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L’autofiction comme vision du monde

L’œuvre d’Alan Berliner ou l’autobiographie comme l’affaire de tous

Alan Berliner’s Works as Communal Autobiographies
Jean-Luc Lioult

Résumés

Cinéaste indépendant fascinant et inclassable, Alan Berliner a consacré 25 ans à la réalisation de films qui le conduisent d’une réflexion sur la famille en général, à la mise en question de la sienne propre, puis à une interrogation sur son identité et enfin à son autoportrait en tant qu’artiste. Ces œuvres ne se conforment pas totalement aux normes habituelles des documentaires subjectifs ou autobiographiques. Historiquement parlant, Berliner peut apparaître comme un héritier de tendances diverses vers l’intimité et l’écriture de soi. Selon les critères formulés par Bill Nichols, ses œuvres affichent une forte réflexivité, et par la suite une performativité marquée. Mais surtout, il a développé un style qui lui est propre. Virtuose du montage, il crée des figures signifiantes sophistiquées, dissociant souvent le son de l’image pour faire apparaître des sens latents, des correspondances, des contradictions et des distorsions inattendues. Nobody’s Business, un portrait de son propre père (réticent), probablement son chef-d’œuvre, brasse l’Histoire, le récit de vie individuel, le psychodrame et la génétique, pour finalement nous convaincre que le personnel est universel.

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Texte intégral

  • 1 Tel est le titre du seul livre à ce jour qui lui ait été consacré : Efrén Cuevas & Carl (...)
  • 2 Patience and Passion, Alan Berliner, DOX documentary magazine, automne 1994, n° 3, rep (...)

1Spécialiste du film de famille, homme-orchestre, voire « homme sans caméra »1, monteur virtuose, Alan Berliner est un collectionneur compulsif cultivant un goût obsessionnel pour les listes, séries et classements. Également auteur d’installations qui mêlent son, vidéo et photographie, il décrit lui-même sa méthode comme faisant appel au collage et à la recherche du hasard heureux (« serendipity »), et revendique la liberté, la patience et la passion2. Ses films sont considérés comme documentaires, documentaires expérimentaux, films personnels, essais, autodocumentaires… Diffusés dans les festivals les plus prestigieux (où ils ont glané de très nombreux prix), les universités, et sur les chaînes de télévision publique, particulièrement aux États-Unis, leur style brillant et ironique, mais très éloigné de celui d’un Michael Moore, ne leur a pourtant pas attiré de large audience.

  • 3 Ces films ont été récemment réunis dans un coffret de 5 DVD : The Alan Berliner Collect (...)

2Si Alan Berliner est sans doute héritier des courants qui l’ont précédé et des pratiques de ses aînés, et s’inscrit socialement dans les mouvances de son temps, il ne se laisse pas aisément enfermer dans une catégorie. Du reste, les matériaux et les stratégies de réalisation qu’il utilise évoluent au fil du temps. Ayant une longue expérience de monteur, et après avoir réalisé un certain nombre de courts-métrages de type expérimental, il signe un ensemble de cinq films3 réalisés à intervalles réguliers de cinq ans, de 1986 à 2006 : The Family Album (1986), Intimate Stranger (1991), Nobody’s Business (1996), The Sweetest Sound (2001) et Wide Awake (2006). L’ensemble des cinq films forme un tout certes évolutif, mais d’une homogénéité frappante. Le cinéaste a suivi pendant vingt ans le fil d’une démarche le conduisant d’une réflexion sur la famille en général, à la mise en question de la sienne propre, puis à une interrogation sur son identité en tant qu’elle est déterminée par ses origines familiales et sociales et par son nom même, et enfin à son autoportrait en tant qu’artiste.

Des non-fictions nécessaires

3The Family Album est l’œuvre par laquelle le réalisateur parvient à la maturité artistique. Presque entièrement bâti à partir de found footage (c’est donc le seul qui justifie pleinement le qualificatif d’homme sans caméra), c’est un long collage de films d’amateurs des années 1920 à 1950, sonorisés. À partir de ces familles anonymes se compose une famille américaine typique, accomplissant son destin collectif depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte et à la vieillesse. La tonalité globalement joyeuse caractéristique du film de famille, qui est traditionnellement consacré à la célébration d’une unité mythique lors de moments heureux, est ici contredite par les effets de montage et les relations complexes qu’entretiennent l’image et le son. D’autre part, le spectateur averti, qui connaît les films ultérieurs de Berliner, peut identifier parmi les documents sonores (essais d’enregistrement, ambiances festives, récits de vie) les voix du père, de la sœur et de la mère du cinéaste.

  • 4 Le grand-père se plaisait à montrer ces archives à son petit-fils lorsque celui-ci était en (...)

4Les deux opus suivants mêlent le film d’amateur et les photos de famille aux archives publiques, aux entretiens et à l’investigation. Intimate Stranger est un portrait posthume du grand-père maternel de Berliner, Joseph Cassuto, personnage dont l’histoire assez singulière s’est déroulée entre Egypte, États-Unis et Japon. La matière visuelle du film fait largement appel aux archives constituées par Cassuto lui-même4, et la matière sonore est constituée principalement d’entretiens avec divers membres des familles Berliner et Cassuto, ou amis du défunt. Les avis exprimés divergent, et là aussi les relations entre image et son s’avèrent subtiles : elles peuvent être de contradiction, objection, réfutation, mise en doute, bien plus que de simple illustration mutuelle.

