Association des Amis de Sœur Emmanuelle. Elle était également quantitative, avec un questionnaire sur les conditions de vie (origine géographique, type de construction, accès à l’eau, évacuation des déchets). Les thèmes fondamentaux étaient la famille, l’école, l’habitation, l’habitat, les revenus, la sexualité, la nouvelle famille qui s’était ou qui allait se construire, les relations avec le compagnon, la première grossesse de leur mère, de façon à évaluer la question de la reproduction sociale. Chaque situation étant unique, les jeunes mères pouvaient s’exprimer sur leur histoire de vie, y revenir ou, au contraire lors de moments difficiles, refuser d'en parler. J’ai également utilisé l’observation participante et les histoires de vie qui ont été « écrites » au cours des deux années d’interaction entre les jeunes mères, les divers intervenants et moi-même. Des activités ont ensuite été proposées à ces adolescentes tout au long de l’année 1997 puis à compter de février 1998, jusqu’à fin 1999.
14Nous nous sommes appuyés sur les agents du poste de santé du quartier. Par leur connaissance des familles, ils ont pu indiquer les adolescentes enceintes. Le rôle de ces agents est généralement sous-estimé. Leur connaissance de la communauté, de l’histoire des familles, leur approche de la santé, de la contraception et des mentalités ne sont probablement pas assez exploitées.
15Les jeunes filles ont nommé ce projet « Rosas do Pina », trouvant que « mères adolescentes » ou « grossesse précoce » était des titres péjoratifs. L’observation participante et la dynamique de groupe y étaient essentielles. Pendant plus de deux ans, ces jeunes mères ont été associées à des activités physiques, parallèlement à des activités de formation et de soutien. La formation avait lieu tous les soirs. Le lundi, nous organisions des réunions afin d’essayer de cerner leurs priorités, leurs urgences et de leur proposer une formation adaptée à leurs possibilités ainsi qu’à leurs aspirations, sans perdre de vue que ce qu’elles souhaitaient avant tout, c’était un peu d’argent « immédiatement ».
16D’autres ONG telles le Papai (Projet d’Appui aux Pères Jeunes et Adolescents), le Cais do Parto (qui travaille sur l’accouchement [litt. : « les quais de l’zaccouchement »*]), Gestos ([« gestes »*]qui intervient auprès des adolescents sur la prévention sida) et le Coletivo Mulher Vida (collectif dont l’activité de départ était de lutter contre tous types de violence subie par les femmes et qui a élargi ses activités en travaillant avec les enfants des rues, avec les mères adolescentes, entre autres projets) sont intervenues. Chacune a apporté sa contribution en fonction de sa spécialité.
17Ma relation avec ces jeunes mères passait par des échanges et un dialogue un peu différent. Nous commencions par une séance de yoga, suivi d’une relaxation et surtout de l’écoute de ce qu’elles avaient à dire entre questionnements, angoisse, désespoir, peur, bonheur, doutes, haine…. Partie de l’hypothèse selon laquelle ces jeunes filles ne souhaitaient pas avoir d’enfant, j’évoquais alors la violence sexuelle de la part des garçons, le poids des traditions, la fragilité des jeunes filles, le « machisme » ambiant… Ce point de départ, lié à ma condition d’adulte, enseignante et européenne, m’a fait travailler « à vide » pendant plusieurs mois. J’ai ainsi proposé diverses séances d’information sur le corps, la contraception, la prévention du sida, jusqu’à me rendre compte qu’elles étaient tout à fait informées sur les questions de la contraception mais qu’elles n’en utilisaient pas. Elles testaient leurs capacités à procréer, leur fertilité, pour elles tout d’abord puis pour prouver à leur entourage qu’elles étaient devenues des femmes.
18Lors d’une réunion, un soir, l’une d’entre elles m’a interpellée : « En quoi ça te dérange qu’on soit enceinte ? Quel est le problème pour toi ? Parce que pour nous, il n’y en a pas ». Elle arborait souriante une brochure informant des différentes méthodes de contraception qu’elle connaissait parfaitement.
