Navigation – Plan du site

AccueilNumérosXII(1-2)La recherche : Genre et rapports ...Mémoires, migrations, rencontres ...Les Noirs et les « blancs » de l’...

La recherche : Genre et rapports sociaux dans les espaces lusophones
Mémoires, migrations, rencontres coloniales

Les Noirs et les « blancs » de l’ethnographie coloniale*

Discours sur le genre en Guinée portugaise (1915-1935)
Os negros e os « espaços em branco » da etnografia colonial : Discurso sobre o género na Guiné Portuguesa (1915-1935)
Blacks and Blanks: Colonial Ethnography and Gendered Discourse in Portuguese Guinea (1915-1935)
Philip Havik
Traduction de Brigitte Lachartre
p. 55-76

Résumés

Le territoire de « Guinée portugaise », principalement connu pour avoir été le lieu d’une guerre coloniale victorieuse contre la domination portugaise (1963-1974), demeure encore terra incognita dans l’histoire de l’Afrique de l’Ouest. La population de ce petit territoire « lusophone », enclavé dans l’ancienne Afrique occidentale française, n’avait quasiment pas été étudiée depuis la « pacification » de 1915. Les administrateurs coloniaux se doublant d’ethnographes, ne manifestèrent que peu d’intérêt pour leurs nouveaux « sujets », et ne produisirent qu’un mince filet d’information jusqu’au milieu des années 1930. Principalement intéressés par les revenus de l’impôt de case, ils firent porter leurs efforts sur l’enregistrement des cases et non celui des personnes. Se concentrant sur les hommes en tant que chefs de villages et de familles, ils ignorèrent totalement les femmes en tant que sujets autonomes et personnes à part entière : les exceptions à la règle générale étaient vues comme des « anomalies ».
Pourtant, avec l’apparition des premières données ethnographiques, les rapports officiels entrelacèrent les considérations de genre avec des concepts de couleur, eugénistes et ethniques, révélant de la sorte la hiérarchisation interne au genre qu’ils opéraient. De plus, l’absence de femmes européennes occasionna un virage dans les mesures de politique coloniale, projetant l’image de la femme africaine comme gardienne de la pureté raciale. En conséquence de quoi, l’aide médicale, présentée comme symbole de « modernité », finit par reconnaître aux femmes indigènes une place de mères et de clientes potentielles. Cet article, qui couvre la production ethnographique sur une période de deux décennies, entend combler les « blancs » de cette littérature, tout en explorant de nouvelles pistes d’analyse du discours colonial sur les relations de genre.

Haut de page

Texte intégral

  • * Les « blancs » concernent naturellement les « espaces laissés en blanc » et les vides de l’historio (...)
  • 1 . M. Newitt, A History of Mozambique, Londres, Hurst, 1995 ; A. Pitcher, Politics in the Portuguese (...)
  • 2 . Voir par exemple R. Pereira, « A Antropologia aplicada na política colonial portuguesa do Estado (...)
  • 3 . Voir par exemple J. Forrest, Lineages of State Fragility : Rural Civil Society in Guinea Bissau, (...)

1À la différence d’anciennes colonies lusophones d’Afrique qui ont reçu une attention grandissante au cours des deux dernières décennies, la « Guinée portugaise » n’est toujours l’objet que d’un intérêt marginal. Le passé colonial du Mozambique, par exemple, a, au fil des années, captivé nombre d’africanistes dont le travail a abouti à un approfondissement des catégories de race, genre, ethnicité et nation1. Dans une perspective « luso-africaine » élargie, les anthropologues portugais ont commencé, à partir du milieu des années 19802, à examiner de plus près l’utilisation des données ethnographiques par les hommes politiques de l’époque coloniale. Si l’on considère l’importance du corpus d’écrits coloniaux et des ressources documentaires relativement intacts qui attendent d’être étudiés sur les étagères poussiéreuses des archives au Portugal et en Afrique, il reste encore beaucoup à faire. Il est également urgent de questionner les paradigmes coloniaux relatifs aux politiques et aux populations de ces territoires, compte tenu du vieillissement de la population des fonctionnaires coloniaux et des autorités africaines ainsi que des autres informateurs contemporains qui pourraient contribuer à leur clarification. Il est donc encourageant de constater que ces dernières années, des chercheurs ont mis à jour certains aspects peu connus de l’ethnographie coloniale guinéenne3.

  • 4 Cf. F. Cooper & A.L. Stoler (eds), Tensions of Empire : Colonial Cultures in a Bourgeois World, B (...)
  • 5 . G. Stocking (ed.), Colonial Situations…, 1991 : 5 ; voir aussi A.L. Conklin, A Mission to Civiliz (...)

2Ce texte aborde un corps de connaissances, qui s’avère passionnant, qui surgit de sources écrites et orales, et les attitudes des fonctionnaires coloniaux à l’égard de leurs sujets africains du point de vue des relations de genre et de parenté. Il espère ainsi contribuer au débat qui se poursuit sur « l’empire » et les tensions qui se produisirent entre colonisateurs et colonisés, mais aussi, pour ce qui est des premiers, sur les modèles de rôle qu’ils appliquèrent aux seconds4. Loin d’indiquer l’existence de politiques « monolithiques » qui affectèrent de la même manière la vie des habitants des différents territoires, il est prouvé qu’à l’intérieur des frontières d’une colonie, un consensus sur les problèmes les plus importants était difficile à atteindre. Certains anthropologues ont donc défendu le point de vue qu’il était nécessaire de « pluraliser le concept de situation coloniale » pour tenir compte « de l’éventail des interactions entre individus extrêmement différents et des groupes y prenant part [à ces situations] »5. Dans le cas portugais, outre la grande diversité ethnique des populations et des acteurs coloniaux, il faut aussi prendre en compte le manque de directives claires sur la politique indigène à mener sur le terrain, surtout durant les premières décennies de l’administration coloniale. Le plus souvent, des mesures étaient prises au cas par cas, de façon hasardeuse, ou après négociation, une notion qui ne semble pas coïncider avec l’idée que l’on se fait d’un empire dirigé par une métropole. L’absence de politiques cohérentes à l’égard de la famille élargie indigène et de ses membres, ainsi que la connaissance limitée des sociétés africaines parmi les fonctionnaires et les responsables politiques ont certainement contribué à cet état des choses. Les surprenantes lacunes dans les données ethnographiques et démographiques, en particulier sur les problèmes liés au genre, montre le besoin qu’il y a de réviser ce qui les compose et la manière dont s’est créée et diffusée l’imagerie coloniale.

3Dans les limites de cette brève étude, que peut-on dire du contexte et des grandes lignes des paradigmes coloniaux, à partir du cas de la Guinée portugaise, relativement aux relations de genre, à une période décisive pour l’édification de la colonie ? On comparera entre elles les données ethnographiques recueillies jusqu'à la fin des années 1930, en partant de la première République de 1910 jusqu'à la période de l’État Nouveau qui a suivi le coup d’État de 1926. En premier lieu, on abordera l’état des connaissances démographiques et ethnographiques existant sur cette petite enclave de l’Afrique de l’Ouest dans le contexte de l’implantation de l’administration coloniale à partir de 1915. On illustrera ensuite, à travers l’analyse succincte d’un certain nombre de sources publiées ou d’archives, comment le discours « officiel » – ou son absence – a structuré les représentations des femmes et des hommes indigènes. Pour finir, en extrapolant la pertinence de ces données, on abordera de manière plus large les métaphores coloniales et leur sémantique, telles qu’elles se sont développées en Guinée sur une période de deux décennies. On soulignera la nécessité de porter un regard nouveau sur le contexte local dans lequel de la connaissance a été – ou n’a pas été – produite, et sur les conséquences que cela a pu avoir sur les métaphorres de genre.

L’administration coloniale et les besoins des populations indigènes : politiques et perceptions

  • 6 . J. da G. Correia e Lança, Relatório da Província da Guiné Portuguesa, referido ao ano económico d (...)
  • 7 . Voir P.J. Havik, Boticas e Beberagens : a criação dos servicos de saude e a colonização da Guiné (...)
  • 8 . W. Braithwaite, Bathurst, au Foreign Office, Londres, 16 janv. 1913 ; in: Public Record Office (P (...)

4Avant l’occupation militaire de la majeure partie du territoire alloué au Portugal à la conférence de Berlin, les rapports des gouverneurs – lorsqu’ils étaient présentés – ne fournissaient guère d’informations sur la population dans son ensemble au-delà du périmètre des villes côtières. Toutefois, ils déclaraient qu’il était honteux d’admettre qu’après des siècles de présence portugaise, cette influence « ne dépassait pas les murs entourant Bissau »6. Les estimations de population étaient en conséquence hasardeuses, ce que déploraient les fonctionnaires en disant que, faute d’en disposer, il était impossible de mettre en place une politique sociale7. Les données disponibles sur les populations de l’arrière-pays étaient limitées à des rapports fragmentaires émanant de missionnaires et d’officiers de santé. Les rapports suivants font état de positions similaires, encore renforcées par les campagnes militaires menées contre les populations indigènes. Au tout début du vingtième siècle, la situation sur le terrain s’était détériorée au point qu’un observateur étranger s’exclama que « le gouvernement colonial portugais exerçait peu ou pas de contrôle sur les indigènes, sans doute en raison d’une administration défaillante8 ».

  • 9 . Arquivo Histórico Ultramarino (AHU), Fundo do Governo da Guiné (FGG), L 131 : 4 juin 1901, Alves (...)
  • 10 . AHU, FGG, L. 176, Correspondência confidêncial, 1909-1911 : Circular, 6 avril 1909.
  • 11 . AHU, Direcção Geral das Colónias (DGC), Conselho Colonial, Guiné, Pasta 2, 1911-1917 : 22 janv. 1 (...)

