Navigation – Plan du site

AccueilNumérosXIV(1)ÉtudeLula II, un vote de reconnaissance

Étude

Lula II, un vote de reconnaissance

Lula II, um voto de reconhecimento
Lula II, A Vote of Gratitude
Stéphane Monclaire
p. 13-68

Résumés

L’élection présidentielle brésilienne d’octobre 2006 a été aisément remportée par le président Lula. Au même moment, le Parti des travailleurs (formation dont Lula est le chef historique) a, pour la première fois de son histoire, reculé en nombre de voix lors des élections législatives. À ce décalage s’ajoute la nette métamorphose de la distribution spatiale et sociale du vote Lula. Pourquoi Lula a-t-il obtenu tant de voix au plan national, tout en baissant dans les groupes sociaux et les régions qui avaient beaucoup contribué à sa victoire en 2002 ?
Pour l’expliquer, cet article part de l’offre politique et montre que celle-ci a été fortement conditionnée par les règles électorales et le faible niveau d’instruction et de politisation d’une grande partie de la population. Puis il analyse la nature des représentations et opinions que les Brésiliens (à commencer par les couches populaires, principale composante du corps électoral) avaient de Lula et de l’action de son gouvernement ; il souligne la forte corrélation du vote Lula avec des indicateurs de pauvreté et démontre que les suffrages recueillis massivement par Lula au sein de ces couches populaires, et auquel celui-ci doit sa victoire, relèvent avant tout d’un vote de reconnaissance.

Haut de page

Entrées d’index

Index géographique :

Brésil
Haut de page

Texte intégral

  • 1  Depuis l’adoption, en juin 1997, d’un amendement constitutionnel, les titulaires de mandats exécut (...)
  • 2  Les votes valides correspondent à ce que le droit français appelle hypocritement les « suffrages e (...)
  • 3  Les quatre autres gouvernorats étant ceux des États d’Acre (déjà aux mains du PT en 2002), du Pará (...)

1En octobre 2006, Luiz Inácio Lula da Silva, alors âgé de 61 ans, président de la République fédérative du Brésil et communément appelé « Lula », a été aisément réélu à son poste1 avec 58 277 084 voix (soit 60,8 % des suffrages « valides »2), rééditant son score confortable d’octobre 2002 (61,3 %). Comme les fois précédentes, ce scrutin présidentiel était jumelé avec les élections législatives et des gouverneurs. Le parti des travailleurs (PT), formation co-fondée par Lula en 1980, passée au fil des ans – du moins son courant majoritaire – d’une gauche radicale à une social-démocratie inavouée et qui avait toujours progressé en pourcentages de voix et en élus aux élections des gouverneurs, législatives et municipales, a cette fois-ci obtenu des résultats très disparates. Car si le PT a gagné cinq fauteuils de gouverneurs (soit deux de plus qu’en 2002, dont celui de l’État nordestin de Bahia – un des plus peuplés du pays et qui, de longue date, était aux mains de conservateurs populistes)3, il a nettement reculé en voix dans ses bastions historiques du Sud-Est et du Sud du pays. Et si, en sièges, il est resté relativement stable au Sénat et a cédé un peu de terrain à la Chambre (voir annexes 1 et 2), il a en revanche perdu beaucoup de voix lors de ces législatives : en 2002 les candidats du PT à la députation fédérale (qu’ils fussent sortants ou non) avaient totalisé environ 16 094 000 de voix dans le pays ; en 2006 ils n’en ont reçu que 13 990 000 bien qu’en quatre ans le nombre des personnes inscrites sur les listes électorales ait progressé de 9,24 %. Ce net recul tient, principalement, à une sanction de nombreux électeurs politisés à l’encontre d’un parti qui, depuis 2005, a été mêlé à des scandales et ayant ainsi perdu, à leurs yeux, une bonne part de la crédibilité éthique qui avait toujours constitué l’un de ses principaux atouts électoraux. L’aggravation de ce décalage frappant entre la masse de suffrages recueillie par Lula et les votes en faveur des candidats pétistes s’est en outre accompagnée (les deux phénomènes sont liés) d’un fort déplacement géographique et sociologique de l’électorat Lula et de l’électorat du PT. Que s’est-il donc passé ? Pourquoi Lula a-t-il obtenu tant de voix au plan national, tout en baissant dans les groupes sociaux et les régions qui avaient beaucoup contribué à sa victoire en 2002 ? Comment expliquer cette métamorphose de la distribution sociale et spatiale du vote Lula ?

2Ce texte décrira et analysera ces changements de comportements électoraux. Il indiquera d’abord, et commentera rapidement, les principales règles électorales (mode de scrutin, investitures des candidats, droit de vote…) dont l’anticipation a pesé sur la configuration de l’offre politique et les registres de mobilisations électorales. Puis il soulignera les caractéristiques majeures du corps électoral, notamment les faibles niveaux d’instruction et de politisation d’une grande majorité de ses membres. Ces prolégomènes aideront alors à saisir la nature des représentations et opinions dominantes que les Brésiliens (à commencer par les couches populaires, principale composante du corps électoral) avaient de Lula et de l’action de son gouvernement et à comprendre comment ces représentations et opinions ont très souvent sous-tendu leurs préférences électorales. Enfin sera mise en lumière l’existence de très fortes corrélations statistiques entre le nombre de voix en faveur de Lula et diverses variables socio-économiques ou politiques. De sorte qu’au fil des pages, les suffrages recueillis par Lula au sein des couches populaires apparaîtront comme relevant avant tout d’un vote de reconnaissance ; le vote d’opinion étant surtout une pratique des couches moyennes et supérieures.

  • 4  Cet article réunit le contenu de diverses communications faites par l’auteur, à l’approche et aux (...)

3Cet article4 ne s’attardera pas sur le déroulement de la campagne, ni sur les scores respectifs de chacun de candidats en lice. Pour beaucoup de Brésiliens cette élection présidentielle s’est résumée, pendant des mois, à un choix entre Lula et, pour ainsi dire, des inconnus. Certes, dès le mois d’avril 2006 les « principaux » candidats s’étaient déclarés et le président Lula n’allait pas tarder à le faire ; mais seul un quart des inscrits connaissaient (et souvent très vaguement) ces candidats « principaux », alors que tout le monde connaissait Lula, du moins son personnage. Dans ces conditions, pour saisir ce qui a déterminé ou orienté le choix électoral de ces Brésiliens-là, le lecteur a-t-il absolument besoin de connaître dès maintenant le nom des candidats qui briguaient le Planalto (l’Élysée brésilien) et leurs spécificités respectives ? D’autant qu’au fil de la campagne et des sondages, nul de ces candidats n’a semblé être en mesure de pouvoir battre Lula. Pourtant, à l’été 2005, le président était empêtré dans les sombres affaires de corruption impliquant la haute direction de son parti. Il fut même alors donné battu dans les sondages au cas où il briguerait un second mandat consécutif, mais durant seulement quelque temps et seulement face à José Serra, son principal adversaire de 2002. Or ce dernier ne s’est finalement pas présenté. Bref, la façon dont ce texte est construit a également pour but de ne pas encourager le lecteur à privilégier a priori des pistes (par exemple celle des différentiels de ressources partisanes entre candidats) qui ne permettent guère, ou qu’indirectement, d’expliquer ces forts niveaux d’intentions de vote en faveur de Lula puis ces dizaines de millions de suffrages recueillis par le président-candidat, ni d’en saisir la signification et les motifs.

Sigles et acronymes utilisés
Les partis politiques
PAN Parti des retraités de la nation
PCB Parti communiste brésilien
PCdoB Parti communiste du Brésil
PCO Parti de la cause ouvrière
PDT Parti démocratique travailliste
PFL Parti du front libéral
PHS Parti humaniste de la solidarité
PL Parti libéral
PMDB Parti du mouvement démocratique brésilien
PMN Parti de la mobilisation nationale
PP Parti progressiste (ancien PPB, parti progressiste du Brésil)
PPS Parti populaire socialiste
PRB Parti républicain brésilien
PRONA Parti de la réédification de l’ordre national
PRP Parti républicain progressif
PRTB Parti rénovateur travailliste brésilien
PSB Parti socialiste brésilien
PSC Parti social chrétien
PSDB Parti de la sociale démocratie brésilienne
PSDC Parti social-démocrate chrétien
PSL Parti social libéral
PSOL Parti socialisme et liberté
PSTU Parti socialiste unifié des travailleurs
PT Parti des travailleurs
PTB Parti travailliste brésilien
PTC Parti travailliste chrétien
PTdoB Parti travailliste du Brésil
PTN Parti travailliste national
PV Parti vert

Les 27 unités fédératives (UF, voir carte)
AC Acre
AL Alagoas
AM Amazonas
AP Amapá
BA Bahia
CE Ceará
DF District Fédéral (assimilé à une UF)
ES Espírito Santo
GO Goiás
MA Maranhão
MG Minas Gerais
MS Mato Grosso do Sul
MT Mato Grosso
PA Pará
PB Paraíba
PE Pernambuco
PI Piauí
PR Paraná
RJ Rio de Janeiro
RN Rio Grande do Norte
RO Rondônia
RR Roraima
RS Rio Grande do Sul
SC Santa Catarina
SE Sergipe
SP São Paulo
TO Tocantins

Sigles institutionnels ou associatifs
ANJ Association nationale des journaux
IBGE Institut brésilien de géographie et statistique
IBOPE Institut brésilien d’opinion publique et statistique
IPEA Institut de recherche économique appliquée (du gouvernement brésilien)
IVC Institut de vérification de la diffusion (des journaux)
FMI Fonds monétaire international
OMC Organisation mondiale du commerce
PNAD Programme national d’analyse de données
PNUD Programme des Nations unies pour le développement
Secom Sous-secrétariat à la Communication institutionnelle du Secrétariat général de la Présidence du Brésil
SGM Secrétariat général de la Chambre des députés
TSE Tribunal supérieur électoral
Unifem Fonds de développement des Nations Unies pour la femme

Sigles divers
ESEB Études électorales brésiliennes (organisées par des universités)
Gini Indice, du nom du statisticien italien Corrado Gini (1884-1965), consistant à mesurer le degré d’inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée, par exemple par décile de cette population
IDH Indice du développement humain (du PNUD)

L’interdépendances des scrutins

  • 5  Par souci de simplification, on assimile ici le District fédéral (Brasília, capitale fédérale) à u (...)
  • 6  À la Chambre, chaque unité fédérative dispose de 8 à 70 sièges selon l’importance de sa population (...)
  • 7  Chaque Assemblée comporte de 24 à 94 sièges. Cette fourchette étant plus étroite que celle existan (...)

4Tous les quatre ans, depuis 1994, le Brésil procède simultanément à cinq élections. Dans cette République fédérative, le même jour sont désignés au suffrage universel direct et pour quatre ans, les titulaires des mandats publics des exécutifs et législatifs de l’Union (c’est-à-dire de l’État fédéral) et de chacune des 27 unités fédératives (c’est-à-dire des 26 États fédérés et du District fédéral de Brasília, la capitale administrative du pays)5. Ainsi, le dimanche 1er octobre 2006, les Brésiliens avaient à élire, s’agissant de l’Union, le président de la République et les membres du parlement bicaméral, appelé Congrès, composé de la Chambre des députés (513 sièges) et du Sénat (81 sièges renouvelés alternativement à un tiers puis aux deux tiers – ce 1er octobre, seul un tiers des sièges était à pourvoir)6. S’agissant des exécutifs et législatifs des unités fédératives, les Brésiliens devaient choisir les gouverneurs (un par unité fédérative) et les 1 059 membres des Assemblées législatives d’État (une par unité fédérative)7. Bref, 1 627 mandats étaient en jeu et chaque électeur avait à voter cinq fois, une par poste disputé : président, gouverneur, sénateur, député fédéral et député d’État. Seule la présidentielle se disputait à l’échelle du pays, celui-ci formant alors une circonscription unique. Les quatre autres élections avaient pour cadre les unités fédératives ; chacune des 27 unités formant une circonscription souveraine.

  • 8  Pour une bonne synthèse des nombreux travaux sur le fédéralisme, la présidence, le Congrès et les (...)

5De ces cinq élections simultanées, c’est la présidentielle qui a retenu le plus l’attention des journalistes, des électeurs, de la société civile organisée et, plus encore, du personnel politique. Car au caractère national – donc unificateur – du scrutin, s’ajoutait l’importance du poste mis en jeu. De fait, bien que la constitution de 1988 ait accru le caractère décentralisé du fédéralisme brésilien, l’Union dispose de plus amples prérogatives que les unités fédératives. Au sein de celle-ci, la séparation entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif est de type présidentiel : le président est donc à la fois chef de l’État et chef du gouvernement ; il est politiquement irresponsable (le Congrès ne peut le révoquer qu’en cas de délit pénal et non au motif de ses actes politiques). Constitutionnellement, le président se voit offert plus de possibilités d’agir (ou d’empêcher) que le Congrès ; ce qui lui permet fréquemment de contourner les réticences ou oppositions de parlementaires à sa politique. La pratique a encore accru sa prééminence8. De sorte que le président brésilien est, sur le plan intérieur, l’un des chefs d’État les plus puissants du monde démocratique. Il a, par exemple, plus de pouvoirs que le président des États-Unis d’Amérique. Ce que permet de faire ce poste décuple donc les appétits politiques des leaders des principaux partis et pousse ces derniers à briguer le Planalto. Il amène aussi les chambres patronales, les organisations syndicales et la plupart des grandes associations à vouloir peser sur l’issue du scrutin. La nature et la saillance des enjeux, la valeur des candidats en lice et ces mobilisations électorales multisectorielles, en contribuant à forger l’importance de l’événement, conduisent la presse et de très nombreux inscrits à accorder un surcroît d’attention à cette élection.

  • 9  Exemple de cette incidence : les nécessités d’ordre pratique et juridique de collaboration entre U (...)

6La primauté de l’élection présidentielle ne rend pas, pour autant, ce scrutin autonome des autres. D’une part, ne serait-ce qu’à travers l’incidence du canevas institutionnel de tous ces postes sur la structuration et la saillance des enjeux construits ou réactualisés de ces cinq élections9, la simultanéité de celles-ci ne peut pas être synonyme d’une juxtaposition de compétitions électorales dont le seul point commun serait d’être disputé le même jour. D’autre part, plusieurs règles juridiques très pointilleuses, autres que celle stipulant cette simultanéité des scrutins et plutôt inhabituelles en droit électoral comparé, contribuent à rendre interdépendantes et interactives les compétitions pour la conquête de ces postes. Ces règles ne nivellent pas cette interdépendance, ni ne tendent à rendre ces scrutins uniformes, puisqu’elles exercent sur les partis et les offres politiques que ceux-ci avancent des effets contraires. Chacune de ces règles, du moins les principales, sera rapidement indiquée et commentée.

Modes de scrutin, conditions et opportunités de candidature

  • 10  Pour savoir combien de sièges cette liste obtiendra, on additionne les suffrages s’étant portés su (...)

7Les 1 627 mandats n’étaient pas attribués selon les mêmes règles. Aux différences de type de circonscription déjà mentionnées, s’ajoutaient celles des modes de scrutin. Depuis 1994, trois modes de scrutins distincts coexistent ; ce qui complique encore plus le choix des stratégies d’alliances électorales des partis, freine l’avènement d’un système homogène de partis et ne procure évidemment pas le même niveau de légitimité électorale aux élus. Le scrutin est uninominal, majoritaire et à deux tours pour la présidence et le gouvernorat, mais à un tour pour le Sénat. Concernant les sièges de députés fédéraux et d’État, il est proportionnel à liste ouverte non ordonnée ; l’électeur peut soit voter pour une des listes présentes, soit pour un des noms figurant sur l’une de ces listes10 (il s’agit de modalités de vote très rares en droit électoral comparé, puisque seuls le Chili, la Finlande, la Pologne et le Pérou la pratiquent encore).

  • 11  Donc, à la Convention nationale pour la présidentielle, à la Convention d’État pour les gouverneur (...)

8Pour pouvoir briguer l’un des 1 627 mandats, il fallait d’abord satisfaire aux habituelles conditions d’éligibilité (nationalité, âge, jouissance des droits civiques). Il était également indispensable (autre et importante originalité du droit brésilien) d’être membre d’un parti politique puisque la loi réserve aux seuls partis politiques le droit de présenter des candidats ; du fait de ce monopole, tous les postes électifs, du président de la République jusqu’au moindre député municipal de la plus petite commune (car la règle vaut aussi pour les élections des maires et des membres des Chambres municipales) sont aux mains des partis. Plus exactement, il fallait être membre d’un des 29 partis reconnus comme tel par la justice électorale, c’est-à-dire ayant respecté chacune des nombreuses étapes procédurales requises pour leur reconnaissance. Enfin, il fallait avoir adhéré à ce parti au moins douze mois avant la date du scrutin et il fallait que les dirigeants du parti l’aient voulu. Car, précise la loi, c’est à la Convention du parti correspondant à l’échelon dans lequel se dispute le scrutin11 qu’incombe la décision de présenter ou non un candidat à tel ou tel poste et le choix du ou des personnes qui concourront à ce(s) poste(s) ; la convention étant un organe collégial composé des dirigeants et des délégués du parti dudit échelon. Évidemment, ces règles d’investiture handicapent fortement la centralisation des partis brésiliens puisqu’elles offrent, sur la question essentielle du recrutement des candidats et donc des futurs élus, des pouvoirs considérables aux dirigeants locaux.

  • 12  Comme lors des élections précédentes (élection présidentielle mise à part), la moyenne du nombre d (...)
  • 13  De 1994 (première fois où la présidentielle fut jumelée avec les autres scrutins, et première fois (...)
  • 14  Sur cette topographie et la difficulté à en rendre compte, lire S. Monclaire, Élections et partis (...)

9Chaque parti avait jusqu’au 30 juin 2006 pour désigner ses candidats. Au total, pas moins de 17 749 candidats (dont seulement 13,8 % de femmes) furent investis12 ; cela sans compter les candidats aux postes de vice-président, vice-gouverneurs, premier et second suppléant de sénateur. Ce fut 949 de plus qu’en 2002, soit une hausse de 5,6 %. Si cette hausse n’a rien d’inédite (elle est continuelle depuis 1986), elle est cependant plus faible que celle enregistrée dans les années 199013 et résulte principalement de deux facteurs. De nombreux scandales ayant éclaboussé la Chambre des députés depuis le printemps 2005, beaucoup de très petits partis imaginèrent que les électeurs allaient sanctionner les députés sortants, jugèrent donc opportun de concourir davantage à la Chambre qu’ils ne l’avaient fait en 2002 ; à cet effet, ils présentèrent plus de listes de candidats. Par ailleurs et surtout, un nouveau parti venait d’être reconnu comme tel par la justice électorale. Baptisé PSOL, sa direction était essentiellement composée de déçus et d’exclus du PT. Cette jeune formation, clairement positionnée à « gauche » (terme qui, bien qu’il fasse sens pour les politologues, les journalistes politiques, les électeurs les plus politisés et le personnel politique, n’est guère employé par eux, tant l’axe gauche-droite, il est vrai, se prête mal à une description et à la compréhension de la topographie – mouvante, peu objectivée et de moins en moins contrastée – de l’espace politique brésilien)14, a présenté presque partout des candidats aux divers mandats mis aux voix.

  • 15  Art. 4-§1 de Instrução n° 55, classa 12, du 26 février 2002, formant la Resolução 20 993, même dat (...)
  • 16  Supposons que le Brésil compte 7 partis (A, B, C, D, E, F et G), que les partis A et B forment un (...)

10L’appréciation, par le personnel politique, de l’opportunité de présenter ou non des candidats à tel ou tel poste est tributaire de règles juridiques qui, une fois encore, sont rares en droit électoral comparé. De fait, divers dispositifs juridiques subordonnent la configuration des alliances électorales opérables dans les unités fédératives aux alliances scellées au niveau national. En effet, lors du scrutin présidentiel, l’électeur est sommé de choisir, non pas un candidat, mais un « ticket » (chapa) composé d’un candidat à la présidence et d’un candidat à la vice-présidence. Rien n’interdit que les deux personnes composant un ticket appartiennent à des partis différents. En ce cas, toutefois, c’est à la Convention nationale de chacun des deux partis concernés qu’incombe la décision de présenter ce ticket commun. Les Brésiliens nomment ce type d’alliance partisane « coalition » (coligação). Si la loi n’impose aucune restriction quant au choix du parti partenaire, son interprétation jurisprudentielle – assez contestable et apparue au printemps 2002 – considère que « tout parti qui présenterait, isolément ou en coalition, un candidat à l’élection présidentielle ne peut pas former de coalition pour une élection de gouverneur avec un parti qui aurait lancé, isolément ou dans une autre alliance, un candidat à cette présidentielle »15. Les Brésiliens appellent ce principe « verticalisation » (verticalização). De par son existence, le nombre et la composition des tickets présentés dans la circonscription nationale réduisent les possibilités de coalition dans les circonscriptions administrativement inférieures16. Or, cette règle en a entraîné une autre, qui oblige des partis coalisés pour le gouvernorat de telle unité fédérative à ne pas briguer chacun de leur côté les postes de sénateurs, de députés fédéraux et d’État de cette unité, de sorte que les possibilités de coalition s’en sont trouvées encore plus restreintes.

  • 17  Le PSB présentait un ticket propre ; PT et PL, PSDB et PFL, PPS et PTB présentaient des tickets co (...)

11Aussi, dans ce Brésil où la plupart des partis sont des conglomérats raisonnés de structures locales et n’ont donc pas d’implantation nationale (leur carte électorale ressemble à un gruyère à très larges trous), les chefs locaux de ces partis sont souvent hostiles, pour pouvoir s’allier avec qui bon leur semble dans leur unité fédérative et maximiser ainsi leur chance de victoire, à ce que leur parti présente un ticket ou participe à un ticket présidentiel. Ainsi en 2002, on ne compta que 7 tickets. Parmi les 15 partis jugés « importants », « moyens » ou « petits » (qualificatifs ordinairement attribués par la presse et – avec quelques réserves – par les politologues au motif qu’ils siègent à la Chambre sans y détenir les mêmes quantités de sièges), seuls 6 avaient alors choisi de présenter ou de participer à un ticket ; et parmi les 13 partis dits « minuscules » (puisque ne comptant aucun député à la Chambre), seuls 3 l’avaient fait17. En 2006 ce réflexe de méfiance à l’égard des opportunités d’avoir un ticket (propre ou commun) pour la présidentielle a été d’autant plus grand que la course au Planalto semblait presque, au vu des sondages, jouée d’avance. Seuls 4 des 16 partis siégeant à la Chambre (soit une proportion moindre qu’en 2002) ont présenté ou participé à un ticket

12Tous ces dispositifs juridiques, parce qu’ils affectaient les possibilités de candidatures, ont pesé sur la constitution de l’offre politique et, par-là même, sur le résultat des élections de 2006. Mais ce résultat découle aussi des mobilisations électorales entreprises et de leur efficacité respective. Les modes et registres de ces mobilisations furent évidemment choisis en fonction de critères techniques (leur coût financier, leur légalité, leur facilité de mise en œuvre) et en fonction de la taille et du profil des publics visés. Or le droit brésilien, par sa large définition du « peuple souverain » et plus encore par les devoirs qu’il impose aux membres de ce peuple, conduit les candidats et les partis à privilégier certains modes et registres de mobilisation, et de ce fait pèse donc également, quoique indirectement, sur le déroulement et l’issue des campagnes électorales. Plus exactement, c’est la composition et les caractéristiques sociologiques du peuple souverain tel qu’il est juridiquement défini, combiné aux devoirs juridiques et sociaux des personnes formant ce peuple, qui pousse à adopter ces modes et registres et qui, du même coup, détermine en partie le déroulement et l’issue des campagnes électorales.

Massivité de l’électorat et de la pauvreté

  • 18  Sur son site internet (<www.ibge.gov.br/home/>), l’IBGE indique son estimation du nombre d’habitants et l’actualise chaqu</www> (...)
  • 19  Sans sa carte d’électeur (document attestant de son inscription sur les listes électorales mais au (...)
  • 20  En 2006, près de 47 % des 16-17 ans étaient inscrits. Plus de 65 % des plus de 70 ans l’étaient ég (...)
  • 21  Pour éviter la présence de doubles, triples ou quadruples inscrits sur ses listes, la justice élec (...)
  • 22  Ainsi, à la mi-février 2007, la justice électorale faisait savoir qu’elle s’apprêtait à rayer de s (...)
  • 23  En effet, prétendre infléchir le résultat d’un scrutin ayant pour circonscription une unité fédéra (...)

13Pour départager les 17 749 candidats, près de 126 millions de « citoyens » (dont 51,5 % de femmes), très inégalement répartis entre les 27 unités fédératives (voir tableau I), tous de nationalité brésilienne et inscrits sur les listes électorales, étaient appelés aux urnes. Quantitativement, ce corps électoral était le quatrième du monde, en tout cas parmi les pays démocratiques. Il équivalait à 67,1 % de la population brésilienne. Pour qui connaît le poids démographique des jeunes au sein de cette population, ce pourcentage paraîtra très élevé. L’IBGE (institut brésilien cumulant les fonctions de l’INSEE et de l’IGN français) estimait qu’au 1er octobre 2006, la population brésilienne était forte de 187 702 000 habitants (dont environ 51,5 % de Blancs, 42 % de métis et 6 % de Noirs)18 et que 31,2 % d’entre eux devaient alors avoir moins de 16 ans. Autrement dit, le corps électoral correspondait à 97,5 % de la population brésilienne âgée de 16 ans ou plus. C’est considérable. Certes, les données de l’IBGE ne sont que des estimations. Pour les établir, cet organisme s’est basé sur le dernier recensement en date, celui de l’an 2000, et sur ses enquêtes intercensitaires réalisées annuellement et appelées PNAD (celle de 2005 – dernière publiée à ce jour – a été effectuée au mois de septembre de cette année-là auprès de 408 148 personnes appartenant à 142 471 foyers, choisis pour leur représentativité statistique). Puis il a calculé l’évolution probable des grandes variables démographiques habituelles selon la zone du pays (taux de natalité, espérance de vie, flux migratoires). Il n’est donc pas impossible qu’en octobre 2006 la population brésilienne fût en réalité légèrement supérieure à celle estimée. Mais même en ce cas, le pourcentage d’inscrits par rapport aux habitants de 16 ans ou plus resterait de toute façon bien au-dessus des 90 %. En fait, trois raisons expliquent ce pourcentage colossal. D’une part et surtout, le Brésil est un des très rares pays au monde dans lesquels s’inscrire et voter est obligatoire. Ce n’est facultatif que pour les analphabètes, les 16-17 ans et les plus de 70 ans. Or, non seulement presque toutes les personnes juridiquement visées par cette obligation d’inscription se conforment à la règle19, mais la grande majorité de celles pour qui l’inscription est facultative Figure sur les listes20. D’autre part, toutes les personnes qui décèdent ne sont pas immédiatement rayées des listes, loin s’en faut. Dans le cas – très fréquent – où la justice électorale (organe chargé d’établir et de vérifier ces listes) n’a point été avertie du décès d’un électeur, celui-ci continuera d’y figurer tant que la justice n’aura pas constaté qu’il a manqué trois scrutins successifs (par exemple, les élections générales de 2002, les municipales de 2004 et le référendum sur la vente libre des armes de 2005) puisque la règle est d’ôter des listes toute personne trois fois de suite abstentionniste. De même, alors qu’au Brésil les flux migratoires restent importants, les noms des personnes qui se réinscrivent dans leur nouveau municipe de résidence ne sont pas toujours automatiquement et immédiatement rayés de la liste du bureau de vote de leur ancien municipe21 ; en cas d’omission, là encore il faudra attendre trois abstentions successives pour que le nom soit rayé de cette liste là22. Ces retards administratifs quant aux morts et aux migrants ont donc pour effet de gonfler artificiellement le nombre d’inscrits. À cela s’ajoute l’inscription frauduleuse de faux électeurs. Celle-ci semble cependant très marginale ; elle se limite probablement aux tout petits municipes23 et n’a donc qu’un effet minime sur le nombre total d’inscrits.

