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Religion and Politics in the United States

Le lobby anti-avortement : pouvoirs et limites d’une stratégie d’action collective

The Anti-Abortion Lobby: Power and Limits of a Collective Action Strategy
Salah Oueslati
p. 141-169

Résumé

When the U.S. Supreme Court established a woman’s constitutional right to have an abortion in its 1973 decision, nobody expected that this ruling would have far-reaching political implications. Few cases have led to such heated and bitter debate. The politics of abortion have affected every branch and every level of American government. With the increasing influence of the Religious Right within the Republican Party and in American society since the early 1980s, religion and politics have made for “an explosive combination” which may jeopardize the principle of the separation of Church and State. However, if political institutions and institutional opportunities on the one hand, and ideological and discursive strategies on the other have played a critical role in the successes of the anti-abortion movement and contributed to its achievements, they have also determined its limits.

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Texte intégral

  • 1  Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835, Paris : Robert Laffont, 1986, 276.
  • 2  Kenneth Jost, « Religion and Politics », Congressional Quarterly Researcher, 14 octobre 1994, 891.

1Aux Etats-Unis, le principe de la séparation de l’Église et de l’État n’a jamais constitué un obstacle majeur à la participation active et visible des organisations à caractère religieux dans la sphère politique. Mais, cette intervention s’est souvent faite d’une façon indirecte. Comme le soulignait Alexis de Tocqueville en 1835, à propos des prêtres : « On ne les voit prêter leur appui à aucun système politique en particulier. Ils ont soin de se tenir en dehors des affaires, et ne se mêlent pas aux combinaisons des partis »1. Cependant, avec l’ascension de la Droite religieuse depuis le début des années 1980, religion et politique constituent, selon l’expression de Kenneth Jost, « un cocktail explosif »2. Les organisations religieuses ont, en effet, largement infiltré un important parti politique : le parti républicain.Grâce à celui-ci, leur influence politique et idéologique ainsi que leur présence dans les structures de pouvoir ont atteint un degré jamais égalé dans l’histoire contemporaine des Etats-Unis.

2Dans cette nébuleuse de la Droite religieuse, les groupes anti-avortement (pro-life) forment la constellation la plus puissante et la plus combative. La mobilisation de ces groupes a pris deux formes, d’un côté celle d’un mouvement social et contestataire et de l’autre celle d’un groupe d’intérêt conventionnel (lobby). Ces deux modes de mobilisation ont été adoptés de façon simultanée ou alternative, en fonction des groupes en présence et des opportunités politico-institutionnelles. 

  • 3  Peter K. Eisinger, « The Concept of Protest Behavior in American Cities », American Political Scie (...)
  • 4  Doug McAdam, « Conceptual Origins, Current Problems, Future Directions », in McAdam Doug, J. McCar (...)

3L’un des concepts clés dans notre démarche pour analyser la mobilisation politique des groupes anti-avortement est celui de structure des opportunités politiques. À la suite de Peter Eisinger3, cette notion a été élaborée et utilisée par de nombreux auteurs pour expliquer l’impact du contexte politique sur les mouvements sociaux et sur d’autres formes de mobilisation politique. Ce sont des conjonctures propices à l’action collective qui se présentent comme des ouvertures incitatives qui tiennent tantôt à une faiblesse de l’autorité ; tantôt à un renforcement de la position d’un mouvement, comme la présence de tiers partis auxquels ils peuvent s’associer, ou simplement d’alliances avec d’autres groupes4.

  • 5  Sideny Tarrow, « State Opportunities: The Political Structuring of Social Movements », in D. McAda (...)
  • 6  Sidney Tarrow, Struggle, Politics and Reform: Collective Action, Social Movements, and Cycles of P (...)

4Cette approche, qualifiée par Sidney Tarrow5 d’« étatiste », car l’analyse porte exclusivement sur les institutions politiques, souffre d’une lacune fondamentale, celle de la place relativement limitée des idées, des stratégies discursives et des phénomènes idéologiques dans l’analyse des mobilisations sociales.Or les idéologies et les idées véhiculées orientent souvent les choix et les stratégies à long terme aussi bien des décideurs que des mouvements sociaux et des groupes d’intérêt préoccupés par le débat législatif. Alors que les opportunités institutionnelles se réfèrent au degré d’accès au système politique dont disposent les mouvements sociaux et à l’action étatique envers cette mobilisation, les variables idéologique et discursive renforcent ou limitent la légitimité des revendications politiques des acteurs dans l’espace public. En fait, les deux niveaux se structurent mutuellement de manière dialectique. Si les groupes ne s’engagent dans l’action collective que lorsque la conjoncture est favorable, c’est-à-dire, quand la structure d’opportunité politique est propice6, le degré d’accès au système politique est lui-même déterminé par la légitimité politique des revendications des acteurs. Cette légitimité qui ne peut être acquise que grâce à un travail de fond et de longue haleine mené sur les terrains idéologique et discursif.

5L’analyse des mouvements de protestation et du processus de lobbying contre le droit à l’avortement permet de tester empiriquement des hypothèses concernant les rapports entre institutions politiques et action collective et le rôle des phénomènes idéologiques et discursifs dans l’articulation de ces rapports. L’objectif ici est d’étudier comment les choix stratégiques des groupes hostiles au droit à l’avortement dépendent du contexte institutionnel et idéologique et discursif dans lequel et sur lequel ils agissent.

6Par ailleurs, pour expliquer la persistance du débat sur le droit à l’avortement depuis le début des années 1970 jusqu’à nos jours, il convient d’explorer les différentes formes d’inscription à l’ordre du jour (agenda setting) qui ont marqué et marquent encore l’histoire de cette question. En règle générale, la notion d’inscription à l’ordre du jour désigne la construction des problèmes sociaux qui sont – ou devraient être – pris en charge par l’État. Elle renvoie, dans le cas du mouvement anti-avortement, au processus par lequel la mobilisation des groupes à caractère religieux joue un rôle de premier plan dans le maintien de cette question à l’ordre du jour législatif et judiciaire et au cœur du débat politique.

7Enfin, la notion de path dependence, élaborée par lestenants du néo-institutionnalisme historique, pourrait nous éclairer sur les difficultés rencontrées par les mouvements sociaux et les groupes d’intérêt à atteindre leur objectif en raison de l’impact structurant des politiques publiques passées sur la liberté d’action des décideurs politiques.

Le droit à l’avortement : un enjeu politique

  • 7  James C. Mohr, Abortion in America:The Origins and Evolution of National Policy, 1800-1900, New Yo (...)
  • 8 Ibid., 32.
  • 9  Kristin Luker, Abortion and the Politics of Motherhood, Berkeley: California University Press, 198 (...)
  • 10  « The Abortion Epidemic », Newsweek, 14 novembre 1966, 92.