5Nobody’s Business est un portrait du propre père du cinéaste, Oscar Berliner, réalisé quelques années avant la mort de celui-ci et en dépit de la mauvaise grâce qu’il met à se laisser filmer. En effet, le fils semble renégocier sans cesse la collaboration du père à l’entreprise, lors d’échanges souvent acerbes. Après avoir porté sur les ancêtres de cette branche de la famille (des Juifs d’Europe de l’Est qui ont fui la misère en émigrant en Amérique), la conversation est amenée par le fils sur le divorce de ses parents, qu’il a eu beaucoup de mal à accepter. Le cinéaste fait largement appel aux archives familiales, particulièrement aux images 8 mm tournées par son père, et dont il interroge la pertinence ou le sens caché, ainsi qu’à des entretiens avec ses proches.

6Le quatrième film, The Sweetest Sound, exploite surtout les témoignages et les entretiens de face à face. C’est un essai sur l’identité et les homonymies : lassé d’être confondu avec d’autres Alan Berliner, le cinéaste se met à la recherche de ceux qui partagent le même nom que lui : un photographe, un avocat, un autre cinéaste (le Belge Alain Berliner) et bon nombre encore. Il entreprend d’entrer systématiquement en contact avec eux, en réunit certains chez lui pour un curieux dîner d’homonymes, et tente de les impliquer dans sa réflexion sur ce qui fait la singularité de chaque être au-delà des traits communs.

  • 5 L’installation est constituée de meubles métalliques de bureau dont les tiroirs con (...)

7Le dernier des cinq films, Wide Awake, qui est aussi le plus long, repose en grande partie sur l’auto-mise en scène de l’auteur et de ses proches. C’est un portrait du cinéaste en insomniaque : Berliner est de longue date « en décalage dans son propre fuseau horaire » et tente d’y remédier. D’une virtuosité formelle plus grande encore peut-être que les films précédents, Wide Awake clôt le cycle en nous faisant pénétrer dans la fabrique de l’œuvre : le cinéaste, souvent filmé dans le studio qu’il s’est installé à domicile, montre l’organisation de ses collections de films et de photos (rangées avec un soin maniaque dans d’innombrables boîtes identiques, classées par catégories codées selon les couleurs de l’arc-en-ciel). Il fait une démonstration de son installation Audiofile5. Il nous convie à une projection de Nobody’s Business dans une université pour constater qu’un bon nombre des étudiants spectateurs… dorment profondément pendant le film. Les salles de cinéma sont du reste parmi les rares lieux où Berliner, comme il l’avoue, parvienne à trouver le sommeil !

8De nombreux traits formels concourent à apposer la « griffe » de l’auteur sur ces œuvres : virtuosité du montage, brièveté des plans, rimes visuelles, effets d’anticipation du son sur l’image, sont omniprésents dans les cinq films, et souvent au service d’un humour subtil et brillant. À partir de Intimate Stranger, les « témoignages » filmés (absents de The Family Album) sont quasi-exclusivement saisis selon un axe frontal, sur fond neutre, et uniformément cadrés en « plan rapproché poitrine », ce qui renforce les effets de comparaison ou de contradiction qui s’établissent entre eux. Les sons additionnels, souvent de nature mécanique (bruits de machine à écrire, tic-tac de métronome ou de mouvement d’horlogerie), apportent une scansion rythmique sur des tempi rapides. Ce cinéma personnel est aussi une remarquable fabrique de figures inédites.

  • 6 Une sélection de ces journaux est disponible sur le remarquable site officiel du cinéaste : (...)

9À la lecture des journaux de travail de Berliner6, et lorsqu’on les met en rapport avec les textes filmiques, on vérifie la continuité de ses préoccupations. Ainsi, dans sa chronique de la réalisation de The Family Album, le cinéaste note (le 7 mai 1985) qu’il « devient irrévocablement une créature nocturne », anticipant de plus de vingt ans le propos de Wide Awake ; on retrouve une remarque très semblable à la date du 9 août 1989 dans le journal tenu pour Intimate Stranger. Le titre de ce dernier film semble reprendre en le précisant un de ceux que l’auteur envisageait pour le précédent : Distant Relatives (entrée du 25 juin 1985). Dans Nobody’s Business (en 1996 donc) le réalisateur mentionne que, partout où il se rend, il cherche d’autres Berliner dans les annuaires téléphoniques, ce qui préfigure évidemment le propos du film suivant, The Sweetest Sound. Ayant ainsi localisé — toujours dans Nobody’s Business — quelques cousins éloignés, ceux-ci lui déclarent, chacun à son tour :

  • 7 « We’re strangers. We’re related, but actually we’re strangers.
    – We’re sort of rel
    (...)

– Nous sommes des étrangers. Nous sommes reliés, mais en fait nous sommes des étrangers.
– Nous sommes un peu parents et un peu étrangers.
– Nous sommes d’étranges parents.
– Nous sommes des étrangers qui partageons une histoire commune7.

10Les propos sont remarquablement congruents avec les idées du réalisateur sur la parenté ; dès l’époque de la réalisation de The Family Album, Berliner prenait des notes (journal, entrée du 17 juillet 1985) sur les apports de la génétique selon lesquels nous sommes tous cousins au cinquantième degré, sur un vaste arbre généalogique de l’humanité toute entière : cette idée réapparaîtra onze ans plus tard dans la conclusion de Nobody’s Business. Constance, ténacité, persévérance, sont des termes qui conviennent à ce travailleur acharné. Il en éprouve d’ailleurs une certaine fierté, lui qui confiait récemment :

  • 8 « You have to be just aggressive enough, stupid enough, smart enough, modest enough, to eve (...)

Il faut être assez agressif, assez stupide, assez malin, assez modeste, pour faire ces voyages, car en fait ce sont des voyages, chacun des films est un voyage (…) à un certain niveau, je suis fier d’avoir eu le culot… ce n’est pas héroïque ni… ce n’est pas une question de courage, mais j’ai osé le faire8.