Les résultats
19Parmi les trente et une jeunes femmes étudiées, quinze vivaient dans des constructions en briques, avec toit de tuiles et sol en ciment. Elles disposaient en général de trois petites pièces. Nous avons rencontré une situation extrême où deux familles vivaient dans des maisons sur pilotis d’une seule pièce. Cinq autres vivaient dans une seule pièce, quatre dans une maison en bois et une dans une maison en briques, avec un sol en terre battue. Vingt-neuf se déclaraient propriétaires de leur maison. Aucune ne possédait de titre de propriété. Ces espaces appartiennent à la marine nationale et correspondent à un « terrain d’invasion » ; les habitants peuvent en être expulsés à tout moment, d’autant plus que la mairie de Recife prévoit leur destruction pour y créer un espace touristique et « écologique ». Dans l’immédiat, la majorité de ces jeunes mères se disait propriétaire et ne payait pas de loyer. Une seule famille utilisait l’eau d’un puits. Les autres avaient accès au réseau de l’eau de la ville. Dix-sept bénéficiaient de l’eau dans la maison alors que douze allaient chercher l’eau au robinet dans la rue. La question de l’eau est devenue dramatique début 1999, lorsque le Nord-Est a vécu une sécheresse et que les habitants du quartier recevaient l’eau uniquement un jour par semaine.
20Le chômage n’est pas déclaré ouvertement. Sur un total de trente et une familles, le chômage du chef de famille n’a été annoncé que trois fois. Dix neuf hommes – pères, maris, beaux-pères – et 12 femmes – mères, grands-mères, l’adolescente elle-même – étaient chefs de famille. Sept hommes et deux femmes annonçaient des revenus familiaux réguliers – salaire, retraite – alors que quatorze hommes et sept femmes parlaient de rentrée d’argent irrégulière. Ces familles vivaient du secteur informel, vendaient des produits dans la rue, faisaient des ménages, des petits travaux, travaillaient dans la construction civile, pêchaient. Les familles qui disposaient de revenus fixes avaient aussi des revenus très bas. Il s’agissait des retraites, des salaires gagnés par les activités d’employée domestique, de gardien, d’aide cuisinier, de jardinier.
21En croisant les données concernant les revenus des chefs de famille et le niveau scolaire, on constate chez les plus jeunes une liaison étroite. Le niveau de scolarité des chefs de famille était très bas et les activités occupées dans le monde du travail leur correspondaient. On observe chez les plus jeunes une légère augmentation du niveau de scolarité : alors que six chefs de famille étaient présentés comme analphabètes, toutes les adolescentes savaient lire, écrire et compter, même si avoir de bons résultats scolaires ne faisait pas partie de la réalité, ni des souhaits de la plupart d’entre elles. Six adolescentes continuaient d’étudier et trois prévoyaient d’étudier le soir. Celles-ci appartenaient au groupe qui continuait à vivre avec la famille d’origine, avec ou sans le compagnon.
22La relation des couples évoluait dès la naissance de l’enfant, s’affirmant ou au contraire se défaisant. Treize couples vivaient ensemble ; ils avaient donc constitué une nouvelle famille, que ce soit en habitant avec l’une des familles d’origine (et composaient ainsi des familles multi-générationnelles) ou en s’installant ensemble ailleurs. Cinq ne vivaient pas ensemble mais entretenaient des liens affectifs. Huit ne se voyaient plus du tout. Cinq ont souhaité ne pas répondre à cette question.
23Dix-huit jeunes femmes ont vécu leur première grossesse entre 14 et 15 ans, une avait 12 ans, douze entre 16 et 18 ans. Nous constatons un phénomène de reproduction sociale dans les histoires de vie mère – fille, s’agissant de l’âge de la première grossesse : trois mères des adolescentes ont été enceintes avant 13 ans et sept avant 15 ans. Toutes ont eu leur premier enfant avant 17 ans. C’est dans le suivi des grossesses qu’un changement apparaît. Contrairement à leurs mères, les adolescentes ont toutes eu un suivi prénatal au poste de santé du quartier qui les envoie ensuite à l’IMIP (Instituto Materno Infantil de Pernambuco), établissement de référence pour le suivi materno-infantil. Les pères de ces enfants sont majoritairement de jeunes adultes, dix-neuf avaient entre 20 et 24 ans, six étaient des adolescents de 15 à 19 ans et six avaient plus de 30 ans.