8C’est au milieu du dix-neuvième siècle que l’IVG quitte pour la première fois la sphère privée pour devenir un enjeu politique aux États-Unis; on assiste alors à l’émergence du premier mouvement anti-avortement (1850-1890). Mais, à cette époque, comme le souligne James Mohr, malgré les sollicitations pressantes des médecins, les autorités religieuses ne manifestent que peu ou pas d’intérêt pour l’avortement ; même l’Église catholique américaine reste indifférente7. Ce sont les médecins, soucieux de mettre fin à la concurrence d’un nombre croissant de praticiens irréguliers dans une activité fortement lucrative, qui réussissent à faire interdire cette pratique dans tous les États8.Après près d’un « siècle de silence », selon l’expression de Kristin Luker9, les médecins montent de nouveau en première ligne pour, cette fois, demander un assouplissement des législations interdisant l’avortement. Leur campagne, appuyée par les juristes, rencontre un écho favorable auprès des médias qui, devant l’augmentation alarmante du nombre d’avortements clandestins, commencent à parler « d’épidémie »10. Mais, la véritable politisation de la question de l’avortement commence avec l’émergence du mouvement féministe. Créée en 1966, la National Organization for Women (NOW) appelle à l’abrogation pure et simple de la législation en vigueur et demande un avortement libre et gratuit pour toutes les femmes. Loin des registres techniques et thérapeutiques de la profession médicale, ou du registre moral des autorités religieuses, le discours féministe introduit dans le débat sur l’avortement une dimension explicitement politique. La mobilisation du mouvement féministe sur tous les fronts conduit plusieurs États à modifier leur législation dans un sens plus libéral. L’arrêt de la Cour suprême Grinswold v. Connecticut (1965) par lequel la plus haute juridiction américaine reconnaît le droit de la femme à la contraception, était l’élément crucial dans la décision des groupes féministes de concentrer leur combat sur le terrain judiciaire.

  • 11 Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973).

9Le 22 janvier 1973, dans son arrêt Roe v. Wade11, la Cour suprême va au-delà des espérances des militants pro-avortement et, par une majorité de sept juges contre deux, reconnaît un droit à l’avortement quasi absolu durant le premier trimestre de la grossesse. Suivant le raisonnement de la jurisprudence Grinswold sur la contraception, les juges estiment qu’il s’agit d’un même droit à la vie privée (right to privacy) protégée par le 14e amendement de la Constitution. Loin de mettre fin à la politisation du débat sur l’avortement, l’arrêt de 1973 lui donne une nouvelle impulsion.  Cependant, ce nouveau départ ouvre une période pendant laquelle les termes du débat sur l’IVG ne sont plus dictés par les militants pro-avortement, mais par leurs adversaires. Dès lors, la conjoncture qui était jusque-là propice, sur le plan aussi bien politique qu’idéologique, à l’action collective des groupes libéraux va s’inverser de façon progressive, mais inexorable, en faveur des groupes ultraconservateurs à caractère religieux.

  • 12  L’Église a en outre menacé d’excommunier les personnalités publiques qui soutiendraient le droit à (...)
  • 13  Kristin Luker, Abortion and the Politics of Motherhood…, op. cit., 137.

10C’est l’Église catholique américaine, longtemps hostile à l’avortement mais traditionnellement très discrète sur le terrain politique, qui déclenche la première croisade contre la décision de la Cour suprême de 1973. La National Conference of Catholic Bishops appelle à la création d’une organisation pro-life dans chacune des 435 circonscriptions électorales12. Ce choix d’une stratégie conventionnelle, c’est-à-dire la mobilisation par le mécanisme du lobbying, conduit l’Église catholique à créer et financer une organisation nationale basée dans la capitale américaine et dirigée par des lobbyists professionnels, avocats chevronnés et experts dans le domaine des médias et des relations publiques : le National Committee for a Human Life Amendment (1974). Avec 80% de militants, les catholiques pratiquants vont largement dominer le mouvement anti-avortement jusqu’à la fin des années soixante-dix13.

  • 14  En effet, « la droite chrétienne est bel et bien l’œuvre d’une poignée de militants de la New Righ (...)

11Cette période constitue en effet un tournant décisif pour le mouvement anti-avortement. Sous l’instigation des leaders de la Nouvelle Droite14, Évangéliques et Fondamentalistes décident de défendre les causes conservatrices et d’apporter un soutien politique et financier aux candidats qui soutiennent leurs positions sur l’interdiction de l’avortement, l’homosexualité, la sexualité hors mariage et la pornographie, et qui sont favorables à  la réintroduction de la prière dans les écoles publiques et à la défense des valeurs traditionnelles. La même année (1979), le révérend Jerry Falwell crée la Moral Majority, une organisation destinée à être le fer de lance du mouvement anti-avortement. Cette mobilisation atteint son paroxysme le 29 avril 1980, une date qui annonce selon Pat Robertson, fondateur de la Christian Coalition, « le début d’une révolution spirituelle ». Elle marque le premier rassemblement contre l’avortement organisé dans la capitale américaine et baptisé « The Washington for Jesus Rally ». Entre 250 000 et 500 000 personnes, selon les sources, ont participé à cet événement. Celui-ci annonce la volonté des évangélistes protestants de descendre dans l’arène politique pour se défendre contre la « décadence » de la société séculaire.

12Tout en mettant en avant des arguments à caractère moral ou religieux, les organisations anti-avortement s’inspirent des stratégies qui ont contribué au succès du mouvement des droits civiques des années soixante pour faire pression sur les hommes politiques aussi bien au niveau fédéral que local. Ils organisent des marches de protestations, des campagnes de courriers, de téléphones ou de pétitions, ainsi que des contacts directs avec les membres du Congrès, où ils disposent d’un certain nombre d’alliés solides. Le relevé personnalisé des votes de chaque membre du Congrès (Christian scorecards) leur permet d’indiquer aux militants les élus qui appuient leurs revendications et qu’il faut soutenir, et ceux qu’il faut dénoncer et combattre. Le processus électoral constitue donc un élément de choix dans la stratégie des groupes anti-avortement. L’implantation des églises à travers tout le territoire américain, aussi bien dans les zones rurales qu’urbaines, permet aux ecclésiastiques de disposer d’un réseau de contacts sans équivalent pour faire inscrire le plus grand nombre possible de leurs fidèles sur les registres électoraux et les convaincre de voter pour les candidats de leur choix. Le but de cette mobilisation est d’amener les membres du Congrès à voter un amendement à la Constitution ou, tout au moins, une disposition législative, interdisant l’avortement.

  • 15  John O. Pastore, Congressional Record, Senate, 17 septembre, 1974, 31453.