Du documentaire autobiographique au film de famille revisité

  • 9 Pour un historique détaillé, voir Jim Lane, The Autobiographical Documentary in America, Ma (...)
  • 10 Actif dès le début des années 60, mais dont le film le plus introspectif est peut-être Remi (...)

11Certes, Alan Berliner n’est pas le seul représentant d’un courant documentaire subjectif et autobiographique dans le cinéma indépendant américain moderne et contemporain. Après l’avènement du cinéma direct ou cinéma-vérité à l’extrême fin des années 1950, et son épanouissement au cours des années 1960, s’opère une libération de la parole qui autorise autant l’expression des subjectivités que la contestation des systèmes en place. L’essor, au cours de ces mêmes décades, du film expérimental indépendant apporte des modèles de recherche formelle. On voit ainsi s’épanouir aux USA une classe de films à la fois documentaires et autobiographiques, où s’accomplit une « écriture de soi » jusque là inédite9. Ainsi, certaines œuvres de Jonas Mekas10, grande figure de l’underground (poète, cinéaste, fondateur de la Film-Makers’ Cooperative et de l’Anthology Film Archive), illustrent bien la tendance vers l’intime au sein de la démarche expérimentale de l’avant-garde. Le curieux David Holzman’s Diary de Jim Mc Bride (1967), un mockumentary singeant le cinéma direct, et comme saturé de réflexivité, inaugure pourtant le genre du journal filmé. Le film suivant de ce même réalisateur, My Girlfriend’s Wedding ou Clarissa (1969), s’inscrit bel et bien dans la visée d’un cinéma à la première personne, bénéficiant des acquis du direct, mais affirmant son caractère intrusif plutôt que de le dissimuler. Dès les années 1970 le double registre personnel et politique s’affermit dans des films qui interrogent les identités individuelles et collectives.

12Deux à trois décennies plus tard, on ne compte presque plus les films qui interrogent l’appartenance à une famille donnée, et le rapport entre déterminisme et volonté propre dans la formation de l’individu, en rendant compte d’une investigation menée par l’auteur en personne, souvent présent à l’écran. Dans Family Name (1997), Macky Alston expose comment le cinéaste, Blanc, élevé en Caroline du Nord, s’avise tardivement que le patronyme qu’il porte est le plus souvent celui de Noirs. Une enquête sur ses ancêtres finit par livrer des réponses détaillées, et parfois surprenantes, à son questionnement ; parallèlement, il effectue son coming out en tant qu’homosexuel. Dans Moment of Impact (1998), la jeune cinéaste Julia Loktev retrace les circonstances de l’accident stupide qui, neuf ans plus tôt, a laissé son père, auparavant un brillant scientifique, dans un état quasi-végétatif. En filmant la vie quotidienne de la famille elle interroge les relations que sa mère, et elle-même, s’efforcent de maintenir avec lui, tout en évoquant le destin de ces émigrés Russes qui avaient réussi en Amérique. Dans Family Secret (1999), Pola Rapaport relate comment elle s’est découvert un frère inconnu, dont l’existence avait été tenue secrète par son père, d’ailleurs mort depuis vingt-cinq ans. Si elle a grandi avec sa sœur dans l’Amérique des années 1960, ce frère ignoré né à Paris pendant la guerre a été élevé en Roumanie communiste par une mère physicienne. De tels films reposent bien sur la mise en perspective d’histoires personnelles singulières, mises en relation à des degrés divers avec leur large contexte politique.

  • 11 Stella Bruzzi précise les contours du mode performatif dans Stella Bruzzi, New Documentary: (...)
  • 12 Les films de Michael Moore ont sans doute contribué à populariser le mode performat (...)
  • 13 Nichols ajoute par ailleurs à sa typologie un sixième mode, le mode poétique, rendant (...)

13Les évolutions de l’écriture documentaire qui se produisent à la fin du XXe siècle appellent des modifications dans les approches critiques et analytiques des œuvres. Lorsque Bill Nichols, l’un des observateurs les plus perspicaces de l’histoire et des métamorphoses contemporaines du cinéma documentaire, particulièrement du documentaire anglophone, publie en 1991 Representing Reality, il ne distingue d’abord que quatre « modes » du documentaire : l’exposé, l’observation, l’interaction et la réflexivité. Mais, dès 1994 et son Blurred Boundaries : Questions of Meaning in Contemporary Culture, il éprouve le besoin de cerner une catégorie nouvelle qui lui semble se dégager d’une cinématographie émergente, et qu’il nomme le mode performatif. Le terme choisi évoque à la fois le nouveau statut des énoncés que constituent ces films (conformément à la conception des linguistes, il s’agit d’énoncés à la première personne, et qui accompagnent l’effectuation des actes qu’ils désignent), et le nouveau statut d’auteurs-acteurs qu’adoptent les cinéastes dès lors qu’ils se mettent en représentation dans leurs propres films. Bien que Nichols observe d’abord d’un œil dubitatif cette nouvelle tendance, qu’il juge être une évolution des modes interactif-participatif et réflexif, les œuvres qui continuent d’apparaître lui donnent raison sur le fond, et le terme performatif est rapidement adopté par de nombreux théoriciens, au moins dans le monde anglophone11. Il permet effectivement de caractériser tout un pan du documentaire moderne d’investigation subjective12. Dans son Introduction to Documentary de 2001, Bill Nichols confirme sa pensée13 et décrit de façon moins critique le mode performatif. Dans la récente réédition, considérablement revue et augmentée, d’Introduction to Documentary (2010), le théoricien américain complexifie sa vision en ajoutant un ensemble de références à des modèles non-fictionnels, mais ne modifie plus pour l’essentiel sa typologie, qui s’avère effectivement adaptée tant à l’analyse des œuvres qu’à la description des stratégies filmiques dont elles résultent.