Tabl. I — L’inégale répartition géographique des inscrits entre unités fédératives

Régions

Unités fédératives

Sigles

Nombre

d’inscrits

%

Norte

Acre

AC

412 840

0,33

Amazonas

AM

1 781 316

1,42

Amapá

AP

360 614

0,29

Pará

PA

4 157 735

3,30

Rondônia

RO

988 631

0,79

Roraima

RR

233 596

0,19

Tocantins

TO

882 728

0,70

Total

8 817 460

7,01

Nordeste

Alagoas

AL

1 859 487

1,48

Bahia

BA

9 109 353

7,24

Ceará

CE

5 361 581

4,26

Maranhão

MA

3 920 608

3,12

Paraíba

PB

2 573 766

2,05

Pernambuco

PE

5 834 512

4,64

Piauí

PI

2 073 504

1,65

Rio Grande do Norte

RN

2 101 144

1,67

Sergipe

SE

1 299 785

1,03

Total

34 133 740

27,13

Centro-Oeste

Distrito Federal

DF

1 655 050

1,32

Goiás

GO

3 734 185

2,97

Mato Grosso do Sul

MS

1 561 181

1,24

Mato Grosso

MT

1 940 270

1,54

Total

8 890 686

7,07

Sudeste

Espírito Santo

ES

2 336 133

1,86

Minas Gerais

MG

13 679 738

10,87

Rio de Janeiro

RJ

10 891 293

8,66

São Paulo

SP

28 037 734

22,28

Total

54 944 898

43,67

Sul

Sul

Sul

Paraná

PR

7 121 257

5,66

Rio Grande do Sul

RS

7 750 583

6,16

Santa Catarina

SC

4 168 495

3,31

Total

19 040 335

15,13

Brésil

125 827 119

100,00

Hors Brésil

ZZ*

86 360

Total général

125 913 479

* Les personnes inscrites à l’étranger (ZZ), ne peuvent participer qu’au scrutin présidentiel.
Source : Tribunal Superior Eleitoral (TSE)

  • 24  À ce jour, répétons-le, les chiffres de 2006 ne sont pas encore connus mais ne peuvent pas être tr (...)
  • 25  Les Brésiliens disent « extrêmement pauvres ».
  • 26  En 2005, il fallait en moyenne 2,76 reais pour un euro. Au cours de ce texte, compte-tenu des fluc (...)
  • 27  Trois de ces dix pays étaient latino-américains (Haïti, Bolivie et Colombie) ; les six autres appa (...)

14Corps électoral et population âgée de 16 ans ou plus étant donc presque synonymes, on peut, sans grand risque d’erreur, attribuer au premier les caractéristiques de la seconde. Comme elle, il est très majoritairement urbain (41 % des inscrits 2006 résident dans des municipes de 100 000 inscrits ou plus) et réside principalement le long de la bande du littoral atlantique, avec un surcroît de concentration dans la région Sudeste, particulièrement dans l’État de São Paulo (22,3 % des inscrits à lui seul). Comme elle, sa couleur de peau est de plus en plus blanche lorsque le regard descend des zones équatoriales vers l’Argentine et le Paraguay (Noirs et métis formant 76 % de la population du Norte, 70 % de celle du Nordeste, 57 % de celle du Centro-Oeste, 39 % de celle du Sudeste et seulement 17 % de celle du Sud). Comme elle, il est perclus d’inégalités de revenus. Selon le PNAD 200524, le Brésil comptait 34,1 % de « pauvres » – ce pourcentage comprenant les 13,2 % de Brésiliens « indigents ». Était alors étiquetée « pauvre » et « indigente »25 par les démographes, toute personne ayant un domicile fixe et dont le revenu familial mensuel per capita était respectivement inférieur à 162,6 reais (alors environ 59 €) et à 81,3 reais (29,5 €)26. Ces pourcentages et ces plafonds de ressources sont particulièrement choquants pour un pays dont le produit intérieur brut (PIB) était alors le onzième de la planète et laissent deviner que le Brésil avait en 2005, parmi 126 pays et selon l’ONU, le dixième plus mauvais indice GINI (indice mesurant les inégalités de répartition sociale des revenus)27. Les revenus des inscrits sont très disparates.

15Bien que l’IBGE dans ses recensements et ses PNAD distingue les personnes économiquement actives et non actives pour chaque tranche d’âge (celles-ci démarrant à l’enfance puisqu’en 2005 – chiffres légèrement en baisse par rapport aux années antérieures –, environ 2,9 millions d’habitants âgés de 5 à 16 ans et 2,5 millions âgés de 16 et 17 ans, scolarisés ou non, exerçaient une activité rémunérée), cet institut n’a malheureusement jamais communiqué le montant moyen des revenus mensuels individuels au sein de la population âgée de 16 ans ou plus. Chaque fois que l’IBGE fournit des statistiques sur les revenus, sa population de base est celle des habitants âgés de 10 ans ou plus. Toutefois, comme le nombre de ces jeunes est arithmétiquement faible une fois rapporté à l’ensemble des habitants, et puisque les revenus qu’ils perçoivent sont très probablement modestes, on peut se faire une idée assez précise du revenu personnel des inscrits à partir des données du PNAD (voir tableau 2). Parmi les habitants âgés de 10 ans et plus, le revenu personnel (lié ou non à des activités exercées dans les secteurs formel ou informel, et qui peut donc être constitué de salaires, de bénéfices mais aussi de retraites, d’allocations, etc.) n’était en 2005 en moyenne que de 527 reais (191 €), soit 1,75 fois le salaire minimum légal brésilien de l’époque (ce salaire minimum étant alors de 300 réais – soit un niveau inférieur à celui généralement pratiqué en Amérique latine. Ce revenu individuel était, en moyenne, encore plus maigre parmi les femmes et en zone rurale.

Tabl. II — Nombre d’habitants âgés de 10 ans ou plus, et valeur moyenne de leurs revenus selon leur sexe, leur zone d’habitat et leur situation d’activité économique (2005)

Nombre d’habitants

âgés de 10 ans ou plus

(par milliers)

Montant (en reais et en moyenne)
du revenu mensuel

ayant un revenu propre (salaire, retraites, etc.)

ayant ou non un revenu propre

Parmi les habitants ayant un revenu propre

Parmi les habitants ayant ou non un revenu propre

Brésil

99 979

152 740

799

527

Parmi les économiquement actifs

80 644

96 032

835

709

Parmi les non-actifs

19 335

56 698

649

222

Hommes

53 762

73 795

944

695

Hommes économiquement actifs

46 978

54 291

958

839

Hommes non actifs

6 783

19 496

849

296

Femmes

46 217

78 945

631

371

Femmes économiquement actives

33 665

41 741

664

541

Femmes non actives

12 552

37 201

541

183

Zone urbaine (hommes + femmes)

84 8526

127 490

869

583

Économiquement actifs

67 770

78 211

913

800

Non actifs

17 056

49 271

695

241

Zone rurale (hommes + femmes)

15 153

25 250

410

247

Économiquement actifs

12 874

17 821

429

312

Économiquement inactifs

2 279

7 427

305

94

16Remarque : la situation d’activité est celle déclarée par les personnes et correspondant à celle de la semaine où l’enquête intercensitaire est réalisée. On ne peut donc pas tirer de ces chiffres, par exemple, un pourcentage du nombre de chômeurs pour l’année 2005. Source : IBGE/PNAD 2005.

L’ampleur des inégalités sociales

  • 28  Sur l’ampleur de ces inégalités, voir les nombreuses cartes et lire les commentaires de H. Thery (...)

17L’ampleur des inégalités de répartition sociale des revenus saute aux yeux dès lors qu’on ordonne les économiquement actifs selon l’importance de leurs revenus respectifs (tableau III). Alors que neuf millions de personnes touchaient en moyenne 94 reais par mois (donc pas même un tiers du salaire minimum), un peu plus de trois millions d’autres en recevaient en moyenne 6 157 par mois (soit 65,5 fois plus). Le revenu mensuel du travail variait aussi fortement selon la couleur de la peau et le sexe : alors que pour un homme blanc il était en moyenne de 913 reais (soit un petit peu plus que trois salaires minimums), il était de 562 reais pour une femme blanche, de 450 reais pour un homme noir ou métis et de 290 reais pour une femme noire ou métisse. Ces écarts statistiques considérables traduisent et signalent de très fortes disparités quotidiennes des conditions de vie des Brésiliens, donc des inscrits, des sondés et des votants. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la morphologie et la sociographie des attentes des inscrits quant à l’action de l’État. Tous ces chiffres, bien sûr, sont nationaux. Selon les régions, les unités fédératives et les communes, ces inégalités peuvent s’avérer tantôt moindres, tantôt plus fortes encore, puisque le niveau de développement diffère beaucoup d’un endroit du pays à un autre28. Pour s’en tenir aux régions, c’est au Nordeste que les proportions de pauvres et d’indigents sont les plus fortes. Cette triste situation ne tient pas qu’à l’histoire, qu’à des problèmes d’eau ou de climats, de richesse des sols et des sous-sols. Les responsabilités des élites politiques locales et des gouvernements fédéraux de ces dernières décennies sont grandement engagées.

Tabl. III — Nombre de personnes économiquement actives, âgées de 10 ans ou plus, réparties selon leur tranche de revenus personnels, et valeur moyenne de leurs revenus (2005)

Nombre (en milliers) et en % de
personnes économiquement actives

Montant du revenu individuel
des actifs (en reais)

Hommes

Femmes

H & F

Hommes

Femmes

H & F

De 0 à 1/2 salaire minimum (SM)

3 551

6,5 %

5 453

13,1 %

9 003

9,4 %

94

87

90

> à 1/2 SM jusqu’à 1 SM

9 523

17,5 %

8 402

20,1 %

17 925

18,7 %

267

269

268

> à 1 SM jusqu’à 2 SM

15 522

28,6 %

10 883

26,1 %

26 405

27,5 %

469

450

461

> à 2 SM jusqu’à 3 SM

6 425

11,8 %

3 295

7,9 %

9 720

10,1 %

754

758

762

> à 3 SM jusqu’à 5 SM

5 842

10,8 %

2 877

6,9 %

8 719

9,1 %

1 193

1 187

1 191

> à 5 SM jusqu’à 10 SM

3 860

7,1 %

1 900

4,6 %

5 760

6,0 %

2 208

2 166

2 194

> à 10 SM jusqu’à 20 SM

1 546

2,8 %

677

1,6 %

2 223

2,3 %

4 368

4 311

4 350

> à 20 SM

709

1,3 %

179

0,4 %

888

0,9 %

10 860

9 971

10 681

Sans revenu

6 638

12,2 %

7 697

18,4 %

14 335

14,9 %

-

-

-

Revenu inconnu car

non déclaré

674

1,2 %

379

0,9 %

1 053

1,1 %

-

-

-

Total

54 291

100,0 %

41 741

100,0 %

96 032

100,0 %

839

541

709

Source : pour les valeurs absolues, IBGE/PNAD 2005 et calcul des valeurs relatives et élaboration du tableau, S. Monclaire

  • 29  Le revenu mensuel familial per capita est égal à l’ensemble des revenus de toute nature reçus par (...)

18Toutefois, concernant la situation matérielle des individus, le revenu personnel est un indicateur moins pertinent que le revenu familial per capita29 puisque la plupart des personnes (actives ou non économiquement) ne vivent pas seules, bénéficient donc plus ou moins des revenus des autres membres du foyer et partagent très souvent leurs soucis (que ces membres aient ou non l’âge d’être inscrits sur les listes électorales). C’est donc ce revenu familial per capita qui doit être pris en considération, dès lors qu’on prétend regarder si telle ou telle opinion, tel choix électoral, sont corrélés avec le niveau de revenus des sondés ou des électeurs. En 2005 et en moyenne nationale, le revenu familial per capita était inférieur à un salaire minimum (donc inférieur à 10 €) dans 62 % des foyers (tableau IV). Si dans les régions Sud et Sudeste (regroupant respectivement 15,1 % et 43,7 % des inscrits) cette proportion n’était que de 41 %, celle-ci atteignait 72 % au Nordeste (région réunissant 27,1 % des inscrits du pays). Autrement dit, c’est sans conteste dans la région Nordeste (certes avec des fluctuations d’un municipe à l’autre) qu’était géographiquement concentré l’électorat indigent : 58 % des 4 889 000 foyers brésiliens dans lesquels le revenu familial per capita était inférieur à un quart du salaire minimum étaient nordestins ; et 40,2 % de 9 465 000 foyers dans lequel ce revenu était compris entre un quart et un demi SM l’étaient aussi, alors même que le Nordeste n’est pas la région la plus peuplée du pays (elle comptait en 2006 un tiers d’inscrits de moins que la Région Sudeste).

Tabl. IV — Nombre et pourcentages des foyers par tranche de revenus mensuels familial per capita, et par région (2005)

Tranches de revenus

Brésil

Norte

Nordeste

Sudeste

Sul

C. Oeste

Régions (valeurs absolues)

milliers

milliers

milliers

milliers

milliers

milliers

de 0 à 1/4 du SM

4 889

490

2 860

988

335

216

de 1/4 SM jusqu’à 1/2 SM

9 465

989

3 808

3 008

997

662

> à 1/2 SM jusqu’à 1 SM

15 318

1 208

4 059

6 581

2 255

1 215

> à 1 SM jusqu’à 2 SM

13 234

788

2 023

6 870

2 599

954

> à 2 SM jusqu’à 3 SM

4 776

225

543

2 644

1 026

339

> à 3 SM jusqu’à 5 SM

3 730

169

419

2 080

788

275

> à 5 SM

3 466

115

386

2 022

639

304

Sans revenu

1 572

165

585

553

148

120

Revenu inconnu (non déclaré)

948

27

165

630

102

25

Total

57 397

4 176

14 848

25 376

8 888

4 109

Régions (valeurs relatives)

%

%

%

%

%

%

de 0 à 1/4 salaire

minimum (SM)

8,5

11,7

19,3

3,9

3,8

5,3

de 1/4 SM jusqu’à 1/2 SM

16,5

23,7

25,6

11,9

11,2

16,1

> à 1/2 SM jusqu’à 1 SM

26,7

28,9

27,3

25,9

25,4

29,6

> à 1 SM jusqu’à 2 SM

23,1

18,9

13,6

27,1

29,2

23,2

> à 2 SM jusqu’à 3 SM

8,3

5,4

3,7

10,4

11,5

8,3

> à 3 SM jusqu’à 5 SM

6,5

4,0

2,8

8,2

8,9

6,7

> à 5 SM

6,0

2,8

2,6

8,0

7,2

7,4

Sans revenu

2,7

4,0

3,9

2,2

1,7

2,9

Revenu inconnu

1,7

0,6

1,1

2,5

1,1

0,6

Total

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Répartition régionale

%

%

%

%

%

%

de 0 à 1/4 du SM

100,0

10,0

58,5

20,2

6,9

4,4

de 1/4 SM jusqu’à 1/2 SM

100,0

10,4

40,2

31,8

10,5

7,0

> à 1/2 SM jusqu’à 1 SM

100,0

7,9

26,5

43,0

14,7

7,9

> à 1 SM jusqu’à 2 SM

100,0

6,0

15,3

51,9

19,6

7,2

> à 2 SM jusqu’à 3 SM

100,0

4,7

11,4

55,4

21,5

7,1

> à 3 SM jusqu’à 5 SM

100,0

4,5

11,2

55,8

21,1

7,4

> à 5 SM

100,0

3,3

11,1

58,3

18,4

8,8

Sans revenu

100,0

10,5

37,2

35,2

9,4

7,6

Revenu inconnu

100,0

2,8

17,4

66,5

10,8

2,6

Total

100,0

7,3

25,9

44,2

15,5

7,2

Source : pour les valeurs absolues, IBGE/PNAD 2005, et pour le calcul des valeurs relatives et élaboration du tableau, S. Monclaire

19La grande synonymie entre corps électoral et habitants âgés de 16 ans ou plus présente également l’avantage de pouvoir connaître, en moyenne, le niveau d’instruction des inscrits, en tout cas tel que le définissent et le mesurent les démographes de l’IBGE à travers le questionnaire présenté lors des enquêtes de recensement ou des enquêtes intercensitaire. Or, même si ce niveau n’a cessé de s’élever depuis une vingtaine d’années et à un rythme accéléré depuis le milieu des années 1990, il reste relativement bas, puisqu’il s’avère être fréquemment inférieur ou très inférieur à celui de la plupart des pays latino-américains ou des pays émergents.

Une majorité d’électeurs peu instruits

  • 30  Notamment les travaux réalisés et publiés par l’Institut Paulo Montenegro et, plus particulièremen (...)
  • 31  Sur la difficulté à définir l’analphabétisme, donc à le mesurer, et sur la manière dont il a été m (...)

20Les résultats du PNAD 2006 ne devant être publiés qu’en septembre 2007, il faut se contenter des données du PNAD 2005. Dans celui-ci, 11 % des 135,5 millions d’habitants alors âgés de 15 ans ou plus étaient qualifiés d’« analphabètes absolus » et 23,5 % d’« analphabètes fonctionnels ». Les premiers sont « les personnes incapables de lire et d’écrire un simple billet dans la langue de leur connaissance » ; les seconds sont « les personnes qui déclarent avoir été scolarisées moins de quatre ans » (les classes de maternelles n’étant point comptabilisées). Car l’IBGE, se fondant sur divers travaux et enquêtes statistiques de sociologues de l’éducation30, considère qu’en deçà de quatre années d’études les enquêtés ont très probablement beaucoup de mal à comprendre le sens d’un très court texte (lu ou entendu) comprenant des notions abstraites, y compris celles liées à la vie quotidienne31. De par ces définitions, la catégorie « analphabètes fonctionnels » inclut nécessairement les « analphabètes absolus ».

  • 32  Ainsi, parmi les 12,2 millions d’habitants ayant en 2005 de 18 à 24 ans, près des deux tiers (7,7 (...)
  • 33  Dans le PNAD 2004 les taux d’analphabétisme absolu et fonctionnel étaient respectivement de 11,4 % (...)

21Avoir recensé les analphabètes fonctionnels donne de la population brésilienne une tout autre photographie que celle qu’aurait délivrée une enquête qui se serait bornée à comptabiliser les personnes ne sachant ni lire ni écrire. Cette photographie s’avère très utile aux politologues désireux de comprendre les choix électoraux des inscrits brésiliens (on précisera bientôt pourquoi). Certes l’enquête du PNAD 2005 a été réalisée en septembre 2005, soit 15 mois avant la présidentielle d’octobre 2006. Au cours de ces quelques mois, comme lors de ces dernières années, les taux d’analphabétisme (absolu et fonctionnel) ont évidemment baissé sous l’effet conjugué : 1°) du décès des Brésiliens très âgés et qui appartenaient donc à des tranches d’âges dans lesquelles l’analphabétisme était très répandu ; 2°) de la poursuite du parcours scolaire des jeunes (phénomène qui s’est accentué à compter du milieu des années 1990) ; et 3°) de la participation (là, le phénomène est plus récent) de nombreux Brésiliens aux programmes d’alphabétisation pour adultes32. Toutefois, à en juger par les écarts constatés entre 2003 et 2004, puis entre 2004 et 200533, cette baisse n’a pu être que légère et n’empêche donc pas d’écrire qu’en 2006, le collège électoral était pour un quart composé d’analphabètes fonctionnels ; ce qui est énorme et oblige tout candidat à adapter fortement son discours pour obtenir les suffrages de ces électeurs-là.

22Selon les régions (mais aussi selon les unités fédératives, selon les communes et leurs quartiers), la proportion d’analphabètes variait beaucoup (voir tableaux V et VI) ; ces variations correspondaient, fort logiquement et globalement à celles observées en matière de revenus, de pauvreté et d’indigence (puisque l’activité professionnelle exercée et la rémunération de celle-ci dépendent très souvent du niveau d’instruction). Au Nordeste, l’analphabétisme fonctionnel touchait en moyenne un individu sur trois et était ainsi deux fois plus élevé qu’au Sul et au Sudeste (avec, certes, des nuances d’un État fédéré à l’autre). Au sein de chacune des unités fédératives, les taux d’analphabétisme passaient généralement du simple au double entre zones urbaines et zones rurales. Toujours en 2005, dans les unités fédératives économiquement peu développées, non seulement l’analphabétisme était en moyenne deux fois plus élevé que dans les unités développées, mais il touchait généralement plus les hommes que les femmes, car depuis des générations, une immense partie des jeunes garçons ont été contraints de travailler pour vivre et à ne pas aller à l’école ou à abandonner celle-ci très tôt, tandis que leurs sœurs tendaient à y aller davantage et à y rester plus longtemps. Dans les unités fédératives les plus développées, là où beaucoup de familles peuvent plus aisément consentir à l’effort financier qu’exige une longue scolarisation, c’étaient les enfants destinés à devenir chef de famille, c’est-à-dire les garçons et – en grandissant – les hommes qui étaient moins analphabètes que les femmes.

Tabl. V — Taux d’analphabétisme absolu (%) parmi les personnes de 15 ans ou plus par sexe et selon leur zone de résidence (2005)

Régions, États
et régions métropolitaines

Total

Hommes

Femmes

Zone urbaine

Zone rurale

Norte

11,5

12,8

10,4

8,9

20,0

Rondônia

10,0

9,9

10,0

8,7

12,7

Acre

21,1

23,7

18,7

13,8

39,4

Amazonas

6,7

6,8

6,6

5,2

12,4

Roraima

12,2

13,8

10,6

11,1

16,7

Pará

12,7

14,6

10,8

9,6

22,6

Région métropolitaine de Belém

4,3

4,5

4,1

4,2

10,0

Amapá

7,2

8,7

5,9

6,8

13,3

Tocantins

16,3

17,3

15,3

13,2

24,1

Nordeste

21,9

24,0

20,0

16,4

36,4

Maranhão

23,0

25,2

20,9

17,3

35,1

Piauí

27,4

32,4

22,8

18,5

42,9

Ceará

22,6

26,0

19,4

17,7

38,4

Région métropolitaine de Fortaleza

12,0

13,2

10,9

11,4

30,5

Rio Grande do Norte

21,5

24,2

18,9

17,4

32,6

Paraíba

25,2

28,2

22,4

20,8

41,7

Pernambuco

20,5

21,9

19,2

15,5

38,0

Région métropolitaine de Recife

9,6

8,5

10,6

9,3

23,5

Alagoas

29,3

31,5

27,2

22,1

44,0

Sergipe

19,7

21,9

17,6

15,4

39,5

Bahia

18,8

19,4

18,2

12,7

31,6

Région métropolitaine de S.

6,1

5,3

6,8

5,9

15,5

Sudeste

6,5

5,8

7,2

5,7

17,2

Minas Gerais

10,0

9,5

10,6

8,0

21,8

Région métropolitaine
de Belo H.

5,3

4,2

6,2

5,1

15,8

Espírito Santo

8,7

7,9

9,4

7,0

17,1

Rio de Janeiro

4,8

4,4

5,2

4,5

16,4

Région métropolitaine
do Rio de J.

3,9

3,4

4,2

3,8

14,9

São Paulo

5,4

4,4

6,3

5,1

11,4

Région métropolitaine de São Paulo

4,6

3,8

5,2

4,4

8,0

Sul

5,9

5,2

6,5

5,1

9,8

Paraná

7,1

5,9

8,2

6,3

11,6

Région métropolitaine de Curitiba

3,8

2,9

4,7

3,4

8,7

Santa Catarina

5,2

4,6

5,7

4,4

8,9

Rio Grande do Sul

5,2

4,9

5,5

4,4

8,8

Région métropolitaine de Porto A.

3,5

2,7

4,1

3,3

7,0

Centro-Oeste

8,9

8,7

9,1

7,9

15,4

Mato Grosso do Sul

9,1

7,9

10,2

8,6

11,8

Mato Grosso

9,7

9,7

9,8

8,2

14,9

Goiás

10,2

10,2

10,2

9,1

18,5

Distrito Federal

4,7

4,6

4,7

4,4

10,1

Brésil

11,0

11,3

10,8

8,4

25,0

Remarque : tous les habitants recensés par l’IBGE n’ont pas nécessairement la nationalité brésilienne et ne sont donc pas des inscrits effectifs ou potentiels. Source : IBGE/PNAD 2005.

Tabl. VI — Taux d’analphabétisme fonctionnel (%) parmi les personnes de 15 ans ou plus, par sexe et selon la zone de résidence en 2005

Régions, États
et régions métropolitaines

Total

Hommes

Femmes

Zone urbaine

Zone rurale

Norte

27,1

29,6

24,8

21,9

43,7

Rondônia

28,9

29,1

28,7

25,2

36,8

Acre

35,5

39,1

32,1

25,2

61,0

Amazonas

20,0

20,6

19,3

15,9

35,2

Roraima

24,2

28,1

20,1

22,2

31,9

Pará

29,8

33,5

26,4

23,9

48,7

Région métropolitaine de Belém

14,9

15,7

14,3

14,5

34,7

Amapá

16,8

18,5

15,3

16,1

28,8

Tocantins

29,5

32,6

26,3

24,3

42,6

Nordeste

36,3

39,4

33,4

28,5

56,7

Maranhão

40,5

44,3

36,8

31,7

59,1

Piauí

41,8

47,5

36,6

30,3

62,0

Ceará

35,6

39,2

32,4

29,0

57,1

Région métropolitaine de Fortaleza

21,6

22,3

21,1

20,9

47,7

Rio Grande do Norte

32,3

35,9

29,0

27,1

46,4

Paraíba

38,3

41,5

35,3

32,9

58,3

Pernambuco

32,4

34,8

30,2

25,9

55,1

Région métropolitaine de Recife

18,2

17,4

18,8

17,7

38,4

Alagoas

42,1

44,1

40,3

33,3

60,4

Sergipe

34,1

37,4

31,1

28,8

58,6

Bahia

35,6

38,2

33,1

26,1

55,6

Région métropolitaine de S.

15,3

15,1

15,5

15,0

33,5

Sudeste

17,5

16,6

18,3

15,8

38,4

Minas Gerais

23,0

23,1

22,9

19,0

45,8

Région métropolitaine de Belo H.

13,1

11,5

14,5

12,8

34,2

Espírito Santo

20,3

19,5

21,0

16,9

37,7

Rio de Janeiro

15,7

14,4

16,8

15,0

37,8

Région métropolitaine do Rio de J.

13,5

11,9

14,8

13,4

32,2

São Paulo

15,4

14,2

16,6

14,6

29,2

Région métropolitaine de São Paulo

13,3

12,0

14,4

13,0

21,0

Sul

18,0

16,8

19,1

15,6

29,5

Paraná

21,5

20,1

22,8

19,0

35,1

Région métropolitaine de Curitiba

14,8

13,0

16,5

13,4

29,7

Santa Catarina

15,6

14,5

16,6

13,3

26,9

Rio Grande do Sul

16,1

15,1

17,0

13,7

26,5

Région métropolitaine de Porto A.