5Les gouverneurs durent admettre qu’ils étaient incapables de terminer le recensement de population demandé par Lisbonne9. Avec l’introduction de l’impôt de case en 1903, l’administration, qui commençait à exercer une pression sur ses sujets – encore potentiels – selon divers moyens, se mit à rassembler de l’information sur les « tribus indigènes » à des fins fiscales. Cette approche allait être déterminante dans la perception de ces dernières à travers toute la période coloniale (1915-1974). À partir de 1909, le bureau du gouverneur, à Bolama, alors capital, émit des circulaires confidentielles afin de contraindre les residências (postes administratifs coloniaux) à fournir régulièrement des informations détaillées sur les aspects démographiques et politiques de leur zone de juridiction10. La réforme administrative de 1912, qui introduisit le système de chefs indigènes appointés (régulos) à l’échelon le plus bas de la hiérarchie, comportait l’organisation de processus bureaucratiques parmi lesquels la fourniture de rapports sur les futurs sujets du régime. Parmi ceux-ci, l’« interprete oficial de diligências » (l’interprète officiel local, chargé des contacts avec la population extérieure au poste) sous l’autorité directe de l’administrateur, devait « informer celui-ci de toutes les questions relatives à la vie politique et sociale des indigènes qui pouvaient être d’intérêt pour l’administration, ou devraient être connues d’elle »11. L’article en question reflète une pratique datant de la période d’administration militaire (1892-1918), lorsque la communication entre les échelons central et local du gouvernement tournait essentiellement autour des questions de sécurité et de levée de l’impôt. L’établissement simultané d’une force de police indigène, connue sous le nom de « cipaios », était censé créer une strate intermédiaire entre l’administration coloniale et les sujets indigènes, non seulement dans un but de coercition mais également pour filtrer les informations pertinentes en provenance de « la base ».

  • 12 . C. Pereira, La Guinée portugaise (subside pour son étude), Lisbonne, A Editora Lda, 1914.
  • 13 . E.J. Vasconcellos, Guiné Portuguesa : Estudo elementar de geografia física, económica e política, (...)

6Les premiers rapports émanant des residências, présentés en 1911 suite à la divulgation d’un questionnaire, constituent quelques-unes des toutes premières données provenant de l’intérieur du pays collectées par les fonctionnaires et leurs interprètes. Bien que les réponses aient été fragmentaires et incomplètes, une partie de cette information est riche de détails et permet des comparaisons entre les régions. À partir de ce moment, la division de la population en un certain nombre de « races » – terme que l’on voit apparaître pour la première fois dans la correspondance officielle sur la Guinée au milieu des années 1800 – et de sous-groupes, ainsi que la description de leur habitat, coutumes, langues et modes de subsistance, suivra un schéma reproduit dans la documentation officielle tout au long de la période coloniale. Un an avant que la violence n’atteigne son apogée et que la majeure partie du territoire ne soit déclarée pacifiée, à l’été 1915, un ancien gouverneur publia un rapport sur la Guinée portugaise présentant une vue panoramique de la « province », de son administration à sa population12. Abondamment illustré et écrit en français pour une exposition coloniale, ce document était destiné à un public européen dans le but d’attirer des investisseurs et à cet effet, accordait une place prépondérante aux projets en cours et à venir. Une autre monographie publiée en 1917 reprenait l’affirmation du précédent rapport selon laquelle il était impossible de présenter une étude ethnographique de la population, ajoutant qu’il était « dommage qu’un questionnaire n’ait pas été jusque-là préparé sur cette question (pour la Guinée), à l’instar de celui qui avait été distribué aux gouverneurs d’Angola et du Mozambique à notre initiative en 1897 »13.

  • 14 . AHU, DGC Ocidental (DGCOc), Maço 89, Leite de Magalhães, 8 juin 1928.
  • 15 Idem, Leite de Magalhães, 31 juillet 1931.

7L’annuaire de 1925, le premier du genre, indiquait clairement quelle priorité était accordée aux habitants africains de la Guinée : le dernier chapitre et de loin le plus court. De manière surprenante, ou peut-être pas tellement, ces simples huit pages d’ébauches grossières étaient tirées de... l’étude publiée en 1917 citée plus haut et dont l’auteur déplorait la rareté des données disponibles. Les données du premier recensement colonial de 1924 mentionnaient plus de 770 000 habitants, une erreur de taille que le gouverneur se sentit obligé de souligner dans son rapport à Lisbonne. Les résultats du recensement en cours de réalisation prouveraient, selon lui, le caractère erroné de l’exercice de 1924, puisqu’il n’était pas basé sur les réponses individuelles mais sur le nombre de cases payant une taxe14. Leur contage était lui-même l’objet d’importantes erreurs, étant donné que leur nombre et celui de leurs occupants étaient déterminés dans un bureau de l’administrateur et non sur le terrain. Il ajoutait de manière significative que la procédure avait simplement consisté, jusque-là, à multiplier le nombre de cases par quatre ; en conséquence de quoi, écrivait-il, le nombre de personnes par sexe était « pure fantaisie »15. De tels commentaires donnent une idée de l’état de la science démographique, à l’époque, dans ce coin perdu d’Afrique, et jettent quelques doutes sur la réalité de ladite « assistance aux indigènes ».

  • 16 L.A. de Carvalho Viegas, Guiné Portuguesa, 3 vols, Lisbonne, Typografia Severo, Freitas, Mega e C (...)
  • 17 . AHU, DGCOc, Maço 89, Leite de Magalhães, 8 juin 1928.
  • 18 . Idem.
  • 19 . AHU, DGCOc, Maço 89, Oliveira e Castro, Inspecção Extraordinária aos Serviços da Fazenda, 18 sept (...)

8Dix ans après le premier questionnaire, il y eut une véritable tentative d’organiser un inventaire ethnographique des communautés de Guinée. Sous les auspices de ce même gouverneur, en butte à un terrible manque d’informations fiables sur les habitants du territoire, elle donna lieu à un certain nombre de rapports, dont deux seulement furent publiés en 192716. La raison en est que le département des Affaires indigènes, qui était chargé des rapports, fut démantelé la même année au motif que son existence était considérée « désavantageuse » pour la colonie17. En fait, expliquait-il, sa production était « quasiment nulle » et le responsable du département, un militaire dont la nomination était illégale, ne présentait absolument aucune qualification pour ce poste. Des problèmes qu’il était urgent de résoudre, étaient traités « à la diable » [en français dans le texte], tandis que « les chefs indigènes étaient faits et défaits comme par magie. Les politiques concernant les indigènes n’obéissaient à aucun critère guidant leur mise en place »18. L’inspection demandée par le gouverneur au département du Trésor conclut qu’à l’instar de la plupart des administrations coloniales, ce département souffrait d’un « niveau de désorganisation déplorable » : le blâme pour ces graves maux retombait carrément sur les épaules des « gouverneurs et non sur celle des gouvernés »19. En réalité, les départements se disputaient constamment, comme par exemple les Affaires indigènes avec le Trésor au sujet du contrôle sur la taxe – ô combien ! – importante sur les cases, qui représentait la principale source de revenus des provinces.

  • 20 . H.A. Bernatzik, Aethiopien des Westens : Forshungsreise in Portugiesisch Guinea, Vienne, Seidel u (...)
  • 21 . AHU, DGCOc, Leite de Magalhães, 31 juil. 1931. Parfois généreusement illustrées de matériel photo (...)
  • 22 . « Guiné », Separata, Boletim da Agência das Colónias, 44, 1929.

9Ce qui frappe le lecteur, c’est la critique très dure qui s’exprime à l’encontre du ministère des Colonies. Le manque de soutien aux projets et la pénurie continuelle de fonds dans les coffres de la province sont des thèmes constants dans tous les rapports. On s’y plaint aussi de l’ignorance de Lisbonne et de son refus catégorique de financer une étude ethnographique. Celle qui avait été commissionnée avait été réalisée par des administrateurs qui n’avaient aucune formation pour cela. Une proposition de faire appel à un anthropologue professionnel ne fut pas seulement rejetée mais même « contredite » par le ministère, qui était lui-même soumis à des restrictions budgétaires du fait de la campagne d’austérité qui suivit le coup d’État de 1926 au Portugal. Il en résulta que ce fut une mission étrangère conduite par un ethnographe autrichien, Hugo Bernatzik20, qui fit ce qu’une mission portugaise aurait dû faire21. Le gouverneur commenta de manière sarcastique que c’était ça « la beauté de l’autonomie coloniale ». Décidé à laisser sa marque sur la carte de la Guinée, il publia un numéro spécial du bulletin officiel de l’Agence générale des Colonies contenant des contributions des administrateurs et des fonctionnaires basés en Guinée22. Quant au responsable du département des Affaires indigènes, rejetant le blâme pour cette lamentable absence d’information fiable, sur l’occupation tardive de la Guinée et sur les défaillances du personnel de la province, mais également sur la profonde méfiance de la population vis-à-vis des recensements, il souligna l’introduction de la race, de l’âge et du statut civil dans toutes les enquêtes démographiques. Mais, de manière surprenante, le sexe des personnes enquêtés n’est pas mentionné…

  • 23 . L.A. de Carvalho Viegas, Guiné Portuguesa… op. cit.
  • 24 . AHU, DGCOc, Viegas, 20 juin 1934.
  • 25 Idem.
  • 26 . A. Landerset Simões, Babel Negra, Porto, éd. de l’auteur, 1935.
  • 27 L.A. de Carvalho Viegas, op. cit.
  • 28 . A. Landerset Simões, op. cit. : 15.