  • 14 « Identity is no longer a transcendental or essential self that is revealed, but a ‘staging (...)

14En regard des catégories définies par Bill Nichols, les œuvres d’Alan Berliner se distinguent par une réflexivité affirmée, puis par une performativité d’abord limitée mais de plus en plus présente : pointant déjà dans Nobody’s Business, plus notable dans The Sweetest Sound, celle-ci culminera dans Wide Awake. Berliner parvient en somme avec ce dernier film à la forme décrite par Catherine Russell, dans laquelle « l’identité n’est plus la révélation d’un soi comme essence transcendentale, mais une mise en scène de la subjectivité — une représentation du soi comme performance »14. Toutefois cette dimension n’occupe pas tout le champ de la stratégie narrative comme il arrive chez d’autres cinéastes, et la démarche ne se confond donc pas avec celle des quêtes identitaires fin de siècle évoquées ci-dessus. Au plan formel, les spécificités les plus remarquables des films de Berliner se trouvent en fait du côté de la construction du sens, telle qu’elle s’opère dans le montage de plan à plan et dans les relations entre image et son. Mais ces figures signifiantes sont toujours au service d’une interaction complexe entre le singulier et l’universel.

  • 15 Voici une description de ces plans, filmés en extérieur : 1) le chien est en arrêt, remuant (...)

15En voici d’abord deux exemples tirés de The Family Album. Le premier se trouve dans la partie consacrée à l’enfance. A l’image, trois plans successifs montrent un petit chien et un jeune chat, qui jouent ensemble plus qu’ils ne se battent15. Le son qui accompagne ces trois plans est l’enregistrement du dialogue suivant :

  • 16 « – You didn’t fight any more than any …
    – Who started the fights ?
    – Let me tell yo
    (...)

– Vous ne vous battiez pas plus que…
– Qui commençait les bagarres ?
– Laisse-moi te dire une chose… c’était pas vraiment des bagarres. Je ne sais plus qui les commençait.
– Qui les provoquait ? Qui provoquait qui ?
– La question, c’est qu’à mon avis tu te trompes de mot. Je ne crois pas qu’il s’agissait de bagarres. Je crois qu’il s’agissait de taquineries, l’un envers l’autre16.

  • 17 Confirmé par le réalisateur (communication personnelle, août 2011).

16La valeur métaphorique que prennent les images, accompagnées de ce dialogue, est amusante, et mieux que cela : elle souligne l’ambivalence des relations entre frères et sœurs, au sein des familles en général. Mais pour le spectateur averti, les voix qui prononcent les paroles sonnent d’un timbre, si l’on ose dire, familier : ce sont celles d’Oscar Berliner, le père du cinéaste, et de sa sœur Lynn17. Le propos général s’ancre bien dans une expérience personnelle.

17Plus loin dans le même film, dans la partie consacrée aux fiançailles et au mariage, une voix de femme raconte :

  • 18 « I really wanted to get away from my father’s clutches — I couldn’t say : I’m going to li (...)

– Je voulais m’échapper des griffes de mon père
– Je ne pouvais pas juste aller vivre toute seule, comme on le fait maintenant
– J’aurais dû, mais ça ne se faisait pas à l’époque
– Ma seule option c’était de me marier18.

  • 19 1) cadrés en plan américain, faisant face à la caméra et lui souriant, un jeune homme et un (...)

18À cette bribe de récit correspondent trois plans successifs à l’image, composant une brève scène qui se déroule en extérieur à proximité d’un train, entre quatre personnages tous d’allure enjouée : un couple de fiancés ou jeunes mariés, et un couple plus âgé formé sans doute des parents de l’un d’eux. Tous s’embrassent19. Dans le plan qui suit immédiatement, tourné en intérieur (église, temple, synagogue ?), un père en smoking conduit par le bras à travers l’assemblée sa fille en robe de mariée, aux accents de la Marche nuptiale. Plus encore que dans l’exemple précédent on voit là s’opérer un ensemble d’opérations signifiantes qui, au-delà de la (subtile) contradiction qui s’établit entre l’image et le son, pourraient se décrire comme une synecdoque généralisante se renversant en synecdoque particularisante. En effet, si les deux jeunes gens forment évidemment un couple, une certaine indétermination subsiste : sont-ils fiancés ou déjà jeunes mariés ? Les parents sont-ils ceux du jeune homme ou de la jeune femme ?

  • 20 Également confirmé par le réalisateur, août 2011.

19Le statut incertain de ces anonymes —il en va de même tout au long du film— ne fait que mieux leur conférer la qualité de représentants de types plus larges, de membres de la famille américaine moyenne. Mais, là aussi, la voix féminine qui livre le bref récit off n’est pas inconnue du spectateur attentif : c’est celle de Regina Cassuto, la mère du cinéaste, qu’on peut entendre dans les quatre autres films.20 Si Berliner met en doute l’institution du mariage en général et le mythe de l’amour obligatoire entre époux, c’est en inscrivant ce doute dans l’histoire de sa propre famille (sans toutefois le laisser savoir, dans ce premier des cinq films, à d’autres que les initiés). On est tenté de mettre ce constat en relation avec une déclaration du cinéaste :

  • 21 « At some point along the way I made a rather surprising discovery: that an archiv (...)

Quelque part en chemin j’ai fait cette découverte plutôt surprenante : qu’une image d’archive pouvait simultanément universaliser et personnaliser mon récit21.

Nobody’s Business : un film qui nous regarde ?

  • 22 Il a été récompensé en Europe en 1997 par le Prix de l’Association Internationale des (...)