13Cependant, malgré l’inscription de la question de l’avortement à l’ordre du jour législatif à intervalle régulier, le bilan est sinon décevant, du moins mitigé. En effet, pas moins de dix-huit amendements à la Constitution et projets de loi visant à interdire l’avortement seront introduits, mais aucune mesure de ce type ne sera adoptée. Le seul succès notable de ces groupes est l’adoption en 1976 d’un amendement (Hyde Amendment) interdisant l’utilisation des fonds publics destinés au programme Medicaid pour le financement de l’avortement. Ce succès est obtenu grâce à une stratégie subtile et efficace des membres du Congrès hostiles à l’avortement. Dans une période de crise économique très profonde et de restrictions budgétaires touchant plusieurs programmes, ces derniers sont parvenus à démontrer l’inopportunité des sommes importantes versées par l’État, et donc le contribuable, pour financer l’IVG. Par ailleurs, les groupes pro-life ont réussi à enfermer leurs adversaires dans leur propre logique. Selon leur raisonnement, ceux qui défendent le droit de la femme de choisir librement de recourir à un avortement devraient logiquement accepter le libre choix des contribuables de ne pas laisser l’État utiliser l’argent de leurs impôts pour financer cette pratique. Comme le note John O. Pastore, sénateur du Rhode Island, « There are many people in this country who pay money and pay their taxes and they have a very strong feeling against [abortion]. Why should their money be used and abused in this fashion? »15.

Les stratégies administratives et judiciaires

14  Pour séduire la Droite religieuse pendant la campagne électorale de 1980, le candidat Ronald Reagan a, à maintes reprises, dénoncé ouvertement le droit à l’avortement. Il a également pris position en faveur de la réintroduction de la prière dans les écoles publiques et du retour aux valeurs traditionnelles. Avec l’accession de Reagan à la présidence et l’élection d’une majorité républicaine au Sénat, les rapports de force penchent désormais en faveur des adversaires de l’avortement. Dès 1981, le Congrès vote l’interdiction de tout financement fédéral de l’avortement, sauf si la vie de la mère est en danger. Par ailleurs, Reagan nomme C. Everett Koop, opposant farouche à l’avortement, ministre de la Santé et apporte son soutien aux nombreux projets de loi et propositions d’amendements à la Constitution visant à interdire l’interruption volontaire de la grossesse. Mais l’échec de la voie législative conduit Ronald Reagan à s’appuyer sur deux stratégies liées au pouvoir présidentiel. La première vise à restreindre le droit à l’avortement par des mesures budgétaires et réglementaires. La seconde est une stratégie à plus long terme qui consiste à utiliser le pouvoir de nomination pour placer dans les tribunaux fédéraux, et tout particulièrement à la Cour suprême, des juges ultraconservateurs et hostiles à l’IVG. Le successeur de Reagan à la présidence, George H. Bush, élu en novembre 1988 notamment grâce au soutien de la Droite religieuse, opte pour la même stratégie.

  • 16 Thornburgh v. American College of Obstetricians and Gynecologists, 476 U.S. 747 (1986).
  • 17 Webster v. Reproductive Health Services, 492 U.S., 490 (1989).
  • 18 Ibid.

15La nomination de nombreux juges aux tribunaux fédéraux par les présidents Reagan et Bush ouvre la voie aux lobbies anti-avortement pour intensifier leur mobilisation sur le terrain judiciaire. Les cliniques pratiquant l’avortement sont ainsi soumises à un véritable harcèlement légal sous forme de multiples procès intentés par les organisations pro-life. Les États ayant des gouverneurs et des majorités dans les assemblées  hostilesau droit à l’avortement sont pressés de promulguer des lois restrictives pour tester, de façon régulière, la volonté de la Cour suprême de revenir sur sa jurisprudence de 1973. L’arrêt Thornburgh16 de  juin 1986, renforce la détermination des groupes pro-life dans le choix de cette stratégie. Cette décision révèle, en effet, que seuls cinq juges sur les neuf sont désormais favorables au maintien de la jurisprudence de 1973. Dans l’affaire Webster (1989), la Cour suprême franchit un pas supplémentaire dans la fragilisation du droit à l’avortement17. Tout en réaffirmant la légalité de l’IVG, les juges confirment la constitutionnalité des dispositions restrictives adoptées par certains États. Cette décision conduit le juge Harry Blackmun à tirer la sonnette d’alarme et à faire part de son pessimisme quant à l’avenir du droit à l’avortement. Exprimant l’opinion des juges minoritaires, il écrit : « For today, the women of this Nation still retain the liberty to control their destiny. But the signs are evident and very ominous, and a chill wind blows »18.

  • 19  NARAL and the NARAL Foundation, Who Decides? A-State-by-State Review of Abortion Rights, NARAL, Wa (...)

16La décision de la Cour est perçue par les milieux pro-life comme une ouverture institutionnelle invitant les États à tester les limites au-delà desquelles ils peuvent restreindre le droit à l’avortement avec impunité. Ils vont aussitôt agir dans ce sens et mener des campagnes afin d’inciter les assemblées locales acquises à leur cause à ériger des obstacles supplémentaires afin de vider le droit à l’avortement de sa substance. Cette volonté de tester à nouveau la position de la plus haute juridiction américaine est d’autant plus propice qu’un mois seulement après l’arrêt Webster, le président George H. Bush nomme deux nouveaux juges aux deux sièges laissés vacants par le départ à la retraite de William J. Brennen et Thurgood Marshall. Selon une étude effectuée par une organisation pro-choice, la National Abortion and Reproductive Rights Action League (NARAL, devenue NARAL-Pro-Choice America en 2003), entre 1989 et 1992, plus de sept cents projets de loi anti-avortement sont  présentés aux assemblées législatives des États à travers tout le pays19.

  • 20 Planned Parenthood of Southern Pennsylvania v. Casey, 112 S. Ct. 2791 (1992).
  • 21  Cité par Barbara. Hinkson Craig et David O’Brien, Abortion and American Politics, New York: Chatha (...)

17L’arrêt Webster ne fait donc que relancer et intensifier cette bataille judiciaire, mais c’est en 1992 que celle-ci atteint son paroxysme. Déterminé à poursuivre sa stratégie de mettre à l’épreuve les limites du « seuil de tolérance » fixé par la Cour suprême, l’État de Pennsylvanie décide d’introduire davantage d’obstacles au droit à l’avortement que celles qui sont prévues par l’arrêt Webster. En confirmant la quasi-totalité des dispositions restrictives adoptées par cet État dans l’affaire Casey20, la Cour suprême franchit un pas supplémentaire dans sa tentative de viderle droit à l’avortement de sa substance. La complexité et l’ambiguïté de cet arrêt sur la question de fond, à savoir le droit à l’avortement, n’étaient pas de nature à mettre un terme au débat sur l’avortement, ni parmi les citoyens américains, ni parmi les juges de la Cour suprême. En voulant parvenir à un compromis, l’arrêt Casey ne donne satisfaction ni à l’une, ni à l’autre des parties dans le conflit sur l’avortement. La réaction de Randall Terry, l’activiste le plus influent de l’aile radicale du mouvement pro-life, reflète bien le sentiment de profonde déception, d’amertume et de colère de ceux qui partagent sa position sur l’interdiction totale de l’avortement. Il déclare : « Three Reagan/Bush appointees stabbed the pro-life movement in the back »21.