10Le nouvel homme fort nommé par l’État Nouveau, le colonel Carvalho Viegas joignit sa voix, quoique dans une veine plus diplomatique, au chœur de ceux qui protestaient contre l’insuffisance des ressources et l’absence de politiques clairement définies23. Il fit de la ségrégation entre Africains et Européens la pierre angulaire de sa politique, ce qui eut pour effet que le mélange racial fut activement découragé, tandis que de nouveaux quartiers étaient érigés à la périphérie des villes à l’intention des Noirs. Les créoles capverdiens furent spécialement l’objet de mépris en raison de « leur adaptation à tous les aspects des coutumes indigènes ». De plus, l’idée de « dégénérescence raciale » eut une influence profonde sur le besoin qui se fit sentir pour des communautés « ethniquement pures », ce qui, en retour, impliquait de prendre des mesures pour contrer la migration et maintenir les indigènes dans leur « chaos » respectif24. Ces idées allaient dans le même sens que les priorités économiques qui exigeaient l’extraction de surplus exportables et le maintien de la force de travail dans les zones d’origine de chacune des populations. Compte tenu des va-et-vient incessants des habitants, spécialement ceux qui vivaient près des frontières de la province, les autorités durent adopter une approche plus consensuelle vis-à-vis de leurs sujets. « Le respect des habitudes, coutumes, traditions, lois coutumières et des institutions sociales et politiques est essentiel pour ces peuples, et afin de les gagner à notre civilisation de manière progressive et modérée, par voie d’une persuasion intelligente, en surmontant leurs objections mais davantage par la diplomatie que par la force »25. Pour gouverner ces communautés de manière cohérente et rationnelle, il fallait que le gouvernement local se familiarise avec leurs coutumes et pratiques, pour mettre ainsi fin à la « confusion régnante ». Cette attention renouvelée à l’égard des populations indigènes donna un nouvel élan au recueil de connaissances ethnographiques, qui conduisit à la publication de toute une étude26 et d’un long chapitre sur la « famille indigène » dans la monographie en trois volumes du gouverneur sur la Guinée portugaise27. La publication de Babel Negra en 1935 fut saluée comme marquant une étape importante dans l’ethnographie coloniale portugaise de l’époque. Ses textes, illustrations et photographies sont présentés comme un nouveau chapitre dans la découverte du « labyrinthe » auquel l’ethnologue se trouvait confronté. L’ouvrage fut également vu comme faisant pendant au travail de terrain effectué par les ethnographes français et allemand dont les publications avaient servi d’exemple à l’auteur28.

11On abordera maintenant la production de données ethnographiques au cours de trois phases distinctes : durant les toutes dernières années précédant l’occupation militaire, dans les années 1920, alors que l’administration portugaise s’établissait sur le territoire, et dans les années 1930, lorsque l’État Nouveau commença d’imprégner le discours colonial.

La métaphore des relations de genre : maîtres et serviteurs

  • 29 . V. Lopes Ramos da Silva, Relatório sobre a região de Bissora, Boletim Oficial da Guiné Portuguesa (...)
  • 30 . J.A. Castro Fernandes, Respostas aos quesitos… , BOGP, 2, 30 sept. 1911.

12Les premiers rapports en provenances des residências, ces districts placés sous l’autorité d’officiers résidant sur place, récemment créés dans les zones tombées sous le contrôle colonial, utilisent une norme de référence masculine et n’accordent que très peu d’attention aux femmes. La femme prend exceptionnellement sens si elle confirme la règle masculine. Lorsque les images sont sexuées, elles ont tendance à projeter un degré de soumission féminine qui connaît peu de variantes d’une région ou d’une société à l’autre. Les femmes sont données en mariage à un âge très précoce et une fois engagée, l’épouse « doit obéissance à son mari et, à la mort de celui-ci, à la personne qui en hérite »29. La tradition répandue de la polygamie laissait à la femme le plus gros du travail à fournir et très peu de choix en terme de mobilité sociale. Dépourvues des droits de propriété, d’héritage ou de succession, elles ne sont que des personnages secondaires. Les hommes, en revanche apparaissent comme des acteurs imbus d’autorité, en tant que maris et chefs indigènes par exemple, dont on exécute les décisions. Dans le cas des sociétés stratifiées et islamisées telles que les Fulas, les régulos sont réputés jouir d’un pouvoir absolu sur leurs sujets sur lesquels ils lèvent tribut30. Certain d’entre eux sont même considérés comme des partenaires potentiels, appelés à recevoir des financements de l’État pour le développement rural. L’espace social est ségrégué en fonction des sexes, les femmes vivant dans les cases qui leur sont attribuées en compagnie de leur progéniture féminine, tandis que les garçons sont éduqués par le chef du groupe résidentiel. La division du travail entre les sexes est peu évoquée et se limite à des exemples isolés d’artisanat, tels que la filature du coton et la teinture de tissu. La suggestion sous-jacente de la domestication de la femme est renforcée par son désintérêt supposé pour le travail sous contrat, et par le statut social inférieur qui se traduit, pour celle qui s’y adonne, par un salaire de moitié inférieur à celui de l’homme.

  • 31 . E.J. Vasconcellos, Guiné Portuguesa…, op. cit.
  • 32 Ibid. : 79.
  • 33Ibid. : 99.
  • 34Ibid. : 77-100.
  • 35Ibid. : 100. Note de la rédaction : les grumetes étaient des Africains urbanisés, appelés aussi k (...)
  • 36 . Ibid. : 97.

13La monographie de Vasconcellos donne une image de la population africaine de Guinée qui suit de près la conception qu’on se faisait des races à son époque31. Les descriptions, qui dessinent les contours d’une Guinée « renaissante », peuplée de « races sémites ou hamites et par la race noire, répartie en de nombreuses tribus et sous-tribus », utilisent les normes de « pureté raciale » et de « dégénérescence/métissage » pour classifier celles-ci32. Les frontières tracées entre elles sur des bases ethniques permettent aussi de classer leurs coutumes et traditions. L’infériorité supposée des Africains est présente partout : « comme l’indigène n’a pas la notion du mot honneur, il ne se sent contraint par un engagement qu’après avoir juré allégeance devant ses parents ou devant les autels des ancêtres de sa tribu »33. Rassemblés sur une échelle hiérarchisée de « civilisations », on trouve tout en haut les groupes islamisés (Fulas et Mandingues) et tout en bas les groupes « fétichistes » tels que les Nalus et les Bijagos34. La classification se termine par la référence à des types sociaux « indéterminés » ainsi qu’aux « grumetes », « mulâtres » et « Blancs »35. Lorsqu’il y en a, les distinctions entre les sexes universalisent le rôle des hommes, et ne prennent en compte les femmes que sous certains aspects biens spécifiques ; ce schéma est adopté par tous les auteurs qui suivront. Les femmes sont décrites comme des épouses serviles, mères et travailleuses à la fois à la maison et dans les champs, confinant souvent à l’état de semi-esclave, tandis que les hommes occupent des positions d’autorité, agissent comme guerriers, prêtres ou marchands. En règle générale, l’auteur affirme qu’en Guinée, « une femme n’a pas de droits, seulement des obligations ; elle ne fait que travailler »36.

  • 37 Ibid. : 3-50.

14La monographie comporte également un important récapitulatif historique, qui tire ses références de la littérature de voyage portugaise et des sources secondaires plus récentes, et qui couvre essentiellement les événements s’étant déroulés au dix-neuvième siècle jusqu’au moment de la conquête militaire, et d’un point de vue politico-administratif37. Ce qui allait dorénavant faire partie intégrante du discours colonial, c’est la référence aux populations africaines dans un contexte de rapports de pouvoir : le temps de la guerre, selon l’auteur, était terminé, et la consolidation de l’autorité coloniale était à présent l’objectif majeur :

  • 38 . Ibid. : 2.

« Avec [un mélange de] races guerrières, d’agriculteurs, d’éleveurs, qui sont inertes et paresseuses, il est nécessaire, pour tirer le meilleur parti d’eux, de faire preuve d’adresse politique. Il faut les guider comme le fait un joueur d’échecs qui dispose ses pièces, pour la victoire finale »38.

  • 39 Ibid. : 10-37.
  • 40 Ibid. : 38. Les guerres qui ont conduit à l’occupation militaire de la Guinée ont été omises, bie (...)

15Encore hésitants en 1911, alors que la « pacification » était en cours, les responsables de l’administration adoptèrent de tout cœur le paradigme colonial. Les résidents de l’extérieur sont décrits comme « colons » et le territoire est désigné du terme de « colonie »39. Une grande importance est donnée aux exploits d’individus mâles considérés comme « portugais » du point de vue de leur nationalité, race et parenté, et il est établi une corrélation directe entre leurs actions et l’édification de l’État. Les femmes guinéennes ne reçoivent qu’une attention passagère et leur rôle est fixé dans un contexte secondaire ou servile. Le rôle des strates intermédiaires, comme celle des grumetes ou kriston qui habitent les villes côtières et qui trouvent leur origine dans « le mélange racial » entre communautés africaines, est marginalisé et considéré comme un empêchement aux ambitions coloniales qui visent « l’affirmation solide de notre souveraineté en Guinée et l’occupation d’autant de zones que possible », dans la ruée vers l’Afrique40.

  • 41 . A. Gomes Pimentel, « Questionário de inquérito sobre as raças da Guiné e seus caracteres étnicos (...)
  • 42 . Selon le recensement de 1927-28, les Balantes étaient le groupe « ethnique » le plus nombreux de (...)

16Les observations relevées par les administrateurs dans l’enquête de 1927 utilisent des catégories raciales tout en fournissant un panorama beaucoup plus détaillé des traditions indigènes41. En systématisant davantage les composantes biologiques, les administrateurs coloniaux classent « les différentes races, sous-races et tribus », quoique toujours limitées aux populations qui se trouvent à l’intérieur des frontières administratives sous leur commandement. Reconnaissant leur manque de connaissances en la matière et la rareté des ethnologues, ainsi que le problème de fiabilité des informateurs, ils fournissent néanmoins une première approche des traditions et pratiques africaines d’un certain nombre de groupes du littoral, comme les Balantes – le plus important groupe ethnique d’alors – les Manjaques et les Mancanhes ou Brames42. Contrastant de manière significative avec l’enquête précédente en raison de son insistance sur les caractéristiques physiques, les traditions indigènes sont présentées au regard d’exemples concrets et s’accompagnent de mensurations corporelles et de classifications selon une typologie raciale. Bien que l’on réprouve l’état de nudité des Africains et que des moyens pour la réprimer soient annoncés, les relations sexuelles sont à présent mentionnées, de même que les descriptions détaillées de la circoncision pratiquée sur les hommes et les femmes dans les différents groupes. La grossesse et la naissance, tout comme la circoncision et la scarification, sont traitées avec une précision médicale.

  • 43 . V.H. de Menezes, op. cit. : 19-20 ; A. Gomes Pimentel, op. cit. : 8-9.
  • 44Ibid. : 14.
  • 45 . V.H. de Menezes, op. cit. : 12.
  • 46 . L’immoralité attribuée aux Balantes est illustrée par le fait qu’ils envoient leurs femmes chez l (...)