20Cet art de faire naître le sens de matériaux disparates, et qui souvent s’entrechoquent plus qu’ils ne se complètent, est poussé plus loin encore dans Nobody’s Business, qui occupe la position centrale dans l’ensemble des cinq œuvres étudiées, et qui est peut-être le chef d’œuvre de Berliner22.

21Examinons les tout premiers plans du film, qui composent un pré-générique. Sur une image de foule, en noir et blanc, au mouvement ralenti, qui montre uniquement des hommes, la plupart coiffés de chapeaux mous, certains regardant vers la caméra, la voix d’Oscar Berliner, off (en arrière-plan sonore un orchestre s’accorde), conte l’histoire d’un homme qui se rend chez un peintre pour lui commander un tableau. Il y a deux types de tableaux, explique l’artiste : le portrait et le paysage.

22– Quel est le moins cher ? demande l’homme.
– Le paysage, répond le peintre.
– Alors, pouvez-vous faire un paysage de moi ? répond l’homme.

  • 23 On entend déjà un essai d’enregistrement très semblable dans The Family Album.
  • 24 « How long do you think this is going to take, Alan? — About an hour. »

23Pendant cette dernière phrase, apparaît brièvement un autre plan, également en noir et blanc, qui montre un arbre isolé au milieu du cadre dans un paysage nu. En seulement 37 secondes et non sans humour, l’auteur affirme d’emblée le caractère réflexif du film, tout en annonçant que le propos portera tant sur un individu que sur ses proches et sur une histoire plus globale, et en signifiant la solitude et la tristesse du personnage central. Le troisième plan associe la voix d’Oscar faisant un essai de micro (« testing — one, two, three… »)23, le défilement de chiffres (8, 7, 6…) formant le compte à rebours habituellement présent sur l’amorce du film, le tic-tac d’un métronome, puis cet échange entre père et fils : « ça va être long ? — une heure environ »24. Le film durera effectivement 58 min.

  • 25 Louise Spence & Vinicius Navarro, Crafting Truth, Documentary Form and Meaning, New (...)
  • 26 « You keep on hounding me and pounding me. » 
  • 27 « Some people say that you never tried to change. You could have done things to make (...)
  • 28 « I’ve always felt that you’re never sharper, never more alert, in many ways never (...)

24Un de ses traits les plus notables est la façon saisissante dont Berliner appuie sa stratégie discursive sur un usage métaphorique des images d’archives. On ne peut manquer de remarquer, à un moment clef du film, combien l’évocation du divorce des parents est dramatisée par la vision d’un stockshot montrant comment une maison toute entière bascule dans un fleuve dont la crue a rongé les berges : saisissant effet de condensation et de déplacement que cette association du naufrage d’un couple et d’une catastrophe naturelle inévitable. Comme l’ont bien noté les auteurs d’un récent ouvrage25, les métaphores qu’emploie Berliner sont aussi des hyperboles. Cela est particulièrement vrai de la figure soulignant les tensions entre père et fils, celle du match de boxe, et qui revient obstinément dans le film, à six reprises. Le sens en est manifeste, mais il se décline dans une progression savante. La première occurrence intervient près du début du film [02:26] alors que le père a commencé de manifester son peu d’intérêt pour le projet : trois plans successifs, le premier très large, le second plus rapproché sur le ring et les boxeurs qui s’échauffent avant le combat, le troisième sur le public. Le deuxième [14:09] correspond à l’évocation de la mort en bas âge de deux enfants Berliner de la génération d’Oscar, qu’il refuse violemment de commenter : des plans plus rapprochés encore montrent les boxeurs en plein combat, puis le public, puis de nouveau les boxeurs que l’arbitre tente de séparer ; des sons de cloche (le « gong ») scandent la succession des images. La troisième occurrence [30:19] montre un combat acharné entre les pugilistes, en plans serrés ; elle accompagne la question, posée par le fils, du sens qu’ont les films de famille tournés par le père — celui-ci déclare : « Tu me harcèles, tu t’acharnes sur moi »26. Lorsque le fils en vient à prononcer le mot « divorce », un des boxeurs tombe à genoux ; c’est alors que le père répond : « It’s nobody’s business ». A la quatrième occurrence, un des combattants est presque KO mais tente de se relever ; l’arbitre compte jusqu’à 7 et le fils dit à son père : « Certains disent que tu aurais pu changer. Tu aurais pu améliorer les choses »27. À la cinquième occurrence enfin [54:48] le combat reprend de plus belle, sous le contrôle de l’arbitre ; un des boxeurs est de nouveau à terre, l’arbitre compte jusqu’à 8 mais le boxeur se relève. Le fils déclare : « Je trouve que tu n’es jamais aussi acerbe, aussi vif, aussi vivant si tu veux, que dans nos conversations »28. D’autres membres de la famille confirment, off, le sentiment d’Alan.

  • 29 « Benjamin Berliner was a very stubborn, tough, strong, domineering individual. »

25Mais ces métaphores-hyperboles ne sont pas, loin s’en faut, les seules figures signifiantes mobilisées. Il faut noter la façon dont la condensation du sens peut tenir à un simple raccord « plastique » : ainsi, lorsque le cinéaste annonce à son père qu’il va faire un voyage en Pologne sur les traces de leurs ancêtres, il se montre tournant la manivelle d’un lecteur de microfilms. Au plan suivant, ce qui paraît d’abord être le défilement du microfilm remplissant l’écran s’avère être un panoramique filé très rapide sur des arbres, qu’accompagne un bruit de train. D’autres figures de montage plus complexes organisent par la rythmique les registres d’images et de sons. Lorsque Martin, un cousin d’Alan, déclare : « Benjamin Berliner [le père d’Oscar] était un homme très obstiné, dur, fort, autoritaire »29, des photos anciennes de ce personnage apparaissent à intervalles réguliers pendant les respirations entre les adjectifs (l’homme paraît en effet sévère) et l’alternance ainsi créée corrobore le propos.