18Par ailleurs, sur le plan strictement juridique, la jurisprudence Casey va avoir des répercussions considérables sur le droit à l’avortement. En affirmant que ce droit n’est pas « fondamental » au même titre que la liberté d’expression par exemple, la Cour suprême accorde implicitement aux États fédérés l’autorité d’ériger des obstacles réglementaires à son exercice. De surcroît, la plus haute juridiction précise que la charge de la preuve repose désormais sur la femme qui souhaite interrompre sa grossesse, c’est-à-dire, il lui appartient de démontrer que les dispositions réglementaires édictées par l’État où elle réside constituent un obstacle insurmontable à l’exercice de son droit. Enfin, cette décision autorise les États à restreindre davantage tout avortement pratiqué au deuxième ou troisième trimestre, voire à l’interdire, sauf si cet acte médical est nécessaire pour sauver la vie de la mère.

19Cette jurisprudence qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses n’a fait qu’exacerber la frustration et l’impatience de ceux qui assimilent l’avortement au meurtre. D’ailleurs ces derniers n’ont pas attendu la Cour suprême pour réagir et se sont employés depuis 1973 à ériger leurs propres obstacles à l’exercice du droit à l’avortement en toute illégalité.

L’action directe et la stratégie de l’affrontement

20Les militants anti-avortement les plus déterminés et les plus radicaux qui considèrent l’interruption volontaire de grossesse comme un meurtre s’accommodent mal d’un processus démocratique caractérisé par les marchandages, les concessions réciproques, les compromis et parfois le blocage. Ils sont désabusés par les nombreuses marches et rassemblements organisés dans la capitale et dans d’autres villes à travers tout le pays et qui n’ont apporté aucune réponse satisfaisante. Ils sont également impatients devant une stratégie judiciaire à grande échelle, mobilisant des centaines d’avocats et experts, et qui tarde à porter ses fruits.

  • 22 Congressional Quarterly Almanac, 95th Congress, 1st session, 1977, 313.
  • 23  Cité par  B. H. Craig et D. O’ Brien, Abortion and American Politics, op. cit., 170.
  • 24  Les actes de violence contre les cliniques qui pratiquent l’avortement, ainsi que contre leurs emp (...)

21 Ces militants se trouvent par ailleurs confortés dans leur conviction par les nombreuses déclarations faites par des hauts responsables politiques assimilant l’interruption volontaire de la grossesse au meurtre. Ces déclarations tendent non seulement à légitimer le recours à la violence, mais aussi à renforcer le sentiment de frustration et d’impatience des militants pro-life les plus déterminés. Le représentant Henry Hyde, par exemple, n’a pas hésité à faire l’amalgame entre l’avortement et l’Holocauste nazi. Il déclare : « The citizens of Dachau and Buchenwald, when they visited the furnaces and ovens of the prison camps cringed and shuddered and said ‘we didn’t know’ [...] We know that unborn life is human life »22. De son côté, le président Ronald Reagan renchérit : « Abortion is the taking of human life and it debases the underpinning of our country »23.De tels propos renforcent la logique de ceux qui estiment qu’il faut désormais rompre avec le processus politique classique et opter pour une stratégie de confrontation et d’action directe, quitte à opérer en dehors du cadre légal du système démocratique24.

22Dans son livre Accessory to Murder, Randall Terry, fondateur d’Operation Rescue, désavoue explicitement les stratégies législative et judiciaire préconisées par les leaders traditionnels du mouvement anti-avortement. En tirant les conclusions de leurs propres déclarations sur la nature de l’avortement, il écrit :

  • 25  Randall A. Terry, Accessory to Murder: The Enemies, Allies, and Accomplices to the Death of ourCul (...)

For many years, those in the pro-life movement had been saying abortion is murder and then writing a letter or carrying a sign once a year at a march. If you were about to be murdered, I am sure you would want me to do more than write your congressman! [...] We are acting to some degree, as if abortion is really murder. The logical response is to physically intervene on behalf of the victim25.

  • 26  Francis Schaeffer, A Christian Manifesto, Crossway Books, 1980.
  • 27 Dred Scott v. Sanford, 19 Howard 393 (1857). Par cette décision, la Cour suprême avait jugé, entre (...)

23Pour mettre en place Operation Rescue, Randall Terry obtient une aide substantielle du moine bénédictin Joe Scheidler, lui-même fondateur de l’une des premières organisations de ce type en 1980, Pro-life Action League. Les deux hommes citent la « doctrine of necessity», selon laquelle l’usage de la violence peut être justifié en dernier recours pour empêcher une plus grande violence, en l’occurrence, l’avortement, comme base de la nouvelle orientation du mouvement pro-life. Leur idéologie est également fondée sur l’idée de la suprématie de la loi divine sur le droit civil. Randall Terry s’est profondément inspiré des idées de Francis Schaeffer (protestant évangélique), qui considère que l’avortement reflète la décadence de la société du vingtième siècle et prône la désobéissance civile comme moyen pour défier la légitimité de l’État séculier moderne26. Le recours à l’histoire et aux références historiques est abondamment exploité pour justifier la violence. Comparer l’avortement à l’Holocauste nazi ou à l’esclavage en faisant le parallèle entre l’arrêt Roe de 1973 et celui de Dred Scott de 1857, sont autant d’analogies qui servent à légitimer le choix d’une approche qui se situe en dehors de la légalité démocratique27.   

24La nouvelle stratégie d’action directe se déroule en trois étapes. Dans un premier temps, les activistes du mouvement adoptent des techniques de militantisme non violent inspiré des méthodes de résistance passive ou de désobéissance civile sous des formes diverses. Elle va de l’installation de piquets de surveillance autour des cliniques qui pratiquent l’avortement ou de cordons humains en vue d’en gêner ou bloquer l’accès, à des tentatives pacifiques de conseiller aux femmes de renoncer à l’avortement (sidewalk counseling), ainsi qu’à l’organisation de séances de prières. Ces actions sont souvent menées par un grand nombre de femmes au foyer qui étaient jusque-là apolitiques et qui vont connaître leur première expérience de militantisme sur le terrain. Leur disponibilité et leur engagement volontaire constituent un atout considérable pour le mouvement anti-avortement. Ces femmes rejettent le mouvement féministe qui tend, selon elle, à dévaloriser la domesticité et surtout l’enfantement. Elles trouvent dans le militantisme anti-avortement un moyen de mettre en valeur leur rôle de mère et d’affirmer leur identité de femme au foyer. Cet engagement leur permet, par ailleurs, de s’imposer sur le terrain politique et de se faire entendre par les responsables publics.