17Seul l’adultère féminin – considéré comme habituel, et non sa variante masculine – et les formes de punition qu’il reçoit, est mentionné et expliqué par la coutume répandue des mariages précoces et forcés43. La transmission matrilinéaire est désormais décrite par le biais d’expressions locales : « le frère de ma mère est sans doute mon frère, mais pour ce qui est de mon père, peut-être l’est-il, peut-être ne l’est-il pas », renvoyant cette responsabilité à l’infidélité des femmes du père44. De fait, la preuve largement apportée des liaisons qu’ont les femmes en dehors du mariage sert à renforcer le contexte de « promiscuité » qui entoure les relations sociales. Les importantes différences d’âge entre époux sont considérées comme le nœud du problème. En défendant l’option consistant à accorder « plus de liberté d’action aux femmes » en « accord avec les principes humanitaires élémentaires », les fonctionnaires éludent cependant les conséquences pratiques d’une telle attitude. Elle provoquerait la désintégration des communautés appauvries, laissant les hommes âgés « parfaitement inutiles » et « dont la valeur dépendait exclusivement du nombre de femmes », abandonnées à leur propre sort45. Illustrant ce dilemme par un cas porté devant l’auteur-administrateur, celui-ci affirme que soutenir l’exigence du mari demandant le retour de sa femme et de sa progéniture illégitime, aurait excusé par là même « une baisse des normes morales », à laquelle les autorités coloniales, en toute « inconscience de leur part », ne sauraient consentir46.

  • 47 . V.H. de Menezes, op. cit. : 12, 19.

18La division du travail entre les sexes est traitée de manière superficielle, comme grattée en surface. La situation de la femme dans le foyer est comparée à l’esclavage auquel les autorités coloniales tentent de mettre fin. Parmi les groupes stratifiés des Manjaques et des Mancanhes, on la définit « non comme un être humain, mais comme une chose sans volonté propre, négociable comme un lopin de terre… ». Et pourtant, « il est indifférent à l’homme de voir sa femme aller et venir en totale liberté, rentrant à la maison après le travail des champs et..., amenant des enfants qui ne sont pas les siens, mais qu’il accepte et éduque de bonne grâce ! »47.

  • 48 Ibid. : 13.
  • 49 . A. Gomes Pimentel, op. cit. : 9.

19Les hiérarchies internes au groupe familial sont soulignées dans la mesure où l’importance du rôle de la première femme est reconnue et sa place dans le lieu de résidence clairement distinguée de celui des co-épouses, qui sont définies comme « ses satellites, servantes de la glèbe » parmi les Manjaques et les Mancanhes. Les maris étaient seulement tenus à « payer le prix de la fiancée, contribuer aux coûts des funérailles des parents les plus proches de sa femme, lui éviter de souffrir de la faim… et pas beaucoup plus ! »48. Son collègue apporte une légère correction à cette image de la servilité lorsqu’il décrit les Balantes segmentaires, dont il crédite la première femme d’un statut supérieur, tout en soulignant l’égalité des droits entre les femmes49. En ce qui concerne l’héritage et la succession, les femmes sont privées de droits de propriété et la garde des enfants revient aux hommes, qu’ils soient le père biologique ou son frère par le biais du lévirat. On relève occasionnellement des différences entre les groupes matri- et patrilinéaires, par exemple pour les femmes (des sœurs) qui, dans le premier cas, peuvent accéder à la propriété en l’absence d’un héritier mâle.

  • 50 . V.H. de Menezes, op. cit. : 10.
  • 51 Ibid. : 13.
  • 52 . A. Gomes Pimentel, op. cit. : 15.
  • 53 V.H. de Menezes, op. cit. : 21.

20Sur le plan économique, on ne prête guère attention à la répartition des responsabilités entre les sexes. Dans le cas des Balantes, principaux producteurs de riz de la région, on passe sous silence l’importance du rôle des femmes dans sa culture, bien que les différentes tâches se répartissent de façon relativement équilibrée entre les sexes. Lorsqu’on fait référence à l’apport des femmes, on le qualifie « d’aide appréciable », alors que « ce sont elles qui assurent la charge la plus lourde » chez les Manjaques et les Mancanhes50. Pour le travail des champs, l’existence de réseaux d’entraide est mentionnée, sans pour autant détailler en quoi ils consistent. Dans le domaine du commerce, le statut des femmes est là aussi souligné avec la justification qui en est donnée : le mari consent à ce que sa femme ait recours à la vente de ses propres produits dans la mesure où cela « allège la charge financière » qui pèse sur lui51. L’image dominante de la servilité féminine est légèrement réajustée lorsqu’il est question des certains aspects de la cosmologie des « tribus fétichistes ». On cite, en passant, le rôle des femmes-devins qui sont consultées en cas de maladie, vol, fuite d’une épouse, et pour prédire les moissons52, tant chez les Balantes que chez les Mancanhes53.

  • 54 A. Landerset Simões, Babel Negra, op. cit. : 15.
  • 55 . Les plus connus furent A. Alvares de Almada, Tratado Breve dos Rios de Guiné do Cabo Verde (1594) (...)
  • 56 . A. Landerset Simões, op. cit. : 16.

21Au milieu des années 1930, la première monographie ethnographique voit le jour avec l’inventaire des traditions orales des principales « races ou tribus ». Dans son introduction, l’auteur, un administrateur colonial, se hâte de préciser la nature de sa contribution comme « brisant le silence qui n’a été rompu jusque-là que par une demi-douzaine de travaux, d’un grand intérêt pour certains, mais destinés aux archives… »54. Après un long silence « de plusieurs siècles », c’est-à-dire depuis la production d’inventaires par les premiers voyageurs, seulement publiés au dix-neuvième et vingtième siècles55, l’enregistrement in loco des traditions locales retrouve une place centrale. Organisée dans une logique « ethnique » et non pas administrative, cette monographie fournit, outre les données sur la parenté, le mariage, l’organisation sociale, également des informations sur le type de résidence, l’alimentation, l’agriculture et les langues, obtenues essentiellement, quoique non exclusivement, par les administrateurs et leurs interprètes. L’auteur est là aussi amené à reconnaître que la collecte de données s’est avérée difficile, en raison du manque d’éléments et de problèmes de terrain non spécifiés56.

  • 57 . J.F. Torres Velez Caroço, Questionario etnográfico, op. cit.
  • 58 Ibid. : 3.
  • 59 Ibid. : 5.
  • 60 Ibid. : 7.

22Les résultats étaient en partie basés sur un nouveau questionnaire préparé par le chef des Affaires indigènes, un officier de l’armée et précédent gouverneur57. Les justifications données à cette nouvelle enquête sont associées au projet d’un nouveau code civil et pénal censé remplacer les lois portugaises alors en vigueur, étant donné qu’elles ne correspondaient pas à la « mentalité primitive de la population indigène »58. Son cadre et contenu sont particulièrement révélateurs des doctrines sous-jacentes à la pensée coloniale de l’époque. Commençant par l’origine et l’histoire des « races » indigènes, le document traite ensuite d’une grande variété de questions incluant la « famille » sous ses différents aspects. Les questions révèlent un intérêt, quoique marginal, pour la division du travail entre les sexes (« Comment le travail est-il divisé entre les hommes et les femmes ? »), alors que la définition du travail est divisée en deux variantes « indigène » et « moderne » (« Cherchent-ils du travail hors de leurs villages, ou ne se consacrent-ils qu’au travail indigène, pour leur auto-subsistance ? »59. Une bonne dose d’ignorance transpire de questions telles que : « Qui travaille, les hommes ou les femmes ? ». Les questions relatives à l’autorité paternelle et maternelle s’accompagnent d’interrogations posées du point de vue de l’époux : « Dans la vie du couple, quelles sont les tâches que la femme est obligée d’accomplir ? »60. On tente des incursions dans des situations domestiques, par exemple dans le cas de foyers polygames, mais surtout à propos de problèmes d’héritage et de droits de succession, tels que la garde des enfants, le divorce, le lévirat. Le fait que les administrateurs étaient fréquemment amenés à intervenir et à trancher dans ces disputes, ainsi que le besoin de lignes directrices, expliquent l’inclusion de ces délicates questions dans le questionnaire. Elles prouvent également que les femmes faisaient de plus en plus souvent appel aux autorités coloniales plutôt que de s’en remettre aux procédures des institutions communautaires.

23Dans Babel Negra, douze « tribus » sont identifiées, chacune faisant l’objet d’un chapitre à part, sous forme de courtes « vignettes », sur le même plan que le questionnaire de 1934, et traitant depuis les caractéristiques physiques jusqu’aux activités de loisir. Chaque chapitre inclut la photo d’un homme et d’une femme, ainsi qu’un glossaire élémentaire du dialecte « ethnique ». Beaucoup plus d’importance est donnée aux groupes patrilinéaires, tels que les Mandingues et Fulas musulmans, mais aussi les Balantes « animistes », qu’aux groupes matrilinéaires. Les relations entre hommes et femmes sont toujours présentées comme fondamentalement inégalitaires – les hommes comme chefs de lignage et maris, occupés à vendre et à acheter des femmes qui acceptent leur sort – mais le ton et le contenu varient par rapport aux exercices précédents. Elles démontrent avant tout la ségrégation existant entre les sexes qui constitue un fil conducteur dans le contexte de ces sociétés dominées par les hommes.

  • *  Note de la rédaction : les Bayotes sont un peuple très minoritaire de Gambie, Casamance et de Guin (...)
  • 61 Ibid. : 32.
  • 62 Ibid. : 148.
  • 63 . H.A. Bernatzik, op. cit.
  • 64 Cf. A.J. de Santos Lima, Organização Economica e Social dos Bijagos », Bissau, Centro de estudos (...)