24Avoir un enfant correspond plutôt à une stratégie de survie de la part de la jeune femme. Elle sait qu’elle ne sera jamais seule, que sa famille, voire la communauté, la soutiendra et s’occupera de l’enfant. Son désir de grossesse existe bien, ce qui n’implique pas le désir d’enfant. Ces jeunes testent leur fécondité, leur capacité de séduction, exploitent leur corps comme un outil au service de l’homme et non pas comme un instrument de plaisir pour elles. Le bien-être ne peut pas venir d’elles ; seul l’homme peut leur procurer plaisir, sécurité, satisfactions. Leur peu d’auto-estime fait qu’elles craignent toute situation nouvelle : travail, amour, amitié, habitation, école. Mais elles usent et abusent de leur corps qu’elles souhaitent parfait, de leur jeunesse, pour séduire, attirer et… se sentir plus sûres d’elles lorsqu’elles sont désirées. La représentation du corps de l’adolescente mère ou enceinte est importante : corps destiné à travailler, à séduire, corps malmené, méconnu, objet du désir de l’autre, au service de l’homme, c’est à lui qu’il doit plaire. Lorsque l’on parlait du corps, on avait l’impression d’une coupure entre ce qu’elles souhaitaient et ce qu’elles faisaient, comme si leur corps ne leur appartenait pas. D’autre part, elles affirment toutes que ce corps est « destiné, avant tout, à grossir, à porter des enfants et à accoucher ». Elles idéalisent le « ventre », le désir et la réalisation de la maternité : « É tão bom estar com barriga… Quando vejo autra gravida, me dá vontade » [« C’est si bon d’être grosse… Quand je vois une autre grossesse, ça me donne envie »*]. Être enceinte à 14, 15 ou 16 ans, « c’est normal, c’est la nature ».
25Dans ce groupe, la grossesse à l’adolescence n’est pas un accident comme beaucoup ont essayé de le défendre. Les jeunes mères ne sont pas victimes de grossesses involontaires mais désireuses d’être enceintes, d’être ainsi reconnues comme adultes sexuellement actives et désirables. Nous sommes loin de l’image d’une adolescente abandonnée avec son enfant dans les bras.
26Aucune des trente et une adolescentes n’a démarré une nouvelle grossesse pendant les trois ans qui ont suivi l’enquête. Elles avaient alors recours à une contraception de leur choix.
L’être social
- 10 . J.-P. Deschamps, « Mères adolescentes, parents adolescents », in D. Favre & A. Savet, Parents au (...)
27Comment analyser la grossesse adolescente ou la grossesse à l’adolescence ?
J.-P. Deschamps parle d’absence de statut, de fonctions sociales, de rôle dans la société et de source de valorisation pour la majorité des adolescents et jeunes adultes d’aujourd’hui10.
28Selon ses analyses, être mère à l’adolescence apparaît comme une anomalie dans un monde où l’adolescence ne cesse de s’étirer et où l’on ne peut se dire adulte qu’après un long apprentissage social. Cette période de la vie continue d’être considérée comme transitoire entre l’enfance et l’âge adulte, comme un passage. Or, elle ne cesse de s’allonger en Europe et en Amérique du Nord. À quoi correspond-elle ? Quelles données faut-il prendre en compte ? La nature permet la maternité et la paternité mais la société ne les accepte pas à cette période de la vie. Cette dernière est considérée comme devant être sans soucis, sans préoccupation ; elle correspond théoriquement à l’école, aux études, aux sorties, aux découvertes. Selon les époques, les cultures, les milieux sociaux, l’adolescence ne sera pas vécue ni appréhendée de la même façon.
- 11 . D. Marcelli & A. Braconnier, Adolescence et psychopathologie, Paris, Masson, 1999, 5e édition.