11,6

10,1

13,0

10,9

25,3

Centro-Oeste

21,4

21,9

20,9

18,9

36,8

Mato Grosso do Sul

23,2

22,0

24,3

21,4

33,6

Mato Grosso

23,9

25,0

22,8

19,6

38,6

Goiás

23,6

24,4

22,9

21,4

39,5

Distrito Federal

11,1

11,3

10,9

10,7

18,4

Brésil

23,5

24,1

23,0

19,3

45,8

Remarque : Tout analphabétisme absolu étant aussi – forcément – fonctionnel, ces pourcentages incluent les analphabètes absolus. Source : IBGE/PNAD 2005.

  • 34  L. Pinheiro et al., Retrato das desigualdades : genro e raça, Brasília, Instituto de Pesquisa Econ (...)

23En 2005, pour l’ensemble du pays, la durée moyenne de scolarisation était de 7 ans (6,8 pour les hommes et 7,1 pour les femmes). En zone rurale, elle est beaucoup plus basse encore : 4,2 ans. Comme annoncé, elle déclinait chez les personnes âgées (voir tableau VII) et, comme redouté, elle divergeait selon la couleur de la peau. Ainsi selon les données du PNAD 2004, 15,3 % des Blancs de 25 ans ou plus avaient été scolarisées au moins 12 ans, alors que seuls 5,1 % des Noirs de cet âge l’avaient été. Et parmi la population de plus de 60 ans, on comptait 25 % de Blancs analphabètes et 47 % de Noirs ou métis analphabètes34. En fonction de ces données, on devine qu’une grosse partie des 103,6 millions d’habitants non analphabètes alors âgés de 15 ans ou plus n’avaient pas fait de longues études. De fait, environ 16,7 millions avaient été scolarisés au moins 4  ans mais n’étaient allés tout plus que jusqu’à la « 4e série » (soit, en France, la classe de CM2) ; 35,5 millions avaient été au-delà mais s’étaient arrêtés au maximum à la « 8e série » (classe clôturant l’enseignement « fundamental » et correspondant, en France, à la classe de troisième) ; 36,8 millions avaient poursuivi mais n’avaient pas été au-delà, tout au plus, de l’enseignement « médio » (c’est-à-dire de la terminale) ; donc seuls 14,6 millions étaient entrés à l’université mais sans nécessairement y être resté longtemps. Le tableau VIII traduit ces quantités en pourcentages.

Tabl. VII — Nombre d’années d’études effectuées, en moyenne par les personnes de 15 ans ou plus selon leur tranche d’âge (2005) Taux d’analphabétisme fonctionnel

Régions, États et régions métropolitaines

15 ans

et +

16 ans

17 ans

18 ans

19 ans

De 20

à 24 ans

De 25

à 59 ans

60 ans

et plus

Norte

6,4

6,3

7,0

7,3

7,8

8,0

6,6

2,7

Rondônia

6,0

6,6

7,1

7,3

8,2

7,9

5,9

2,1

Acre

5,9

6,6

6,6

7,3

8,2

7,4

6,0

1,8

Amazonas

7,2

6,4

7,2

7,5

8,0

8,5

7,4

3,3

Roraima

7,0

7,2

8,1

8,2

9,1

8,5

6,7

2,5

Pará

6,2

6,0

6,5

7,0

7,2

7,5

6,3

2,9

R.M de Belém

7,9

6,6

7,4

8,1

8,8

7,8

8,2

2,4

Amapá

7,8

7,0

7,8

8,6

9,3

9,1

8,0

2,6

Tocantins

6,3

7,0

7,5

7,7

8,3

8,5

6,4

1,9

Nordeste

5,6

6,2

6,6

7,0

7,4

7,5

5,7

2,3

Maranhão

5,2

6,0

6,5

6,8

7,2

7,1

5,1

1,5

Piauí

5,1

5,7

6,8

6,6

6,8

7,1

5,0

2,2

Ceará

5,8

7,0

7,1

7,5

8,1

8,1

5,7

2,2

R.M de Fortaleza

7,3

7,3

7,7

8,6

8,8

6,9

7,4

2,7

Rio Grande do Norte

6,0

6,6

6,8

7,0

8,1

7,8

6,2

2,5

Paraíba

5,4

5,9

6,1

6,8

7,3

7,1

5,6

2,3

Pernambuco

6,0

6,3

6,8

7,0

7,4

7,7

6,1

2,9

R.M de Recife

7,6

6,9

7,7

8,1

8,3

7,4

7,9

2,7

Alagoas

4,8

5,7

6,3

6,6

6,3

6,6

4,8

1,8

Sergipe

5,9

5,8

6,0

6,7

7,0

7,9

6,1

2,7

Bahia

5,7

6,0

6,7

7,3

7,2

7,7

5,7

2,3

R.M de Salvador

8,0

6,8

7,5

8,1

8,4

7,9

8,2

2,4

Sudeste

7,7

7,8

8,5

9,1

9,5

9,8

7,9

4,4

Minas Gerais

6,8

7,5

8,0

8,6

8,9

9,1

6,9

3,1

R.M de Belo Horizonte

8,0

7,8

8,4

8,9

9,7

7,7

8,2

2,7

Espírito Santo

7,3

7,4

8,2

9,1

9,4

9,1

7,3

4,0

Rio de Janeiro

8,0

7,4

8,0

8,6

9,3

9,6

8,3

5,6

R.M do Rio de Janeiro

8,3

7,5

8,1

8,9

9,5

8,2

8,7

2,5

São Paulo

8,0

8,1

8,9

9,5

9,8

10,1

8,2

4,4

R.M de São Paulo

8,3

8,1

8,9

9,5

9,9

8,0

8,5

2,9

Sul

7,4

7,7

8,4

9,1

9,4

9,6

7,6

4,1

Paraná

7,3

7,6

8,5

9,2

9,5

9,7

7,5

3,5

R.M de Curitiba

8,3

7,8

8,8

9,7

9,8

8,0

8,6

2,9

Santa Catarina

7,6

8,0

8,7

9,4

10,0

9,8

7,8

3,9

Rio Grande do Sul

7,4

7,6

8,2

8,9

8,9

9,4

7,6

4,6

R.M de Porto Alegre

8,3

7,7

8,3

9,0

9,2

8,1

8,5

2,6

Centro-Oeste

7,2

7,4

8,0

8,6

8,9

9,1

7,4

3,3

Mato Grosso do Sul

6,9

7,4

7,9

8,1

8,5

8,7

7,1

3,1

Mato Grosso

6,8

7,4

8,0

8,4

8,7

8,7

6,8

2,5

Goiás

6,9

7,4

7,9

8,7

8,7

9,1

6,9

2,9

Distrito Federal

9,0

7,7

8,4

9,2

9,8

10,1

9,3

5,9

Brésil

7,0

7,1

7,8

8,3

8,6

8,9

7,2

3,6

Remarque : l’inscription et le vote sont facultatifs pour les 16-17 ans et pour les plus de 70 ans. Source : IBGE/PNAD 2005.

Tabl. VIII — Niveau d’étude estimé des personnes âgées de 15 ou plus (2005)*

Niveaux formels

Équivalences des classes en France

%

 % cumulé

Nombre (en millions)

Nombre cumulé (en millions)

Analphabétisme absolu

11,0

11,0

14,9

14.9

Analphabétisme fonctionnel

12,5

23,5

16,9

31,8

Au moins 4 ans d’études et, au maximum, jusqu’à la 4° série

Jusqu’à la classe de 7°

12,3

35,8

16,7

48,5

De la 5° à la 8° série

De la 6° à la 3°

26,2

62,0

35,5

84,0

Enseignement « médio »

De la 2° à la

terminale

27,2

89,2

36,9

120,9

Enseignement supérieur

10,8

100,0

14,6

135,5

* Il s’agit là d’une estimation puisque à ce jour l’IBGE n’a pas encore indiqué quelle était, en moyenne et par type d’enseignement, le niveau d’études des habitants âgés de 15 ans ou plus. Ces pourcentages sont t outefois proches de ceux communiqués à la suite du PNAD 2004. Ils ont été calculés par l’auteur, en se fondant notamment sur le nombre de brésiliens par age ou tranche d’âges et sur le nombre d’années d’études faites en moyenne par ces derniers.
Source : PNAD 2005/S. Monclaire

24On peut donc en conclure qu’à l’approche de la campagne présidentielle de 2006, durant celle-ci et le jour du scrutin, près de 48 % des inscrits (qu’ils fussent encore scolarisés ou qu’ils aient quitté depuis peu, depuis longtemps, voire très longtemps les établissements scolaires) n’avaient pas dépassé la « 4e série » et l’enseignement primaire. Et près de 60 % des personnes appelées aux urnes n’avaient pas dépassé la « 8e série » et atteint l’enseignement « médio » (qui, en France, correspond au second cycle du secondaire). De sorte qu’en moyenne, le niveau d’instruction scolaire des Brésiliens était faible.

  • 35  Le rapport aux autres, l’élaboration des identifications (négatives ou positives) et la constituti (...)

25Or, au Brésil comme ailleurs, le niveau d’instruction est d’ordinaire la variable sociologique la plus discriminante quant au niveau de politisation des individus : moins un inscrit est instruit, plus il peine à s’intéresser, à comprendre la politique et à donner un sens politique précis aux événements. C’est dire combien les suffrages des Brésiliens sont loin de tous renfermer des opinions politiques sophistiquées. Pour autant, les électeurs les moins instruits ainsi que les sondés supposés les représenter statistiquement, ne sont pas des « ânes politiques ». Les opinions dites « politiques » ne tiennent pas qu’à la détention – statistiquement mesurable – de diverses informations constitutives d’une connaissance phénoménologique (élémentaire ou profonde) du champ politique. Faut-il, par exemple, connaître le parti du président de la République pour avoir une opinion sur son action ? En octobre 2002, c’est-à-dire à quelques jours du second tour de l’élection présidentielle (période propice à l’acquisition ou à la ré-acquisition de connaissances politiques et période de socialisation politique puisque la population était alors, bien plus que d’habitude, exposée à des messages discursifs ou visuels comportant des données d’ordre politique) et donc à trois mois de la fin du mandat du président Fernando Henrique Cardoso, seuls 49 % des Brésiliens âgés de 16 ans ou plus savaient, selon un sondage réalisé par l’ESEB, quel était le parti politique du chef de l’État ; et cela alors que : 1°) Cardoso siégeait au Planalto depuis plus de sept ans ; 2°) il n’avait jamais changé de parti depuis qu’il avait, en juin 1988, co-fondé le PSDB ; 3°) son parti détenait, depuis plus de trois ans, sept gouvernorats (dont ceux de São Paulo, Minas Gerais qui à eux deux regroupaient 33 % des inscrits et des sondés) ; et 4°) ce parti était le second en nombre de sièges à la Chambre des députés. Parmi les sondés n’ayant pas dépassé, lors de leur scolarisation, l’ensino fundamental (pour la France, la classe de troisième), seuls 22 % ont pu citer ce parti. Mais cette ignorance n’interdit pas tout jugement substantiel sur Cardoso. Avec leurs mots (et non avec le langage trop souvent inhibant employé par les sondeurs, ni bien évidemment avec le langage normé et habile des professionnels de la politique ou le langage alambiqué des universitaires), les électeurs et les sondés peu instruits expriment, sur des sujets dont ils perçoivent certaines dimensions concrètes, des opinions consistantes et ayant leur logique propre35. Des sondages au questionnaire adéquat et, plus encore, des enquêtes par panels montrent qu’au fil des semaines précédant un scrutin présidentiel, les personnes les moins instruites repèrent des différences (pas imaginaires, mais fondées) entre les principaux candidats, distinguent certains des enjeux les plus construits et diffusés par ces candidats ou/et par la presse audio-visuelle (voir infra).

26Compte tenu de ces caractéristiques majeures de la composition du corps électoral (forte présence de personnes aux revenus modeste et au niveau d’instruction bas), tout candidat à la présidence de la République qui obtient les suffrages d’une large majorité de ces personnes-là est assuré d’accéder au Planalto. Or, si à la fin février 2006 (c’est-à-dire à 19 semaines de la date butoir à laquelle tout parti devait avoir investi ses candidats), diverses personnalités politiques, on l’a vu, hésitaient, à se lancer personnellement ou à lancer leur parti dans la course au Planalto, ce n’était pas uniquement à cause des effets redoutés de la « verticalisation ». C’était aussi parce que, à en croire les sondages d’intentions de vote, Lula, dans ces catégories sociales là disposaient d’une large avance, quel que soit l’adversaire que les sondeurs lui opposaient. Reste évidemment à comprendre pourquoi Lula disposait d’une telle avance.

Intentions et types de vote

27À peine Lula était-il assis dans le fauteuil présidentiel (son mandat a débuté le 1er janvier 2003), que les instituts de sondages demandaient aux Brésiliens pour qui ils voteraient « si l’élection avait lieu aujourd’hui ». Jusqu’au premier semestre 2005 et à s’en tenir aux chiffres publiés, Lula était largement réélu. Mais à compter de juin 2005, l’éclosion d’une sombre affaire de financement occulte du PT impliquant la haute direction de cette formation, et les forts soupçons d’achat de voix de quelques dizaines de députés pour faire adopter par la Chambre les projets de lois gouvernementaux (affaire et soupçons largement construits par un déluge médiatique) avaient aussitôt provoqué une terrible crise politique et entraîné, dès l’été 2005, un décrochage de Lula dans les sondages. Fin 2005, faute de preuves incriminant directement Lula et de par les divisions de l’opposition parlementaire quant à l’opportunité d’enclencher ou non une procédure d’impeachment contre le chef de l’État, la crise s’atténua et Lula remonta peu à peu dans les sondages. Fin février 2006, il retrouvait ses niveaux d’intentions de vote d’avant la crise et était donné vainqueur, au second tour, contre les deux candidats possibles du PSDB, formation de l’ancien président Cardoso, passée, en presque vingt ans, de la social-démocratie à un néolibéralisme plus ou moins affiché et partiel, puisque sur certains points (par exemple, les finances publiques) la posture néolibérale était flagrante et assumée alors qu’elle n’était pas prépondérante sur d’autres (par exemple, en matière d’organisation du système de santé). Lula battait de justesse José Serra (ancien ministre de Cardoso et déjà candidat en 2002) et très nettement Geraldo Alckmin (alors gouverneur de l’État de São Paulo, principale unité fédérative du pays). Quelques semaines plus tard, les sondages donnèrent Lula vainqueur dès le premier tour, là encore quels que fussent ses adversaires possibles et alors même que Lula n’avait pas encore officiellement dit qu’il était candidat à sa propre succession et ne faisait pas véritablement campagne. Et plus juin s’approchait, moins les sondages ne laissaient espérer une défaite de Lula.

28Bien sûr, il ne s’agissait là que de sondages. Les intentions de votes comptabilisées par les instituts n’étaient pas toutes « consolidées » (elles le sont lorsque le sondé dit qu’il votera sûrement pour tel candidat, sauf événement extraordinaire). De surcroît, les pourcentages publiés par ces instituts étaient calculés sur les intentions de vote valide et non sur l’ensemble des réponses possibles qui, elles, incluent « je ne sais pas », « blanc » et « nul ». Mais parmi les électorats à faible revenu et à faible niveau d’études, les intentions consolidées s’élevaient de semaine en semaine et atteignaient des niveaux supérieurs à ceux observés quatre ans plus tôt. La proportion d’intentions de votes valides y était également un plus élevée qu’en 2002. Or, ces électorats-là – si arithmétiquement décisifs pour le résultat du scrutin – se disaient très favorables au gouvernement Lula et s’apprêtaient, en grande majorité, à voter pour lui (tableaux IX et X). Et dans les électorats plus fortunés et instruits, Lula obtenait de bons scores, même s’il n’en était pas toujours le candidat préféré. C’est cela qui donnait à penser que Lula, sauf grave erreur de sa part ou si éclatait un scandale politiquement bien exploité et donc électoralement dévastateur, avait course gagnée.

Tabl. IX — Évolution des pourcentages d’intentions de vote « valide », pour le 1er tour en faveur de Lula et Geraldo Alckmin (candidat possible, puis candidat officiel du PSDB) selon le revenu des sondés (revenu exprimé en nombre de salaires minimums, SM)

Mois

LULA

ALCKMIN

De 0
à 1 SM

+1
à 2

+2 à
5

+5 à
10

+ de
10

De 0
à 1 SM

+1 à
2

+2 à
5

+5 à 10

+ de
10

12/2004

54

48

44

48

45

7

14

16

21

23

03/2005

45

44

40

38

46

6

9

14

20

25

07/2005

46

40

38

34

29

6

9

14

25

27

08/2005

36

32

29

28

27

7

7

15

20

29

09/2005

46

37

31

27

24

7

11

17

24

28

10/2005

37

35

32

31

22

7

12

15

21

25

12/2005

36

36

28

26

30

16

16

23

29

41

01/2006

46

42

35

30

19

9

14

16

26

46

03/2006

50

45

41

38

39

9

15

22

30

28

05/2006

60

54

42

36

30

9

15

21

36

25

06/2006

60

50

45

39

29

10

17

21

26

41

Source : Ibope.

Tabl. X — Évolution des pourcentages d’intentions de vote « valide », pour le 1er tour, en faveur de Lula et José Serra (candidat éventuel du PSDB, mais finalement non investi) selon le revenu des sondés (revenu exprimé en nombre de salaires minimums, SM)

Mois

LULA

SERRA

De 0
à 1 SM

+1
à 2

+2 à
5

+5 à
10

+ de
10

De 0
à 1 SM

+1 à
2

+2 à
5

+5 à 10

+ de
10

12/2004

46

41

39

45

41

34

34

32

34

31

03/2005

38

40

38

39

41

28

26

28

28

31

07/2005

41

36

36

33

30

21

22

23

23

32

08/2005

33

30

27

26

23

32

27

31

32

38

09/2005

42

34

30

26

22

28

28

33

31

19

10/2005

32

34

30

29

26

35

34

27

26

25

12/2005

35

35

27

27

30

37

35

40

38

46

01/2006

39

38

33

30

19

29

28

33

36

43

03/2006

44

41

39

36

37

30

30

33

32

31

Source : Ibope.

Un vote de Gauche ?

  • 36  Affirmer l’existence d’une groupe, le dénommer ou le nommer, en dire les frontières supposées, par (...)
  • 37  « Camadas populares » est moins employé au Brésil que ne l’est en France son équivalent linguistiq (...)
  • 38  Nombre de politologues, adoptant la typologie avancée par Olivier Ilh (Le vote, Paris, Montchestie (...)

29Est-ce à dire que les sondés et inscrits des couches populaires s’apprêtaient à fournir un « vote de gauche » ? Posons mieux cette question en en précisant les termes. Les couches populaires sont une catégorie sociale composite, agrégeant « pauvres », « indigents » – au sens savant du terme – et, plus largement, les Brésiliens aux revenus modestes (travailleurs agricoles, employés de maison, petits salariés de l’industrie et des services, petits retraités, etc.), sans que ces personnes discernent nécessairement en son sein un de leurs groupes de référence ou d’appartenance ; une catégorie dans laquelle le niveau moyen d’instruction est bas (inférieur à celui observable au sein des deux autres grandes couches sociales composant la société brésilienne, à savoir les couches moyennes et les couches supérieures) ; une catégorie dont les frontières ne pourront jamais être connues avec précision (tant celles-ci relèvent nécessairement de constructions sociales, non dégagées d’enjeux politiques)36, mais catégorie de plus en plus employée par les universitaires puisqu’elle présente l’avantage de désigner en deux mots peu traversés d’idéologie ou d’objectivisme (« couches » et « populaires »)37 tout un ensemble de populations statistiques et de groupes sociaux plus ou moins objectivés. Ces couches populaires donc, s’apprêtaient-elles (puisque Lula, à en croire les observateurs employant abusivement l’axe gauche-droite ou utilisant celui-ci par pure commodité, serait de « gauche », une gauche vite qualifiée de « modérée », « sociale-démocrate » ou « gestionnaire », « pragmatique », « post-populistes », « moderne », etc. ?) à fournir un « vote de gauche », un vote de conviction politique ? Dit autrement et pour reprendre là un des trois idéaux-types dégagés par Olivier Ilh quant aux dispositions fondamentales mises en jeu par cette Figure de relation sociale qu’est le vote, s’agit-il d’un « vote d’opinion »38 ? Pas véritablement, sauf pour une toute petite minorité d’entre eux.

  • 39  En juillet 2000, c’est-à-dire à trois mois des élections municipales et donc en pleine campagne él (...)
  • 40  Si le vote identitaire est donc proche, par divers aspect, de l’idéaltype ilhien « vote communauta (...)

30La plupart des membres des couches populaire ignorent ce que les notions de « gauche » et « droite » sont supposées contenir, sont donc démunis pour positionner les hommes ou les partis politiques sur cet axe (quand bien même ces acteurs et ces formations tiendraient des discours idéologiquement marqués), ni se positionnent eux-mêmes sur cet axe39. En outre, Lula, depuis son entrée en politique, s’était très rarement dit « de gauche » (préférant employer d’autres termes pour suggérer ou exposer son empathie pour le petit peuple, son refus des injustices sociales, son combat pour la démocratie et les libertés, sa conception de l’État et de l’action politique, son éthique républicaine, etc.) et faisait encore moins appel à cet étiquetage depuis son accès au Planalto. En fait, ces intentions de vote s’assimilent essentiellement à un « vote de reconnaissance », puisqu’elles mêlent à la fois un « vote identitaire » (notion proche du « vote communautaire » – second idéaltype d’Olivier Ilh – mais qui n’en a pas toutes les caractéristiques) et un « vote de dette personnelle et collective » (notion voisine du troisième idéaltype – le vote d’échange – mais allégée de son versant transactionnel). En effet ces sondés/électeurs non seulement voient en Lula un des leurs, mais ils se sentent appartenir à des groupes de référence devenus (par l’entremise de mobilisations électorales appropriées, par le personnage public de Lula et sous l’effet de certaines politiques publiques de redistributions et d’intégration sociale) plus estimables et estimés à leurs propres yeux et aux yeux des autres ; leur vote émane de cette double identification en miroir (celle de Lula et la leur par eux-mêmes et par Lula)40. En outre, ils s’estiment redevables envers Lula des bienfaits matériels que leur procurent (et ils le savent) les politiques publiques dont il lui impute la paternité ; celles-ci leur ayant été bien plus accordées au motif de l’intérêt général que dans l’espoir de provoquer, parmi eux, un consensus électoral. Le comprendre aidera à ne pas se tromper quant au sens de leurs intentions de vote puis de leurs votes et, ce faisant, sur le sens de l’issue du scrutin présidentiel.

Ample soutien des couches populaires au personnage de Lula

  • 41  Cette évolution survient sous les effets combinés de plusieurs facteurs. Parmi eux : le recul de l (...)
  • 42  Sur l’incidence des médias et du jeu politique sur la campagne présidentielle de 2002 et l’issue d (...)
  • 43  Les chiffres ici indiqués sont les pourcentages d’intentions de vote à la veille des scrutins prés (...)

31Le président Lula, contrairement à tous ses devanciers et à l’immense majorité du personnel politique brésilien, est d’origine sociale basse : ses parents étaient des paysans nordestins analphabètes, il a pour seul diplôme un certificat d’études et était ouvrier métallurgiste avant d’exercer de hautes fonctions syndicales et d’entrer en politique (voir encart 1). Dans ce pays, pendant très longtemps, la plupart des petites gens qui disposaient du droit de vote (ce droit n’a été accordé aux analphabètes qu’en 1985) considéraient que les postes politiques, surtout les plus importants, devaient être confiés prioritairement aux fils de bonne famille. Cette façon de penser, signe d’intériorisation et de naturalisation d’une domination sociale et politique particulièrement marquée, s’accompagnait fréquemment et se nourrissait d’une absence d’estime de soi. Ne se jugeant pas socialement assez dignes, ces petites gens ne votaient guère pour des candidats aux origines sociales semblables aux leurs et qui les affichaient comme argument de campagne. Certes jusqu’au début des années 1970, très rares étaient les candidats d’origine modeste (plus on montait dans la hiérarchie des mandats électifs, moins on trouvait de candidats issus des couches moyennes et, surtout, de candidats d’origine populaire). Mais quand bien même les partis se mirent à investir, peu à peu, davantage des candidats de ce type, les électeurs des couches populaires ne votaient guère pour eux. À compter de la fin des années 1970, ce comportement va, d’abord dans les grandes villes, progressivement s’infléchir41 et s’accentuera dans les années 1990. Les pourcentages de voix croissants obtenus par le Parti de travailleurs (seule formation politique à laquelle Lula ait appartenu et seul parti à investir énormément de candidats d’origine sociale basse) aux élections municipales, législatives et des gouverneurs, ainsi que les scores de Lula au premier tour de chacune des quatre élections présidentielles successives auxquelles il a participé jusqu’à son accession au Planalto, en sont un écho. En 1989 Lula, qui a toujours mis en avant ses origines populaires, avait recueilli 17,2 % des votes valides. Il en obtiendra 27 % en 1994, puis 31,7 % en 1998 et 46,4 % en 2002. Certes au fil des ans, le discours du candidat Lula et les positions du courant majoritaire du PT, bien que prônant toujours et prioritairement la défense du petit peuple et des dominés, s’étaient déradicalisés et étaient ainsi devenus susceptibles de pouvoir séduire plus d’électeurs. Certes aussi, les réseaux clientélistes traditionnels, qui encadraient surtout des électeurs de couches populaires, étaient devenus moins nombreux et moins performants ; rendant ainsi ces électeurs plus libres de leur choix. Certes enfin, le PT a tissé en 2002 des alliances partisanes bien plus mobilisatrices que celles précédemment faites, et la presse écrite et audiovisuelle était devenue moins partisane (d’un scrutin à l’autre, elle accordait davantage de place à Lula et en disait moins de mal)42. Mais si les couches populaires n’avaient point ou moins changé leur conception du profil social que se doit d’avoir tout « bon candidat » au Planalto, jamais Lula n’aurait tant progressé en leur sein : 8 % en 1989 (soit alors 9 points de moins que parmi les votes valides de l’ensemble du corps électoral), 21 % en 1994 (soit 6 points de moins), 26 % en 1998 (5 points de moins) et 45 % en 2002 (1 point de moins)43. Et Lula n’aurait donc jamais pu devenir président de la République, compte tenu du poids de couches populaires dans le corps électoral.