  • 30 « I went out with a lot of girls, and they all left me with something to be desired. » 

26Et le cinéaste recourt à des façons plus sophistiquées encore de signaler la divergence ou la convergence d’opinions, le débat contradictoire ou la mise en question des témoignages, ouvrant souvent sur une remarquable polysémie. Par exemple, lorsqu’il commence d’évoquer la rencontre de ses parents, ce propos d’Oscar Berliner « Je suis sorti avec un tas de filles, et elles me laissaient toutes insatisfait »30 — s’enchaîne avec une archive de son ex-épouse Regina chantant en français « Non, rien de rien, non je ne regrette rien ». Peu après, Berliner fait dialoguer par le montage son père et sa mère, interviewés séparément, toujours à propos de leur rencontre :

  • 31 « I met your mother
    – I was foreign
    – She was an Egyptian
    – I was Sephardic
    – She was y
    (...)

– J’ai rencontré ta mère
– J’étais étrangère
– Elle était Egyptienne
– J’étais sépharade
– Elle était jeune
– Je parlais plusieurs langues
– Elle était très jolie
– J’étais dans le théâtre
– Elle était très amusante, pas du tout comme les autres filles dont je parle
– J’étais différente au-delà de son entendement, Alan31...

27Le tout est associé à des photos et des extraits de films de famille (tournés par Oscar) montrant Regina jeune : images et sons se répondent pour signifier la distance et la proximité affectives, l’éloignement et le rapprochement dans l’espace et le temps. Plus frappant encore peut-être, le bref passage au cours duquel le cinéaste fait chanter en « duo » à ses parents, toujours par le montage, « It’s just the nearness of you [!] ». Mais on peut admirer aussi le très bel effet (un simple montage alterné pourtant, en champ-contrechamp) par lequel Berliner fait jouer sa mère et sa sœur au tennis de plage par-dessus les années écoulées, l’une dans un film ancien, l’autre dans une vidéo récente.

28Le générique final laisse se poursuivre sans images le pugilat verbal entre père et fils, car Berliner semble répondre aux récriminations de son père par les mentions successives qui apparaissent sur l’écran, ce qui donne à peu près ceci :

  • 32  « I’ve always felt, and I’ve said this to Lynn more than once, that with your intelligence (...)

J’ai toujours pensé, et je l’ai dit à Lynn plus d’une fois, qu’avec ton intelligence / produit / tu aurais pu être comptable, avocat, /réalisé / ingénieur, tu aurais pu faire tout ça / photographié / et tu as choisi ça ! »32 / et monté par Alan Berliner.

29La discussion, presque un monologue d’Oscar, se poursuit off. Le père expose à son fils le peu de cas qu’il fait de ses films et, pendant que les crédits continuent de défiler à l’écran, témoignant des très nombreuses démarches effectuées par le réalisateur, il lui oppose ce dernier argument :

  • 33  « I’ve been a working stiff all my life - hard worker, never asked anybody for anything. M (...)

– […] j’ai bossé dur toute ma vie, sans jamais rien demander. Toi, tu veux du tout cuit. Tu vis de la charité
– De quoi tu parles ?
– De tes subventions. Pour moi c’est de la charité.
– Tu sais combien c’est dur de les obtenir ?
– Je me fous que ce soit dur ! Le fait est que tu n’as pas de travail, tu vis de la charité. Tu fais une erreur33.

30On l’aura compris, Nobody’s Business, comme du reste les quatre autres films évoqués ici, ne se conforme donc que relativement aux caractéristiques du documentaire autobiographique telles que les décrit Carolyn Anderson :

  • 34 « More commonly, autodocumentaries combine observational footage with interviews and archiv (...)

Le plus souvent, les autodocumentaires combinent un métrage observationnel avec des interviews et des matériaux d’archives pour créer des récits de vie historiquement situés, souvent organisés de manière achronologique, habituellement commentés en voice over par le cinéaste, et fréquemment déterminés par les paramètres de la vie de famille34.

31Chez Berliner, si archives et interviews composent bien des récits de vie, le commentaire en voice over est pratiquement absent, de même que le filmage observationnel, et la chronologie est toujours prégnante. Surtout, le cinéaste s’affranchit de ce modèle convenu par l’intelligence avec laquelle il joue des correspondances à distance, mises à jour de sens latents (dans le son, par l’image ; dans l’image, par le son), hiatus signifiants, distorsions et contradictions. Et ces formes, bien entendu, font sens : ce sont elles qui supportent l’exercice narcissique tout en le rendant acceptable par le spectateur.

  • 35  « Autobiography becomes ethnographic at the point where the film- or videomaker understand (...)

32Devant ce film en effet, comme devant les quatre autres de Berliner, comme devant l’ensemble du sous-genre qu’est le documentaire subjectif ou autodocumentaire, la question qui se pose le plus naturellement est celle d’un possible repli de l’auteur sur soi (et les siens). L’évolution historique qui conduit du film didactique ou propagandiste au cinéma direct engagé, puis au film personnel, consacre-t-elle la faillite des grands systèmes de pensée ? Catherine Russell déplace cette question en suggérant que les documentaires subjectifs modernes participent d’une ethnographie, dépassant l’autobiographie dès lors que le cinéaste « comprend son histoire personnelle comme impliquée dans des formations sociales et historiques plus larges »35. Le bilan de la vision de Nobody’s Business est double : d’une part la relation père-fils semble finalement apaisée par ce qui est en fait un travail d’anamnèse difficilement partagée et aussi, en définitive, un pudique aveu d’amour réciproque. D’autre part on constate non seulement que l’enjeu ultime est l’acceptation de soi et de l’autre dans leur histoire commune, au-delà des blessures infligées, mais aussi que les émotions et les sentiments évoqués sont universels, et s’éprouvent dans le cadre de la détermination des parcours individuels par l’Histoire. La valeur d’antiphrase du titre est confirmée par la réflexion sous-jacente sur ce qui unit l’humanité toute entière : ce Nobody’s Business est bien l’affaire de tout le monde.