24L’existence d’espaces et de professions contrôlés par les femmes auxquels il est fait allusion dans l’enquête de 1927 ne sert pas à souligner l’autonomie des femmes, mais à en faire des « anomalies ». Les libertés sexuelles accordées aux femmes bayotes* font l’objet d’une mention spéciale et cadrent avec leur comportement licencieux, alors que leurs prouesses comme rameuses et lutteuses, ne sont que marginalement évoquées. Le chapitre sur les Feloupes ou Diolas, caractérisés comme « guerriers » et « producteurs de riz », souligne le poids de l’autorité de la première femme sur le mari, au point que cela a imprégné de sa marque toute la « vie politique de la tribu »61, sans toutefois indiquer en quoi particulièrement. Bien que vivant sous un régime dit « patriarcal » – de même que d’autres groupes – les prêtresses, dans cette gérontocratie masculine, étaient responsables de l’entretien de sites sacrés auquel les hommes n’avaient pas accès. Chez les Bijagos insulaires et matrilinéaires, on trouve également mention de sacerdotizas62 en rapport avec les classes d’âges féminines. À la différence d’autres groupes, les femmes bijagos ont le droit de choisir leurs maris et de divorcer ; d’où leur présentation comme une « anomalie » aux traditions patriarcales (ou plutôt patrilocales) sur le continent. Quoi qu’il en soit, les travaux de Bernatzik63 sur les insulaires avaient établi l’idée erronée du matriarcat, s’appuyant sur les travaux d’anthropologues du dix-neuvième siècle tels que Morgan et McLennan ainsi que sur les écrits de Malinovski sur les sociétés insulaires matrilinéaires du Pacifique, déclenchant tout un débat qui dura jusqu’à l’enquête ethnographique du milieu des années 1940, lorsque l’idée en fut définitivement rejetée64, ce qui dépasse les limites de cet essai.

Comment remplir les « blancs » ?

  • 65 . D. Spender, Man Made Language, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1980 : 19.
  • 66 . D. Cameron (ed.), The Feminist Critique of Language, Londres, Routledge, 1998.
  • 67Cf. H.L. Moore, Feminism and Anthropology, Londres, Polity Press, l992 : 3-4, à propos des travau (...)

25La théorie linguistique sur le genre, apparue au début des années 1980, a présenté un certain nombre d’options relatives à la valeur attribuée à chaque sexe. L’idée d’un individu masculin « plus » et « moins » devint une référence pour la « dérogation sémantique relative aux femmes » basée sur l’existence de règles sémantiques qui produisent une « double norme » connotant la langue et les expressions relatives à l’espace féminin65. Cette asymétrie fondamentale contenue dans le langage, qui associe la femme à « un espace sémantique négatif » et la relègue dans un statut d’« homme moins », comportait d’importantes implications pour la représentation des deux sexes dans le discours66. En étudiant l’association des symboles féminins avec une connotation négative, philologues comme sociologues cherchèrent à théoriser la fonction remplie par la standardisation des références et comparaisons relatives à l’homme, et l’attribuèrent aux idéologies fondées sur le pouvoir : les relations entre les sexes étaient caractérisées par celles qui existent entre des maîtres et des « muets ». Une des premières tentatives de théoriser la signification d’une hiérarchie entre les sexes dans le discours ethnologique, a proposé l’idée d’un « groupe de muets » pour déconstruire le cadre conceptuel sur lequel celui-ci est fondé67.

  • 68 . Parmi les nombreuses publications sur le sujet, voir J. & J. Comaroff sur l’Afrique australe et l (...)
  • 69 Cf. H.L. Moore, Feminism and Anthropology, op. cit., notamment le chapitre 5.
  • 70 . D.L. Hodgson & S. McCurdy (eds), Wicked Women and the Reconfiguration of Gender in Africa, Portsm (...)
  • 71 . E. Sibeud, « Science de l’homme » coloniale ou science de « l’homme colonial », in A. Hugon (ed.)(...)

26Depuis, la question des métaphores et silences coloniaux est devenue l’objet d’intenses débats au sein à la fois de l’histoire et de l’anthropologie des années 1980, en particulier au sujet du continent africain68. L’anthropologie féministe a apporté une contribution remarquable à l’analyse de la construction culturelle du genre, en particulier dans son rapport à l’État69. Au cours des dernières décennies, certains chercheurs ont tenté d’appliquer ces idées au genre dans les situations coloniales, dans une double perspective historique et anthropologique70. La critique féministe relative à la construction de l’infériorité des femmes et son encodage dans le langage, fournissent un outil déterminant pour l’analyse du discours, par exemple celui des métaphores de genre qui se sont développés dans le cadre de la domination coloniale. Le fait que les études ethnologiques furent produites par des administrateurs et non par des anthropologues – comme nous l’avons montré plus haut – constitue un élément structurant qui a « croisé » des vecteurs tels que pouvoir et nation avec des préconceptions sur le genre et la race71. Néanmoins, les données ethnologiques extraites des rapports coloniaux sur les populations de Guinée portugaise font plus qu’identifier des modèles de discours centrés sur une image péjorative des femmes, ils fournissent des nuances qui demandent un examen – sémantique – plus subtil de ce qui les constituent.

  • 72 . P.J. Havik, Silences and Soundbytes : the Gendered Dynamics of Trade and Brokerage in the pre-Col (...)
  • 73 Ibid. : 354.

27À y regarder de près, la plupart des textes mentionnés plus haut évoquent un ensemble de relations « intergenrées » hiérarchisées qui semblent établir l’homme-plus et -moins comme norme de référence. Pourtant, une asymétrie fondamentale dans les relations intergenrées domine le trope colonial, à savoir que si le modèle masculin était européen, il n’y eut jamais une telle référence concernant la femme. Cette apparente contradiction, qui trouve ses racines dans les dynamiques particulières de l’histoire afro-atlantique, comporte d’importantes implications pour l’interprétation des sources contemporaines. Une étude sur les dynamiques intergenrées dans les secteurs du commerce et du courtage de la région de Guinée-Bissau révèle que l’abondance de références aux « grandes femmes » – les ñaras, vivant dans les comptoirs marchands du littoral – au dix-neuvième siècle, n’étaient pas assorties de projections de pouvoir et d’autorité équivalentes à celles qui étaient associées aux hommes de la même région72. Au lieu de confirmer l’existence de silences qui ont simplement exclu les femmes de l’histoire et de la société ou les ont diabolisées, une analyse attentive des sources écrites montre que les figures masculines positives de référence étaient en réalité très rares. Que la plupart des documents aient été produits par des hommes non africains, a eu pour effet de façonner les modèles de rôles masculins sur les exemples européens, et de développer une hiérarchie de masculinités dans laquelle les statuts inférieurs étaient attribués aux hommes africains73. Pourtant, la complexité du discours devient de nouveau visible si l’on tient compte de ce que nombre des officiers en question n’étaient pas européens mais des créoles capverdiens, ce qui introduit des strates intermédiaires et des significations supplémentaires.

  • 74 Cf. M.J. Hay, «Queens, Prostitutes and Peasants : Historical Perspectives on African Women, 1971- (...)
  • 75 . J.F. Torres Velez Caroço, op. cit. : 5.

28Suite à la conquête militaire, le pouvoir politique étant désormais concentré dans les mains d’une administration européenne, on assista à un changement de paradigme dans la structure des relations entre les genres. Le centre d’intérêt colonial passa des ports de commerce afro-atlantique à l’exploration des terres largement inconnues de l’intérieur. Des Africains, tels que les chefs, furent alors considérés comme des alliés politiques potentiels et non plus comme des ennemis, et ceux qui s’étaient rangés du côté des Portugais furent cooptés dans l’administration locale. Les Africaines, pourtant, vivant sous autorité patriarcale traditionnelle et coloniale – qui, auparavant, avaient été dépeintes comme des reines et des esclaves – sont désormais, comme le notent les chercheures féministes, décrites comme « des prostituées et des paysannes »74. En l’absence (presque complète) de femmes européennes, par ailleurs vues par leurs compatriotes masculins comme des personnages fragiles et plutôt pitoyables dans cet environnement tropical, les femmes africaines furent évaluées selon une échelle de valeurs, qui au-delà de leurs charges métaphoriques sexuelles, les visualisaient à travers un spectre préférentiel de « couleur » où dominaient les « mulâtres ». Il s’ensuivit que les normes de jugements variaient considérablement s’agissant des femmes et des hommes de la région, et dans le groupe féminin entre les femmes « de couleur » et les femmes « noires ». Le questionnaire ethnographique de 1934 sur lequel se basèrent la plupart des travaux des années 1930, comportait déjà une question révélatrice sur l’apparence des femmes : « Les femmes qui ont un teint plus clair n’ont-elles pas une physionomie plus parfaite et plus sculpturale ? »75.

  • 76 . L. Vaz de Sampayo e Mello, « Alguns aspectos do eterno feminino nas Colónias (Esquisso ethnográfi (...)
  • 77 . L. Vaz de Sampayo e Mello, op. cit. : 174.

29Sur la question des rôles entre les sexes parmi les populations de Guinée, un des premiers textes coloniaux qui soulève explicitement les rôles féminins, mettait en lumière cette asymétrie de normes76. En fournissant au lecteur une perspective nettement influencée par l’anthropologie physique alors courante, il introduisait des distinctions qui en disent long sur les femmes vivant dans différents habitats et sociétés. Vivant dans l’archipel qui porte leur nom, les Bijagos – réputés vivre dans un régime « polyandre et matriarcal » et donc supposés être un royaume de femmes »77 – sont dépeints comme :

  • 78 Ibid. : 173.

« … l’élément ethnique le plus arriéré de Guinée et l’un des plus primitifs du monde. Les hommes et les femmes sont bien bâtis, généralement de peau très foncée et avec des caractères physiques irréguliers et déplaisants. Les femmes, qui sont en général bien bâties, sont très laides, et on est surpris que personne jusqu’à présent n’ait pensé importer de vieilles femmes bijagos pour sevrer les enfants qui sont trop attachés à leur tétine, car, il est certain qu’aucun enfant blanc, en voyant un de ces spectres de tout près, serait assez courageux pour persister dans sa préférence pour cette source d’alimentation… »78.

  • 79 Ibid. : 174.

30« Les femmes civilisées » ne devraient pas être jalouses du pouvoir des femmes bijagos, car leurs foyers étaient loin d’être « plaisants ». Tandis que ces dernières « gouvernaient » la société, faisant des hommes bijagos des hommes-moins « efféminés », les premières régnaient sur leur sphère domestique, laissant les hommes décider pour elles.79 En contrepoint à la Bijago « primitive » et « laide », il décrivait les femmes fulas ainsi :

  • 80 Ibid. : 175.

« … grande, minces, avec une peau cuivrée, des cheveux légèrement laineux, des nez fins, […] des lèvres délicates et de grands yeux expressifs, en forme d’amande […]. Elles sont musulmanes et pas très communicatives de nature, mais de bonne composition. Peut-être est-ce à leur bon cœur que l’on peut attribuer la circonstance que, bien que musulmanes, elles peuvent rompre à l’occasion les préceptes du Coran, pour convoler avec un Chrétien qui leur plait… La femme fula-fôrro est intelligente, et parmi les femmes guinéennes indigènes, sans doute, la plus civilisée de toutes »80.