29Qu’est-ce qui amène ces jeunes à avoir un enfant ? Bien que l’on ne puisse nier l’abaissement de l’âge de la puberté et celui des premières relations sexuelles, c’est ailleurs qu’il faut chercher des explications à ce désir de grossesse, de couple. La date des premières règles est passée en un peu plus d’un siècle de 17 à 13 ans en Norvège comme en France11. Au Brésil, l’âge des premières menstruations est estimée autour de 11 ans, ce qui a amené de nombreuses jeunes mamans à dire « J’ai été jeune fille à 11 ans, femme à 12 ou 13 et mère à 14 ou 15 ans ». D’autre part, que signifie être adolescent lorsqu’il faut travailler, lorsqu’on a quitté l’école depuis longtemps, lorsqu’on ne rêve plus depuis longtemps, lorsqu’on ne se projette pas dans l’avenir puisque celui-ci n’offre pas de perspectives très attirantes ? On ne peut cerner l’identité de ces jeunes qu’à partir de leur âge. Ce sont des facteurs sociaux qui peuvent éclairer sur ces choix de vie car il s’agit bien de choix. Les jeunes filles rencontrées, que ce soit à Recife, en France ou aux États-Unis, montrent toutes un très faible intérêt pour les études, une investissement limité dans la vie sociale, un manque de projet quel qu’il soit et l’absence de projection dans l’avenir. Dans le cadre du phénomène de reproduction sociale, il faut tenir compte de plusieurs indicateurs, dont l’adolescence mais aussi le genre, la relation – ou l’absence de relation – avec le compagnon, la relation avec le(s) enfant(s), le fait d’appartenir à un milieu économique et socio-culturel et de vivre dans un espace déterminé.
30Toute identité naît et se reconnaît dans et par des relations de force et d’alliance. On n’existe que par rapport à l’autre, en fonction du pouvoir de l’autre et la spécificité de la représentation de l’identité s’exprime par le jeu de la reconnaissance. Un premier élément important vis-à-vis de ces jeunes mères est qu’elles ne s’identifient pas à une classe sociale. Elles n’ont pas de réelle conscience politique. Elles ne croient pas aux paroles des hommes politiques. Leur participation aux divers mouvements de quartiers, de revendications en général est nulle. L’identification sociale réside dans le fait d’être pauvre par rapport aux riches bien qu’elles ne sachent pas expliquer qui sont les « riches », sans doute les couches moyennes qu’elles côtoient quotidiennement pour travailler dans des activités domestiques. Elles ne se situent pas au sein d’une classe sociale et n’imaginent pas de lutter contre ces différences sociales. Être pauvre, c’est une constatation, un état.
- 12 . O. Lewis, Os filhos de Sanchez, Lisbonne, Morais Editores, 1979 (« Mundi Imediato »).
31« Eu sou pobre, é assim mesmo… Deus quis assim… A gente é pobre, vai levando »… [« Je suis pauvre, c’est comme ça… Dieu l’a voulu ainsi… On est pauvre, on supporte »*]. D’après Oscar Lewis, la culture de la pauvreté serait le produit de l’isolement. Il établit un profil des familles pauvres latino-américaines où l’alcoolisme, la violence pour résoudre les problèmes, les punitions physiques dispensées à la femme et aux enfants, l’union libre, l’abandon relativement fréquent de la famille par l’homme et une tendance au matriarcat seraient des constantes. D’autres éléments comme « l’immédiatisme », la résignation et le fatalisme basés sur la réalité de leurs vies, le fait de croire à la supériorité masculine qui amène le machisme et ses conséquences, le complexe de victime de la femme, l’initiation sexuelle précoce se répètent également lorsqu’il s’agit de l’ « identité de l’exclu »12. Dans le Nord-Est brésilien, on ne peut imaginer d’égalité à partir de critères tels que revenus, origine ethnique et genre car ces mêmes critères ont fonction de code, de valeur, inscrits dans les mentalités. La discrimination est alors présente dans tout type de situation et de comportement. La conscience sociale de la population rencontrée se caractérise par la dichotomie riche/pauvre. Cette population n’envisage pas que la situation puisse changer bien qu’elle soit consciente de l’absence d’intérêt, vis-à-vis d’eux, de la part des gouvernements qui se succèdent. Les critères de richesse sont soumis à une reconnaissance de l’autre groupe en fonction de ce qu’ils ont et que le groupe le plus défavorisé ne possède pas : un nom, l’instruction, c’est-à-dire des biens matériels et symboliques. L’identité sociale ne représente pas un état mais le sentiment de « comment on se sent par rapport à qui et par rapport à quoi » et ce principe d’identité n’est pas statique mais le résultat de facteurs socio-historiques. Dans le cas des jeunes du Pina, il est encore nécessaire de faire appel à l’histoire, celle du Brésil, où la lutte n’intervient pas puisque, avant tout, elle apparaît comme inutile. Cette posture se reflète à tous les moments de la vie : « batalhar, para quê ?… A gente não vai mudar nada mesmo… Quem se interessa pela gente… só a gente mesmo … Só Deus sabe [« Batailler, pour quoi faire ? Ça ne va rien changer du tout… Qui s’intéresse aux gens…les gens eux-mêmes, c’est tout… Seul Dieu sait »*].