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Bibliographie

Bibliographie

ANDERSON Carolyn, Autobiography and documentary, in Encyclopedia of the Documentary Film, New York : Routledge, Taylor and Francis, 2006.

CUEVAS Efrén & Carlos MUGUIRO (eds.), El hombre sin la cámara / The Man Without the Movie Camera, El cine de Alan Berliner / The Cinema of Alan Berliner, Madrid : Ediciones Internacionales Universitarias, 2002.

LANE Jim, The Autobiographical Documentary in America, Madison et Londres : The University of Wisconsin Press, 2002.

NICHOLS Bill, Blurred Boundaries, Bloomington and Indianapolis : Indiana University Press, 1994.

NICHOLS Bill, Introduction to Documentary, Bloomington and Indianapolis : Indiana University Press, 2001, 2010.

RUSSELL Catherine, Experimental Ethnography, The Work of Film in the Age of Video, Durham : Duke University Press, 1999.

SPENCE Louise & Vinicius NAVARRO, Crafting Truth, Documentary Form and Meaning, New Brunswick, New Jersey, Londres : Rutgers University Press, 2011.

Egalement consultés :

RASCAROLI Laura, The Personal Camera, Subjective Cinema and the Essay Film, Londres & New-York : Wallflower Press, 2009.

RENOV Michael, The Subject of Documentary, Minneapolis, Londres : University of Minnesota Press, 2004.

Filmographie

The Family Album (1986) : Réal. :  Alan BERLINER ; Prod.  : Alan Berliner ; Noir et blanc ; 60 min.

Intimate Stranger (1991) Réal. :  Alan BERLINER ; Prod.  : Alan Berliner; Couleur ; 60 min.

Nobody’s Business (1996) Réal. :  Alan BERLINER ; Prod.  : Alan Berliner ; Couleur ; 58 min.

The Sweetest Sound (2001) Réal. :  Alan BERLINER ; Prod.  : Alan Berliner & Laurie Wen ; Noir et blanc ; 60 min.

Wide Awake (2006) Réal. :  Alan BERLINER ; Prod.  : Alan Berliner & Natalia Trifonova ; Couleur ; 79 min.

Réseaugraphie

Site officiel du cinéaste : <http://alanberliner.com/>

Interview d’Alan Berliner sur la chaîne PBS, émission POV (Point of View), 2010 : <http://video.pbs.org/video/1696357449/>

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Notes

1 Tel est le titre du seul livre à ce jour qui lui ait été consacré : Efrén Cuevas & Carlos Muguiro (ed.), El hombre sin la cámara / The man without the movie camera, El cine de Alan Berliner / The Cinema of Alan Berliner, Madrid : Ediciones Internacionales Universitarias, 2002.

2 Patience and Passion, Alan Berliner, DOX documentary magazine, automne 1994, n° 3, reproduit dans Efrén Cuevas & Carlos Muguiro (ed.), Ibidem.

3 Ces films ont été récemment réunis dans un coffret de 5 DVD : The Alan Berliner Collection, New York : Lorber Films, Kino Lorber Inc., 2010.

4 Le grand-père se plaisait à montrer ces archives à son petit-fils lorsque celui-ci était enfant. Interview du cinéaste dans l’émission POV (Point of View) sur la chaîne publique PBS au printemps 1992, bonus du DVD.

5 L’installation est constituée de meubles métalliques de bureau dont les tiroirs contiennent des sons enregistrés sur des magnétophones à cassette modifiés (ainsi le tiroir No trespassing correspond aux aboiements furieux d’un chien, le tiroir Critical Condition à une sirène d’alarme). En ouvrant plusieurs tiroirs on compose des paysages sonores.

6 Une sélection de ces journaux est disponible sur le remarquable site officiel du cinéaste : <http://alanberliner.com>, consulté le 12 janvier 2014.

7 « We’re strangers. We’re related, but actually we’re strangers.
– We’re sort of relatives and sort of strangers.
– We’re strange relatives.
– We’re strangers who share a common history
. »

8 « You have to be just aggressive enough, stupid enough, smart enough, modest enough, to even make these journeys, and they are journeys, each of the films is a journey (…) at some level, I’m proud that I had the nerve … not heroic or … it’s not about courage, but I dared do it. » Interview du cinéaste dans l’émission POV, PBS, 2010, accessible en ligne à l’adresse : <http://video.pbs.org/video/1696357449/>, consulté le 10 août 2011.

9 Pour un historique détaillé, voir Jim Lane, The Autobiographical Documentary in America, Madison et Londres : The University of Wisconsin Press, 2002. Pour un bilan synthétique, voir Carolyn Anderson, Autobiography and Documentary, in Encyclopedia of Documentary Film, New York : Routledge, Taylor and Francis, 2006, 67-70.

10 Actif dès le début des années 60, mais dont le film le plus introspectif est peut-être Reminiscences of a Journey to Lithuania (1972).

11 Stella Bruzzi précise les contours du mode performatif dans Stella Bruzzi, New Documentary: A Critical Introduction, Londres, New York : Routledge, 2000.

12 Les films de Michael Moore ont sans doute contribué à populariser le mode performatif, mais n’en sont évidemment pas les seuls représentants — voir les exemples ci-dessus.