  • 81 Ibid. : 176.

31Dans le contexte colonial, ceux que l’on distingue pour leur attitude positive sont les Manjakes, car « ils parlent le créole capverdien en plus de leur propre dialecte » et sont « par nature de gros travailleurs, s’adaptant en outre aisément aux occupations les plus diverses ». On les considère comme « un des éléments ethniques les plus utiles pour le développement et la valorisation de cette colonie en progrès qu’est la Guinée »81. Dans cet ensemble, les femmes manjakes sont dites avoir

  • 82 Ibidem.

« des traits physionomiques relativement réguliers et plaisants […] ; elles sont intelligentes et gaies, et n’ont pas la moindre vocation à animer le feu sacré sur l’autel des vestales, bien au contraire, elles s’avèrent d’authentiques prêtresses de Venus […]. Très coquettes, et plus sensuelles que coquettes, les femmes de la tribu des Manjakes conjuguent, intensivement, pratiquement, à tous les temps et modes […] le verbe "aimer", surtout à Bolama et Bissau où elles peuvent se dédier à leur sympathique préférence amoureuse pour les Européens, c’est-à-dire les Portugais ou étrangers des colonies voisines ».82

  • 83 Ibid. : 176.

32Malgré tout, le comportement sexuel libertaire de ces « Vénus noires » fut considéré comme la raison principale de l’extinction de la « tribu » et son remplacement « en moins de cinquante ans par des éléments métissés »83.

  • 84 Ibid. : 59.
  • 85 Ibid. : 59-60.

33Dans la même présentation, l’auteur, un anthropologue portugais, traite de la population de l’archipel du Cap-Vert résultant du mélange des « femmes de différentes tribus (notamment Balante, Papel, Bijago, Felupe et Ouolof) avec les colons portugais »84. La cohabitation avait conduit à leur donner des traits physiques similaires aux « types somatiques moyens de la race blanche »85. Mais dans ce contexte de créolisation, les mulâtres capverdiennes occupaient la place d’honneur, se distinguant nettement des autres femmes « blanches » et « noires » :

  • 86 Ibid. : 60.

« La femme capverdienne est grande, droite, bien proportionnée, attirante et a généralement de grands beaux yeux avec une expression remarquablement languide et ardemment sensuelle. Elles marchent presque toujours pieds nus et leur allure est aisée, débonnaire et voluptueuse. Certaines en passant nous rappellent les statues de Phidias d’un musée grec, plongées dans du chocolat et animées par le soleil ardent des tropiques pour une vie sensuelle. C’est seulement parce qu’elles ne marchent pas nues que l’illusion n’est pas parfaite… »86.

  • 87 Ibid. : 62-63.
  • 88 . « L’école de Porto » d’ethnologie, dirigée par Mendes Correia, s’opposa de manière véhémente à la (...)

34Non seulement les femmes capverdiennes représentent un idéal-type de beauté, mais elles se déplaçaient et dansaient avec une grande élégance et sensualité, et parlaient même le créole avec une grâce captivante87. L’ambiguïté des tropes coloniaux de genre est bien illustrée par ces exemples qui juxtaposaient « tradition » et « pureté » à « modernité » et « métissage ». Les officiers coloniaux établirent ainsi une hiérarchie à l’intérieur du groupe des femmes africaines, qui attribuait la position la plus élevée aux « douces » femmes mulâtres capverdienne et la plus inférieure aux « sauvages » femmes bijagos, subdivisant ainsi l’homme-moins sur une échelle descendante de « dérogation sémantique ». Les scientifiques, qu’ils soient portugais ou originaires d’autres colonies, continuèrent à se débattre dans la question du « mélange racial » et de la « dégénérescence »88. Les métaphores sexuelles passaient outre cette division, montrant que les représentations coloniales des femmes africaines telles qu’on les trouve dans les métaphores coloniales créées par les hommes différaient fondamentalement de celles utilisées à propos de leurs homologues masculins. En effet, dans un contexte local, le contact entre les officiers coloniaux et les femmes africaines n’était pas limité au domaine public, mais s’étendait à l’espace domestique où ces dernières travaillaient et, parfois, partageaient le lit avec leurs maîtres. Le fait que les administradores et les chefes de posto vivaient et travaillaient souvent dans le même bâtiment, démontrait un certain degré de fluidité dans les relations où les responsabilités privées et officielles se recouvraient, ce qui mettait en porte-à-faux les préceptes coloniaux de ségrégation. À cette phase initiale de « l’édification de la colonie », de telles relations ne représentaient pas tant l’imposition d’une masculinité européenne qu’elle dénotait la médiation d’autorité par les « muets » et leur visibilité au niveau local.

  • 89 . J. de Oliveira Diniz, Negócios indígenas, Lisbonne, Typ. Adolpho de Mendonça, 1919 : 10.
  • 90 Ibid. Sur la question de l’eugénisme colonial du point de vue des relations de genre et dans une (...)

35Dans les années 1920 et 1930, la théorie des races semblait capable d’apporter des solutions apparemment simples à des problèmes complexes que les politiciens coloniaux rencontraient dans leur tentative de résoudre la question de cette mosaïque multiculturelle. L’introduction des courants de pensée eugénistes dans les politiques sociales, avec la création des services des Affaires indigènes (Serviços de Negócios Indígenas) allait avoir d’importantes implications sur la compréhension des relations de genre pendant la période coloniale. Les femmes africaines se trouvèrent propulsées sur le devant de la scène en tant que génitrices, dans une colonie telle que la Guinée où « les colons européens ne parvenaient pas à s’acclimater »89. Cela signifiait que la maternité des femmes africaines allait être soumise à l’observation rapprochée des autorités, dont le rôle était perçu comme gardien de la pureté raciale. Pour la Guinée, le concept de dégénérescence se traduisit par l’élaboration de mesures propres à « éviter que (les races indigènes) ne s’éteignent à cause du métissage (en) interdisant ou décourageant les relations légitimes ou illégitimes entre des individus des deux races »90.

  • 91Ibid. : 9.
  • 92Ibid. : 10.
  • 93Ibid.

36La formation d’une « caste orgueilleuse », d’une strate de « métis » vue comme « un élément de trouble entre les deux races [blanche et noire] et pour le développement de la colonie »91, devint une inquiétude récurrente pour les responsables politiques portugais qui cherchèrent à l’empêcher en projetant de retirer l’enfant « métis » à sa mère. Outre qu’elle attira leur attention sur la reproduction et la fertilité des femmes, cette préoccupation les conduisit également à accorder une grande importance à la mise en place de mesures basées sur l’éducation et l’intégration dans le monde du travail et la société coloniale. La création de programmes d’aide aux indigènes avait pour but d’élever « la condition morale de la population indigène ». En conséquence, l’éducation dite raciale apparut comme un thème central impliquant une collaboration étroite entre les institutions séculières et religieuses (romaine catholique) dans leur « mission civilisatrice ». Afin de ne pas imprégner l’enfant (métis) de « besoins superflus qu’il ne sera pas en mesure de satisfaire plus tard », l’enfant en question, bien que laissé à la garde de ses parents, devait recevoir « une éducation exclusivement professionnelle et pratique » à surveiller de près92. Afin de limiter les occasions de rapports sexuels entre colons et indigènes, il devint impératif de recruter du personnel civil et militaire marié, surtout chez les « officiers de rang inférieur, les soldats et les fonctionnaires subalternes », étant donné « qu’ils constituent le principal contingent susceptible de procréer des métis »93.

  • 94 . « Les villages indigènes » devaient être séparés des villes civilisées, et subdivisés en quartier (...)
  • 95 Republica Portuguesa, Assistência aos Indígenas da Colónia da Guiné : instrução e beneficência, B (...)
  • 96 Ibid. : 194.
  • 97 . Le fait que le gouvernement local, confronté à des restrictions financières, ait préféré soutenir (...)

37Préoccupées par la « dégénèrescence progressive » de « dix-sept races et sous-races », d’une part les autorités provinciales encouragèrent l’extraction de données ethnographiques, tandis que de l’autre, elles optèrent pour des mesures guidées par la ségrégation « raciale » et « tribale ». Les espaces urbains, non seulement devaient être organisés selon des lignes séparant les Européens des Africains, mais aussi sur la base de divisions ethniques94. Ayant identifié les traditions de base et les habitus de chaque communauté, ainsi que leur réaction à la modernité, les rapports établissaient les façons de traiter chaque groupe et région, tout en professant le besoin d’un ensemble de règles unifiées pour « l’assistance indigène ». Avec cette hantise de la « dégénèrescence progressive », les autorités provinciales décidèrent d’améliorer l’aide médicale, que l’on qualifia alors « d’impérieuse nécessité » et « d’élément le plus décisif dans l’avancée vers la civilisation »95. En conséquence de quoi, la terminologie médicale gagna du terrain et pénétra totalement le discours colonial. La création de « tabancas enfermerias » (« postes de soins villageois ») au début des années 1930 est un exemple qui illustre comment la priorité fut accordée à l’« assistência indígena »96. L’importance donnée aux « salles de maternité » et à « l’école locale d’obstétrique » (ainsi nommée dans le discours colonial, malgré une réalité à mettre en rapport avec des budgets plus que ténus) est la preuve que la maternité indigène était devenue une question importante sur le plan colonial97.

  • 98 . Les « conseils aux personnes atteinte de la syphilis » insérés dans le livre contient un paragrap (...)

38Dans cet ordre d’idées, un aspect intéressant et largement ignoré de l’ethnographie coloniale est le thème de la prostitution vue comme une déviation par rapport à la norme de « ségrégation raciale » et dans sa connotation avec la « dégénérescence ». Au fur et à mesure du développement des services coloniaux, les rapports officiels font de plus en plus souvent référence à la prostitution féminine. Les enquêtes de 1927, tout comme Babel Negra, ne font pas exception à la règle et associent la prostitution à un mélange de tradition indigène et d’effets secondaires des campagnes militaires, remontant au début du chaos et à la migration, de conséquence interculturelle, qui s’en est suivie. La migration des insulaires de Bijagó vers le continent comme celle de couches urbaines vers l’archipel est mentionnée dans certains rapports comme la principale cause des maladies vénériennes parmi les habitants des îles. Le texte en question, traduit en bijagó, en rejette la responsabilité sur le dos des hommes et les enjoint à se soigner avant d’infecter leurs partenaires/épouses98. Il est intéressant de noter que ce texte, qui s’adresse aux chefs de familles masculins, encourage également les insulaires à fréquenter les services médicaux afin de garantir la naissance d’enfants en bonne santé, et conseille aux femmes de se soigner pendant leur grossesse si nécessaire.