32Aborder le thème du travail est délicat. Les jeunes tentent de reproduire l’idée d’un idéal traditionnel féminin qui veut que la femme ne travaille pas hors de la maison et qu’elle élève ses enfants. Elles affirment que le fait de n’avoir personne pour garder les enfants les empêche de travailler : « Quem vai cuidar dela ? Eu faço qualquer coisa, menos trabalhar em casa de familia »… [« Qui va s’occuper de lui ? Je peux faire n’importe quoi, sauf travailler chez les gens »]. Quel type d’expérience avez-vous ?: « Eu faço um pouco de tudo… Já fui garçonete… vendedora » [« Je fais un peu de tout… J’ai déjà été serveuse… vendeuse »*]. Elles n’ont pas été stimulées ni préparées pour étudier puis travailler : « Estudar não adianta de nada » [« Étudier n’avance à rien »*].
Être femme
- 13 . C. OLIVIER, Filles d’Eve ou la relation mère-fille, Paris, Ed. Denoël, 1990.
33La facette la plus importante de l’identité de ces jeunes filles est le fait d’être femme. Elle passe par le corps, par la maternité, par la séduction et par la perception qu’elles ont d’elles-mêmes en tant que sujet, par rapport à l’homme, à la grossesse, à l’enfant. Leur représentation du corps de l’adolescente est importante : corps destiné à travailler, à porter des enfants, à séduire, à conquérir mais corps maltraité, méconnu, objet du désir de l’autre ou de son rejet. Elles ne le connaissent pas, n’ont pas envie ou peut-être honte de le connaître. Il apparaît une coupure entre la tête et le reste du corps physique : les notions de plaisir, de bien être passent par le désir et par le regard de l’autre. C. Olivier explique qu’une telle situation est liée à la relation que la petite fille a eu avec sa mère ; essayant de s’adapter « au rêve d’identification » de la mère, ultérieurement, elle ne sera heureuse qu’en faisant plaisir aux autres13. Se conformant au désir de la mère, elle finit par oublier quel pourrait être le sien et, dans une relation de couple, elle devient souvent « esclave du désir de l’autre ». Être femme n’a jamais été vraiment valorisant. L’adolescente est loin de revendiquer son autonomie ; elle s’est habituée à vivre avec la dépendance. Le bien-être, le plaisir, ne peuvent venir d’elle. Leur basse auto-estime les fait manquer d’assurance dans n’importe quelle nouvelle expérience : travail, flirt, habitation, école. Cependant, elles usent et abusent de ce corps, qu’elles veulent parfait, de leur jeunesse, pour séduire, attirer et … se sentir plus sûres d’elles car désirées.