13 Nichols ajoute par ailleurs à sa typologie un sixième mode, le mode poétique, rendant compte de dimensions consubstantielles au genre qui étaient pourtant restées à l’arrière-plan de sa vision.

14 « Identity is no longer a transcendental or essential self that is revealed, but a ‘staging of subjectivity’ — a representation of the self as a performance. » Catherine Russel, Experimental Ethnography, The Work of Film in the Age of Video, Durham : Duke University Press, 1999, 276.

15 Voici une description de ces plans, filmés en extérieur : 1) le chien est en arrêt, remuant la queue, devant le chat ; 2) le chien, dressé sur ses pattes de derrière, guette le chat, (qui reste hors cadre) au pied d’un arbre ; 3) plus haut sur le tronc du même arbre, se trouve le chat qui entreprend d’en descendre ; le chien l’attend ; le chat parvient au bas de l’arbre malgré les coups de patte du chien, qui le poursuit en sortant du cadre.

16 « – You didn’t fight any more than any …
– Who started the fights ?
– Let me tell you something … Maybe ‘fights’ is not the right word. I don’t know who started the fights.
– Who instigated ? Who instigated ?
– The question is, I think you use a wrong terminology… I don’t believe these were fights, I believe these were teasings one against the other. »
(Les traductions en français proviennent des sous-titres de l’édition DVD de référence, à de minimes corrections près).

17 Confirmé par le réalisateur (communication personnelle, août 2011).

18 « I really wanted to get away from my father’s clutches — I couldn’t say : I’m going to live alone, the way it’s done now, which I should have — But it was impossible, you couldn’t do that — So the only thing I could do was to say : well, I’m going to get married. » 

19 1) cadrés en plan américain, faisant face à la caméra et lui souriant, un jeune homme et une jeune femme tiennent chacun par un bras un homme d’âge moyen ; celui-ci dépose un rapide baiser sur la joue de chacun d’eux ; 2) plan quasi-identique, mais l’homme que nous supposons être le père de l’un des jeunes gens est remplacé par une femme qui semble être la mère de l’un d’eux ; elle aussi les embrasse rapidement sur la joue tour à tour ; 3) ce sont maintenant le jeune homme et la jeune femme, cadrés d’un peu plus loin, qui s’embrassent brièvement sur les lèvres puis marchent vers la caméra.

20 Également confirmé par le réalisateur, août 2011.

21 « At some point along the way I made a rather surprising discovery: that an archival image can simultaneously universalize and personalize my storytelling. » Alan Berliner dans un entretien avec Anne S. Lewis, The Art of Process, <http://www.alanberliner.com> (consulté en août 2011).

22 Il a été récompensé en Europe en 1997 par le Prix de l’Association Internationale des Critiques de Films au Festival International du Film de Berlin, le Grand Prix du Festival Visions du Réel de Nyon, et un Prix de l’Innovation en Cinéma au Festival dei Popoli de Florence.

23 On entend déjà un essai d’enregistrement très semblable dans The Family Album.

24 « How long do you think this is going to take, Alan? — About an hour. »

25 Louise Spence & Vinicius Navarro, Crafting Truth, Documentary Form and Meaning, New Brunswick, New Jersey, Londres : Rutgers University Press, 2011, 179-180.

26 « You keep on hounding me and pounding me. » 

27 « Some people say that you never tried to change. You could have done things to make things better. »

28 « I’ve always felt that you’re never sharper, never more alert, in many ways never more alive, than when we have these conversations. »

29 « Benjamin Berliner was a very stubborn, tough, strong, domineering individual. »

30 « I went out with a lot of girls, and they all left me with something to be desired. » 

31 « I met your mother
– I was foreign
– She was an Egyptian
– I was Sephardic
– She was young
– I spoke many languages
– She was very pretty
– I was involved in the theater
– She was very entertaining, not at all like these other ones I’m talking about
– I was different beyond his realm of comprehension, Alan…
 »

32  « I’ve always felt, and I’ve said this to Lynn more than once, that with your intelligence, with your brains, you could have been an accountant, you could have been a lawyer, you could have been an engineer, you could have been any one of the professions. You chose this? »

33  « I’ve been a working stiff all my life - hard worker, never asked anybody for anything. My son’s a liberal. All he knows is to get something for nothing.
– How do I get something for nothing?
– You’re looking for handouts.
– What do you talkin’ about?
– You’re looking for handouts. To me a grant is a handout. I don’care how you say it.
– You know how hard it is to get the grants and the fellowships that I get?
– Alan, I don’t give a damn wether they’re hard to get. The fact of the matter is, you don’t have a job, you don’t have a business. You’re working on handouts. I’m convinced that you’re doing the wrong thing.
 »

34 « More commonly, autodocumentaries combine observational footage with interviews and archival materials to create life stories situated historically, often organized achronologically, usually with a voice-over narration by the filmmaker, and frequently bound by the parameters of family life. » Carolyn Anderson, op. cit., 68.

35  « Autobiography becomes ethnographic at the point where the film- or videomaker understands his or her personal history to be implicated in larger social formations and historical processes. » Catherine Russel, op. cit., 276.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Luc Lioult, « L’œuvre d’Alan Berliner ou l’autobiographie comme l’affaire de tous »Revue LISA/LISA e-journal [En ligne], vol. XII-n° 1 | 2014, mis en ligne le 27 février 2014, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lisa/5596 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lisa.5596

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Auteur

Jean-Luc Lioult

Jean-Luc Lioult est professeur à Aix-Marseille Université. Il consacre l’essentiel de ses recherches à la théorie et à l’histoire du documentaire. Il a notamment publié À l’Enseigne du réel (PUP, 2004), dirigé Des mouvants indices du monde (PUP, 2008) et traduit Un cinéma de non-fiction de William Guynn (PUP, 2001).

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