Encart 1 : Lula, un évadé social
« Si quelqu’un dans la population doutait qu’un ouvrier tourneur puisse sortir de l’usine et arriver un jour à la présidence de la République, l’année 2002 a prouvé que cela était possible […] Moi qui tant de fois ai été accusé de n’avoir aucun diplôme scolaire important, je viens de gagner aujourd’hui mon premier diplôme : celui de Président de la République », improvise Lula, très ému, le jour où la justice électorale le déclare élu à la tête de l’État brésilien.
De fait, avant de se consacrer pleinement à la politique, le vingtième président du Brésil n’était pas, contrairement à ses prédécesseurs, un sociologue de renommée internationale (Fernando Henrique Cardoso, 1995-2002), un ancien ingénieur civil (Itamar Franco, 1992-1994), un directeur d’un groupe de presse (Fernando Collor de Mello, 1990-1992) ou un membre de l’Académie des Lettres (José Sarney, 1985-1989). Il n’était pas non plus avocat ou officier supérieur comme tous les présidents d’avant 1985.
Contrairement à tous ses devanciers, Lula n’est pas un fils de bonne famille. Ses parents étaient des paysans très pauvres et analphabètes. Enfant, il dut fuir avec sa famille la misère des campagnes de l’État de Pernambouc (unité fédérative du Nordeste) ; à 12 ans, il arrêta l’école pour exercer divers petits métiers. Six ans plus tard, il devint ouvrier tourneur, profession qu’il exerça pendant une douzaine d’années, dont les dernières comme contremaître.
Cette promotion sociale était déjà statistiquement rare pour des personnes de son origine. La suite fut encore plus exceptionnelle. En 1969, sous l’influence notamment de son frère aîné, il entra dans le syndicalisme et fut élu en 1975 à la présidence du syndicat des métallurgistes des banlieues industrielles de São Paulo (environ 100 000 membres). S’il demeura quotidiennement au contact des ouvriers, il mena dès lors une autre vie. Fervent orateur et habile organisateur, il souhaitait que les syndicats s’éloignassent des pratiques corporatistes d’alors, qu’ils s’émancipassent de la tutelle partielle de l’État.
Au printemps 1980, il fut le leader des premières et grandes grèves qu’affronta le régime militaire (ce qui lui valut un mois de prison et, surtout, une rapide notoriété parmi les couches politisées du pays). Profitant alors du retour au multipartisme, il co-fonda le Parti des Travailleurs (PT), formation mêlant à l’époque des courants et des groupuscules d’inspirations diverses, principalement le socialisme (de conception sociale-démocrate, léniniste ou trotskiste), le catholicisme (modéré ou proche de la théologie de la libération), le tiers-mondisme et le pragmatisme syndical. Lula en fut, dès da fondation, président puis, à partir de 1987, président d’honneur. Il n’en sera jamais un doctrinaire, préférant toujours adopter des postures pragmatiques et plutôt consensuelles. En 1982, il brigua le fauteuil de gouverneur de l’État de São Paulo et réalisa, pour sa première campagne électorale, un score nettement supérieur à celui que lui prédisaient les experts (10,8 %).
Quatre ans plus tard, considérant qu’il serait encore battu à l’élection de gouverneur, il postula un siège de député fédéral, trophée plus à sa portée. Il fut alors élu brillamment et, fort de ce mandat législatif, participa à l’Assemblée Nationale Constituante. Quelque peu noyé dans cette arène de 559 membres (les membres du PT n’y détenaient que 3,3 % des sièges), devant y côtoyer nombre d’élus corrompus, il n’en goûta guère les jeux alambiqués et ne brigua plus jamais un mandat parlementaire. En 1989, avec un simple certificat d’études pour tout diplôme, il se présenta à la présidence de la République. Il y sera candidat à trois autres reprises (1994, 1998 et 2002) obtenant chaque fois plus de voix. Triomphalement élu à la magistrature suprême le 27 octobre 2002, il y est investi le 1er janvier 2003. Son mandat est de quatre ans et s’achève le 31 décembre 2006.
Mais au printemps 2006, Lula se déclare candidat à sa propre succession. Il sortira vainqueur du scrutin, obtenant ainsi un second mandat de quatre ans à la tête de l’État brésilien.

  • 44  Sur les mots et la manière dont Lula parle de lui, construit et réactualise son personnage public, (...)
  • 45  L’expression est depuis des années, très fréquente sous leur plume ou devant le micro. Plusieurs t (...)
  • 46  Pour une analyse de l’élection puis de la réélection de Cardoso, lire S. Monclaire, « Brésil : la (...)

32Du jour de son élection et, plus encore à compter de son installation au palais présidentiel le 1er janvier 2003, la diffusion quotidienne d’images télévisées relatives à l’agenda du (futur) chef de l’État, a doté Lula d’un énorme surcroît de légitimité et d’attractivité auprès des couches populaires. Pour ces téléspectateurs, voir Lula présider, occuper, par exemple, le bureau où siégeaient ses prédécesseurs, participer à des cérémonies protocolaires réactualisant la prééminence du poste présidentiel et, affichant par là-même la haute valeur du titulaire du poste, s’entretenir avec les grands du monde à Brasília ou dans des bâtiments étrangers prestigieux, diriger des réunions dont tout indique qu’elles sont importantes, être applaudi par d’éminentes personnalités ou par des foules d’anonymes, le grandit à leurs yeux. Or puisque Lula ne cesse depuis des années de rappeler son origine modeste44, puisque ses gestes et ses façons de parler laissent transparaître celle-ci en permanence et puisque les médias le qualifient si souvent de « fils du peuple »45, plus il grandit à leurs yeux, plus ils tendent à ressentir (à travers lui et les représentations qu’ils en ont) de la fierté pour eux-mêmes. En eux, tend à s’épanouir un surcroît – gratifiant – d’auto-estime. Ce bienfait cognitif facilite alors chez eux une représentation positive (ou plus positive) de Lula et parfois même un sentiment d’identification à Lula, qui l’une et l’autre les prédisposent à le soutenir dans les sondages, à voter pour lui et – plus important encore compte tenu des déficits séculaires d’intégration sociale des petites gens – à trouver l’institution présidentielle (et à travers elle l’État) moins distante qu’auparavant et à se sentir et se tenir, du même coup, moins à l’écart de l’espace publique. Autrement dit, le large soutien des couches populaires envers le président-candidat Lula à l’approche de la présidentielle d’octobre 2006 et dans les urnes ne se résume pas à un « vote légitimiste », à cette prime électorale que maints sondés et électeurs peu politisés (donc beaucoup de petites gens) accordent fréquemment aux personnalités politiques déjà en place et dont le sociologue Fernando Henrique Cardoso, son prédécesseur au Planalto (issu d’une grande famille bourgeoise, élu président en octobre 1994) avait amplement bénéficié en 1998 lorsqu’il s’était fait réélire à la tête de l’État46. Ce soutien est le signe d’une lente transformation structurelle du rapport cognitif des couches populaires au vote et, plus largement, à l’ordre politique ; transformation redoublée et renforcée par les effets conjoncturels du pouvoir symbolique d’une double théâtralisation (soigneusement organisée et que diffuse quotidiennement tous les médias) : celle d’un « fils du peuple » au Planalto et celle de l’empathie, déclarée et socialement reconnue, d’un président pour son peuple (voir encart 2). La principale affiche de la campagne électorale 2006 de Lula (affiche qui est une véritable icône politique – voir annexe 3), viendra consolider ces représentations.

Encart 2 : Mise en scène et sincérité de Lula « fils du peuple »
L’équipe de communication du Président essaye toujours de faire connaître et de vanter les politiques du gouvernement Lula, notamment en matière économique et sociale. Pour cela, elle organise maintes cérémonies au Planalto auxquelles sont conviés des syndicats, des associations et autres groupes d’intérêts. Après les discours de circonstance, Lula donnera de longues et chaleureuses accolades à certains de leurs militants et dirigeants. On recommande aux invités de venir coiffés de la casquette de leur association, afin que le téléspectateur puisse plus aisément leur donner une identité et pour que Lula puisse, le moment venu, s’en couvrir la tête ; ce qui déclenche généralement les flashs des photographes. Elle organise aussi des déplacements dans le pays au cours desquels Lula devra prendre un bain de foule ou se mêler aux gens qui travaillent là, surtout si l’action se déroule dans une usine, une favela, un chantier, un dispensaire, une école. Ainsi, durant les six premiers mois de la présidence Lula, trois fois par semaine en moyenne, « la une » du quotidien O Globo (un des plus lus et influents du pays) comportait une photo de Lula, montrant celui-ci embrassant, enserrant un individu aussitôt identifié par le lecteur comme étant un membre de la société civile organisé ou un simple citoyen.
Lors de plusieurs de ces cérémonies, de ces bains de foule et au cours des deux décennies de sa carrière politique d’avant 2002, Lula a enserré ou embrassé des milliers de pauvres et d’indigents, cela avec un naturel évident qui tranche avec les manières gênées ou apprêtées d’un Cardoso ou d’un notable. Indiscutablement et tout le monde en convient (journalistes, hommes politiques, universitaires et électeurs), Lula est extrêmement à l’aise au contact des petites gens. La façon dont il leur parle (vocabulaire, syntaxe, accent, métaphores, etc.) témoigne d’une affection, d’une familiarité à leur égard, confirme – plus qu’un certificat de naissance ou qu’un long discours – qu’il est bel et bien né dans ce petit peuple et qu’il s’y sent bien. Dans ces moments-là, Lula ne se force pas ; il est lui-même. Il a toujours été ainsi.
Toutefois, il sait très bien qu’il est observé, photographié, filmé et que cette simplicité authentique est une grande ressource politique puisqu’il va paraître proche de ces gens-là et, à travers eux, d’une composante numériquement importante du peuple souverain. Alors, il en use et ne rechigne pas à se montrer ainsi. Cela le conduit, sans doute, à serrer quelques mains de plus ou à donner une accolade un peu plus longue à telle ou telle personne, le temps que les photographes et cameramen puisent faire leur travail. Mais la façon (spontanée et intéressée à la fois) dont il enlace les petites gens a beaucoup contribué, avec – bien sûr – ses propositions en faveur des défavorisés, à ce que dans les sondages il ait toujours été considéré, depuis 1989, comme étant « l’homme politique brésilien le plus proche des préoccupations des pauvres » et (sauf à l’été et à l’automne 2005 pour cause de scandale du mensalão – voir infra) comme « l’homme politique brésilien le plus sincère ».

  • 47  Par exemple, l’économie brésilienne a certes bénéficié de mesures gouvernementales, mais aussi du (...)

33Ce soutien d’une large majorité des sondés puis des électeurs des couches populaires n’aurait toutefois pas été si fort, et aurait même pu s’avérer très faible si, concomitamment, les politiques publiques qu’ils percevaient et dont ils imputaient la responsabilité à Lula ne les avaient point pas globalement satisfaits. Car ce qui compte, ce sont les politiques publiques telles qu’elles furent perçues (nécessairement de façon partielle et imparfaite) et non les politiques « réelles » peu à peu définies au sein de l’exécutif (celles-ci étant toujours le fruit de diverses réunions mêlant différents types d’acteurs et décideurs, dont le chef de l’État), ni davantage les politiques qui ont été mises en œuvre par l’administration brésilienne et dont l’efficacité et l’efficience dépendent souvent de facteurs sur lesquels ces acteurs et décideurs n’ont guère ou pas d’emprise47. Ce qui compte ici ce sont les représentations individuelles et collectives de l’action publique, les constructions sociales de la valeur de ces actions et les systèmes d’imputation.

Le soutien des couches populaires à l’action prêtée à Lula

  • 48  En janvier 2003 (premier mois du mandat Lula), la dette publique liquide correspondait à 55,5 % du (...)
  • 49  En 2002, la solde positif de la balance commercial était de 13,1 milliards de dollars (pour 60,1 m (...)
  • 50  En 2006, bien qu’aucune privatisation importante n’ait eu lieu (ce qui aurait sans doute attiré le (...)
  • 51  En 2002, dernière année de l’ère Cardoso, le salaire minimum n’était que de 200 reais. En avril 20 (...)
  • 52  Ces politiques redistributives constituent l’un des aspects des politiques sociales du gouvernemen (...)
  • 53  Ce programme, dont Lula fit peu après son élection la priorité de son mandat, visait à éradiquer l (...)
  • 54  En 2006 toutefois, le nombre de créations d’emplois formels a reculé de 2 % par rapport à celui de (...)

34Ce que ces sondés et futurs électeurs appréciaient, ce n’était point la baisse de l’endettement public48, ni les records d’excédents de la balance commerciale49, ni l’appréciable volume et l’inversion des flux d’investissements directs étrangers50. Quand bien même ils auraient prêté attention à ces données importantes, ils n’auraient guère pu en analyser et en saisir les avantages macro-économiques. En revanche, tout ce qui touchait leur vie quotidienne les marquait bien plus. Par exemple, ils ressentaient et se réjouissaient de la baisse de l’inflation – véritable impôt sur les pauvres puisque ces derniers, contrairement à beaucoup d’autres Brésiliens, n’ont pas la faculté de faire des placements d’épargne rémunérés, à supposer qu’ils aient eu la possibilité d’épargner. Alors qu’en 2002 (dernière année des mandats présidentiels de Cardoso) la hausse des prix à la consommation était en reprise et atteignait 12,5 %, elle a continuellement baissé au cours du mandat Lula : 9,3 % en 2003 ; 7,6 % en 2004 ; 5,7 % en 2005 et 3,1 % en 2006 (soit cette année-là, le troisième plus bas taux en Amérique latine). Ils étaient encore plus sensibles à la hausse du salaire minimum réel (c’est-à-dire une fois l’inflation déduite) : celui-ci a progressé deux fois plus vite que sous Cardoso51. En mai 2006, donc à quelques mois du scrutin et bien qu’encore très bas comparé à celui en vigueur dans plusieurs pays de la région, il a même gagné 12,2 %. À cette hausse s’ajoutait celle, tout aussi appréciée, des petites retraites, c’est-à-dire dont le montant est indexé sur le salaire minimum et qui sont généralement perçues par des millions de personnes âgées de condition modeste. Ils appréciaient également l’élargissement de la gamme des politiques redistributives et l’accroissement des allocations versées par l’État aux pauvres52. La plus appréciée de ces allocations est sans nul doute la bolsa família (bourse famille). Né de l’échec du programme Faim zéro53, la bolsa família rassemble et amplifie certains transferts de ressources conçus et entrés en vigueur durant le second mandat Cardoso et les combine à de nouvelles mesures. À la veille du scrutin d’octobre 2006, la bolsa família touchait 11,1 millions de familles, soit un peu plus 40 millions de brésiliens (voir encart 3). Enfin, le chômage avait reculé de trois points, en tout cas dans les régions métropolitaines (il n’existe pas de statistiques fiables pour le reste du pays) : 8,3 % en 2006 contre 11,3 % fin 2002. Et sur les 5,9 millions d’emplois créés sous Lula (contre seulement 700 000 sous l’ère Cardoso), 4,6 millions étaient des emplois formels, donc déclarés (ce qui assurait couverture sociale aux salariés concernés et faisait du bien aux caisses de sécurité sociale et de retraites)54.

Encart 3 : Principes et atouts du programme Bolsa família
Dans les familles dont le revenu per capita est inférieur à 120 reais (4 €), la mère (et non le père, pour tous les motifs que l’on devine) reçoit mensuellement une aide financière de 15 reais par enfant mineur, plafonnée à 45 reais même si le nombre d’enfants est supérieur à trois. Là où le revenu per capita est inférieur à 60 reais, l’État verse à la mère 50 reais en plus des 15 reais par enfant ; ces mères peuvent donc recevoir jusqu’à 95 reais par mois. En contrepartie, les enfants de ces familles doivent être scolarisés ; de nombreuses études montrent que ces contreparties sont remplies (reste que l’enseignement dispensé dans les écoles publiques, surtout en zone rurale, n’est pas de qualité suffisante et nuit donc au niveau d’instruction des élèves). Ces sommes paraîtront modestes à un nanti des grandes villes brésiliennes, mais tous les reportages montrent qu’elles représentent au minimum une bouée de survie pour les familles indigentes et, pour les familles pauvres, un appréciable gain de pouvoirs d’achat permettant d’améliorer le quotidien.
Le programme Bolsa família est ainsi pour un quart responsable de la baisse des inégalités de répartition des richesses enregistrée en 2004 et 2005. En outre, puisque les familles bénéficiaires de la bolsa família résident généralement dans les mêmes quartiers de telle ou telle commune, chaque mois, c’est en réalité de grosses sommes d’argent qui arrivent dans ces quartiers et qui, de la sorte, irriguent le commerce local, sauvegardent ou créent des emplois, contribuent au microdéveloppement et, concernant les petites communes, limitent l’exode rural. La bolsa família (qui contribue aussi à redonner de la dignité – c’est là un autre facteur d’intégration sociale) est donc non seulement apprécié par ses bénéficiaires directs, mais aussi par ses bénéficiaires indirects (commerces de proximités, certains salariés) ainsi que par les gens liés à ces familles et qui en sont heureux pour elles (proches parents, voisins, amis).

  • 55  Les chiffres officiels de 2006 ne sont pas encore connus au moment où cet article est sous presse, (...)
  • 56  Voir à ce sujet les chiffres commentés par R.P. de Barros et al., « A importância da queda recente (...)

35Dans l’ensemble, ces politiques publiques, combinées à quelques autres programmes de redistribution et à la croissance économique, ont contribué à ce que les inégalités de répartition sociale des richesses se réduisent. Certes elles avaient déjà reculé au cours des deux dernières années de l’ère Cardoso, donc en 2001 et 2002, mais à l’époque le phénomène était trop récent pour pouvoir être mesuré par les organismes statistiques et était encore trop timide pour être ressenti au quotidien par la population ; il n’avait donc point pesé sur le déroulement et l’issue de la campagne présidentielle de 2002. Sous Lula ce recul s’est accentué : on estime qu’au cours de son mandat, l’indice GINI a baissé de 4,9 % (soit une baisse nettement supérieure à celle observée au cours de chacun des quatre mandats présidentiels précédents)55. Tant et si bien que la pauvreté et l’extrême pauvreté ont reculé56. Les membres des couches populaires ignoraient évidemment ces statistiques au moment d’indiquer au sondeur leurs intentions de vote, mais généralement ils en ressentaient la dimension concrète.

  • 57  Alors que cette dette envers le Fonds n’arrivait à échéance qu’à l’hiver 2006-2007, le Brésil lui (...)
  • 58  Le 12 mars 2006 était installé, dans le bassin pétrolier offshore de Campos, à 150 km au nord de R (...)
  • 59  De janvier 2003 à décembre 2005, le président Lula a passé 159 jours hors du Brésil (soit 14 % de (...)

36Ils ont été également sensibles à certaines annonces flattant leur fréquente fibre cocardière, présentées par le gouvernement et par la quasi-totalité des médias comme d’indéniables succès pour le pays et sa population. En décembre 2005, on proclama ainsi que le pays avait fini, en anticipant le versement des derniers remboursements57, de payer sa dette au Fonds monétaire international (FMI, organe souvent perçu comme « le grand vilain », comme un prédateur de l’économie brésilienne). En avril, fut déclarée et célébrée l’autosuffisance en pétrole du pays58. Et pendant les quatre ans de mandat, les nombreux déplacements à l’étranger de Lula (dont la fréquence était encore supérieure à celle, pourtant déjà élevée, du président Cardoso)59, ainsi que le spectacle télévisé de certains sommets internationaux, notamment ceux de l’OMC ou de l’ONU, ont donné aux téléspectateurs des couches populaires (bien qu’ils ne comprissent pas grand-chose aux enjeux diplomatiques de ces voyages et à ces institutions majeures), mais aussi à ceux des couches moyennes et supérieures, la nette impression que le Brésil était sans doute devenu (même s’ils ne l’auraient pas exprimé en ces termes) plus qu’un acteur régional, à en juger par l’empressement – discernable et toujours souligné par les médias – de plusieurs chefs d’État ou de délégation de grands pays à rencontrer Lula ou ses ministres. Voir que le président brésilien, ses ministres et à travers eux le Brésil étaient à ce point courtisés ou redoutés, choyait l’orgueil national et s’avérait donc une source supplémentaire d’intentions de vote.

Publicité gouvernementale et exposition des couches populaires aux médias

  • 60  Près de 99 % des municipes reçoivent la télévision hertzienne. Une chaîne, Globo, détient à elle s (...)
  • 61  En 2005 (derniers chiffres en date) selon l’ANJ, 3 098 périodiques étaient recensés au Brésil, don (...)
  • 62  Ces chiffres sont ceux du SECOM (organe gouvernemental) ; des spécialistes en communications estim (...)

37Pour que sondés et électeurs aient connaissance de ces mesures économiques ou sociales et de ces actions, pour leur indiquer les mérites réels ou supposés de celles-ci et pour que Lula et son gouvernement puissent être tenus responsables de leur existence, les cellules et agences de communication au service de la présidence de la République, de tel ministère ou contractées par telles grosses entreprises publiques, ont élaboré de nombreuses, intenses et efficaces campagnes de publicité. Ces campagnes, afin de toucher le maximum de gens, s’effectuaient principalement à travers la télévision (98 % des foyers brésiliens sont équipés d’au moins un poste de télé)60 et peu par voie de presse puisque l’analphabétisme fonctionnel et la maigreur des revenus d’un bon quart de l’électorat (les journaux coûtent chers), combinés aux difficultés pratiques d’une diffusion géographiquement large de la presse écrite dans ce pays de taille continentale, empêchaient celle-ci d’être lue par un vaste public61. Plus l’élection d’octobre 2006 s’approchait, plus les dépenses de communication du pouvoir exécutif et des entreprises publiques de l’Union se sont envolées : 656,3 millions de reais en 2003 puis 939,9 millions en 2004 (année d’élections municipales), 888,3 millions en 2005 et 516,1 millions durant le premier semestre 2006, soit environ 44 % de plus qu’au cours du premier semestre 1998 (période durant laquelle le président Cardoso entama sa campagne de réélection) et 32 % de plus qu’au cours du premier semestre 2002 (période où le dauphin de Cardoso, José Serra, était candidat au Planalto)62.

38Ce flot de communiqués enchantés et enchanteurs a nécessairement contribué à ébaucher et structurer l’opinion des téléspectateurs, auditeurs et lecteurs qui y ont été exposés. Certes, tous les jours, des critiques (tantôt véhémentes, tantôt modérées) émises par des élus, des journalistes, des chefs d’entreprises et d’autres personnalités à l’encontre de la politique du gouvernement Lula ou de tel ou tel de ses aspects, pouvaient être lues dans la presse et entendues dans les journaux radiotélévisés. Mais cela, sans grand effet possible sur les couches populaires puisque celles-ci ne lisent pas ou peu la presse écrite, n’assistent qu’épisodiquement aux journaux télévisés (alors que les couches moyennes et supérieures en sont friandes), préférant suivre des telenovelas (feuilletons), des émissions de divertissement ou des retransmissions sportives, et puisque la plupart des stations de radio qu’elles écoutent n’émettent généralement, s’agissant des informations, que de brefs flashs très espacés au cours desquels l’activité du gouvernement fédéral est peu abordée ou commentée. En outre, aucun parti politique, patron ou groupe d’intérêt ne pouvait prétendre, tant pour d’évidentes raisons budgétaires que par restrictions juridiques, diffuser à la télévision des messages publicitaires dont le contenu, la durée et le nombre de passage à l’écran auraient pu contrebalancer l’influence des spots gouvernementaux. Bref, les couches populaires (dont les possibilités de jugement critique de l’action et de la puissance publique étaient par avance handicapées par leur bas niveau d’instruction) pouvaient difficilement, en raison des contenus politiques du type de médias auquel elles étaient le plus exposées, avoir une opinion très distincte des assertions diffusées par ces spots. De fait, dans les sondages de la fin février 2006 (par la suite les chiffres favorables à Lula iront grandissant) et parmi les personnes ayant été tout au plus jusqu’à la « 8e série » et appartenant donc très souvent aux couches populaires, seules 20 % d’entre elles jugeaient l’action du gouvernement Lula « mauvaise » ou « très mauvaise » (contre 25 % de celles ayant atteint l’enseignement « médio » et 33 % de celles ayant fait des études supérieures), alors que 40 % d’entre elles la jugeaient « bonne ou très bonne » et 32 % regular (« passable ou à peu près convenable »).

39Bien sûr l’indulgence et l’optimisme des brésiliens – traits culturels observables en maints domaines tant au sein des couches populaires que dans les autres couches de la société – n’étaient pas étrangers à ces pourcentages et ont toujours contribué, depuis l’apparition des instituts de sondages, à ce que l’opinion de la population quant à l’action de tel ou tel gouvernement ou de tel ou tel président soit souvent meilleure que celle mesurée dans des pays où la sévérité critique est une vertu sociale courante. Ainsi lors de la campagne présidentielle de 1998 (qui s’acheva – répétons-le – par la réélection du président Cardoso), les pourcentages de satisfaits et de mécontents de l’action gouvernementale parmi les sondés ayant fait tout au plus l’école primaire étaient proches de ceux du début de la campagne 2006 sur l’action du gouvernement Lula. Or en 1998, chômage et inflation étaient plus importants qu’en 2006 ; salaire réel et petites retraites délivraient moins de pouvoir d’achat ; le programme Bolsa familiá n’existait pas et Cardoso était moins célébré à l’étranger que Lula. En revanche, la télévision diffusait déjà massivement des messages publicitaires gouvernementaux vantant et enjolivant les mérites de la politique alors conduite. Et les éditoriaux de la presse écrite, comme les journaux radiotélévisés, regorgeaient de commentaires favorables au gouvernement Cardoso (ils furent beaucoup plus critiques en 2006 vis-à-vis du gouvernement Lula). C’est dire à quel point l’opinion politique des couches populaires est formatée par la publicité radiotélévisée gouvernementale et parce que disent des leaders d’opinion de proximité (petits employeurs, délégués syndicaux, responsables d’associations locales, prêtres ou pasteurs, etc.) qui eux, pour la plupart, lisent la presse et assistent régulièrement aux journaux télévisés.

  • 63  Pour une sociologie de l’élaboration et l’expression des préférences politiques, lire prioritairem (...)

40En somme, les membres des couches populaires avaient une nette propension à se reconnaître en Lula, avaient généralement gagné en auto-estime, ressentaient pour beaucoup d’entre eux les bénéfices concrets de certaines mesures économiques et sociales du gouvernement et avaient une bonne opinion de l’ensemble (celui qu’ils percevaient) des politiques publiques menées par ce gouvernement. De surcroît et parce que les personnes peu instruites ont encore plus tendance que les diplômés de l’enseignement secondaire ou du supérieur à surestimer les pouvoirs de l’Exécutif et à personnaliser l’action menée par l’État, ils imputaient largement à Lula la paternité de cet ensemble de politiques publiques. C’est pourquoi, très souvent et par effet d’intériorisation des schèmes d’action de dons et contre-dons, ils s’estimaient être redevables au président Lula de cet ensemble des bienfaits symboliques et matériels. Il y a là comme l’idée d’une noble dette (à la fois personnelle et collective puisque les sondés se pensent aussi à travers des groupes de référence plus ou moins socialement homogènes et objectivés), qu’ils honorent en soutenant Lula dans les sondages et en votant pour lui. Ainsi, leur vote est avant tout un geste de reconnaissance. On aurait donc tort de voir dans leur large soutien à Lula un froid calcul, mû par la seule recherche d’une maximisation d’intérêts matériels. Leur opinion et leur comportement électoral ne sont certes pas dénués de rationalité, ni de préoccupations d’ordre matériel, mais ils sont surtout le fruit de complexes processus cognitifs, dans lesquels interviennent et se mêlent notamment habitus, affect, expériences et trajectoire personnelles, ainsi que des représentations (de soi, des autres, du réel, etc.) profondément conditionnées par leur niveau d’études et par leur exposition à des luttes sociales quant à la définition légitime du réel et de l’intérêt général (notamment quant aux composantes de la société et de leurs intérêts supposés, quant à l’imposition et à la hiérarchisation des valeurs) et à des constructions de désir d’État, d’agenda politique, de personnages publics, l’offre politique, d’enjeux collectifs et de leur saillance, d’imputations et de responsabilités63 (exposition dont la fréquence, les modalités et l’impact sont eux-mêmes souvent très corrélés à leur bas niveau d’étude).