25Dans un deuxième temps, le militantisme contre la légalisation de l’avortement prend d’autres formes plus spectaculaires, et souvent violentes.  En effet, Operation Rescue a fait la une des journaux américains lorsque ses militants décidèrent de bloquer toutes les cliniques de la ville d’Atlanta où se tenait la convention nationale du parti démocrate de 1988. Cette opération, qualifiée de « siège d’Atlanta », annonce le début d’une contestation qui va durer environ cinq mois. Plus de 1300 manifestants, dont R. Terry, sont condamnés à des peines d’emprisonnement pour violation de propriétés privées. Pour remplacer les militants détenus, des centaines de personnes ont suivi l’appel lancé par le Christian Broadcasting Network pour prêter main forte à l’opération. D’autres opérations de ce genre sont  organisées dans plusieurs villes américaines, notamment celle qui a lieu à Wichita (Kansas) durant l’été 1991, entraînant l’arrestation de deux mille personnes.

  • 28 U. S. News and World Report, « Abortion: Who’s Behind the Violence? », 14 novembre 1994, 270-271.
  • 29  Depuis 1993, 4 médecins ont été assassinés, voir NARAL Pro-choice American Foundation, « Anti-Choi (...)

26Enfin, la troisième étape est marquée par une radicalisation extrême de certains activistes du mouvement anti-avortement. Ces derniers décident en effet d’appliquer à la lettre le slogan des organisations pro-life : «If you think abortion is murder, act like it!»28. Une véritable campagne de terreur est alors menée contre les cliniques pratiquant l’avortement à travers tout le pays. Les techniques utilisées vont du harcèlement et de l’intimidation physique, à la destruction de propriétés par des incendies et attentats à la bombe, voire parfois à l’assassinat de médecins pratiquant l’avortement29.

  • 30  Marcy J. Wilder, «Law, Violence, and Morality, » dans Abortion Wars, Rickie Solinger (ed.), Berkel (...)
  • 31 Ibid., p.82-83.
  • 32  Fawn Vrazo, « A Small Chorus for Vigilantes », Detroit Free Press, 19 janvier 1995, I.

27Même si la grande majorité des membres du mouvement anti-avortement désapprouve cette démarche extrême, les leaders du mouvement se gardent bien de la condamner de façon explicite et certains tendent même à la justifier en rejetant la responsabilité sur ceux qui soutiennent ou pratiquent l’avortement. Par ailleurs, selon Marcy Wilder, cette connivence avec les militants les plus radicaux et l’approbation tacite de leurs actes de violence émanent également des plus hauts responsables politiques. Le président Ronald Reagan, par exemple, reste durant tout son premier mandat silencieux devant de tels actes, malgré les demandes pressantes qui lui sont faites pour les condamner. Le président George H. Bush va même explicitement encourager la violence en intervenant régulièrement dans les procédures judiciaires en faveur d’organisations comme Operation Rescue30. Le nombre croissant de ceux qui justifient le meurtre sur la base d’arguments à caractère éthique, théologique ou légal ne fait que renforcer la détermination des leaders du mouvement anti-avortement qui encouragent et défendent la violence. Ces derniers se considèrent comme l’avant-garde d’un mouvement politique légitime31. Après l’assassinat du docteur David Gunn en mars 1993 par un militant anti-avortement, trente-deux activistes parmi lesquels des pasteurs, des prêtres, et des dirigeants d’Operation Rescue, affirment que le meurtre était justifié et signent une déclaration défendant l’utilisation de la violence contre les médecins32.

  • 33  Operation Rescue, dépourvue de gouvernance centrale, va éclater en une centaine d’organisations à (...)
  • 34 New York Times, 18 juin 1995, A 18.

28L’escalade de la violence finit par ternir l’image de l’ensemble du mouvement pro-life. À sa sortie de prison en janvier 1990, accablé par les dettes, Randall Terry décide d’abandonner la direction d’Operation Rescue et de fermer son siège à Binghamton33. L’augmentation du nombre des meurtres ou tentatives de meurtre de personnels médicaux, des incendies ou attentats à la bombe perpétrés contre les cliniques, et l’inquiétude grandissante des Américains face à cette situation, conduisent le Congrès à voter la Freedom of Access to Clinic Entrances Act. Cette loi, promulguée par le président Clinton en mai 1994, qualifie toute tentative de bloquer l’accès d’une clinique de délit pénal et parvient ainsi à dissuader de nombreux militants pro-life de participer à de telles opérations. Les organisations pro-choice qui ont déjà engagé de nombreuses poursuites judiciaires contre les activistes pro-life ont trouvé dans ce nouveau dispositif un moyen supplémentaire pour intensifier leurs actions. Les plus extrémistes des militants anti-avortement décident de créer une nouvelle organisation en 1994, American Coalition of Life Activists. Mais l’action répressive des autorités publiques a entraîné une baisse si spectaculaire du nombre de militants que certains observateurs ont prédit la fin du mouvement34.

  • 35  NARAL and the NARAL Foundation, Who Decides?, op. cit., vii.

29Malgré cette « agonie » annoncée, la violence  continue d’exister sous d’autres formes moins visibles, mais tout aussi efficaces. En faisant régner un climat de terreur, les militants anti-avortement ont déjà atteint une grande partie de leur objectif : rendre l’avortement difficile à obtenir. En effet, selon une étude conduite par NARAL, 84% des comtés américains n’ont aucun service d’interruption volontaire de grossesse. Dans l’ensemble du pays, entre 1982 et 1992, le nombre  d’établissements  de ce type a baissé de 18%. Il devient de plus en plus difficile de trouver des médecins qui acceptent d’effectuer un avortement, et la pénurie s’aggrave de façon inexorable car de nombreuses écoles de médecine ont supprimé les cours et les crédits destinés à la formation des étudiants dans ce domaine35.

La bataille idéologique et discursive : le triomphe des thèses conservatrices

30La multiplication des actes de violence et des assassinats de médecins et de personnels médicaux a fini par ternir l’image et discréditer l’ensemble du mouvement anti-avortement aux yeux d’un nombre croissant d’Américains. La déception qui a suivi l’arrêt Casey et l’élection en 1992 d’un président favorable au droit à l’avortement ont conduit certains leaders pro-life à revoir leur stratégie et à orienter les termes du débat moins vers une problématique à dominance politico-judiciaire et plus vers un travail de proximité, sur le terrain. Le but est de convaincre le citoyen moyen du caractère immoral de l’IVG. L’objectif immédiat n’est plus de militer pour un amendement constitutionnel criminalisant l’avortement, car cette stratégie a montré ses limites ; il faut désormais s’employer avec persévérance et acharnement à amener le Congrès et les assemblées étatiques à le restreindre de façon graduelle. Pour atteindre cet objectif, il faut construire une opinion majoritaire dans le pays, convaincue du caractère illégitime de l’avortement.