39Cette approche tout à fait nouvelle d’aborder le domaine sensible des relations sexuelles, était associée à la volonté de « gagner » les insulaires à la modernité coloniale pour laquelle ceux-ci ne démontraient pas grand intérêt. Les motivations qui sous-tendent un tournant aussi radical sont détaillées par le gouverneur de l’époque, qui les farcit de citations provenant de rapports médicaux :

« Je propose non de conquérir, mais d’assimiler – c’est-à-dire à nos coutumes et traditions, par une intervention dans tous leurs événements sociaux, y compris l’établissement de nouvelles communautés similaires aux nôtres – la population bijago. Si nous ne procédons pas de cette manière, nous assisterons rapidement à la disparition de cette population, par son métissage avec d’autres éléments inférieurs, et à sa totale absorption à l’intérieur de groupes indigènes du continent, les plus dégénérés, qui ont fait de l’archipel leur terrain de chasse ».

  • 99 . En contexte urbain, on retrouve des préoccupations du même genre, par exemple relativement aux ac (...)

40Le gouverneur continuait en affirmant que leur migration vers le continent réclamait « une politique indigène menée intelligemment » afin de « les retenir dans leurs îles, tout en combattant les maladies vénériennes et autres qui se sont répandues dans les îles, et de les protéger de la mauvaise influence des Cristãos [Kriston] »99.

  • 100 . Viegas, Guiné Portuguesa, op cit, I, 1936 : 151.
  • 101 . L.A. de Carvalho Viegas, Guiné Portuguesa, II, op. cit. : 124.

41En gros, on assiste au milieu des années 1930 à la consolidation du schéma qui, dans le discours colonial, présentait les femmes comme des porteuses d’enfants et des travailleuses, à l’exception des « exotiques » Bijagos, « les seules aborigènes de notre Guinée » où les femmes jouaient toujours un rôle dominant – bien que toujours aussi mal défini – dans la société100. En outre, les métaphores dépeignent une hiérarchie de relations entre les sexes qui coïncident avec un niveau de civilisation estimé qui est attribué à chaque groupe en fonction des caractéristiques racial et physique de ses membres. Dans le cas des femmes, ceux-ci étaient mis en évidence ou au contraire minimisés par une série de métaphores sexuelles qui fixent la couleur de la peau et la silhouette « métissées » comme canons de la « beauté noire », agencés selon une échelle incluant différentes typologies « ethniques ». Enfin, malgré une très grande mobilité des femmes, la création d’idéal-types favorise l’espace domestique, qui est de plus en plus identifié au « foyer » plutôt qu’à la famille, de sorte que le champs, la communauté et l’espace public en général sont vus comme une extension de celui-ci. En fin de compte, malgré le corpus croissant de données ethnographiques, la figure de la femme continua, dans le discours colonial, d’être un simple appendice sous-tendant l’autorité et la domination de l’homme, une ombre sans visage. Un changement se produisit qui eut cependant des implications sur le statut des femmes. En dépit de l’absence frappante de connaissances sur la femme africaine et son rôle dans la société, le discours biomédical en vint à dominer les autres et considéra dorénavant les femmes comme clientes potentielles, précisément à cause de leur désignation comme femmes et mères, dans une colonie où les femmes européennes – et les hommes – étaient peu nombreux et dispersés. Ce changement non négligeable résulta de l’attention croissante que les ethnographes portugais et les autorités locales attribuèrent à « la famille » comme unité de parenté solide, à la place de la vision holistique jusque-là dominante des sociétés indigènes. Au milieu des années 1930, l’évidente mutation des priorités coloniales, au même titre que l’action des femmes, avaient conjointement eu pour effet de projeter une image encore pâle de la femme africaine sur un écran colonial demeuré vide jusque-là. Son profil colonial ne tarderait pas à se préciser et la « femme indigène » fut progressivement perçue comme « un puissant agent de civilisation » – « si convenablement préparée » – et non plus comme « une simple gardienne de l’espèce » et une « bête de trait »101.

22 Avril 2005

Haut de page

Notes

* Les « blancs » concernent naturellement les « espaces laissés en blanc » et les vides de l’historiographie coloniale sur les femmes (noires !), et non les Blancs.

1 . M. Newitt, A History of Mozambique, Londres, Hurst, 1995 ; A. Pitcher, Politics in the Portuguese Empire : the State, Industry and Cotton, 1926-1974, Oxford, Clarendon Press, 1993 ; J. Penvenne, African Workers and Colonial Racism : Mozambican Strategies and Struggles in Lourenço Marques, 1877-1962, Portsmouth, Heinemann/Oxford, James Currey, 1995 ; V. Zamparoni, Entre Narros e Mulungos : Colonialismo e Paisagem social em Lourenço Marques, c.1890-c.1940, unpubl. PhD thesis, São Paulo, USP, 1998.

2 . Voir par exemple R. Pereira, « A Antropologia aplicada na política colonial portuguesa do Estado Novo », in Revista internacional de Estudos africanos (Lisbonne), 4-5, 1986 : 191-235 ; et du même auteur, « O desenvolvimento da ciência antropológica na empresa colonial do Estado Novo », in F. Rosas & J. Ramos do Ó, O Estado Novo : das origens ao fim da autarcia, 1926-1959. Vol. II, Editorial Fragmentos, Lisbonne, 1988 : 415-443.

3 . Voir par exemple J. Forrest, Lineages of State Fragility : Rural Civil Society in Guinea Bissau, Athens/Oxford, Ohio University Press/James Currey, 2003 ; également E. Gable, « Bad Copies : the Colonial Aesthetic and the Manjaco-Portuguese Encounter » in P. Landau & D.D. Kaspin (eds), Images and Empires : Visuality in Colonial and post-Colonial Africa, Berkeley, University of California Press, 2002 : 295-319.

4 Cf. F. Cooper & A.L. Stoler (eds), Tensions of Empire : Colonial Cultures in a Bourgeois World, Berkeley, University of California Press, 1997 ; et G. Stocking (ed.), Colonial Situations : Essays on the Contextualisation of Ethnographic Knowledge, Madison, University of Wisconsin Press, 1991.

5 . G. Stocking (ed.), Colonial Situations…, 1991 : 5 ; voir aussi A.L. Conklin, A Mission to Civilize : the republican idea of empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford, Stanford University Press, 1997.

6 . J. da G. Correia e Lança, Relatório da Província da Guiné Portuguesa, referido ao ano económico de 1888-1889, Lisbonne, Imprensa Nacional, 1890 : 51.

7 . Voir P.J. Havik, Boticas e Beberagens : a criação dos servicos de saude e a colonização da Guiné Portuguesa (séc. xix-xx) numa perspectiva antropologica [à paraître, 2005].

8 . W. Braithwaite, Bathurst, au Foreign Office, Londres, 16 janv. 1913 ; in: Public Record Office (PRO), Londres : FO367/342.

9 . Arquivo Histórico Ultramarino (AHU), Fundo do Governo da Guiné (FGG), L 131 : 4 juin 1901, Alves d’Oliveira, Bolama, au ministère de la Marine et de l’Outre-mer, Lisbonne.

10 . AHU, FGG, L. 176, Correspondência confidêncial, 1909-1911 : Circular, 6 avril 1909.

11 . AHU, Direcção Geral das Colónias (DGC), Conselho Colonial, Guiné, Pasta 2, 1911-1917 : 22 janv. 1912.

12 . C. Pereira, La Guinée portugaise (subside pour son étude), Lisbonne, A Editora Lda, 1914.

13 . E.J. Vasconcellos, Guiné Portuguesa : Estudo elementar de geografia física, económica e política, Lisbonne, Tipografia da Cooperativa Militar, 1917 : 78.

14 . AHU, DGC Ocidental (DGCOc), Maço 89, Leite de Magalhães, 8 juin 1928.

15 Idem, Leite de Magalhães, 31 juillet 1931.

16 L.A. de Carvalho Viegas, Guiné Portuguesa, 3 vols, Lisbonne, Typografia Severo, Freitas, Mega e Cia, I : 1936 ; II : 1939 ; III : 1940. Les fonctionnaires admirent que seulement deux rapports avaient été publiés parce que « certains n’avaient jamais été présentés, tandis que d’autres contenaient des erreurs qui devaient être rectifiées » (J.F. Torres Velez Caroço, « Questionário etnográfico », Boletim Oficial da Guiné Portuguesa (BOGP), 20, 14 mai 1934 : 3).

17 . AHU, DGCOc, Maço 89, Leite de Magalhães, 8 juin 1928.

18 . Idem.

19 . AHU, DGCOc, Maço 89, Oliveira e Castro, Inspecção Extraordinária aos Serviços da Fazenda, 18 sept. 1927.

20 . H.A. Bernatzik, Aethiopien des Westens : Forshungsreise in Portugiesisch Guinea, Vienne, Seidel und Sohn Verlag, 1933.

21 . AHU, DGCOc, Leite de Magalhães, 31 juil. 1931. Parfois généreusement illustrées de matériel photographique et artistique, d’autres expéditions furent entreprises par des ethnologues non portugais, par exemple dans les îles Bijago (H.A. Bernatzik, op. cit.).

22 . « Guiné », Separata, Boletim da Agência das Colónias, 44, 1929.

23 . L.A. de Carvalho Viegas, Guiné Portuguesa… op. cit.

24 . AHU, DGCOc, Viegas, 20 juin 1934.

25 Idem.

26 . A. Landerset Simões, Babel Negra, Porto, éd. de l’auteur, 1935.

27 L.A. de Carvalho Viegas, op. cit.

28 . A. Landerset Simões, op. cit. : 15.

29 . V. Lopes Ramos da Silva, Relatório sobre a região de Bissora, Boletim Oficial da Guiné Portuguesa, BOGP, 2, 30 oct. 1911.