Les couches moyennes partagées

41De leur côté (expression un peu maladroite puisque la frontière entre couches populaires et couches moyennes n’est pas limpide, ni infranchissable), les sondés et inscrits des couches moyennes avaient aussi quelques motifs de voter Lula. Bien sûr les scandales de l’été 2005 avaient généré un désenchantement (parfois même un dépit amoureux) envers Lula et plus encore son parti, parmi les pans des couches moyennes qui, depuis des années, votaient pour Lula et le PT. Autant les couches populaires, de par leur trop faible niveau d’études, leur faible politisation et la représentation ordinaire qu’elles avaient du personnel politique, voyaient avant tout comme des corrompus les responsables concernés mais leur pardonnaient dès lors qu’elles avaient l’impression que ce personnel faisait quelques chose de concret pour elles, et n’avaient pas suivi les différents et nombreux épisodes (certains pourtant très spectaculaires) de ce scandale et n’étaient guère en mesure d’en comprendre les méandres, autant les couches moyennes (surtout les strates hautes de ces couches) y avaient porté attention. Toutefois, elles finirent par se lasser tant l’affaire devenait complexe et touffue, sans qu’une seule preuve de la culpabilité du président ne surgisse. Lula, en bon politique, leur désigna le PT comme fautif et martela qu’il ne fallait point confondre « le comportement de quelques brebis galeuses du PT » avec « l’action très positive du gouvernement ».

  • 64  Les strates moyennes et hautes des couches moyennes qui, par goût et par propension ostentatoire d (...)
  • 65  Sur cette offensive et son bilan plutôt positif, lire A. Rouquie, Le Brésil au xxie siècle : naiss (...)

42 De cette action, les membres des couches moyennes avaient une opinion plutôt positive. Ceux qui avaient craint que l’économie ne s’effondre suite à l’arrivée de Lula au pouvoir, avaient pu constater que les fondamentaux de celle-ci s’étaient améliorés tout au long du mandat. Bien sûr, ils jugeaient les taux de bases bancaires trop élevés et cela bridait leur consommation et leur achat de biens d’équipement durables. Mais la surévaluation du real, due à la politique monétaire fixée par le gouvernement (politique encore plus orthodoxe que celle suivie par le gouvernement Cardoso) ne leur déplaisait pas. Elle leur assurait un confortable gain de pouvoir d’achat concernant les produits importés ou dont le prix était calculé en dollars (par exemple les billets d’avion)64. Les couches moyennes furent également bénéficiaires, mais uniquement à l’approche de la présidentielle (car tout au long du mandat la pression fiscale a augmenté) de quelques cadeaux fiscaux. Elles aussi, mais bien plus que les couches populaires (puisqu’elles en comprenaient beaucoup mieux les enjeux que celle-ci), étaient sensibles à l’offensive diplomatique du gouvernement65 et au prestige de Lula à l’étranger.

43Certes, géographiquement une part importante des couches moyennes était concentrée dans l’État de São Paulo ; et les deux principaux candidats possibles du PSDB, José Serra et Geraldo Alckmin, étaient originaires de cet État et y étaient notoirement connus. Mais alors qu’à la mi-mars Serra renonçait à briguer le Planalto et que Geraldo Alckmin (55 ans, député d’État en 1992, puis deux fois député fédéral, puis vice-gouverneur et gouverneur de cette unié fédérative) devenait le candidat officiel du PSDB, deux faits (très différents dans leur nature) firent que nombre des sondés et des électeurs des couches moyennes paulistes tentés de voter pour Alckmin s’éloignèrent de lui. D’abord, la révélation des dons abondants (matériels ou financiers) faits par des entreprises privées à son épouse ou à son fils en l’échange de l’obtention de marchés et financements publics, ternissait son image et l’empêchait de pouvoir attaquer aisément Lula sur le terrain éthique. Puis, beaucoup plus ennuyeuse et dramatique fut l’onde de violences meurtrières, déclenchée par des gangs très organisés, qui s’abattit sur la ville de São Paulo et d’autres grandes communes de l’État, et dont pâtirent nombre de commissariats et de représentants des forces de l’ordre – onde prévisible, mais mal et trop tardivement réprimée et dont la gravité fut en partie imputée à la politique pénitentiaire et de sécurité du gouverneur Alckmin. Bref, celui-ci rata son entrée en campagne. Ne sachant pas capitaliser sur son nom les déceptions ou les rejets que Lula ou tel responsable politique de son gouvernement suscitaient chez certains électeurs, il ne progressa guère dans les sondages. En tout cas, pas suffisamment pour pouvoir talonner Lula et prétendre le battre.

Huit puis sept candidats en lice

44Outre Lula et Alckmin, six autres candidats furent investis (tableaux XI-A et B). Mais alors que Lula disposait dès le début de la campagne d’une notoriété considérable, et que le nom d’Alckmin (pas ses idées) était connu de la plupart des membres des couches moyennes extérieures à l’État de São Paulo, quatre de leurs adversaires étaient totalement, ou presque, inconnus des Brésiliens. À commencer par Ana Maria Rangel. Âgée de 49 ans, professeure de science politique et patronne d’une entreprise de transports, elle défendait les couleurs d’un microparti sans idéologie particulière, le PRP. Luciano Bivar, 61 ans, riche homme d’affaires pernamboucain, candidat d’un autre microparti, plutôt néolibéral (le PSL), était vaguement connu dans son État. Son seul trophée électoral était d’avoir été élu député fédéral en 1998, mais il avait été très discret durant son mandat. Enfin, José Maria Eymael, 65 ans, très conservateur sur les questions de la famille, déjà candidat à la présidence en 1998 (il n’avait alors obtenu que 0,25 % des suffrages exprimés) après avoir été par deux fois député fédéral de 1987 à 1994 et s’y être fait remarquer pour sa capacité à y faire prospérer quelques propositions en matière économique et fiscale, défendait les couleurs d’un parti démocrate-chrétien, le PSDC (formation comptant près de 800 conseillers municipaux, 14 maires mais aucun élu au plan fédéral). Quant au quatrième, Rui Costa Pimenta, militant d’un groupuscule d’extrême gauche, le PCO, sa candidature fut invalidée par la justice électorale peu avant le scrutin, car son parti n’avait pas satisfait à certaines obligations légales. Aucun des trois candidats précédemment cités ne réussira à mobiliser une part significative des électeurs. Ensemble, ils n’obtiendront que 0,26 % des voix. C’est Ana Maria Rangel, initialement la moins connue des trois, qui arrivera première de ce trio. Le fait d’être une femme lui aura sans doute valu d’obtenir le double de voix de Luciano Bivar ou de José Maria Eymael (celui-ci n’ayant réalisé que la moitié de son score de 1998). Mais beaucoup moins méconnus et davantage dotés de capital politique, étaient les deux autres concurrents de Lula et Alckmin : Cristovam Buarque et Heloisa Helena.

Tabl. XI-A — Candidats investis ou soutenus par les 16 partis disposant, à la veille du scrutin, d’une représentation dans la Chambre des députés sortante…

Partis

Nombre de sièges à la Chambre

Candidat à la présidence

Candidat à la vice-présidence

Appui formel à un candidat d’un autre parti

Appui informel à un candidat
d’un autre parti

PT

81

Lula

-

PMDB

78

-

-

aucun

aucun

FFL

64

José Jorge

Alckmin

PSDB

59

Geraldo Alckmin

PP

50

-

-

aucun

aucun

PTB

43

-

-

aucun

aucun

PL

36

-

-

aucun

Lula

PSB

27

-

-

aucun

Lula

PDT

20

Cristovam Buarque

Jefferson Peres

PPS

15

-

-

aucun

Alckmin

PC do B

12

-

-

Lula

PV

7

-

-

aucun

aucun

PSOL

7

Heloisa Helena

César Benjamin

PSC

7

-

-

aucun

aucun

Prona

2

-

-

aucun

aucun

PTC

1

-

-

aucun

aucun

  

Tabl. XI-A —… et par les 13 partis sans représentation

Partis

Candidat à la présidence

Candidat à la vice-présidence

Appui formel à un candidat
d’un autre parti

Appui informel à un candidat
d’un autre parti

PAN

-

-

aucun

aucun

PCB

-

-

Heloisa Helena

PCO

Rui Costa Pimenta

Pedro Paulo Pinheiro

aucun

aucun

PHS

-

-

aucun

aucun

PMN

-

-

aucun

aucun

PRB

-

José Alencar

Lula

PRP

Ana Maria Rangel

Delama Gama

PRTB

-

-

aucun

Lula

PSDC

José Maria Eymael

José Paulo da Silva

PSL

Luciano Bivar

Americo de Souza

PSTU

-

-

Heloisa Helena

PT do B

-

-

aucun

aucun

PTN

-

-

aucun

aucun

45Cristovam Buarque, 63 ans, ingénieur de formation, docteur en économie, avait été recteur de l’université de Brasília au milieu des années 1980. La visibilité acquise à ce poste l’aida à se faire élire gouverneur du District fédéral en 1994, sous l’étiquette du PT. Sa politique de bourses scolaires novatrice et efficace fut alors vivement applaudie par les spécialistes de l’éducation. En 1998, il échoua dans sa tentative de réélection ; mais quatre ans plus tard, alors que Lula remportait la présidentielle, il devint sénateur. En janvier 2003, Lula en fit son ministre de l’éducation, puis, treize mois après, le révoqua. Buarque accepta mal cette décision, rompit avec le PT et adhéra au PDT, formation travailliste sur le déclin dont il avait longtemps été sympathisant. Bien que sa présence à la tête de cet important ministère n’ait guère suscité d’éloges, il centrera toute sa campagne sur le thème de l’éducation et se refusera toute démagogie sur les questions économiques. Son discours et cette posture séduiront nombre d’intellectuels. Mais au total, il ne recueillera que 2,64 % des voix, résultat très en deçà de ses espérances. C’est dans le District fédéral qu’il réalisera son meilleur score (6,15 % des suffrages exprimés), ce qui n’est pas surprenant s’agissant de l’unité fédérative où il exerça ses fonctions professionnelles les plus visibles et dont il fut et était encore l’un des élus ; c’est aussi celle dans laquelle le niveau d’instruction des inscrits est, en moyenne, le plus élevé du pays et dans laquelle la proportion d’inscrits titulaires de diplômes de l’enseignement supérieur est également la plus élevée du pays. Cette corrélation entre niveau d’instruction et pourcentage de voix est récurrente, puisque dans neuf des dix États dans lesquels Buarque fait un score supérieur à sa moyenne nationale, le niveau d’instruction est également supérieur à la moyenne nationale. Ce n’est donc pas dans les unités fédératives où les problèmes d’éducation sont patents qu’on a le plus voté pour lui (tableaux n° XII-A et B).

Le troisième homme est une femme

46Heloisa Helena, 44 ans, seconde femme parmi les 7 candidats, était, comme Buarque, une ancienne élue du PT. Mais contrairement à lui, elle n’en était pas partie volontairement ; elle en avait été exclue. Elle y avait adhéré en 1985 et s’était rapidement imposée dans la fédération pétiste de l’État d’Alagoas, l’une des plus pauvres unités fédératives du Brésil, où elle était née et vivait. Fille d’un petit fonctionnaire disparu alors qu’elle n’avait que deux mois, elle avait connu une enfance difficile (misère et drames familiaux). Après avoir exercé divers petits métiers (dont celui d’ouvrière agricole), elle avait fait des études d’infirmière et avait fini par devenir professeur d’épidémiologie à l’université fédérale d’Alagoas. Militante active d’organisations étudiantes puis des syndicats d’enseignants, elle devint en 1992 vice-maire de Macéio (capitale d’Alagoas). Ce premier mandat lui servit de tremplin pour obtenir un mandat de député d’État. Si elle échoua en 1996 dans sa tentative de conquérir le fauteuil de maire de Macéio, elle remporta aisément la sénatoriale de 1998 avec 56 % des voix. Au sein du PT, elle fut une des figures les plus médiatiques et ascendantes de l’aile gauche du parti. Dès les premiers jours du gouvernement Lula, elle s’opposa ouvertement à certaines nominations et dénonça des alliances passées au Congrès entre le PT et des barons de la droite. Durant le second semestre 2003, elle critiqua quotidiennement et très sévèrement la réformes des retraites qu’entendait conduire le gouvernement. Cette réforme « répond aux attentes des gigolos du FMI », dira-t-elle. Elle votera contre : ce sera son geste de trop. Expulsé du PT, elle a fondé en juin 2004, avec l’appui de trotskistes exclus ou démissionnaires du PT, un parti qui se veut ancré très à gauche : le PSOL. Toujours sénatrice, elle gagne une notoriété nationale, auprès des classes moyennes, lors des travaux d’une des commissions d’enquête parlementaire chargées d’élucider les affaires dans lesquelles plusieurs hauts dirigeants pétistes sont impliqués. Ses formules chocs sur les manquements à l’éthique républicaine la rendent célèbre. Faisant très tôt acte de candidature à la présidence de la République, son verbe, son programme et sa manière de faire campagne tendront à lui apporter, selon les enquêtes d’intentions de vote, les voix des d’électeurs très politisés reprochant à Lula « les affaires » et le manque d’ampleur et de vitesse des réformes sociales. À l’approche du scrutin, ces votes d’opinion représentaient un tiers des suffrages que lui les sondages lui promettaient. Les deux autres tiers s’assimilaient le plus souvent à un vote protestataire diffus et – dans une moindre mesure – au vote féministe. Le 1er octobre, Heloisa Helena obtint 6,85 % des votes valides. Elle a dépassé les 10 % dans cinq des vingt-sept unités fédératives du pays, notamment Alagoas (son État d’origine) et surtout Rio de Janeiro (où elle a bénéficié de clivages politiques locaux et de votes protestataires)

Tabl. XII-A — Résultats du premier tour de la présidentielle (1er octobre 2006)

Nombre

en % des inscrits

en % des votants

Inscrits

125.913.479

100,00

Absentions

21.092.511

16,75

Votants

104.820.145

83,25

100,00

Votes blancs

2.866.205

2,28

2,73

Votes nuls

5.957.207

4,73

5,68

Suffrages « valides »
(votos válidos)

95.996.733

76,40

91,58

Source : TSE.

Tabl. XII-B — Voix obtenues par les candidats en lice

Candidats

Partis

Votes

en % des inscrits

en % des votants

en % des suffrages valides

Lula

PT

46 662 365

37,06

44,52

48,61

Geraldo Alckmin

PSDB

39 968 369

31,74

38,13

41,64

Heloisa Helena

PSOL

6 575 393

5,22

6,27

6,85

Cristavam Buarque

PDT

2 538 844

2,02

2,42

2,64

Ana Maria Rangel

PRP

126 404

0,10

0,12

0,13

José Maria Eymael

PSDC

63 294

0,05

0,06

0,07

Luciano Bivar

PSL

62 064

0,05

0,06

0,06

Source : TSE (chiffres communiqué par la justice électorale peu après le scrutin et ne prenant donc pas en considération d’éventuelles et infinitésimales modifications liées à des décisions judiciaires).

  • 66  La presse reprochait à la direction du PT d’avoir voulu acheter un dossier supposé être compromett (...)

47Sans l’apparition, à quelques jours du premier tour de la présidentielle, de ce qui devint vite (grâce au déchaînement des médias alors fort peu soucieux de respecter les règles déontologiques élémentaires), d’une nouvelle « affaire » impliquant une nouvelle fois des proches de Lula (la suite des événements montrera que les accusations de la presse n’étaient guères fondées)66, Lula aurait certainement obtenu un peu plus de 50 % des voix le 1er octobre et aurait ainsi été réélu dès le premier tour. Au soir de ce jour, il lui manqua 1,3 millions de voix pour l’être (tableaux n° XII-A et B). Mais il sut reconquérir rapidement les suffrages dont l’avait privé cette affaire, en adressant des signes forts aux couches moyennes (notamment à travers un vocabulaire et des thèmes de discours plus explicitement politiques). Il bénéficia aussi d’une lourde et double erreur d’Alckmin, puisque celui venait d’affirmer qu’il allait reprendre les privatisations (or celles-ci, à tort ou à raison, avaient laissé un triste souvenir à nombre de Brésiliens) et ne sut pas répondre aux vives critiques que cette affirmation déclencha aussitôt. En outre, de grands leaders du PSDB préféraient le voir battu, de façon à pouvoir briguer plus facilement le Planalto en 2010. C’était le cas de José Serra, mais plus encore du jeune et populaire gouverneur du Minas Gerais, Aécio Neves. Ces hauts dirigeants mobilisèrent donc peu leur électorat respectif en faveur d’Alckmin. C’est ainsi qu’au soir du second tour, Alckmin obtient moins de voix qu’au premier tour, chose rarissime pour ne pas dire unique dans l’histoire électorale des pays démocratiques.

48Pour le politologue, ce qui restera de cette élection est moins sa campagne ou son issue que la profonde modification du vote « Lula 2006 » par rapport au vote « Lula 2002 ». Les cartes électorales sont à cet égard frappantes. Si les pages qui précèdent laissent évidemment deviner qu’il y a eu en 2006 une forte corrélation entre vote Lula, pauvreté et faible instruction, elles n’ont pas pu dire à quel point. Pour cela, il convient de regarder, de façon minutieuse, les voix obtenues par le président Lula. La justice électorale (organisme ayant aussi mission d’information et de transparence) publie sur internet et après chaque scrutin les résultats des urnes, commune par commune. Grâce à ces données, tout internaute peut procéder à diverses comparaisons entre communes. Et comme l’IBGE et d’autres ministères publient aussi sur internet maintes données d’ordre démographique, économique et social, la recherche des corrélations envisagées devient possible… bien que très fastidieuse vu le nombre de communes et de candidats.

  • 67  Ils proviennent d’un court texte introductif d’un document Powerpoint composé d’une centaine de di (...)

49Il faudrait à ce texte une bonne trentaine de pages supplémentaires pour y faire figurer les résultats de ces confrontations de données. Les paragraphes de la prochaine section n’ont pour ambition que d’indiquer au lecteur les conclusions majeures de ce travail. Ils n’auront donc pas la précision de la plupart des autres parties de cet article67.

Les ailes et le plomb : éléments d’analyse statistique du vote Lula

  • 68  Indice élaboré par le PNUD, et incluant trois données de base : l’espérance de vie à la naissance, (...)

50Lula a remporté aisément le second tour avec 60,8 % des votes valides, soit presque autant qu’en 2002 (61,3 %). Mais en 2002, Lula avait battu José Serra dans 26 des 27 unités fédératives (UF) du pays (l’exception était l’Alagoas), le devançant, selon les UF, de 5 points (Acre) à 58 points (Rio de Janeiro). En 2006, Lula ne devance Geraldo Alckmin que dans 20 UF sur 27. Ce recul territorial est arithmétiquement compensé par un accroissement des écarts de voix entre les deux candidats (l’écart maximum – Amapá – est de 74 points). Dans les 7 autres UF où Alckmin arrive en tête, le candidat du PSDB ne devance Lula que de 1 point (Mato Grosso) à 23 points (Roraima). Bien que la victoire de Lula soit ample et bien qu’Alckmin ait d’un tour à l’autre perdu plus de 2,4 millions de voix, le second tour n’a toutefois pas vraiment effacé le premier. Le dimanche 29 octobre 2006 comme quatre semaines plus tôt, c’est surtout dans les unités fédératives à faible indice de développement humain (IDH68) que Lula a enregistré ses meilleurs résultats, même si cette corrélation est moins forte qu’au premier tour. Lors du premier tour, la bipolarisation politique entre Lula et Alckmin était criante ; les cinq autres candidats n’enregistrant que des scores faibles ou négligeables (Heloisa Helena, troisième avec seulement 6,8 % des voix obtient un score presque trois fois moins élevé que le troisième de 2002, António Garotihno).

51Cette bipolarisation politique se doublait d’une bipolarisation territoriale. La carte électorale du premier tour 2006 a été d’une simplicité jamais vue depuis 1989. De fait, au nord d’un arc de cercle reliant l’Acre à l’État de São Paulo (cf. carte), zones généralement les moins développées du pays, Lula devançait Alckmin dans toutes les unités fédératives, Roraima excepté. En dessous de cet arc, il arrivait deuxième. Cette carte témoigne d’une mutation importante de l’implantation de l’électorat de Lula : les scores réalisés au premier tour 2006 par Lula dans les unités fédératives situées au-dessus de cet arc sont toujours supérieurs et parfois très supérieurs à ceux du premier tour 2002 (dans le Maranhão Lula a gagné 36 points en quatre ans) ; inversement, ses scores dans les unités situées en dessous de cet arc sont tous inférieurs et parfois très inférieurs à ceux de 2002 (il a perdu 23 points dans le Santa Catarina). La carte du second tour 2006 confirme en partie ce transvasement. Car, d’une part, dans 13 unités fédératives sur 27 Lula fait un score inférieur à celui réalisé lors du second tour de 2002. D’autre part, dans 6 des 20 unités où il bat Alckmin, il recule par rapport à 2002 (il perd notamment 9 points à Rio et 5 dans le District Fédéral). Enfin, les 7 unités où Lula est battu par Alckmin sont toutes situées, sauf le Roraima, sous l’arc de cercle apparu au premier tour. Le recul que Lula enregistre dans ces unités est parfois spectaculaire : il abandonne près de 19 points dans le Santa Catarina ; à São Paulo, territoire historique de l’implantation électorale du PT, mais aussi terre de José Serra et de Geraldo Alckmin, Lula recule de 8 points.

Carte. — Candidats arrivés en tête dans les unités fédératives au soir du premier tour

Carte. — Candidats arrivés en tête dans les unités fédératives au soir du premier tour

© S. Monclaire

Tabl. XIII — « Dénationalisation » du score de Lula et résultats de ses concurrents

UF

Inscrits

Lula 2002
(%)

Lula 2006
(%)

différence

IDH*

Alckmin

Heloisa
Helena

Cris.
Buarque

AC

0,33

46,8

42,6

- 4,2

0,697

51,8

4,2

1,7

AM

1,42

47,7

78,1

30,4

0,713

12,4

6,6

2,6

AP

0,29

49,9

54,4

4,5

0,753

32,2

10,1

3,1

PA

3,30

42,3

51,8

9,5

0,723

41,6

4,7

1,7

RO

0,79

45,0

45,1

0,1

0,735

47,0

5,6

2,0

RR

0,19

45,0

26,1

- 18,9

0,746

59,3

11,7

2,1

TO

0,70

43,1

58,6

15,5

0,710

37,3

2,4

1,5

Norte

7,01

44,4

56,1

11,7

36,4

5,4

1,9

AL

1,48

28,6

46,6

18,0

0,649

37,8

13,2

2,0

BA

7,24

55,3

66,6

11,3

0,688

26,0

4,3

2,7

CE

4,26

39,4

71,2

31,8

0,700

22,8

3,7

1,9

MA

3,12

40,9

75,5

34,6

0,636

18,8

2,9

2,6

PB

2,05

47,8

65,3

17,5

0,661

27,9

4,2

2,4

PE

4,64

46,4

70,9

24,5

0,705

22,9

3,7

2,1

PI

1,65

46,8

67,3

20,5

0,656

28,0

2,5

2,0

RN

1,67

43,7

60,2

16,5

0,705

31,6

5,1

2,8

SE

1,03

44,2

47,3

3,1

0,682

44,4

6,2

1,8

Nordeste

27,13

45,9

66,8

20,8

26,1

4,4

2,3

DF

1,32

49,1

37,1

- 12,0

0,844

44,1

12,3

6,1

GO

2,97

42,1

40,2

- 1,9

0,776

51,5

6,3

1,8

MS

1,24

41,5

36,0

- 5,5

0,778

56,2

5,6

2,0

MT

1,54

40,6

38,6

- 2,0

0,773

54,8

4,1

2,2

Centro-O.

7,07

43,1

38,5

- 4,6

51,6

6,9

2,8

ES

1,86

44,5

53,0

8,5

0,765

37,1

5,9

3,7

MG

10,87

53,0

50,8

- 2,2

0,773

40,6

5,7

2,7

RJ

8,66

40,2

49,2

9,0

0,807

28,9

17,1

4,5

SP

22,28

46,1

36,8

- 9,3

0,820

54,2

7,1

1,7

Sudeste

43,67

46,5

43,3

- 3,2

45,2

8,7

2,6

PR

5,66

50,1

37,9

- 12,2

0,787

53,0

5,4

3,4

RS

6,16

45,2

33,1

- 12,1

0,814

55,8

7,1

3,9

SC

3,31

56,6

33,2

- 23,4

0,822

56,6

6,6

3,3

Sul

15,13

49,4

34,9

- 14,5

54,9

6,4

3,6

Brésil

100,00

46,4

48,6

2,2

41,6

6,8

2,6

* Indice du développement humain (PNUD). Sources : données locales, TSE ; saisies et organisation statistique des données, S. Monclaire.

  • 69  Voir note 67.

52Mais poursuivre l’analyse sur la base des unités fédératives risque de masquer l’essentiel, car celle-ci agrège des votes différemment motivés : ceux émis dans les petits, moyens et grands municipes d’une même unité, c’est-à-dire dans des zones où les niveaux d’instruction, d’information, de politisation sont très différents, et dans lesquelles les conditions de vie et le pouvoir d’achat sont également très inégaux. En outre, n’observer que les votes valides induit en erreur, car l’abstention (y compris chez les personnes pour lesquelles voter n’est pas juridiquement obligatoire) est un choix, de même que le vote « blanc » et (sauf lorsqu’il est involontaire) le vote « nul ». Se focaliser sur le second tour est une autre erreur, car au premier tour l’offre électorale était plus large. Il faut commencer par étudier attentivement le premier tour, puisque 9,3 millions d’électeurs ont alors choisi de voter pour des candidats autres que ceux qui allaient disputer le second. Enfin, chercher des corrélations avec un indicateur comme l’IDH est peu heuristique puisque les trois composantes à partir desquels il est calculé69 ne peuvent guère constituer un motif personnel direct du vote. Mieux vaut donc travailler à partir de résultats électoraux moins agrégés et des indicateurs socio-économiques moins globaux et aux conséquences individuelles plus immédiates et concrètes.

53J’ai donc établi, comme le font fréquemment les démographes, 8 tranches de municipes : de 1 à 5 000 inscrits ; de 5 001 à 10 000 ; de 10 001 à 20 000 ; de 20 001 à 50 000 ; de 50 001 à 100 000 ; de 100 001 à 200 000 ; de 200 001 à 500 000 ; et plus des 500 001 (voir tableau XIV). Dans chaque tranche, j’ai calculé la moyenne des ratios voix/inscrits obtenus par Lula et Alckmin dans chacun des municipes de la tranche considérée.