34Les adolescentes testent leur capacité reproductive car elles ont peur de ne pas pouvoir porter un enfant. Aussi, pourquoi parler de grossesse non désirée ? Elle est tout à fait désirée, voulue, espérée, provoquée. L’identité de l’adolescente du quartier du Pina passe par la grossesse et par la reconnaissance du statut de mère. L’homme n’est pas décrit comme le compagnon ou comme le père de l’enfant, mais comme celui qui doit subvenir aux besoins. Les mondes des hommes et des femmes semblent définitivement séparés de par leurs obligations respectives. D’un autre côté, elles agressent beaucoup leurs compagnons, reportant sur eux leurs propres doutes : « s’il rentre plus tard, je me raconte des histoires, qu’il est avec une autre… Quand j’avais un gros ventre, je me trouvais moche, j’avais peur qu’il aille chercher ailleurs… ». La grossesse n’est pas partagée ; c’est une question féminine. Ce mal être, cette vulnérabilité ont souvent des conséquences négatives sur la relation mère – enfant. Les univers déjà définis sont encore renforcés par la position de tous. Femmes, hommes, adolescents, personnes âgées se confortent dans cette attitude : elles n’ont pas confiance dans les hommes pour s’occuper des enfants mais revendiquent qu’ils prennent en charge les dépenses domestiques. Dans ce sens, ce n’est pas l’homme, ce ne sont pas les domaines du public, du privé ni l’univers domestique qui doivent être considérés comme les « ennemis » de la femme, ce sont les conceptions culturelles, ancestrales qui, elles, ont élu l’homme roi et médiateur de toute chose. Les activités mises en place sur les thèmes de la maternité, de la paternité, de l’éducation posent la question de la responsabilité d’être père, d’être mère, c’est un travail à long terme, celui qui pose le débat des de la citoyenneté au sein de la communauté. Il est fondamental de travailler sur les droits et les devoirs de chaque citoyen par rapport à soi-même, à ses enfants, à la société.
Pourquoi parler de grossesse non souhaitée ?
- 14 . G. Cabral, Consequências da gravidez na adolescência : riscos para a saude da mae e do recém nasc (...)
35Diverses enquêtes dans le domaine de la santé reproductive montrent que, bien que la grossesse à l’adolescence ait longtemps été considérée comme une grossesse à risque, « isolément, l’âge de la maternité ne peut être considéré comme un facteur de haut risque »14. Ce sont les conditions socio-économiques défavorables, les conditions psychologiques de rejet de la part de la famille ou du compagnon, les mauvaises conditions d’habitation, une alimentation plus ou moins bien équilibrée qui vont réellement influencer le bon déroulement de la grossesse.
- 15 . J.-P. Deschamps, « Mères adolescentes », op. cit.
36En termes de santé biomédicale, les grossesses se déroulent bien, les accouchements ne montrent aucune particularité. La grossesse chez ces adolescentes n’est pas une maladie. Elle n’est pas non plus « à risque » selon les gynécologues et les pédiatres. Il a également été constaté qu’aucune de ces jeunes mères ne souffrait de MST ni du sida. Il faut admettre qu’elles veulent être enceintes. Nous avons constaté que pour ces jeunes des milieux défavorisés, l’adolescence s’est concrétisée par un mal être : échec scolaire ou abandon de l’école fréquents, difficultés professionnelles d’insertion dues à l’absence de formation et à la fragilité de l’instruction, manque d’attention ou obstacles de la part de la famille dans le cadre d’une enfance vécue de façon chaotique ou avec des carences15.
37Est-ce que le fait de « gagner un enfant », ne deviendrait pas quelque chose de positif, en opposition à une série d’éléments négatifs qui se sont produits jusque-là ? : « Quando ele nascer, vai ser o meu »… « Depois que ele nascer, vou ter uma razão de viver »… [« Quand il sera né, il sera à moi », « Après qu’il sera né, j’aurai une raison de vivre »*]. Assumer un rôle social, être valorisée, compenser les privations de l’enfance ne serait-ce pas avoir une revanche sur la vie ? Dans quelle mesure avoir un enfant correspond-il à un projet de vie, dans l’absence de tout autre projet ? S’agit-il d’un projet en tant que projection dans le futur ? Est-ce que le destin de femme doit obligatoirement passer par le mariage ou par la grossesse ? Dans le cas de la communauté du Pina, la grossesse à l’adolescence répond à des normes et des codes sociaux dont le modèle est la mère.
38Les jeunes femmes du quartier du Pina à Recife ont plutôt un désir de grossesse qu’un réel désir d’enfant. Elles ne pensent qu’au ventre qui s’arrondit, au nouveau statut, sans envisager réellement l’éducation de cet enfant. La méconnaissance du corps montre une coupure entre ce qu’elles pensent – la tête – et le reste du corps : les notions de plaisir, de bien-être passent par le désir et le regard de l’autre.
- 16 . K. Woortmann, A familia das mulheres, Rio de Janeiro, Tempo Universitario/CNPq, 1987.