  • 36  Weekly Standard, 25 décembre 1995, 26-27.
  • 37  William Bennett, « Abortion and the Republican Party: Three Responses », Weekly Standard, 1er et 8 (...)

31Cette nouvelle stratégie est articulée par de nombreux intellectuels conservateurs dans une abondante littérature diffusée dans des magazines influents à partir de 1992. Par exemple, dans un article intitulé « Abortion and the Republican Party: A New Approach », Noemie Emery, éditorialiste à la revue Weekly Standard proche des néo-conservateurs,  définit le fond et le contour de ce que doit être le contenu du débat sur l’avortement. Elle appelle les Républicains pro-life à formuler une problématique se situant sur le terrain moral en désignant l’avortement comme un « mal » qu’il faut circonscrire par des moyens vigoureux, mais non coercitifs36. William Bennett apporte son soutien à cette nouvelle stratégie parce que, selon lui, « building a moral and political consensus is the necessary precondition for legal reforms »37. Comme il est exprimé de façon explicite, il ne s’agit pas d’occulter l’objectif ultime qui reste celui de criminaliser l’avortement, ce sont les moyens de l’atteindre qu’il faut revoir. Ainsi, avec cette nouvelle stratégie, les adversaires du droit à l’avortement adoptent une approche qui paraît plus pragmatique et réaliste et qui s’apparente à un repli stratégique, sans pour autant renoncer à leur absolutisme philosophique et moral.

32En donnant la preuve de sa capacité à peser sur le contour et la substance du débat sur l’avortement et bien d’autres questions sociétales depuis la fin des années soixante-dix, la Droite religieuse, même si elle semble « perdre » la bataille de l’avortement, sort triomphante de la bataille idéologique. En effet, lorsque trois ans seulement après l’arrêt Roe, le Congrès décide d’interdire le remboursement de l’avortement aux femmes les plus défavorisées, les organisations pro-choice sont restées sur la défensive et n’ont que peu ou pas réagi à cette mesure. Ce mouvement, dominé par des femmes issues de la classe moyenne américaine,n’était pas directement concerné par cette mesure. Leur décision d’abandonner l’idée de défendre l’avortement libre et gratuit, pour le remplacer par le soutien du droit au choix, ne constitue pas un simple glissement sémantique ; il laisse en fait la voie libre à ceux qui cherchent à dresser un obstacle insurmontable au droit à l’avortement, celui de l’argent. Pour les femmes issues d’un milieu défavorisé, il n’y a point de choix sans moyens pécuniaires. Par ailleurs, devant le raz-de-marée conservateur des années quatre-vingt, les pro-choice adoptent une attitude défensive en déterminant le plus souvent leurs actions par rapport aux initiatives politiques, judiciaires et médiatiques de leurs adversaires et en leur faisant des concessions sans en obtenir de contreparties.

  • 38  On trouve d’un côté NARAL et Planned Parenthood qui défendent cette nouvelle stratégie et de l’aut (...)
  • 39  William Saletan, « Electoral Politics and Abortion: Narrowing the Message » dans Abortion Wars, Ri (...)
  • 40  D’après William Saletan, c’est l’efficacité de cette nouvelle stratégie pro-choice qui a, en parti (...)

33Plus importantes sont les renoncements du mouvement pro-choice, qui ne se limitent pas aux niveaux discursif et sémantique, mais sont également d’ordre idéologique. Après avoir dépouillé le message féministe de son contenu pour le rendre plus « acceptable » aux yeux d’éventuels sympathisants de sensibilité conservatrice, certaines organisations pro-choice décident, pour des raisons tactiques, de se situer sur le terrain idéologique du mouvement conservateur38. Cette nouvelle approche, que William Saletan qualifie de « conservative message strategy»39 (parce qu’elle vise à convaincre les électeurs et les élus de sensibilité conservatrice, plutôt que les alliés traditionnels du mouvement pro-choice) est élaborée dès la fin de 1986. Celle-ci joue un rôle déterminant durant la période où le droit à l’avortement était sous la menace de l’offensive judiciaire du mouvement pro-life, c’est-à-dire entre 1989 (arrêt Webster) et 1992 (arrêt Casey). Ainsi, au lieu de rester enfermés dans la problématique traditionnelle du droit de la femme à son intégrité corporelle, les groupes pro-avortement décident de se placer sur le terrain idéologique de leurs adversaires en dénonçant l’intervention de l’État dans la « vie privée », la « famille » et la « propriété privée ». En exploitant le sentiment latent des Américains, notamment les plus conservateurs, contre l’interventionnisme gouvernemental, les militants pro-avortement espèrent élargir leur base de soutien et faire pencher les rapports de force en leur faveur40.   

  • 41 Rust v. Sullivan, III S. Ct. 1759 (1991).
  • 42 Ibid.

34Cependant, cette tentative de courtiser l’électorat conservateur pour défendre le droit à l’IVG a un prix. Les pro-choice ne peuvent, sans se contredire et sans risquer de faire éclater cette « alliance » de circonstance, devenir les champions de la non-intervention de l’État dans la vie familiale, et en même temps se prononcer pour son intervention dans le financement de l’avortement pour les plus défavorisées. Dans son arrêt Rust41de 1991, la Cour suprême décide en effet de consacrer cette approche ultra-libérale d’une façon explicite. Elle confirme l’interdiction du droit à l’information sur l’avortement dans les cliniques financées par l’État, selon le raisonnement suivant : « The financial constraints that restrict an indigent woman’s ability to enjoy the full range of constitutionally protected freedom of choice are the product not of governmental restrictions on access to abortion, but rather of her indigency »42. Ainsi, la Cour estime que le droit à l’avortement est bien garanti par la Constitution, mais il n’appartient pas à l’État d’en assurer un accès égal, même pour celles dont les conditions de dénuement les empêchent d’en bénéficier. Ce même raisonnement sera confirmé par la Cour suprême dans l’arrêt Casey de 1992. En se situant dans une problématique individualiste et conservatrice, le mouvement pro-choice renonce à son objectif de garantir le droit à l’avortement de toutes les femmes au risque de perdre la guerre idéologique qui détermine la politique publique dans d’autres domaines.

  • 43  Charles Murray, « The Coming White Underclass », Wall Street Journal, 29 octobre 1993.

35La volonté des conservateurs d’interdire le financement de l’IVG par des fonds publics fait partie d’un agenda politique plus large destiné à démanteler l’État-providence mais aussi à mettre fin ou à réduire considérablement les aides publiques aux plus défavorisés. Elle fait également partie de leur volonté d’établir une sorte d’ordre moral dans lequel les pauvres deviennent les boucs émissaires de la détérioration des valeurs traditionnelles de l’Amérique et les agents de la prolifération des comportements déviants et de l’illégitimité galopante. Des phénomènes qui constituent, selon le théoricien du conservatisme Charles Murray : « the single most important social problem of our time—more important than crime, drugs, poverty, illiteracy, welfare or homelessness »43.