Tabl. XIV — Composition des 8 tranches de municipes

Codes

Tranche des municipes*

Nombre de municipes

Inscrits

% d’inscrits

% Lula

sur votes

valides

% Lula

sur

inscrits

F1

de 1 à 5 000

1 870

5 968 752

4,75

48,77

36,95

F2

de 5 001 à 10 000

1 468

10 620 482

8,44

53,16

38,50

F3

de 10 001 à 20 000

1 162

16 434 348

13,07

55,09

39,35

F4

de 20 001 à 50 000

687

20 870 174

16,59

52,51

38,01

F5

de 50 001 à 100 000

204

13 875 337

11,03

48,08

36,68

F6

de 100 001 à 200 000

86

12 008 294

9,55

47,11

36,70

F7

de 200 001 à 500 000

55

16 259 012

12,93

44,27

35,24

F8

plus de 500 000

20

29 728 841

23,64

49,90

39,50

Brésil

5 552

125 765 240

100,00

* N’ont pas été pris en considération 13 municipes des tranches F1 et F2, car pour eux manquaient certaines des données indispensables aux calculs de corrélation. Source : données municipe par municipe, TSE ; saisies, calculs et organisation statistique des données, S. Monclaire

Candidats arrivés en tête dans les unités fédératives au soir du premier tour

54J’ai également pris en considération le nombre de bolsa família délivrée dans chacun de ces municipes, puis j’ai rapporté ce nombre à la quantité d’inscrits que compte chacun des municipes considérés. Car, d’une part, le nombre de bourses allouées peut, municipe par municipe, servir d’indicateur de pauvreté compte tenu des plafonds de ressources qui en permettent l’obtention. D’autre part, la bolsa família, c’est de l’argent (élément très concret permettant l’acquisition de biens et de services eux-mêmes très concrets) qui tombe mensuellement dans le porte-monnaie de 11,1 millions de familles réparties dans l’ensemble du territoire national ; les effets économiques directs de cette aide financière, qu’ils soient directs (hausse du pouvoir d’achat des bénéficiaires) ou indirects (préservation et création d’emplois dans le commerce local, aide au micro-développement, réduction de la pauvreté), comme les effets socio-cognitifs (gains de dignité et d’inclusion sociale) ou démographiques (baisse tendancielle de l’exode rural), ainsi que les effets des contreparties exigées par le versement de l’allocation (vaccination, scolarisation) sont bien connus des chercheurs ou des élus locaux, mais encore plus directement compris et quotidiennement vécus par les 11,1 millions de familles bénéficiaires et par leurs proches (voisins, parents, amis, commerçants, collègues de travail…). De surcroît, grâce notamment à d’intenses campagnes de publicité, tous les Brésiliens ou presque appelés aux urnes imputent la paternité du programme Bolsa familiá au gouvernement présidé par Lula. Enfin, les données du programme Bolsa familia sont régulièrement actualisées, municipes par municipes ; celles que j’ai utilisées coïncident avec le premier tour de la présidentielle d’octobre 2006, tandis que les données IDH datent de 2000.

Le vote « bolsita »

  • 70  Idem.

55La première série de corrélations70 montre très clairement que la répartition, au premier tour, du vote Lula 2006 entre les tranches de municipes est plus homogène qu’en 2002, mais aussi en partie inverse de celle de 2002 et souvent différente de celle d’Alckmin (voir Figure 1).

Fig. 1. Structure des votes (premier tour) par tranches de municipes

Fig. 1. Structure des votes (premier tour) par tranches de municipes

© S. Monclaire

56La Figure 1 montre surtout l’importance de la corrélation positive entre la bolsa família et les votes Lula. Quelle que soit la tranche de municipes considérée, plus le ratio bolsistas/inscrits s’élève au sein des municipes de la tanche considérée, plus Lula reçoit d’importants pourcentages de voix (que ce soit par rapport aux votes valides ou par rapport aux inscrits). Le tableau XV qui concerne les 687 municipes brésiliens comptant entre 20 001 et 50 000 inscrits (ensemble ces municipes regroupent 20,9 millions des inscrits du pays, soit 16,6 %), en fournit une bonne illustration. Indiscutablement et de manière beaucoup plus nette et systématique que ne le pense la presse brésilienne ou le personnel politique, la bolsa Família a fait décoller le vote Lula partout où se programme arrive, même si la corrélation tend à diminuer dans les tranches de municipes les plus peuplées. On a là une preuve tangible que le vote Lula est, en milieu populaire, plus un vote de reconnaissance et de gratitude qu’un vote opinion.

Tabl. XV — L’impact du programme Bolsa Família : l’exemple des 687 municipes de 20 001 à 50 000 inscrits

Taux de bolsa familia

dans le collège des inscrits

Nombre de municipes

Nombre total d’inscrits dans ces municipes

Votes Lula en % des suffrages exprimés

Votes Lula en % des inscrits

de 0 à 4 %

77

2 409 967

33,16

26,59

de 4,01 à 8 %

182

5 576 202

37,56

30,59

de 8,01 à 12 %

111

3 421 313

48,17

37,87

de 12,01 à 16 %

90

2 735 784

61,50

45,29

de 16,01 à 20 %

132

3 933 265

68,08

49,86

de 20,01 à 24 %

84

2 506 531

71,39

51,65

plus de 24 %

11

287 112

74,25

46,29

Source : données municipe par municipe, TSE et Caixa Econômica ; organisation statistique des données, S. Monclaire

57La bolsa Família n’a pas seulement apporté des voix à Lula, il a contribué à élever la participation électorale. Certes au Brésil le vote est obligatoire, mais une partie des personnes tenues de voter s’abstiennent et parmi les inscrits dispensés de cette obligation (cas des 16-17 ans, des plus de 70 ans et… des analphabètes dont beaucoup sont pauvres et dont beaucoup reçoivent pour eux ou un proche les aides de bolsa família), une partie s’abstient également. Le taux de participation du premier tour 2006 est sensiblement égal à celui de 2002 (83,2 % contre 82,2 %). Pourtant dans les 4 910 municipes comptant jusqu’à 30 000 inscrits (donc ceux principalement situés en zones rurales et dans lesquels la pauvreté est fréquemment assez grande), qui ensemble regroupent 42,7 millions d’inscrits (34 % de ceux du pays), plus le ratio bolsistas/inscrits s’élève et plus, en moyenne, le différentiel de participation 2006-2002 progresse positivement. Ces statistiques font penser que beaucoup de Brésiliens, de condition modeste et abstentionnistes en 2002 sont allés voter le 1er octobre, sans doute par envie de soutenir, par leur vote, le programme Bolsa familia et les autres politiques redistributives du gouvernement Lula. Arrivés dans le bureau de vote, la plupart d’entre eux ont certainement voté Lula, comme le suggèrent les statistiques précédentes.

58Travailler à partir des municipes permet aussi de regarder la performance des candidats selon l’étiquette politique du maire. Or concernant le Brésil, tous les politologues s’accordent à dire que le maire et son équipe ont une part d’influence dans les résultats électoraux de leur municipe. J’ai donc croisé les données municipales avec le parti du maire et comparé, toujours par tranches de municipes, les scores de Lula et Alckmin dans les 410 municipes à maire pétiste (15,6 millions d’inscrits), dans les 872 municipes à maire PSDBiste (26,5 millions d’inscrits) et dans les 4 000 autres non détenus par le PT ou le PSDB.

PT, un futur incertain

  • 71  Idem.

59Les données71 montrent nettement l’existence de phénomènes rassurants pour le PSDB mais très préoccupants pour le PT à l’approche des municipales de 2008. Statistiquement, si l’étiquette du maire a le plus souvent favorisé nettement le vote Alckmin lorsqu’elle était PSDBiste, elle a été souvent été préjudiciable au vote Lula lorsqu’elle était pétiste. De fait, dans les 8 tranches de municipes PSDBistes, Alckmin obtient toujours des scores supérieurs à ceux obtenus dans les tranches de municipes ni pétistes, ni PSDBistes. Dans la tranche de 200 001 à 500 000 inscrits (40 municipes PSDBistes) et dans celle des plus de 500 000 inscrits (18 municipes), c’est-à-dire au sein des tranches où le maire est, comme le président de la République élu au suffrage majoritaire à deux tours, Alckmin enregistre non seulement ses meilleurs scores mais gagne même, respectivement, 10 et 15 points sur ses résultats des municipes « autres » (i.e dont le maire n’était ni PT, ni PSDB) : 41,6 % des voix des inscrits contre 31,3 % et 41,9 % contre 26,4 %. En revanche, dans 4 des 8 tranches de municipes pétistes, Lula fait moins bien que dans les municipes « autres ». Dans les quatre tranches restantes, il fait soit jeu égal (tranche des moins de 5 000 inscrits), soit à peine plus. Ainsi dans la tranche de 200 001 à 500 000 (10 municipes pétistes), non seulement Lula en moyenne ne franchit pas la barre des 40 % (barre que dépasse Alckmin dans les municipes à maire PSDB), mais il gagne à peine 4 points sur ses scores des municipes « autres » : 38,3 % contre 34,6 %. Et si dans les 6 municipes pétistes de plus de 500 000 inscrits, Lula franchit légèrement la barre mentionnée, il ne gagne que 2,3 points sur les municipes « autres » : 41,1 % contre 38,8 %.

Tabl. XVI — Le vote Lula comme plombé par la couleur pétiste du maire

Tranches

Maire PT

Maire PSDB

Maire PFL

F1

49,13

48,06

51,67

F2

49,90

50,36

60,61

F3

48,32

52,54

60,04

F4

50,73

48,89

61,26

F5

49,82

46,76

49,38

F6

43,94

44,33

44,81

F7

47,37

37,30

46,25

F8

52,24

34,73

51,55

Source : données municipe par municipe, TSE et Caixa Econômica ; organisation statistique des données, S. Monclaire

60Lorsqu’on observe les résultats de Lula au premier tour selon la couleur du maire, on s’aperçoit que Lula obtient plus de voix qu’Alckmin dans 50,7 % des 872 municipes PSDBistes ; en pareil cas il s’agit, huit fois sur dix, de municipes comptant moins de 20 000 inscrits (donc de municipes presque toujours situés en zone rurale et souffrant sans doute de problème de développement) ; de sorte que ce pourcentage témoigne principalement de la fantastique force d’entraînement de la bolsa família en zone rurale. En revanche, il est surprenant que dans 200 des 410 municipes pétistes (soit 48,8 %), Lula fait moins qu’Alckmin. En pareil cas, il s’agit sept fois sur dix de municipes de moins de 20 000 inscrits, comme si l’effet positif de Bolsa família, pourtant très puissant en zone rurale, était annulé par l’effet négatif de la couleur politique du maire.

  • 72  Idem.

61D’autres données72 montrent encore qu’au premier tour le PT a été tendanciellement sanctionné dans la plupart des villes qu’il administre ; cette sanction a contaminé le vote Lula, au point de le plomber. Même dans le Nordeste, région où pourtant Lula a reçu des flots massifs de voix bien supérieurs à la moyenne nationale, les municipes de 6 tranches dont le maire est PT font en moyenne un score inférieur à celui obtenu dans les municipes nordestins administrés par un maire d’une autre couleur. Autre preuve : si on compare les 410 municipes pétistes du pays en fonction de l’année à partir de laquelle ils sont passés sous administration pétiste, on constate que dans chaque tranche des municipes détenus par le PT depuis janvier 2001, Lula fait en moyenne un score inférieur (parfois de plus 10 points) à celui réalisé dans les municipes détenus par le PT depuis janvier 2005. Cela vaut aussi dans le Nordeste : les vieux municipes PT (certes ils sont rares) votent moins Lula que les jeunes municipes PT.

62Le 1er octobre, 1 336 000 voix (soit 1,39 % des votes valides) ont manqué dans le pays à Lula pour qu’il puisse être réélu président de la République dès le premier tour. Or si les inscrits des 410 municipes pétistes avaient ce jour-là voté comme ils l’ont fait quelques semaines plus tard, il n’y aurait pas eu besoin de second tour : Lula aurait gagné avec 424 000 voix de plus que nécessaire. Est-ce à dire qu’au second tour, les municipes à maires pétistes ont cessé de pénaliser le vote Lula ? Non. Certes, dans ces 410 municipes, les scores de Lula ont progressé d’un dimanche à l’autre, mais rarement au point d’approcher ceux réalisés dans le reste du pays. Ainsi le 29 octobre, dans 4 des 8 tranches on a en moyenne moins voté pour Lula quand le municipe était pétiste que lorsqu’il était PSDBiste. Et dans 6 des 8 tranches, le vote Lula au sein des municipes pétistes est inférieur à celui enregistré dans les municipes qui n’étaient ni pétistes, ni PSDBistes. Toujours au second tour, dans chacune des huit tranches, les inscrits des municipes pétistes depuis janvier 2001 continuent de moins voter Lula que les inscrits des municipes devenus pétistes depuis janvier 2005 et qui, pourtant, ne votaient pas fortement pour Lula. Et dans les municipes pétistes des 4 tranches les plus basses, on a même voté plus Alckmin que pour Lula.

  • 73  … puisque le document auquel fait référence la note 67 leur a été distribué.

63Au lendemain de la présidentielle, les cadres du PT se félicitèrent de la victoire de Lula et s’autocongratulèrent. Mais très vite, les cadres des États du Nordeste où Lula avait obtenu des scores très élevés, firent savoir qu’ils aimeraient dans l’avenir exercer plus de responsabilités dans un parti de travailleurs qui, jusqu’ici, avait été presque exclusivement aux mains de cadres de la région Sudeste (principalement de São Paulo) et de la région Sul (principalement du Rio Grande do Sul). Très vite aussi, ces cadres exprimèrent leur inquiétude quant aux prochaines élections municipales. Pour eux, si le gouvernement n’abandonnait pas un peu de son orthodoxie monétariste et de sa rigueur budgétaire, la croissance resterait faible, le chômage ne reculerait pas et le parti perdrait des voix et des mairies aux municipales de 2008. Aucun d’eux n’avait encore regardé les scores de Lula selon la couleur du maire. C’est, depuis, chose faite73. Les mauvais scores de Lula dans ces municipes tiennent-ils surtout à des raisons locales (mauvaise gestion municipale, absence de subventions du gouverneur,…) ? Où traduisent-ils avant tout un rejet du PT ? L’examen, dans ces municipes, des suffrages obtenus par les candidats pétistes aux élections législatives et des gouverneurs ne permet pas de trancher entre ces deux hypothèses. Il conviendrait donc de mener des enquêtes par panels dans ces municipes. Mais, dans un cas comme dans l’autre, si rien est fait pour améliorer la gestion locale ou améliorer l’image du PT, ce parti risque de perdre beaucoup de ses mairies en 2008. Arrivera-t-il à en gagner d’autres pour compenser ces pertes ?

Haut de page

Annexe

26 février 2007

Annexe 1 : Le recul du PT à la Chambre74

Depuis le printemps 2005, la Chambre des députés a été secouée et discréditée par une vague de scandales. Ce fut d’abord celui du « mensalão », c’est-à-dire de la rémunération occulte, avec des fonds détournés, de dizaines de députés en échange de leur soutien au gouvernement Lula. Certes, faute de preuves irréfutables et à de sombres manœuvres politiciennes, la plupart des parlementaires soupçonnés ont été absous ; mais la découverte, par la presse et par la police, d’un faisceau d’indices concordants et impliquant la haute direction du PT a terni un peu plus l’image de la Chambre et ôté au PT son aura de « parti propre ». Puis ce fut la démission, pour corruption active, du président de la Chambre. Ce parlementaire, notoirement connu pour son clientélisme, ses bravades machistes et populistes, avait exigé du gérant du restaurant de la Chambre un pot-de-vin pour que celui-ci puisse continuer d’y exercer son activité professionnelle. Début 2006, ce fut la révélation du caractère exorbitant des frais de fonctionnement des cabinets parlementaires (téléphone, essence) qui défraya la chronique. En mai-juin, ce fut le scandale des « sangsues », c’est-à-dire d’un réseau de surfacturation d’ambulances municipales et dont une cinquantaine de députés tiraient plus ou moins profit. La désapprobation de l’opinion était telle, que nombre de journalistes estimèrent que lors des élections législatives du 1er octobre 2006 (les 513 sièges de la Chambre étant remis en jeu) les électeurs sanctionneraient fortement les députés sortants, et que la nouvelle Chambre ne ressemblerait guère à la Chambre sortante.

Tabl. XVII (annexe 1) — La relative stabilité du nombre de sièges par parti à la Chambre, malgré l’instabilité des affiliations des élus

partis

1998

à l’issue

du scrutin

Législature sortante (février 2003/décembre 2006)

Nouvelle législature

à l’issue

du scrutin d’octobre

2002

au 1er février

2003

(début de la législature)

à la veille

du scrutin

d’octobre 2006

(V)

députés candidats à

la Chambre

% de réélus parmi ces

candidats

à l’issue du

scrutin

d’octobre 2006 (I)

différence

en %

(I-V)

PT

58

91

90

81

79

62,0

83

2,5

PMDB

83

75

69

78

70

72,9

89

14,1

PFL

105

84

75

64

49

71,4

65

1,6

PSDB

99

70

63

59

42

81,0

66

11,9

PPB/PP

60

49

43

50

39

59,0

41

- 18,0

PTB

31

26

41

43

38

42,1

22

- 48,8

PL

12

26

33

36

30

46,7

23

- 36,1

PSB

19

22

28

27

22

50,0

27

0,0

PDT

25

21

17

20

15

60,0

24

20,0

PPS

3

15

21

15

12

66,7

22

46,7

PC do B

7

12

12

12

9

77,8

13

8,3

PSC

2

1

1

7

6

33,3

9

28,6

PSOL

X

X

X

7

7

42,9

3

- 57,1

PV

1

5

6

7

6

66,7

13

85,7

PRONA

1

6

6

2

2

50,0

2

0,0

PTC

-

-

-

1

1

100,0

3

200,0

Autres

7

10

3

0

0

8

+++

Sans parti

X

X

5

4

X

X

Total

513

513

513

513

427

62,8

513

Source : SGM Câmara/S. Monclaire.

À n’observer que la répartition partisane des sièges à la veille du scrutin et celle issue des urnes, ces pronostics semblent avoir été déjoués. De fait, vingt-quatre heures avant le scrutin législatif du 1er octobre, quatre partis, le PT (gauche modérée), le PSDB (formation de l’ancien président Cardoso et du principal adversaire de Lula aux présidentielles de 2002 et 2006, aujourd’hui située au centre-droit), le PFL (allié du PSDB mais plus conservateur que celui-ci) et le PMDB (centre mou dont près de la moitié des élus soutenaient Lula), occupaient ensemble 282 des 513 sièges. Dans la nouvelle Chambre, ces quatre partis en détiendront 303. Aucun d’eux n’a reculé ; les gains enregistrés concernent aussi bien les partis soutenant le gouvernement Lula que ceux le combattant.

Mais à élargir dans le temps la comparaison, plusieurs reculs (interprétables comme des sanctions électorales) commencent à apparaître. Cet élargissement est indispensable, puisque au cours d’une même législature la composition de la Chambre peut fortement varier sous l’effet de l’infidélité partisane. Ainsi, d’octobre 2002 à octobre 2006 on a recensé 341 changements d’étiquette parmi les députés (certains élus n’hésitant pas à changer plusieurs fois de partis en l’espace de quelques mois). Si on compare les résultats d’octobre 2006 à ceux d’octobre 2002, ces quatre partis reculent au total de 17 sièges. Le PT en perd 7 et le PFL 19. Est-ce à dire que le PT a été moins sanctionné que le PFL ? Non, car il faut également apprécier ces chiffres au regard du nombre de députés sortants qui tentaient de retrouver leur siège et au regard des unités fédératives d’où proviennent ces élus.

Des 4 grands partis, c’est le PT qui a le moins réussi à faire réélire ses députés sortants (62 %). Les formations centristes, de taille moyenne et alliées au PT durant la législature 2003-2006 ont des taux de réélection encore plus bas : 46 % pour le PL et 42 % pour le PTB (l’une et l’autre très impliquées dans les scandales du Mensalão et des Sangsues). De surcroît, dans les régions Sul et Sudeste, c’est-à-dire dans les régions les plus économiquement riches et dans lesquelles la proportion d’électeurs instruits, politisés et assez attentifs à la vie politique est la moins basse du pays, le PT perd 12 sièges (44 contre 56 au soir des scrutins de 2006 et 2002). Autrement dit, ce 1er octobre, sans les sièges gagnés dans le Nordeste75 (région où l’analphabétisme fonctionnel est encore très présent, région économiquement pauvre et ayant massivement Lula ce 1er octobre) le PT aurait autant reculé en sièges que le PTB et le PL.

Annexe 2

Tabl. XVIII — Nombre de sièges détenus au Sénat

Partis

à la veille du scrutin,

le 30 sept. 2006

au lendemain

du scrutin

au premier jour

de la nouvelle législature

PMDB

22

17

20

PFL

16

19

17

PSDB

15

14

13

PT

12

11

11

PDT

4

5

4

PTB

4

4

5

PL

3

3

-

PSB

2

3

3

PSOL

1

0

1

PC do B

1

2

1

PRB

1

1

1

PPS

0

1

0

PRTB

0

1

0

PR*

-

-

5

Total

81

81

81

*Le PR est une formation née fin janvier 2007, de la fusion du PL et du PRONA.
Remarque : les variations entre la composition du nouveau Sénat au soir du scrutin et sa composition au premier jour de la nouvelle législature ne tiennent pas qu’à l’infidélité partisane des élus. Elle écoule aussi du fait que des sénateurs élus en 2002 et dont le mandat prenait fin en 2010 ont été élus à des postes de gouverneur ou ont été appelés à des postes de l’exécutif fédéral ou des États. En ce cas et en raison des règles d’incompatibilité parlementaire, ils ont dû céder leur siège à leur suppléant. Or celui-ci n’appartenait pas toujours au même parti qu’eux. Source : SGM Senado

Annexe 3 : Image pieuse, ou mythographie ?

Fig. 2. « Lula de novo com a força do povo » (Lula à nouveau, avec la force du peuple). Principale affiche du candidat Lula 2006 (1er tour)

Fig. 2. « Lula de novo com a força do povo » (Lula à nouveau, avec la force du peuple). Principale affiche du candidat Lula 2006 (1er tour)

Cette affiche, d’une grande douceur, s’inscrit dans un registre d’images rappelant l’iconographie chrétienne et ses représentations de la sainteté, de l’apostolat, du partage et de la communautarisation. On y voit notamment, sur fond de ciel azur (donc rassurant) et au premier plan (à gauche…) un homme barbu, clairement identifiable, au contact d’une foule enchantée et nullement agressive. Cet homme, c’est Lula. Chacune des personnes figurant sur ce cliché au moment où il a été pris (mars 2006), sait que c’est lui et qu’il s’agit du président de leur pays. Puis, lorsque s’ouvre la campagne électorale et que l’affiche est placardée ici ou là, tous les Brésiliens qui la regardent savent aussi, tellement son visage et sa silhouette leur sont familiers, que cet homme est Lula, qu’il s’agit du président et du candidat-président (le slogan apposé sur cette affiche et débutant par le mot « Lula » lève d’ailleurs toute ambiguïté quant à l’identité de ce barbu). L’originalité et la force sémiotique de cette affiche découlent d’abord de la façon dont Lula nous est montré, et de ce qui semble s’échanger entre lui et ce qui l’entoure, entre lui et ces gens, entre lui et ces deux autres personnages principaux situés au premier plan : l’homme à la casquette (la trentaine, souriant, déterminé et confiant) ; et cet enfant, comme suspendu dans l’air, dont les bras ouverts relient amoureusement Lula et l’homme à la casquette.

Au Brésil, comme en Amérique latine, en Asie, en Europe ou aux États-Unis, les affiches électorales les plus diffusées ne montrent généralement que le candidat, dans un décor ou un paysage plus ou moins signifiant. S’il y a des personnes à ses côtés, celles-ci sont le plus souvent en retrait et servent de faire valoir. Dans les deux cas, le candidat regarde l’objectif du photographe, donc en direction de ceux qui regarderont l’affiche. Généralement il pose ; et ses acolytes aussi. Ce n’est nullement le cas dans cette affiche. Là rien de solennel ou de protocolaire. Aucune posture apprêtée ou démagogue. On ne nous interpelle pas (que ce soit par un regard ou un mot d’ordre). Ici tout est apaisant : les couleurs, les gestes, les regards, le don et le contre-don. L’évidence qu’on nous dépeint est aussi simple que souveraine. C’est celle de l’intense et tendre communion du peuple brésilien (ici représenté métaphoriquement par la foule et cet enfant) et de son élu. Parce que le photographe nous met en situation de spectateurs, nous devenons les témoins de cette scène d’amour, manifestement spontanée et quasi eucharistique.

Cette affiche expose et authentifie (par les effets de réalité immanents à toute photographie) ce moment fusionnel. Elle l’immortalise et glorifie la pleine et tranquille étreinte des corps physique et symbolique d’un Lula irradié (son corps d’homme, celui du président et du candidat) et des corps nécessairement multiples d’un peuple visiblement heureux et satisfait d’avoir pu l’approcher, le voir et le toucher. Si le contexte électoral nous fait également regarder cette rencontre et cette union comme étant aussi celle du président-candidat et du corps électoral, l’apparente consubstantialité de ces deux institutions incarnées ainsi que la profonde et sincère harmonie qui semble régner entre elles font penser que l’élu du peuple le restera. Toute photographie ne tend-elle pas à perpétuer, pour ceux qui la regardent, l’instant qu’elle a saisi ?

Lula apparaît ici comme un être aimé et aimant, dont la proximité et le contact sont recherchés et bienfaisants. Chacun dans cette foule joyeuse se tourne vers lui. Ces bras, ces mains, ces yeux et ces sourires sont ceux du peuple et, plus encore, ceux du petit peuple. Car statistiquement, dans ce Brésil où la population est très majoritairement blanche, ce sont surtout les Noirs et les métis qui sont frappés par la pauvreté. Or sur cette affiche, on ne voit aucun Blanc ; hormis Lula, tous sont Noirs ou métis (à commencer par cet enfant, plutôt chétif et dont la relative maigreur rappelle celle des pauvres et fournit un signe supplémentaire de l’identité sociale de ce peuple/foule). Comme si Lula était l’homme blanc et un candidat-président blanc à l’écoute, au contact, au service des Noirs, des pauvres et du petit peuple.

Ici, Lula semble être parmi les siens et en être très satisfait. Bien sûr, ces gens et tous les électeurs observant cette affiche connaissent les origines sociales de Lula, savent que ses parents et lui ont longtemps vécu dans la misère puisque Lula et les médias le leur répètent depuis des années. Mais cette photo génère et exhibe plus que cela. De fait, Lula semble y appartenir à ce peuple. Car ce peuple l’entoure, le touche et l’enveloppe de ses bras. De plus, Lula est à l’image de ces petites gens. Il leur ressemble : il est ici sans cravate, ni costume. Cette similitude vestimentaire (la couleur de sa chemise se fondant de surcroît dans celle des visages et des corps de la foule) termine de réduire la distance sociale qui pourrait encore séparer Lula de ce peuple-là. Et comme ces gens nous semblent aussi voir et reconnaître en Lula l’un des leurs, être emplis d’un vif plaisir d’être à ses côtés, cette affiche permet d’affirmer et de célébrer ce qu’elle montre et démontre : la symbiose affective et effective du petit peuple et de son élu/candidat. Autrement dit, tous ces éléments visuels, leur agencement et leur syntaxe tendent à légitimer Lula dans ses prétentions à rester quatre ans de plus au Planalto, et simultanément invitent les électeurs qui s’identifient à ce petit peuple (lui aussi légitimé) à voter Lula. L’union entre Lula et ce peuple-là paraît si forte, leur unité paraît si grande qu’elles pourraient faire dire qu’à travers Lula c’est le peuple qui préside le Brésil, et que ce sont les pauvres qui sont au Planalto.