30 . J.A. Castro Fernandes, Respostas aos quesitos… , BOGP, 2, 30 sept. 1911.

31 . E.J. Vasconcellos, Guiné Portuguesa…, op. cit.

32 Ibid. : 79.

33Ibid. : 99.

34Ibid. : 77-100.

35Ibid. : 100. Note de la rédaction : les grumetes étaient des Africains urbanisés, appelés aussi kriston (chrétiens).

36 . Ibid. : 97.

37 Ibid. : 3-50.

38 . Ibid. : 2.

39 Ibid. : 10-37.

40 Ibid. : 38. Les guerres qui ont conduit à l’occupation militaire de la Guinée ont été omises, bien que l’étude ait été publiée deux ans après la « pacification » (de la majeure partie) de sa population.

41 . A. Gomes Pimentel, « Questionário de inquérito sobre as raças da Guiné e seus caracteres étnicos […] acerca da Circunscrição Civil de Mansôa », BOGP, 50, 10 déc. 1927 ; et V. H. de Menezes, « Questionário sobre as raças da Guiné e seus caracteres étnicos […] acerca da Circunscrição Civil de Costa de Baixo », BOGP, 3, 1928.

42 . Selon le recensement de 1927-28, les Balantes étaient le groupe « ethnique » le plus nombreux de la colonie (82 736 âmes, soit 25,3 % de la population) ; les Manjaques le troisième groupe (53 914, soit 16,5 %) et les Mancanhes ou Brames le sixième groupe (16 698, soit 5,1 %) sur une population indigène totale de 327 157 habitants. Voir : « Guiné », Separata, 44, février 1929, Lisbonne, Boletim da Agência das Colónias : 168.

43 . V.H. de Menezes, op. cit. : 19-20 ; A. Gomes Pimentel, op. cit. : 8-9.

44Ibid. : 14.

45 . V.H. de Menezes, op. cit. : 12.

46 . L’immoralité attribuée aux Balantes est illustrée par le fait qu’ils envoient leurs femmes chez leurs amants avec l’obligation d’en revenir avec au moins un petit cochon » (Pimentel, op. cit. : 16). Ce type de pratiques étaient considérées comme proches de la prostitution.

47 . V.H. de Menezes, op. cit. : 12, 19.

48 Ibid. : 13.

49 . A. Gomes Pimentel, op. cit. : 9.

50 . V.H. de Menezes, op. cit. : 10.

51 Ibid. : 13.

52 . A. Gomes Pimentel, op. cit. : 15.

53 V.H. de Menezes, op. cit. : 21.

54 A. Landerset Simões, Babel Negra, op. cit. : 15.

55 . Les plus connus furent A. Alvares de Almada, Tratado Breve dos Rios de Guiné do Cabo Verde (1594), édité par António Brasio, Lisbonne, Ed. LIAM, 1964 et F. de Lemos Coelho, Duas Descrições Seiscentistas da Guiné (1669/1684), édité par Damião Peres, Lisbonne, Academia Portuguesa da História, 1990.

56 . A. Landerset Simões, op. cit. : 16.

57 . J.F. Torres Velez Caroço, Questionario etnográfico, op. cit.

58 Ibid. : 3.

59 Ibid. : 5.

60 Ibid. : 7.

*  Note de la rédaction : les Bayotes sont un peuple très minoritaire de Gambie, Casamance et de Guinée-Bissau, du groupe diola.

61 Ibid. : 32.

62 Ibid. : 148.

63 . H.A. Bernatzik, op. cit.

64 Cf. A.J. de Santos Lima, Organização Economica e Social dos Bijagos », Bissau, Centro de estudos da Guiné portuguesa (CEGP), 1947 : 101-111.

65 . D. Spender, Man Made Language, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1980 : 19.

66 . D. Cameron (ed.), The Feminist Critique of Language, Londres, Routledge, 1998.

67Cf. H.L. Moore, Feminism and Anthropology, Londres, Polity Press, l992 : 3-4, à propos des travaux de Edwin Ardener.

68 . Parmi les nombreuses publications sur le sujet, voir J. & J. Comaroff sur l’Afrique australe et leur Ethnography and the Historical Imagination, Boulder, Westview Press, 1992. Également les travaux de V.Y. Mudimbe, The Invention of Africa : Gnosis, Philosophy and the Order of Knowledge, Bloomington, Indiana University Press, 1988.

69 Cf. H.L. Moore, Feminism and Anthropology, op. cit., notamment le chapitre 5.

70 . D.L. Hodgson & S. McCurdy (eds), Wicked Women and the Reconfiguration of Gender in Africa, Portsmouth (NH), Heinemann, 2001 ; J.M. Allman (ed.), Women in African Colonial Histories, Bloomington, Indiana University Press, 2002 ; I. Berger & E.F. White (eds), Women in Sub-Saharan Africa : Restoring Women to History, Bloomington, Indiana University Press, 1999 ; C. Coquery-Vidrovitch, African Women : A Modern History, , Boulder, Westview Press, 1997.

71 . E. Sibeud, « Science de l’homme » coloniale ou science de « l’homme colonial », in A. Hugon (ed.), Histoire des femmes en situation coloniale : Afrique et Asie, xxe siècle, Paris, Karthala, 2004 : 173-198.

72 . P.J. Havik, Silences and Soundbytes : the Gendered Dynamics of Trade and Brokerage in the pre-Colonial Guinea Region, Münster, Lit Verlag/Piscataway (NJ), Transaction Publishers, 2004.

73 Ibid. : 354.

74 Cf. M.J. Hay, «Queens, Prostitutes and Peasants : Historical Perspectives on African Women, 1971-1986», Canadian Journal of African Studies, XXII (3) : 431-447.

75 . J.F. Torres Velez Caroço, op. cit. : 5.

76 . L. Vaz de Sampayo e Mello, « Alguns aspectos do eterno feminino nas Colónias (Esquisso ethnográfico) », O Mundo português, III (27) et III (28), 1936 : 173-177.

77 . L. Vaz de Sampayo e Mello, op. cit. : 174.

78 Ibid. : 173.

79 Ibid. : 174.

80 Ibid. : 175.

81 Ibid. : 176.

82 Ibidem.

83 Ibid. : 176.

84 Ibid. : 59.

85 Ibid. : 59-60.

86 Ibid. : 60.

87 Ibid. : 62-63.

88 . « L’école de Porto » d’ethnologie, dirigée par Mendes Correia, s’opposa de manière véhémente à la « dégénérescence », tout en reconnaissant les problèmes que cela posait pour la classification des races (A.A. Mendes Correia, Raças do Império, Porto, Portucalense Editora, 1943 : 365). Et la priorité continua d’être donnée aux « tribus rafinées » telles que les Fulas de l’intérieur, tandis que les Bijagos restaient relégués aux échelons inférieurs de l’échelle raciale/somatique (Ibid. : 368-378).

89 . J. de Oliveira Diniz, Negócios indígenas, Lisbonne, Typ. Adolpho de Mendonça, 1919 : 10.

90 Ibid. Sur la question de l’eugénisme colonial du point de vue des relations de genre et dans une perspective comparative, voir A.L. Stoler, Carnal Knowledge and Imperial Power: gender, race and morality in Colonial Asia, in Micaela Di Leonardo (ed.), Gender at the Crossraods of Knowledge: feminist anthropology in the post modern era, Berkeley, University of California Press, 1991 : 51-101 (72-80).

91Ibid. : 9.

92Ibid. : 10.

93Ibid.

94 . « Les villages indigènes » devaient être séparés des villes civilisées, et subdivisés en quartiers : les plus proches du centre pour les groupes christianisés, ceux de la périphérie devant accueillir les communautés islamisées (Commissão Municipal de Bolama, Relatório e Contas, Bolama, Imprensa Nacional, 1935).

95 Republica Portuguesa, Assistência aos Indígenas da Colónia da Guiné : instrução e beneficência, Bolama, Imprensa Nacional da Guiné, 1933.

96 Ibid. : 194.

97 . Le fait que le gouvernement local, confronté à des restrictions financières, ait préféré soutenir les postes de santé villageois plutôt qu’un club social en ville, était un signe des temps (BOGP, 14, 3 avril 1933). À titre comparatif, pour l’Afrique occidentale française avoisinante, voir, en ce qui concerne les programmes sanitaires, A.L. Conklin, A Mission to Civilize…, op. cit., notamment sur Jules Carde (gouverneur général de l’AOF, 1923-30) qui introduisit des réformes de politique sanitaire dans les années vingt. Les objectifs démographiques et de soins de santé de J. Carde, vus comme partie intégrante de la mission civilisatrice de la France, incluait déjà une orientation en faveur de soins de santé materno-infantile (Ibid. : 221-222).

98 . Les « conseils aux personnes atteinte de la syphilis » insérés dans le livre contient un paragraphe sur « comment ne pas transmettre de maladies vénériennes à vos femmes » (Landerset Simões, op cit : 153).

99 . En contexte urbain, on retrouve des préoccupations du même genre, par exemple relativement aux activités « suspectes » des mestras, belles-mères ou gardes d’enfants qui étaient responsables de l’éducation (informelle) des filles envoyées par leurs parents de l’intérieur. Ces mestras, vivant « de manière révoltante » dans les villes de Bolama et Bissau, « où les Blancs et les Noirs vivaient dans la promiscuité », étaient accusées d’inciter les enfants, âgés de dix à treize ans, à faire le trottoir (AHU, DGCoc, 1931-1934, Viegas, 15 juillet 1933).

100 . Viegas, Guiné Portuguesa, op cit, I, 1936 : 151.

101 . L.A. de Carvalho Viegas, Guiné Portuguesa, II, op. cit. : 124.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Philip Havik, « Les Noirs et les « blancs » de l’ethnographie coloniale »Lusotopie, XII(1-2) | 2005, 55-76.

Référence électronique

Philip Havik, « Les Noirs et les « blancs » de l’ethnographie coloniale »Lusotopie [En ligne], XII(1-2) | 2005, mis en ligne le 30 mars 2016, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1181 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-0120102006

Haut de page

Auteur

Philip Havik

Instituto de investigação científica tropical. Centro de estudos africanos e asiáticos (Lisbonne)

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search