36Cette nouvelle approche conservatrice se confirme avec force malgré l’élection d’un président démocrate favorable au droit à l’avortement en 1992. William Clinton va, certes, revenir sur certaines mesures réglementaires anti-avortement prises par ses prédécesseurs, mais les militants pro-choice qui ont vu dans son élection le triomphe de leur cause ont rapidement déchanté. Leurs objectifs d’abroger l’amendement Hyde, de promulguer une loi en vue d’ôter aux États la capacité à restreindre le droit à l’avortement (Freedom of Choice Act) ou à garantir le remboursement de l’IVG avec une nouvelle réforme du système d’assurance maladie ne seront pas atteints.

37La poussée conservatrice spectaculaire qui a lieu à l’issue des élections de 1994 est venue rappeler l’ancrage d’une grande partie de l’électorat américain dans le camp conservateur. Au lendemain de sa prise du pouvoir, la nouvelle majorité républicaine au Congrès s’est employée de façon méthodique, souvent avec l’acquiescement du président Clinton, à démanteler les derniers « vestiges » progressistes du droit à l’avortement. Elle interdit aux employées fédérales d’utiliser leur assurance maladie pour le remboursement de l’IVG, aux femmes militaires de recourir à de telles opérations dans les établissements hospitaliers dépendant de l’armée et aux détenues dans les prisons fédérales d’utiliser les fonds publics pour une interruption volontaire de grossesse. Toute subvention fédérale aux centres de planning familial qui pratiquent ou fournissent des informations sur l’avortement est également frappée d’illégalité. Le Congrès décide, en outre, d’autoriser les États à refuser de financer l’IVG pratiquée en cas de viol ou d’inceste. Enfin, la Chambre des représentants interdit au District of Columbia (la région administrative de la capitale américaine) l’utilisation de fonds publics pour le remboursement de l’avortement aux plus démunies.

  • 44  Il faut rappeler que le président William Clinton avait opposé son veto à deux reprises, en 1996 e (...)
  • 45  William Branigin et Robert Barnes, « Court Ban on Abortion Procedure », Washington Post, 18 avril (...)

38L’élection de George W. Bush à la présidence en 2000 constitue une nouvelle illustration du triomphe des thèses conservatrices. Derrière le slogan de sa campagne électorale sur le « conservatisme compatissant » (compassionate conservatism), se cache une volonté manifeste de renforcer l’emprise de la Droite chrétienne sur une bonne partie de l’agenda social.  La mise en place au sein de la Maison-Blanche dès février 2001 d’un organisme dit Office of Faith-Based and Community Initiatives est un pas supplémentaire dans le processus d’imbrication du politique et du religieux, voire selon certains observateurs, une atteinte au principe de la séparation de l’Église et de l’État. Cet organisme, chargé de superviser les subventions publiques attribuées aux organisations religieuses qui prennent en charge certains programmes sociaux jusque-là dévolus à des organismes publics, leur offre ainsi l’occasion de participer directement à la définition des problèmes sociaux qui sont ou devraient être pris en charge par l’État. La question de l’avortement occupe une place de choix dans l’agenda de George W. Bush. La promulgation de la Partial-Birth Abortion Ban Act44 en 2003, une loi qui interdit une méthode chirurgicale d’interruption tardive de la grossesse, traduit le succès des tenants de la stratégie du « grignotage » qui consiste à démanteler le droit à l’avortement par petites touches jusqu’à le vider de sa substance. La validation de cette loi par la Cour suprême par cinq voix contre quatre en avril 2007 marque un revirement spectaculaire par rapport à la jurisprudence Roe45. Ce résultat fut obtenu grâce à la nomination de deux nouveaux juges conservateurs à la Cour suprême par George W. Bush : l’actuel président de cette juridiction, John Roberts en 2005 et Samuel Alito en 2006.

  • 46  E.J. Dionne Jr., « Litmus Test for Hypocrisy », Washington Post, 13 février 2007, A21 ; voir aussi (...)
  • 47  Michael Luo, « Faith Intertwines with Political Life for Clinton », New York Times, 7 juillet 2007

39Lors des primaires républicaines, les prétendants à l’investiture de ce parti pour l’élection présidentielle de 2008 sont pressés par l’électorat conservateur de se positionner par rapport à la question du droit à l’avortement. Le revirement spectaculaire de Mitt Romney, ancien gouverneur du Massachusetts, d’une position favorable au droit à l’IVG à une position hostile, montre l’influence décisive des groupes ultraconservateurs sur ce parti46. Le triomphe idéologique des thèses conservatrices a par ailleurs conduit certains prétendants démocrates à l’élection présidentielle, comme Hillary Clinton, pourtant connue pour son soutien indéfectible au droit à l’avortement, à nuancer leur position sur cette question pour espérer élargir leur base électorale47. Enfin, la décision de John McCain, candidat républicain à l’élection présidentielle de 2008, de choisir Sarah Palin comme colistière, montre la volonté de ce dernier de mettre l’avortement au cœur du débat politique afin de mobiliser l’électorat ultraconservateur. Gouverneur d’Alaska, Sarah Palin soutient les programmes qui prônent l’abstinence et appellent à l’interdiction de l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste. Le démocrate Barack Obama était le seul candidat à affirmer d’une façon claire et sans équivoque son soutien au droit à l’IVG. A l’occasion du 35ème anniversaire de Roe v. Wade célébré le 22 janvier 2008, il déclare : « Throughout my career, I’ve been a consistent and strong supporter of reproductive justice, and have consistently had a 100% pro-choice rating with Planned Parenthood and NARAL Pro-Choice America ». Et le candidat démocrate de rappeler :

  • 48  <http://www.barackobama.com/2008/01/22/obama_statement_on_35th_annive.php>.

When South Dakota passed a law banning all abortions in a direct effort to have Roe overruled, I was the only candidate for President to raise money to help the citizens of South Dakota repeal that law. When anti-choice protesters blocked the opening of an Illinois Planned Parenthood clinic in a community where affordable health care is in short supply, I was the only candidate for President who spoke out against it. And I will continue to defend this right by passing the Freedom of Choice Act as president48.

  • 49 Ibid.
  • 50  « The Palin Factor in the ‘Culture Wars’ », Christian Science Monitor, 12 septembre 2008, <http:// (...)

40La promesse d’Obama de faire adopter une législation, dite Freedom of Choice Act, s’il était élu président, a enthousiasmé les organisations pro-avortement car elle constitue l’une de leurs principales revendications. En codifiant la jurisprudence de 1973, une telle législation mettrait le droit à l’avortement à l’abri de toutes restrictions de la part des États. Mais, dans cette même déclaration, le candidat démocrate a tenu à ménager l’électorat hostile à l’IVG en affirmant qu’il a toujours milité pour l’adoption de mesures destinées à réduire le recours à l’IVG : « Moreover, I believe in and have supported common-sense solutions like increasing access to affordable birth control to help prevent unintended pregnancies»49. La plateforme du parti démocrate pour les élections présidentielles de 2008 offre une illustration claire de cette stratégie d’ouverture. En effet, tout en affirmant le soutien des démocrates au droit à l’avortement,  celle-ci souligne pour la première fois la volonté de ce parti d’œuvrer pour réduire le nombre des grossesses non désirées par la mise en place d’une politique d’éducation et de prévention50.