39Le père est perçu comme celui qui prend (ou doit prendre) en charge la mère et l’enfant, celui qui a l’obligation de subvenir aux besoins financiers de sa famille. Il est souvent absent. On ne lui demande pas de jouer un rôle affectif auprès de l’enfant. Les relations de paternité et de maternité sont clairement définies. Bien qu’il apparaisse quelques changements ces dernières années, l’affectif revient à la mère et on attend du père qu’il subvienne aux besoins de la famille ou au moins de l’enfant. Des pères revendiquent de plus en plus un regard et un vrai lien affectif avec leur enfant, mais comme le dit Woortmann, dans ces couches sociales défavorisées, les enfants appartiennent à la mère ou à la famille de la mère, « Os filhos são da mae »16.
40Il s’agit bien de la reproduction d’un modèle social dont les adolescentes retirent des avantages de reconnaissance et d’autonomie et qui est sans conséquence directe sur leur santé. Le discours officiel normalisateur qui stigmatise ces grossesses pour des raisons de santé trahit l’inquiétude d’aisés et instruits face à une sexualité affichée précocement, ainsi que la crainte de l’augmentation du nombre des exclus, la pauvreté étant assimilée à la violence.
41Il serait ainsi utile de proposer une discussion sur la citoyenneté à ces jeunes et non pas un discours moralisateur sur la sexualité.
422005
Notes
1 . La recherche action présentée se situe dans le Nord-Est du Brésil, urbain et pauvre. Elle s’est déroulée entre 1997 et 2000 ; Cf. V. Durand, Rosas do Pina. Gravidez adolescente : accidente ou projeto de vida ? Séminaire multidisciplinaire, « Sexualité et reproduction à l’adolescence », Recife, UFPE, 1998; V. Durand, Préface de A barriga cresceu… Adeus Meninas de Nunes de Menezes, João Pessoa, Ed. Fafica, 2002.
2 . M. O.L. da Silva Dias, Quotidiano e poder em São Paulo no século 19, Edição Brasiliense, São Paulo, 1984.
3 . Le jeitinho est le mot brésilien pour dire la « débrouillardise », le « système D ».
4 H. Saffioti, A mulher na sociedade de classe : mito e realidade, São Paulo, Ed. Livraria quatro artes, 1969, : 252.
5 . Ibid. : 17, 45.
* Cette traduction, ainsi que les suivantes entre crochets et suivies d’une astérisque, sont de la rédaction.
6 . D. Le Breton, Passions du risque, Paris, Métaillié, 2000.
7 . Selon le recensement de l’IBGE de 1991. Le document « Diagnostic Pina » produit par le Centre Josué de Castro en 1993 lui attribue une population de 71 139 habitants. Ces chiffres ne me paraissent pas réalistes d’autant plus que les frontières entre le Pina et Brasilia Teimosa ne sont pas bien définies.
8 . La maré correspond à l’intertide ou zone d’oscillation des marées.
9 . Jornal do Comercio, 27 avril 1996.
10 . J.-P. Deschamps, « Mères adolescentes, parents adolescents », in D. Favre & A. Savet, Parents au singulier. Monoparentalités : échecs ou défis ? Paris, Autrement, 1993 : 190-203.
11 . D. Marcelli & A. Braconnier, Adolescence et psychopathologie, Paris, Masson, 1999, 5e édition.
12 . O. Lewis, Os filhos de Sanchez, Lisbonne, Morais Editores, 1979 (« Mundi Imediato »).
13 . C. OLIVIER, Filles d’Eve ou la relation mère-fille, Paris, Ed. Denoël, 1990.
14 . G. Cabral, Consequências da gravidez na adolescência : riscos para a saude da mae e do recém nascido ? thèse de 3e cycle, Recife, Université fédérale du Pernambuco (UFPE), 1997, 453 p.
15 . J.-P. Deschamps, « Mères adolescentes », op. cit.
16 . K. Woortmann, A familia das mulheres, Rio de Janeiro, Tempo Universitario/CNPq, 1987.
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Référence papier
Véronique Durand, « Grossesse à l’adolescence », Lusotopie, XII(1-2) | 2005, 161-173.
Référence électronique
Véronique Durand, « Grossesse à l’adolescence », Lusotopie [En ligne], XII(1-2) | 2005, mis en ligne le 30 mars 2016, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1226 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-0120102012
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