Ce n’est pas tout. Ici Lula transpire. Ses cheveux collent à son front ; l’ombre sur sa chemise peut faire croire que celle-ci est trempée. Fait-il chaud ? Le ciel ensoleillé et le torse nu du jeune garçon le font supposer. Mais cette chaleur semble avant tout humaine : c’est celle des gestes prodigués et des sentiments exprimés. Ainsi le contact entre Lula et l’homme à la casquette est plein de bienveillances, d’estimes et de reconnaissances. Ils se tiennent et se soutiennent bien plus qu’ils ne se serrent la main. « La force du peuple », dont parle le slogan, paraît là être personnifiée. Elle était déjà suggérée par les rangs serrés de cette foule, mais elle devient éclatante par l’attitude décidée de l’homme à la casquette. Cette force n’a rien de musculaire ou de brutal ; c’est une force tranquille, intérieure et communicative. Quant à l’enfant, présenté à Lula et porté tel une offrande, ses doigts et son regard béat sur la joue du président-candidat ont la douceur d’une caresse éternelle. Ils respirent la vie et nous signifient un bonheur total, immédiat. Le visage de l’enfant/peuple exprime aussi l’espoir d’un plaisir proche (celui, en dernière analyse, faut-il le préciser, d’un Lula restant au Planalto). Ce jeune garçon regarde Lula comme d’autres enfants regarderaient le père Noël ou tout adulte engageant et bienfaiteur. Lula, durant la campagne, n’avait-il pas répété à foison qu’il « était le père des pauvres » ? Et alors que Lula est au contact de ces gens, va vers eux autant qu’ils vont vers lui, il y a sur son visage comme une expression de grâce, de félicité intérieure et de grande humilité.

Cette tendresse manifestée de part et d’autre est de l’amour en actes, un amour indéfectible. L’élan et la ferveur communicative du petit peuple épousent un Lula transcendant et transcendé ; la gestuelle du président-candidat et ce qu’elle offre à vivre et ressentir se marient avec les attentes de la foule. Cette affiche atteste donc et consacre une relation presque charnelle et mystique. En effet, Lula ici n’est pas face au peuple (ce qui pourrait suggérer une relation tendue, une possibilité d’affrontement) ; il est dans la foule. D’ailleurs, si derrière lui n’apparaissaient pas, à demi caché, le visage et le buste d’un homme, on aurait mois l’impression que Lula est au sein de cette foule et, par conséquent, dans son cœur. Ce Lula, ce candidat-président n’est pas Lénine guidant le peuple, ni Mao ouvrant la voie. Nous ne sommes pas dans le registre de la domination politique, ni de la propagande, mais dans celui de l’unité, du partage et du religieux. Plus que l’égale et concomitante célébration de Lula et du peuple, il y a surtout concélébration et objectivation de l’amour – indéfectible – qui les unit et les réunit. Nous n’assistons pas un rite, mais à la manifestation de la foi. Car ce qui nous est donné à voir c’est un peuple de croyants qui a foi en son Grand homme humble, comme d’autres ont cru en leur Messie ; un peuple qui lui offre sa reconnaissance et sa force, qui accomplira tout ce qu’il demande (voter pour lui). Quant à Lula, il semble avoir foi en sa mission. Il croit en ce peuple auquel il exprime toute sa gratitude. On le devine imprégné de convictions, notamment celle de poursuivre son œuvre, son ministère (dirait-on en langage religieux), sa politique gouvernementale (en termes laïcs), celle en faveur des petites gens (bolsa familia, retraites, salaire minimum pourraient se dire les électeurs).

L’expression qui inonde le visage de Lula rappelle celle qu’à la Vierge à l’Enfant, peinte par Leonard de Vinci. C’est aussi celle qu’a, sur de nombreux vitraux, Jésus quand il croise d’anonymes fidèles. Certes ces référents artistiques ne viendront qu’à l’esprit des Brésiliens cultivés. Mais cette affiche n’en évoque pas moins l’imagerie religieuse dans la mémoire collective des électeurs qui la regardent. Ici nous voyons prodiguer gratitude, amour et force. Cette affiche est une icône politique. L’enfant/peuple, tout comme l’homme à la casquette et les gens de cette foule paraissent, quand ils touchent Lula, toucher le Graal ou, pour employer une notion plus anthropologique, toucher le mana (le mana, écrit Marcel Mauss, désigne et subsume notamment « l’efficacité véritable des choses, qui corrobore leur action mécanique sans l’annihiler ; c’est lui qui fait que le filet prend, que la maison est solide, que le canot tient la mer. Dans le champ il est la fertilité ; dans les médecines, il est la vertu salutaire […] ; c’est également une sorte d’éther, impondérable, communicable, et qui se répand de lui-même »76). Mais Lula aussi, à sa façon, touche le Graal. C’est ce contact, cette imprégnation et son amour du peuple électeur qui, par les suffrages que cela lui apporte, peuvent lui permettre de demeurer quatre ans de plus au Planalto. Bref, dans cette affiche, la complémentarité, l’attirance et la symbiose des rôles (président/administrés, candidat/électeurs) sont énoncées, redoublées et légitimées par une proximité des corps, des cœurs et des âmes. Rarement une affiche électorale aura montré tant d’humanité et se sera avérée si cohérente dans les significations et les valeurs qu’elle propage.

Cette analyse est-elle avant tout subjective ? Pèche-t-elle par surinterprétation ? Non. Certes elle n’a pas l’innocence du premier regard. Mais l’histoire de la conception de cette affiche et d’autres matériaux de la campagne électorale de Lula prouvent que les significations prêtées à cette affiche sont bien celles que les conseillers en communication de Lula souhaitaient qu’elle exprime et diffuse. De fait, sur cette affiche n’apparaissent pas des éléments figurant sur le cliché dont elle émane. Et ont été introduits des éléments qui n’y figuraient pas. Or ce qui a été ôté brouillait ou contredisait le sens des éléments conservés. Et ce qui a été rajouté conforte ce sens et le rend plus visible. Le cliché ayant servi à cette affiche a été pris le 21 mars 2006, dans la ville de Lauro de Freitas (Bahia) par un des photographes officiels de la présidence de la République. Il a été notamment publié dans l’hebdomadaire Veja (3 mai 2006 : 111) Voici ce cliché, du moins sa copie scannée (on en excusera la mauvaise qualité graphique).

Fig. 3. Le cliché original

Fig. 3. Le cliché original

Qu’y voit-on qui a été ôté ou gommé pour l’affiche ? Principalement, trois éléments. En bas à droite et au premier plan, autrement dit là où sur l’affiche Figure le buste de l’homme à la casquette, il y a une grosse main tendue. Celle-ci n’est pas vraiment dirigée vers Lula ; elle semble tendue dans le vide ou vers quelqu’un d’autre que Lula. Le fait que Lula ne la saisisse pas rend imparfaite la métaphore de l’union du peuple et du candidat. Elle suggère une union partielle, incomplète. On voit aussi, entre les têtes de Lula et de l’enfant, la tête d’un homme au crâne très dégarni. Sa présence sur le cliché occupe une place suffisante pour en faire le quatrième personnage principal de cette scène. Cet homme, comme le révélera un article Folha São Paulo du 10 septembre 2006, est le chef de l’équipe de sécurité de la présidence, le général Marco Edson Gonçalves, là en tenue civile. Certes, s’il avait figuré sur l’affiche personne n’aurait deviné qui est ce monsieur, ni chercher à le savoir. Mais ce n’est pas son activité professionnelle qui dérange, c’est le fait qu’il soit blanc et, surtout, le fait qu’il soit le seul à ne pas regarder vers Lula. Non seulement il regarde dans une tout autre direction, mais son visage n’exprime aucune joie. Le laisser sur l’affiche aurait réduit à la fois l’impression que cette foule représente le petit peuple, et aurait surtout suggéré qu’une partie du peuple se détourne de Lula (voterait pour un autre) ou est indifférente à son égard. Comme la main, il a donc été gommé. A été également effacé le toit du bâtiment ou de la tente allant des cheveux de Lula à l’épaule de l’enfant. Cette suppression permet au geste de l’enfant (donc à la signification de ce geste) de ressortir davantage.

Concernant les ajouts, le plus important concerne le ciel. On l’a rendu plus bleu. On en a aussi changé les nuages. Ceux-ci sont moins nombreux et contribuent à rendre ce ciel rassurant, estival, enchanteur. Là où apparaissait le buste du chef de sécurité, on a mis trois visages : celui d’un homme métis à moustache et celui de deux femmes noires, dont l’une très souriante. Le choix de ces visages (couleur de peau, attitude) n’est pas innocent. Ces modifications et retouches apportées au cliché original par les conseillers en communication de Lula réduisent les lectures susceptibles d’être faites de cette affiche ; elles en rendent la signification plus univoque et permettent, du coup, d’accroître son pouvoir de suggestion auprès des électeurs qui la regardent.

Lorsqu’ils la regardent, ces électeurs ont pu déjà entendre les trois ou quatre courtes chansonnettes dont au Brésil tout candidat au Planalto s’entoure durant la campagne électorale et qui sont régulièrement diffusées à la radio, à la télévision et durant les meetings. Or les paroles des chansons pro-Lula énoncent explicitement ce que cette affiche exprime. Elles en constituent pour ainsi dire la bande-son. Voici le texte de la plus diffusée d’entre elles, qui dure 2 minutes ; sa musique s’apparente à un air du folklore du Nordeste (région qui compte le plus de pauvres au Brésil, le plus de noirs et dont Lula est originaire), style de musique resté très populaire :

«… Quand le peuple veut, rien ne le surpasse.
Le monde s’illumine, nous pour lui et lui pour nous.
Le Brésil veut aller de l’avant
Avec le premier homme du peuple président.
Il sait gouverner avec le cœur
Et gouverne pour tous avec justice et union.
C’est le premier président qui a l’âme du peuple
Qui a notre visage.
Ce sont des millions de Lula qui peuplent ce Brésil.
Hommes et femmes, nuit et jour à luter
Pour un pays plus juste et indépendant
Où le président est peuple
Et le peuple est président.
Nous sommes là de nouveau,
Chantant
Un rêve nouveau.
Allez, rêvons !
Nous sommes là de nouveau,
Lutant ! L’espérance ne se lasse pas
De crier :
C’est Lula à nouveau, avec la force du peuple ! ».

Quando o povo quer, ninguém domina.
O mundo se ilumina, nós por ele e ele por nós.
O Brasil quer seguir em frente
Com o primeiro homem do povo presidente.
Ele sabe governar com o coração
E governa pra todos com justiça e união.
É o primeiro presidente que tem a alma do povo
Que tem a cara da gente.
São milhões de Lulas povoando este Brasil.
Homens e mulheres noite e dia a lutar
Por um país justo e independente
Onde o presidente é povo
E o povo é presidente.
Nós estamos aqui de novo,
Cantando
Um sonho novo.
Pra sonhar !
Nós estamos aqui de novo
Lutando ! A esperança não se cansa
De gritar :
É Lula de novo, com a força do povo !

Une autre de ces chansonnettes, celle-ci un peu plus longue (2’43’’), mêle d’emblée registre religieux et registre politique, puis avec des mots empruntés au lexique du labeur (lexique déjà présent dans le nom même du parti de Lula – le parti des travailleurs), elle décrit les qualités de Lula, affirme l’adéquation entre celles-ci, les intérêts et les valeurs du peuple et des pauvres. Elle se clôture par l’idée que Lula étant donc synonyme du petit peuple, c’est aussi ce peuple-là qui préside le pays. En voici les paroles (là encore la musique est du Nordeste).

« La voix de Dieu est la voix du peuple »
Regarde Lula, là77 de nouveau.
Lula est un grand président.
Et il va continuer avec nous.
Ne change pas le sûr par de l’incertain.
Je veux Lula à nouveau !
Lula est un grand président.
Et il va continuer avec nous.
Continue, notre compagnon !
Laissons cet homme travailler,
Humble, juste et vrai.
Il n’est pas seulement notre président
Laissons l’homme travailler !
Il n’est pas seulement notre président :
Lula va continuer.
C’est un grand ami à nous.
Je veux Lula là,
Notre Brésil sur le bon chemin.
Laisse cet homme travailler !
Le futur n’est plus incertain ;
Laisse le gars travailler !
C’est notre peuple maintenant qui décide.
Lula va continuer.
Je veux Lula là !
Notre peuple pauvre aujourd’hui a sa chance.
Laisse cet homme travailler !
Mon Brésil autosuffisant78
Laisse le gars travailler !
Lula gouverne pour tous.
Je veux Lula là !
C’est pour cela qu’il est différent.
Là tout marche bien.
Je veux Lula là !
Il traite le peuple avec tendresse.
Et on n’a pas de raison de vouloir changer !
Je veux Lula là,
Pour rester président ».

A voz de Deus é a voz do povo.
Olha o Lula, ai de novo.
Lula é um grande presidente
E vai continuar com a gente.
Noã troca o certo pelo duvisodo.
Quero Lula de novo !
Lula é um grande presidente
E vai continuar com a gente.
Continua nosso companheiro !
Deixam o homem trabalhar,
Humilde, justo e verdadeiro.
Deixam o homem trabalhar !
Não é só o nosso presidente ;
Lula vai continuar.
É um grande amigo da gente.
Eu quero Lula lá,
Nosso Brasil no rumo certo.
Deixa o homem trabalhar !
O futuro não é mais incerto,
Deixa o homem trabalhar !
É nosso povo agora que decide
Lula vai continuar.
Eu quero Lula lá !
Nosso povo pobre hoje tem a sua vez.
Deixa o homem trabalhar !
Meu Brasil auto sufuciente
Deixa o homem trabalhar !
Lula governa para todos.
Eu quero Lula lá !
Por isso que ele é diferente.
Tá tudo andando direitinho.
Eu quero Lula lá !
Ele trata o povo com carinho.
Eu quero Lula lá !
E a gente não tem porque mudar !
Eu quero Lula lá
Para continuar presidente.

Ainsi, les mots de ces chansonnettes et les signes visuels de cette affiche énoncent et célèbrent très souvent les mêmes choses, sans jamais se contredire les uns les autres. C’est là une preuve supplémentaire du caractère peu subjectif de l’analyse faite de cette affiche.

Quel a été l’impact de cette affiche ? Aucune enquête d’opinion n’ayant été réalisée à son sujet, on ne peut guère le savoir. Mais une chose est sûre : au premier tour – tous les sondages sortis des urnes le démontraient et cela apparaissait déjà clairement dans les semaines ayant précédé le scrutin – une très grande majorité des membres des couches populaires a voté Lula ; en revanche et toujours selon ces sondages, les couches moyennes ont beaucoup moins voté pour lui qu’en 2002. Si Lula a frôlé la barre de 50 % de suffrages exprimés, il ne l’a pas franchie. Un second tour a donc été nécessaire pour désigner le président de la République. Pour remporter ce second tour, Lula se devait de conserver les voix acquises au premier et reconquérir les voix perdues au sein des couches moyennes. Et pour cela, il devait adresser à celles-ci des signes forts et se présenter à elles, non plus comme un président du (petit) peuple, mais comme le président de tous les brésiliens, qu’ils soient blancs ou noirs, riches ou pauvres. Un de ses signes consista à ne plus employer cette affiche et à la remplacer par des affiches électorales plus classiques. Lula y figurait seul, portant parfois un costume cravate, regardant toujours en direction du photographe et lui souriant à pleine dent, comme dans une publicité de dentifrice. Au soir du second tour, le score de Lula fut de 12 points supérieurs à celui du premier tour. Ce bond en avant et cette victoire ne sont évidemment pas dus qu’à cette substitution d’affiches, mais cela y a certainement contribué.

La première affiche, celle avec la foule, était certes porteuse d’un message très clair et univoque, mais elle tendait à réduire le corps électoral au seul petit peuple ou aux couches populaires. En 2002, le matériel de campagne de Lula était plus « interclassiste ». Au plan des représentations, il incluait davantage les couches moyennes. C’était le cas, par exemple, de la couverture du programme de gouvernement. On y voyait déjà un enfant. Mais celui-ci était blanc, moins chétif et de quatre ou cinq ans plus jeune que l’enfant noir de l’affiche de 2006. Ce petit garçon était le seul personnage de cette couverture. Il serrait tendrement sur son buste, et tel un ours en peluche, une grosse… étoile rouge, symbole du parti des travailleurs. C’était l’époque où le parti était un encore argument électoral positif très employé par l’équipe de communication de Lula.

Sur l’affiche de 2006, on ne voit plus aucun drapeau du parti des travailleurs, aucune étoile rouge, ni même un cm2 de couleur rouge. De surcroît, le slogan apposé, en 2002, aux côtés de ce bambin était : « un Brésil pour tous ».

Haut de page

Notes

1  Depuis l’adoption, en juin 1997, d’un amendement constitutionnel, les titulaires de mandats exécutifs (président, gouverneurs et maires) ont le droit de briguer un second mandat consécutif.

2  Les votes valides correspondent à ce que le droit français appelle hypocritement les « suffrages exprimés », c’est-à-dire l’ensemble des voix moins les votes blancs et nuls. Car si certains électeurs peuvent voter d’une manière qui rendra leur vote, sans qu’ils l’aient souhaité, juridiquement nul ou blanc, d’autres choisissent délibérément de voter blanc ou nul ; en ce cas, leur vote exprime bien quelque chose (généralement une insatisfaction à l’égard de l’offre politique).

3  Les quatre autres gouvernorats étant ceux des États d’Acre (déjà aux mains du PT en 2002), du Pará, tous deux situés dans la région Nord, et des États du Sergipe et du Piauí, situés dans la région Nordeste.

4  Cet article réunit le contenu de diverses communications faites par l’auteur, à l’approche et aux lendemains du scrutin dans des universités brésiliennes ou françaises.

5  Par souci de simplification, on assimile ici le District fédéral (Brasília, capitale fédérale) à un État fédéré et donc à une unité fédérative.

6  À la Chambre, chaque unité fédérative dispose de 8 à 70 sièges selon l’importance de sa population ; cette fourchette s’avère insuffisante pour éviter d’assez grandes distorsions de représentativité, compte tenu des forts déséquilibres démographiques existants d’une unité à l’autre. Au Sénat, chaque unité occupe trois fauteuils. Les distorsions de représentativité sont ici considérables. Elles sont toutefois tolérées et même acceptées par la classe politique grâce aux sacro-saints et séculaires principes du fédéralisme et du bicamérisme intégral selon lesquels le Sénat représente les unités constituant la Fédération (alors que la Chambre est sensée représenter leur population) et qu’aucune unité ne peut avoir plus de poids qu’une autre.

7  Chaque Assemblée comporte de 24 à 94 sièges. Cette fourchette étant plus étroite que celle existant à la Chambre, les disparités de représentation y sont nécessairement plus importantes.

8  Pour une bonne synthèse des nombreux travaux sur le fédéralisme, la présidence, le Congrès et les relations exécutif/législatif dans le Brésil actuel, lire L. Avela & A.O. Cintra (eds), Sistema político brasileiro, São Paulo, Éditions Unesp, 2004 : 123-222.

9  Exemple de cette incidence : les nécessités d’ordre pratique et juridique de collaboration entre Union et unités fédératives, mais également entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif de l’Union et des unités fédératives, sont souvent invoquées par les membres de tel ou tel parti pour justifier leur ambition d’occuper le maximum de postes et rendre cette ambition socialement acceptable et souhaitable.

10  Pour savoir combien de sièges cette liste obtiendra, on additionne les suffrages s’étant portés sur les candidats qu’elle comporte et ceux s’étant portés sur elle ; puis on divise ce total de suffrages par le quotient électoral (les sièges dits « restants » étant répartis selon la méthode d’Hondt, c’est-à-dire à la plus forte moyenne). Si elle obtient par exemple cinq sièges, ces sièges iront aux cinq candidats qui auront nominativement reçu le plus de voix en son sein. De sorte qu’il est fréquent que des candidats soient élus sans pourtant avoir chacun recueilli davantage de voix que des candidats non élus d’autres listes.

11  Donc, à la Convention nationale pour la présidentielle, à la Convention d’État pour les gouverneurs et les législatives, et à la Convention municipale pour les élections municipales.

12  Comme lors des élections précédentes (élection présidentielle mise à part), la moyenne du nombre de candidats par poste varie d’abord en fonction du mode de scrutin ou, plus exactement, en fonction des plus ou moins grandes probabilités de victoire qu’offre chaque mode de scrutin. Ainsi, concernant les postes disputés au scrutin majoritaire, la moyenne était de 7,52 candidats par palais de gouverneur et de 7,81 par fauteuil de sénateur. Concernant les postes attribués à la proportionnelle, elle était de 9,79 pour les sièges de députés fédéraux et de 11,62 pour ceux de députés d’État.

13  De 1994 (première fois où la présidentielle fut jumelée avec les autres scrutins, et première fois où les gouverneurs furent élus au scrutin uninominal à deux tours) à 1998, le nombre de candidats a progressé de 27,1 % (passant de 11 344 à 14 420). De 1998 à 2002, la hausse fut de 16,5 % (passant de 14 420 à 16 800).

14  Sur cette topographie et la difficulté à en rendre compte, lire S. Monclaire, Élections et partis au Brésil, Paris, Afbras, chapitre 4, à paraître.

15  Art. 4-§1 de Instrução n° 55, classa 12, du 26 février 2002, formant la Resolução 20 993, même date, du TSE (texte précisant les modalités des élections de 2002) ; article repris in extenso par Instrução n° 105, classa 12, du 3 mars 2006, formant la Resolução 22 156, même date, du TSE (texte précisant les modalités des élections de 2006).

16  Supposons que le Brésil compte 7 partis (A, B, C, D, E, F et G), que les partis A et B forment un ticket pour la présidentielle, que C et D en forment un autre et que E fournisse les deux membres d’un troisième ticket. De la sorte, A pour les de gouverneurs ne pourra pas s’allier avec C, ni avec D, ni avec E. Il ne pourra le faire qu’avec B, F ou G. Par exemple, il s’alliera avec B dans les États de Bahia et du Pará, avec F dans le Sergipe et avec G dans l’Acre puisque aucun texte n’exige pas que les coalitions de gouverneurs auxquelles participerait un parti donné soient identiques dans l’ensemble du pays. De son côté, G, parce qu’il n’a pas de candidat à la présidentielle, pourra s’allier ici avec A, là avec B, ailleurs avec C, D, E ou F. Indiscutablement, le principe de verticalisation a accru et accéléré la timide et lente uniformisation des coalitions pour les sièges de gouverneurs et, par voie de conséquence, la nationalisation du système des partis observée dans les années 1990 (cf. S. Monclaire, « Partis et système de partis au Brésil 1982-2002 », in J. M. Blanquer et al., Voter dans les Amériques, Paris, Institut des Amériques, 2005 :160-184).

17  Le PSB présentait un ticket propre ; PT et PL, PSDB et PFL, PPS et PTB présentaient des tickets communs.

18  Sur son site internet (<www.ibge.gov.br/home/>), l’IBGE indique son estimation du nombre d’habitants et l’actualise chaque minute. Au second semestre 2006 la population brésilienne augmentait, en moyenne, de 3 606 personnes par jour.

19  Sans sa carte d’électeur (document attestant de son inscription sur les listes électorales mais aussi de sa participation aux derniers scrutins), la personne ne pourrait pas exercer son droit de vote, ni ne pourrait pas recevoir de l’administration certains documents et diverses prestations de première importance. Elle ne pourrait pas non plus postuler à un emploi public, ni même – très souvent – obtenir un emploi dans le secteur privé. La simple détention de cette carte, combinée à l’inégale envie de pouvoir voter, conduit donc les brésiliens à s’inscrire et à se réinscrire, lorsqu’ils ont été rayés des listes ou avant d’en être rayés. De fait, toute personne tenue de voter et qui, pour des motifs non excusés par la loi, ne se rendrait point aux urnes à trois scrutins consécutifs (par exemple, aux élections jumelées de 2002, puis aux municipales de 2004 et au référendum de 2005) se voit automatiquement exclue des listes et doit se réinscrire. C’est pourquoi les personnes ayant changé de municipes ou de quartier et qui, de par leur éloignement de leur bureau de vote, seraient physiquement empêchées de se rendre aux urnes le jour de vote et risqueraient donc à terme d’être rayées des listes, se réinscrivent plus ou moins vite dans leur nouveau municipe ou nouveau quartier de résidence.

20  En 2006, près de 47 % des 16-17 ans étaient inscrits. Plus de 65 % des plus de 70 ans l’étaient également (il est vrai qu’avant d’atteindre cet âge, elles avaient appartenu aux tranches d’âge pour lesquelles l’inscription est obligatoire). Enfin, plus des deux-tiers des analphabètes le sont aussi. Leur inscription tient principalement à la recherche de gratifications symboliques et matérielles. Maints discours (d’institutions, du personnel politique, des médias ou de simples brésiliens) exaltent l’inscription et font de la participation à l’espace publique une vertu essentielle du « bon citoyen ». De sorte que pour les analphabètes – de nombreuses enquêtes anthropologiques le démontrent – s’inscrire c’est d’abord se conformer à un rôle social valorisé et valorisant. C’est à la fois se mettre en situation d’avoir de soi une image plus positive, et d’apparaître aux autres (les inscrits obligés) comme une personne insérée dans l’espace publique. À cette quête d’identités cognitives, s’ajoute la crainte de ne pas pourvoir bénéficier des dons matériels offerts durant la campagne par certains candidats. Le clientélisme a beau être en recul et s’opérer sous des formes souvent nouvelles, les campagnes électorales, surtout lors des élections municipales, sont des périodes où maintes petites gens reçoivent des petits cadeaux (vêtements, matériel scolaire, alimentation et parfois de l’argent) ou se voient offerts des services précieux (soins médicaux, démarches juridiques, …) en échange de leur vote ou de la promesse de leur vote.

21  Pour éviter la présence de doubles, triples ou quadruples inscrits sur ses listes, la justice électorale procède régulièrement à des croisements de fichiers d’inscrits. Mais, elle le reconnaît, cette procédure ne suffit pas à supprimer tous les cas envisageables.

22  Ainsi, à la mi-février 2007, la justice électorale faisait savoir qu’elle s’apprêtait à rayer de ses listes 1 893 816 inscrits (dont certains sans doute décédés ou partis vivre ailleurs) qui, selon ses services, n’avaient pas voté lors des trois dernières élections (dont celle d’octobre 2006) alors qu’ils y étaient juridiquement obligés, et qui n’avaient pas dûment justifié dans les délais leur non-comparution aux urnes.

23  En effet, prétendre infléchir le résultat d’un scrutin ayant pour circonscription une unité fédérative ou le pays tout entier en y inscrivant de faux électeurs est irréaliste. Car cela exigerait d’abord de bourrer les listes d’une foule de faux électeurs puis de faire voter chacun d’eux ; opérations impliquant une très lourde logistique et qui ne passerait sans doute pas inaperçue. En revanche, dans des municipes très peu peuplés, ajouter quelques dizaines ou centaines d’inscrits fictifs et les faire voter pour tel candidat au poste de maire ou de député municipal peut parfois suffire à assurer la victoire de ce candidat. Une manière de débusquer cette fraude consiste à d’abord à calculer, municipe par municipe, le pourcentage d’inscrits parmi la population, puis d’isoler les municipes où ce pourcentage est très supérieur à la moyenne nationale. À l’été 2006, sur les 5 565 municipes du Brésil, 399 étaient suspects : dans 142 ce pourcentage était supérieur à 100,00 (en moyenne la population de ces municipes était estimée à 3 573 habitants), dans 257 autres il était compris entre 100,00 et 90,01 (4 524 habitants en moyenne). Bien sûr il n’y a pas eu nécessairement fraude dans chacun d’eux, puisque leur nombre d’habitants n’est qu’une estimation et que les petites communes (surtout celles situées sur les fronts pionniers) sont celles pour lesquelles les prévisions de flux migratoires s’avèrent souvent très erronées. Enfin, bien que le niveau de participation électorale puisse être partiellement lié avec la saillance des enjeux et avec la plus ou moindre grande accessibilité des bureaux de vote (en zone rurale ces derniers peuvent être assez éloignés du lieu de résidence des électeurs), il convient de regarder, puisque voter est obligatoire pour presque tout le monde, si dans ces municipes hors normes le taux d’abstention est nettement plus élevé pour la présidentielle qu’il ne l’est dans des municipes de population identique. Ainsi, en 2006, le taux d’abstention au sein de 1 370 municipes de moins de 5 000 habitants était au premier tour de 15,56 %, mais dans 53 de ces 399 municipes hors normes quant à leur pourcentage d’inscrits il était supérieur à 23 %. Dans ces 53 municipes là, les listes contiennent très probablement de faux électeurs, sans doute entre 5 % et 10 % des noms qui y figurent ; ce qui ne signifie pas qu’il n’y est point de fraude ailleurs.

24  À ce jour, répétons-le, les chiffres de 2006 ne sont pas encore connus mais ne peuvent pas être très différents de ceux de l’année précédente.

25  Les Brésiliens disent « extrêmement pauvres ».

26  En 2005, il fallait en moyenne 2,76 reais pour un euro. Au cours de ce texte, compte-tenu des fluctuations de la valeur du real, de l’euro et du dollar dans le temps (globalement, depuis 2003 le real n’a cessé de se raffermir par rapport au dollar, mais aussi, quoique à rythme plus lent, par rapport à l’euro), le nombre de reais pour un euro variera en fonction de l’année ou de la période mentionnée. Les plafonds de ressources ici indiqués sont ceux calculés par l’IBGE, suite à son enquête intercensitaire, appelée PNAD 2005.

27  Trois de ces dix pays étaient latino-américains (Haïti, Bolivie et Colombie) ; les six autres appartenaient à l’Afrique sub-saharienne (voire le rapport du PNUD 2006).

28  Sur l’ampleur de ces inégalités, voir les nombreuses cartes et lire les commentaires de H. Thery & N.A. de Mello, Atlas du Brésil, Paris, CNRS-Libergéo – La documentation Française, 2003, 302 p. : chapitre 9 ; ainsi que A. Campos et al., Atlas da exclusão social no Brasil, Rio de Janeiro, Cortez, 2004, vol. 2.

29  Le revenu mensuel familial per capita est égal à l’ensemble des revenus de toute nature reçus par les personnes d’un même foyer (adultes ou non), divisé par le nombre de personnes composant le foyer (du plus jeune bébé au vieillard le plus âgé).

30  Notamment les travaux réalisés et publiés par l’Institut Paulo Montenegro et, plus particulièrement le livre de V.M. Masagão (ed.), Letramento no Brasil, São Paulo, Global, 2003, 287 p.

31  Sur la difficulté à définir l’analphabétisme, donc à le mesurer, et sur la manière dont il a été mesuré au cours du XX° siècle au Brésil lire notamment A.R. Ferraro, « Analfabetismo e níveis de letramento no Brasil: o que dizem os censos? », Educação e sociedade (Campinas, Brésil, CEDES), XXIII (81), 2002 : 21-47.

32  Ainsi, parmi les 12,2 millions d’habitants ayant en 2005 de 18 à 24 ans, près des deux tiers (7,7 millions) suivaient un enseignement régulier : 14,4 % de ces derniers étaient dans des classes d’établissement « fundamental » (qui, pour la France, vont jusqu’à la classe de troisième) ; 37,3 % étaient dans des classes d’établissement « médio » (qui, pour la France, vont de la seconde à la terminale) ; 35,9 % étaient dans des classes d’établissement supérieur ; et 12,3 % étaient, soit dans des classes préparatoires à des concours d’entrée, soit dans des programmes d’alphabétisation pour adultes. De sorte qu’en 2006 le niveau moyen d’instruction des 19-25 ans (puisque toutes ces personnes auront un an de plus) sera supérieur à ce qu’il était en 2005.

33  Dans le PNAD 2004 les taux d’analphabétisme absolu et fonctionnel étaient respectivement de 11,4 % et 24,4 % parmi la population âgée de 15 ans ou plus (soit 0,4 et 0,9 point de plus que dans le PNUD 2005).

34  L. Pinheiro et al., Retrato das desigualdades : genro e raça, Brasília, Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (IPEA) – Unifem, septembre 2006, multigr. : 13-16.

35  Le rapport aux autres, l’élaboration des identifications (négatives ou positives) et la constitution d’identité s’opèrent, notamment, à travers des mécanismes d’ordre affectif. De sorte que, chez l’individu, les dispositions intellectuelles et la possession de capitaux sociaux socialement valorisés ne sont pas les seuls éléments qui participent à la production de ses représentations, de ses opinions et de ses attitudes (cf A. Percheron, « La socialisation politique », in J. Leca et M. Grawitz (eds), Traité de science politique, Paris, PUF, 1982, III : 171-178). Les attitudes politiques d’un individu (y compris chez les personnes les plus instruites et habituées, de par leur position sociale, à contenir leur émotion) ne sont pas indépendantes de leur affect, ni d’opérations de pensée symbolique. Sur ce dernier point, lire M. Sadoun, « Compétence politique et pensée symbolique », Cahiers du CRAPS (Lille, Université de Lille II, Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales), 3, 1987 : 5-19). On peut aisément saisir la consistance (celle-ci ne signifiant pas forcément subtilité) et la cohérence (pas nécessairement totale) des opinions d’un électeur ou d’un sondé démuni des savoirs socialement assignés à la compétence politique, en procédant par entretiens non directifs (au début desquels cet individu est mis en confiance), en prenant en considération la logique individuelle qui a présidé à leur émergence et à leur cristallisation, bref en adoptant une démarche de sociologie compréhensive (voir J. M. Donegani, « Introduction aux modèles de nature qualitative », in N. Mayer (ed.), Les modèles explicatifs du vote, Paris, L’Harmattan, 1997 :155-176). On aurait donc tort de réduire la compétence politique à un simple concept de performances statistiquement mesurables et hiérarchisables (pour une dénonciation de ce travers et de ses implications politiques quant à la légitimation de la démocratie représentative et du suffrage universel, lire M. Sadoun, « Faut-il être compétent ? », Pouvoirs (Paris, le Seuil), 120, 2006 : 57-69). Sur la politisation et la construction des opinions politiques des inscrits brésiliens, lire S. Monclaire, « Qui vote et comment au Brésil ? (1989-2004) », Cahiers des Amériques latines (Paris, Institut des hautes études de l’Amérique latine), 45, 2004 : 123-142.

36  Affirmer l’existence d’une groupe, le dénommer ou le nommer, en dire les frontières supposées, participent, comme tout travail de catégorisation, sont des opérations contribuant à rendre possible la connaissance du monde social et sont donc des enjeux cardinaux des luttes politiques pour la définition légitime du réel et pour le maintien ou la transformation du monde social ; des opérations et des luttes productrices de sens, de légitimité et d’illégitimité envers telles ou telles catégories de personnes, et qui peut également délivrer du crédit social lorsque celui qui use de ces dénominations ou/et qui tente d’en fixer ou déplacer les frontières, est ou se prétend porte-parole d’un groupe donné ou à construire (cf. les célèbres paragraphes de la page 6 d’un des plus grands textes de P. Bourdieu, « Espace social et genèse des "classes" », Actes de la recherche en sciences sociales (Paris, Le Seuil), 52/53, 1984 : 3-12).

37  « Camadas populares » est moins employé au Brésil que ne l’est en France son équivalent linguistique, « couches populaires ». Au Brésil et lorsque le propos s’y prête, ce sont surtout des universitaires qui l’utilisent (plus les anthropologues et les sociologues que le spécialistes des autres disciplines), même si beaucoup des plus âgés d’entre eux (que ce fut par conviction marxiste ou par commodité de langage) disaient autrefois « classes populaires ». En revanche, journalistes et hommes politiques l’utilisent très peu, préférant dire « povo » (« peuple »), « povão » (selon le contexte, tantôt « le bon gros peuple », tantôt « populace »), « pobres » (« pauvres » – là au sens ordinaire du terme), « trabalhadores » (travailleurs).

38  Nombre de politologues, adoptant la typologie avancée par Olivier Ilh (Le vote, Paris, Montchestien, 1996 : 23-34) distinguent trois genres de vote : communautaire, d’échange et d’opinion.

39  En juillet 2000, c’est-à-dire à trois mois des élections municipales et donc en pleine campagne électorale, l’institut de sondage IBOPE demandait aux Brésiliens de citer leur parti préféré puis d’indiquer l’emplacement de celui-ci sur un axe gauche/droite. Près de quatre sondés sur dix répondirent ne se sentir proches d’aucun parti et 17 % répondirent « le PT ». Parmi ces derniers : 47 % ajoutèrent aussitôt « je ne sais pas où le situer» ; à tort, 16 % le placèrent « à droite » et 5 % « au centre-droit », au « centre » ou « au centre-gauche » ; seuls 39 %, à juste titre, le placèrent « à gauche ». Évidemment il est probable, vu le taux très élevé de « je ne sais pas », que certaines de ces bonnes et fausses réponses aient été en réalité données au hasard, afin de ne pas avoir à répondre « je ne sais pas » et de passer du même coup pour une personne politiquement peu compétente. Quant aux sondés dont le revenu familial mensuel était inférieur à cinq salaires minimums (seuil au-delà du quel on appartient rarement, selon les instituts, aux couches populaires) et qui avaient répondu « le PT », près des deux tiers dirent « je ne sais pas » et seul un quart le placèrent « à gauche ». Dans ce même sondage et à la question « sur cet axe où vous situez-vous ? », 58 % de l’ensemble des sondés dirent « je ne sais pas », 26 % répondirent « à droite », 7 % au « centre-droit », « centre » ou « centre-gauche » et 10 % « à gauche » ; chacun de ces items, parmi les sondés au revenu familial mensuel inférieur à 5 salaires minimums, recueillaient respectivement 69 %, 19 %, 6 % et 6 %. Depuis, aucun institut n’a malheureusement reposé ces questions sur le positionnement des partis préférés et sur l’auto-positionnement des sondés. On sait toutefois que, dès 2002, le PT est devenu le parti préféré des Brésiliens et l’était encore en 2006. Mais à l’approche de la présidentielle de 2006, très probablement bien peu de sondés des couches populaires auraient été capable de le situer « au centre-gauche » ou « à gauche ».

40  Si le vote identitaire est donc proche, par divers aspect, de l’idéaltype ilhien « vote communautaire », il s’en différencie en deux points : ces groupes de références, contrairement aux communautés, ne sont point pensés, par leurs membres (effectifs ou putatifs) ni par les autres groupes sociaux, comme étant ou pouvant être des « minorités autonomes » (Ilh, op. cit. : 27) ; et les discours de et sur ces groupes de référence s’élaborent, contrairement à ceux des communautés ou quant aux communautés, en dehors de toute « controverse » ou presque sur « les modes de participation » politique (p.27) des membres de ces groupes. Cette forte dimension identitaire du vote émis par une large majorité des couches populaires s’apparente à celle du vote des ouvriers français en faveur du parti communiste dans les années où l’ouvriérisme était dominant au sein des couches salariées. Bien évidemment ce vote identitaire des ouvriers se combinait avec un vote d’opinion, tandis que dans le cas des couches populaires brésiliennes, il se combine surtout avec un vote de dette personnelle et collective (cette dissemblance là provenant principalement, moins des modestes écarts de niveaux d’instruction entre les couches populaires brésiliennes et les ouvriers français, que des différences d’objectivation et de constructions sociales tant des groupes supposés composer la société que du lien social supposé exister ou devoir exister au sein des ces groupes et entre ces groupes).

41  Cette évolution survient sous les effets combinés de plusieurs facteurs. Parmi eux : le recul de la sous-instruction ; le travail mené par et dans des associations de quartiers ; l’apparition de nouveaux registres d’action syndicale nés de la remise en cause du corporatisme ; les interventions de militants des droits civiques liées à la lutte contre le régime autoritaire de l’époque ; la médiatisation de self made men siégeant à la tête de grandes entreprises ; les représentations de la société, de ses composantes et de leurs problèmes supposés, que délivraient les journaux télévisés et surtout les telenovelas (celles-ci étant bien plus regardées par les couches populaires que les journaux télévisés).

42  Sur l’incidence des médias et du jeu politique sur la campagne présidentielle de 2002 et l’issue du scrutin, lire respectivement A.A. Rubim (ed.), Eleições presidenciais em 2002 no Brasil : ensaios sobre mídia, cultura e política, São Paulo, Hacker, 162 p. et S. Monclaire, « Lula et les candidats du PT : ampleur et limites d’un succès électoral », in J. Picard (ed.), Le Brésil de Lula, Paris, Karthala, 2003 : 19-59. Sur l’opinion et le comportement des électeurs à l’approche de ce scrutin, lire A.C. Almeida, Por que Lula ?, São Paulo, Record, 2006 : 251-302.

43  Les chiffres ici indiqués sont les pourcentages d’intentions de vote à la veille des scrutins présidentiels, parmi les sondés dont le revenu mensuel équivaut au maximum à cinq salaires minimum. Pour beaucoup de sondeurs, au-delà de cinq salaires minimums, le sondé appartient aux couches moyennes, puis aux couches supérieures.

44  Sur les mots et la manière dont Lula parle de lui, construit et réactualise son personnage public, lire l’analyse de ses discours et de ses interviews menée par E.A. Cazarin, Identificação e representação política, Ijúi, Unijúi, 2005, 384 p. Dans le chapitre IV, cette linguiste explique comment et à quel point Lula, qu’il s’exprime en tant que chef de parti, porte-parole d’un groupe social ou comme candidat à la présidence, parvient à délivrer par ces mots et ses structures de phrases, des représentations du « sujet Lula » assez identiques quant à leur significations.

45  L’expression est depuis des années, très fréquente sous leur plume ou devant le micro. Plusieurs textes rédigés au cours des ans par des cadres ou de hauts dirigeants du parti des travailleurs l’emploient également. Elle Figure aussi dans les paroles de chanson des spots de campagne télévisée du candidat Lula 2006 : « il est parti si jeune de la campagne vers la ville, un fils du peuple avec un grand destin » (Saiu do campo para a cidade tão menino, o filho do povocom um grande destino).

46  Pour une analyse de l’élection puis de la réélection de Cardoso, lire S. Monclaire, « Brésil : la victoire de Cardoso », Lusotopie, 1995 : 17-45 ; et M.B. Camargos, « Economia e voto : Fernando Henrique versus Lula, 1998 », Teoria & Sociedad (Belo Horizonte, Universidade Federal De Minas Gerais), 8, 2001 : 116-145.

47  Par exemple, l’économie brésilienne a certes bénéficié de mesures gouvernementales, mais aussi du dynamisme des chefs d’entreprises brésiliens et parfois d’un élan de consommation des couches moyennes (élan né d’un sentiment diffus et assez imprévisible de confiance dans l’avenir, reposant sur une connaissance, généralement très fragmentaire, de l’état des indices économiques) et, plus encore, de la croissance mondiale. De même, l’agro-business brésilien a tiré avantage, certes de décisions gouvernementales, mais aussi de volumineuses récoltes dues notamment à une météorologie bénéfique et d’un surcroît de demandes extérieures.

48  En janvier 2003 (premier mois du mandat Lula), la dette publique liquide correspondait à 55,5 % du PIB. En octobre 2006 elle n’équivalait plus qu’à 49,6 % du PIB.

49  En 2002, la solde positif de la balance commercial était de 13,1 milliards de dollars (pour 60,1 milliards d’exportations). Sous l’effet du dynamisme de l’agro-business brésilien et de l’envolée des cours des matières premières nécessaires à l’industrie mondiale, il n’a cessé par la suite d’augmenter : 24,8 milliards en 2004 (pour 73,1 milliards d’exportations) ; 33,7 milliards en 2004 (pour 96,4 milliards d’exportations) ; 44,7 milliards en 2005 (pour 118,3 milliards d’exportations) et 46,1 milliards en 2006 (pour 137,5 milliards d’exportations).

50  En 2006, bien qu’aucune privatisation importante n’ait eu lieu (ce qui aurait sans doute attiré les capitaux étrangers), les flux entrants d’investissements directs étrangers sont demeurés à un niveau élevé (18,8 milliards de dollars). Et pour la première fois, les flux sortants (donc ceux allant du Brésil vers l’extérieur) leurs ont été supérieurs (27,2 milliards de dollars), notamment en raison de l’activisme du minier-sidérurgiste CVRD (cette entreprise, qui compte parmi les leaders mondiaux, ayant acheté le géant canadien INCO).

51  En 2002, dernière année de l’ère Cardoso, le salaire minimum n’était que de 200 reais. En avril 2003, Lula le porta à 240 reais ; en mai 2004 à 260 ; en mai 2005 à 300 puis en mai 2006 à 350 euros (soit alors 130 euros et une hausse de 16,7 % par rapport à 2005). Certes l’inflation réduit cette hausse. Mais le salaire minimum réel, calculé sur base 100 (base débutant en mai 1995 – première année de la présidence Cardoso) a également beaucoup augmenté : en 2002 il n’était que de 120,28 points ; en mai 2006, il s’élevait à 151,68 points, soit une hausse réelle de 26,1 % au cours des années Lula.

52  Ces politiques redistributives constituent l’un des aspects des politiques sociales du gouvernement Lula. Les autres aspects, outre la réévaluation des retraites déjà mentionnée (celle-ci s’accompagnant d’une reforme structurelle du système des retraites), portent par exemple sur l’aide médicale apportée aux plus pauvres. À la fin de l’ère Cardoso, seuls 30,4 % des Brésiliens bénéficiaient du programme « Santé de la famille » ; ils étaient 43,4 % lors de la présidentielle de 2006. Pour un bilan détaillé et une analyse l’ensemble des politiques sociales, voire S. Monclaire, « Ombres et lumières des politiques sociales du gouvernement Lula », in J.F. Deluchey & S. Monclaire (eds), Gouverner l’intégration : les politiques nationale et internationale du Brésil de Lula, Paris, Pepper, 2007, chap. 13.

53  Ce programme, dont Lula fit peu après son élection la priorité de son mandat, visait à éradiquer la faim alors qu’aucun des prédécesseurs de Lula n’avait parlé d’un problème de faim au Brésil (malgré la récurrence de statistiques préoccupantes), ni donc fait de la lutte contre la faim un objectif fondamental de leur action. Ce programme ne prétendait pas seulement permettre aux indigents de se nourrir suffisamment, via le versement ciblé d’allocations et des distributions d’aliments. Il prétendait aussi s’en prendre aux causes de la faim et, dans ce but, entreprendre une vaste réforme agraire et soutenir la production agricole familiale. Des problèmes d’ingénierie institutionnelle et de logistique ont fait capoter ce programme.

54  En 2006 toutefois, le nombre de créations d’emplois formels a reculé de 2 % par rapport à celui de 2005.

55  Les chiffres officiels de 2006 ne sont pas encore connus au moment où cet article est sous presse, mais les statisticiens économistes ou démographes s’accordent à dire qu’ils seront sensiblement égaux à ceux de 2005. Or de 2001 à 2005, l’indice de Gini avait baissé de 4,6 %. De fait, durant cette période le revenu par tête a augmenté en moyenne de 8 % par an parmi les 10 % de brésiliens les plus pauvres et de 5,9 % parmi les 20 % de brésiliens les plus pauvres, alors que le revenu par tête de l’ensemble de la population n’a progressé que de 0,8 % par an.

56  Voir à ce sujet les chiffres commentés par R.P. de Barros et al., « A importância da queda recente das desigualdades na redução da pobreza, IPEA Textos para discussão, Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (Brasilia, IPEA), 1256, 2007 : 1-24.

57  Alors que cette dette envers le Fonds n’arrivait à échéance qu’à l’hiver 2006-2007, le Brésil lui a versé ce mois là pas moins de 15,5 milliards de dollars. Le gouvernement affirmait aussi vouloir payer au plus vite ses arriérés à l’ONU (135 millions de dollars).

58  Le 12 mars 2006 était installé, dans le bassin pétrolier offshore de Campos, à 150 km au nord de Rio une nouvelle et gigantesque plate-forme : la « P50 ». Quelques semaines plus tard, elle devait pomper environ 180 000 barils par jour, permettant ainsi au pays, dont la consommation de pétrole quotidienne atteignait 1,9 millions de barils d’atteindre l’autosuffisance, objectif affiché par la société nationale Petrobrás depuis sa création, en 1953. Le 20 avril, Lula se rendait sur cette plate-forme pour célébrer l’événement. Vêtu pour l’occasion d’une salopette d’ouvrier et coiffé d’un casque de chantier, il répéta le geste (devenu très célèbre) effectué une cinquantaine d’années plus tôt, par le président Vargas (officier supérieur ayant dirigé le Brésil sous le régime autoritaire de l’Estado Novo, 1937-1945, puis devenu président de la république, élu au suffrage universel direct en 1946 et auquel l’industrialisation du Brésil doit beaucoup), puisqu’il plongea les mains dans un tonneau de pétrole et les exhiba, totalement noircies, huileuses et doigts bien écartés, avec des signes évidents d’allégresse.

59  De janvier 2003 à décembre 2005, le président Lula a passé 159 jours hors du Brésil (soit 14 % de cette période de 36 mois). La liste et la durée respective de ces déplacements figurent en annexe de l’ouvrage de L. Nossa & E. Scolese, Viagens com o presidente, São Paulo, Record, 2006, 279 p.

60  Près de 99 % des municipes reçoivent la télévision hertzienne. Une chaîne, Globo, détient à elle seule 55 % des parts de marché au niveau national (52 % entre 18H et 24h – tranche horaire au cours de laquelle est diffusé son « Journal du soir », qui en moyenne obtient près de 58 % de parts de marché).

61  En 2005 (derniers chiffres en date) selon l’ANJ, 3 098 périodiques étaient recensés au Brésil, dont 535 quotidiens (cela semble beaucoup mais cela tient au fait que ce pays de plus de 180 millions d’habitant ne compte que 5 565 municipes, souvent très éloignés les uns des autres et, pour beaucoup, fortement peuplés – à noter que 269 ce ces quotidiens étaient publiés dans la région Sudeste, c’est-à-dire la région économiquement la plus riche et au plus fort taux d’instruction), 1 533 hebdomadaires et 380 mensuels. En moyenne, chaque jour de 2005 étaient imprimés 6 789 000 exemplaires de presse quotidienne, soit, au sein de la population adulte, 45,3 exemplaires pour 1000 habitants. C’est moins qu’au Salvador par exemple (58,8 exemplaires pour 1000 habitants) et c’est bien peu comparé, notamment, au Pakistan (100,1), à l’Espagne (113,3), à la France (159,6 pour 1 000 habitants), aux États-Unis (249,9), à l’Allemagne (305,2), à la Corée (369,8) ou au Japon (633,7). Toujours selon l’ANJ, c’est le journal Folha de São Paulo (avec une moyenne de 307 937 exemplaires/jour) qui réalisait le plus gros tirage, suivi de O Globo (274 934). Veja, le principal hebdomadaire généraliste, tirait en moyenne à 1 105 600 exemplaires par semaine selon l’IVC. Pour une analyse la presse écrite comme acteur politique au cours et dans la campagne présidentielle de 2006 lire G. Summa, Le rôle politique de la presse au Brésil : de l’élection à la réélection de Lula, mémoire de Master 2 en science politique, sous la direction de G. Couffignal, Paris, Université Paris 3, IHEAL, février 2007 : 92-112.

62  Ces chiffres sont ceux du SECOM (organe gouvernemental) ; des spécialistes en communications estiment que les dépenses furent, en réalité, de 10 à 15 % supérieures au chiffre annoncé. Parce que la publicité des entreprises publiques porte très souvent sur leurs réalisations ou leurs performances (par exemple Petrobrás a beaucoup insisté sur le fait que grâce à elle le Brésil était devenu autosuffisant en pétrole) et contribue donc à dessiner un Brésil où tout va de mieux en mieux, il convient de prendre en compte les dépenses en publicité de ces entreprises dans le calcul des sommes débourser par l’État en communication.

63  Pour une sociologie de l’élaboration et l’expression des préférences politiques, lire prioritairement J. Lagroix, Sociologie politique (Paris, Dalloz), 2002 : 370-402.

64  Les strates moyennes et hautes des couches moyennes qui, par goût et par propension ostentatoire de montrer leur statut social, aiment tant voyager ont ainsi pu se rendre, beaucoup plus qu’à la fin des années Cardoso, dans des pays voisins et dans les pays du Nord, notamment à Miami (destination préférée, de longue date, des couches moyennes paulistes en raison, principalement, de son climat et de la présence d’un parc Disneyland). C’est ce qui fit écrire à une journaliste, que « si les pauvres ont la bolsa família, les classes moyennes ont la bolsa Miami »).

65  Sur cette offensive et son bilan plutôt positif, lire A. Rouquie, Le Brésil au xxie siècle : naissance d’un nouveau grand, Paris, Fayard, 2006, chapitre 9.

66  La presse reprochait à la direction du PT d’avoir voulu acheter un dossier supposé être compromettant pour José Serra (alors candidat au gouvernorat de São Paulo et favori des sondages), pour ensuite communiquer ce dossier aux médias et espérer ainsi battre Serra et faciliter l’élection de Mercadante, candidat du PT.

67  Ils proviennent d’un court texte introductif d’un document Powerpoint composé d’une centaine de diapositives sur lesquelles figurent une soixante de graphiques et cartes électorales, dont beaucoup seront publiées au printemps 2007 dans un ouvrage de l’auteur, intitulé Lula de novo.

68  Indice élaboré par le PNUD, et incluant trois données de base : l’espérance de vie à la naissance, le PIB/h et le taux d’alphabétisation d’une population donnée.

69  Voir note 67.

70  Idem.

71  Idem.

72  Idem.

73  … puisque le document auquel fait référence la note 67 leur a été distribué.

74  Le contenu de cette annexe provient d’un article de S. Monclaire, intitulé « Le recul du PT à la Chambre », publié dans Infos-Brésil (Paris), 221, 15 décembre 2006/15 mars 2007 : 4-6 ; l’auteur remercie la direction de périodique d’avoir autorisé la reprise de ce texte.

75  Le plus souvent ces sièges ont été gagnés au détriment du PFL ; si ce parti n’a point amélioré ses scores dans d’autres régions, il a revanche, grâce à de fructueuses alliances, augmenté sa présence au Sénat (ce qui n’est pas le cas du PT).

76  M. Mauss, Sociologie et anthropologie (Paris, PUF), 1983 [1968] : 104-105 (« Quadridge »).

77  « là », sous-entendu, au Planalto.

78  « autosuffisant », sous-entendu, en pétrole.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Carte. — Candidats arrivés en tête dans les unités fédératives au soir du premier tour
Crédits © S. Monclaire
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/docannexe/image/1145/img-1.png
Fichier image/png, 141k
Titre Fig. 1. Structure des votes (premier tour) par tranches de municipes
Crédits © S. Monclaire
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/docannexe/image/1145/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 64k
Titre Fig. 2. « Lula de novo com a força do povo » (Lula à nouveau, avec la force du peuple). Principale affiche du candidat Lula 2006 (1er tour)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/docannexe/image/1145/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 28k
Titre Fig. 3. Le cliché original
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/docannexe/image/1145/img-4.png
Fichier image/png, 965k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Stéphane Monclaire, « Lula II, un vote de reconnaissance »Lusotopie, XIV(1) | 2007, 13-68.

Référence électronique

Stéphane Monclaire, « Lula II, un vote de reconnaissance »Lusotopie [En ligne], XIV(1) | 2007, mis en ligne le 30 mars 2016, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lusotopie/1145 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1163/17683084-01401002

Haut de page

Auteur

Stéphane Monclaire

Université Paris 1, Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne (CRPS) et Centre de Recherche et de Documentation sur l’Amérique Latine (CREDAL)

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search