  • 51  Garance Franke-Ruta, « A New Frontier in the Abortion Wars: Health Insurance », http://voices.wash (...)
  • 52  Paul Kane, « To Sway Nelson, a Hard-won Compromise on Abortion Issue », Washington Post, 20 décemb (...)
  • 53  « NOW, NARAL displeased with Obama-Stupak Deal », Washington Post, <http://voices.washingtonpost.c (...)
  • 54  « In Deal with Stupak, White House announces executive order on abortion », Washington Post, <http (...)

41Cependant, à l’approche des élections de novembre 2008, la détérioration de la situation économique a éclipsé les questions à caractère social, comme l’avortement ou le mariage homosexuel. Elle a aussi aidé le candidat démocrate, Barack Obama à remporter l’élection présidentielle et a, en outre, permis à son parti d’obtenir une confortable majorité au Sénat et à la Chambre des représentants. La plongée des Etats-Unis à la fin de 2008 et au début de 2009 dans la plus grave crise économique et financière depuis la Grande dépression de 1929, conduit l’administration Obama à consacrer les premiers mois de sa présidence au sauvetage du système bancaire et financier du pays. Mais Obama n’a pas oublié sa principale promesse électorale, en l’occurrence la réforme du système d’assurance-maladie. A l’affut de la moindre occasion pour mettre l’IVG au cœur du débat politique, les lobbies pro-life vont profiter de réforme pour atteindre cet objectif. Lors des dernières semaines des tractations parlementaires, la bataille de l’assurance-maladie se transforme en une bataille sur l’avortement, une situation qui conduit le président Obama à rappeler : « I laid out a very simple principle, which is this is a health care bill, not an abortion bill »51. L’émergence de la question de l’IVG au cœur du débat sur la réforme de la couverture maladie est une parfaite illustration de la capacité des groupes d’intérêt, en l’occurrence les organisations anti-avortement, à instrumentaliser  les contraintes institutionnelles et l’absence de discipline de parti à leur avantage. Assurés du soutien de l’opposition républicaine, qui mise sur un échec des démocrates pour faire de ce sujet l’enjeu principal de la campagne pour les élections de mi-mandat de novembre 2010 comme ce fut le cas en 1994, les lobbies anti-avortement décident d’accentuer leur pression sur les démocrates « modérés » pour inclure dans le projet de loi sur l’assurance-maladie une disposition interdisant l’utilisation des fonds publics pour financer les procédures d’avortement. Ben Nelson, sénateur anti-avortement du Nebraska a fini par obtenir gain de cause sur ce point.52 Au Sénat, les démocrates ont en effet besoin de 60 voix sur 100 pour mettre fin à la procédure d’obstruction (Filibuster) menée par les républicains et la voix de Ben Nelson était indispensable pour y parvenir. Dans la Chambre des représentants, Bart Stupak, élu du Michigan et chef de file des démocrates anti-avortement, a obtenu à son tour l’introduction d’un amendement plus restrictif que celui du Sénat, au grand désespoir des organisations pro-avortement53. Sous la pression de la puissante United States Conference of Catholic Bishops (USCCB), Bart Stupak et ses partisans, en majorité catholiques, ont en outre demandé et obtenu l’engagement du président Obama de signer un décret pour réaffirmer l’interdiction des financements fédéraux pour l’IVG.54 Les concessions du président Obama et des démocrates pro-avortement s’expliquent par leur volonté de sauver la réforme du système de santé qui devrait permettre de garantir une couverture maladie à 32 millions d’Américains qui en sont dépourvus et qui constitue l’une des principales promesses électorales de Barack Obama.

  • 55  Monica Davey, « Nebraska Law Sets Limits on Abortion », New York Times, 13 avril 2010.
  • 56  James C. McKinley Jr., « Strict Abortion Measures Enacted in Oklahoma », New York Times, 27 avril (...)
  • 57  Catherine Whittenburg, « Florida House Sends Abortion Bill to Governor », The Tempa Tribune, 30 av (...)

42 Ce succès, remporté un peu plus d’un an après le triomphe des démocrates aux élections de novembre 2008, a revigoré les organisations anti-avortement, mais celles-ci sont conscientes qu’avec un chef de l’exécutif favorable au droit à l’IVG et un Congrès largement dominé par les démocrates, la structure des opportunités politiques est loin d’être propice. Elles savent aussi que le système fédéral américain offre d’autres ouvertures institutionnelles : les assemblées locales, surtout dans les États du sud, dominées par des majorités conservatrices. Les lobbies pro-life ont en effet remporté des victoires cruciales au niveau local malgré un contexte politique, économique et social national largement dominé par la crise financière et la peur du chômage. C’est ainsi que le 13 avril 2010 le gouverneur du Nebraska, Dave Heineman, promulgue deux dispositions législatives : la première  interdisant  l’IVG à partir de 20 semaines de grossesse alors que jusqu’ici cette interdiction est généralement fixée entre 22 et 24 semaines, et la deuxième exigeant un examen approfondi avant l’opération pour détecter d’éventuels facteurs de risque chez la patiente55.Deux semaines plus tard (les 26 et 27 avril 2010 respectivement) les parlementaires de l’État l’Oklahoma réussissent avec le secours des démocrates à rassembler les voix nécessaires pour outrepasser le veto du gouverneur démocrate, Brad Henry, destiné à bloquer deux lois restreignant le droit à l’avortement. L’une des deux législations  protège le médecin de toute poursuite judiciaire, même si ce dernier choisit de ne pas divulguer les résultats d’analyses sur les malformations du fœtus ; le deuxième texte de loi impose à une femme qui veut mettre un terme à sa grossesse (même en cas de viol ou d’inceste) de prendre connaissance détaillée de son fœtus à l’aide d’une image réalisée par échographie vaginale plutôt qu’abdominale. De nombreux États ont déjà adopté de telles mesures, comme l’Alabama, la Louisiane et le Mississipi, et d’autres envisagent de leur emboîter le pas. Cependant, la législation adoptée par l’Oklahoma va plus loin dans sa volonté de soumettre les femmes souhaitant interrompre leur grossesse à une pression psychologique insoutenable : elle leur impose de voir les images du fœtus et d’écouter la description détaillée de ses organes par le médecin.56 Le 30 avril 2010, les parlementaires de l’État de Floride décident à leur tour de rendre cette procédure obligatoire alors même que l’IVG est pratiquée durant le premier trimestre57. A la même date, l’assemblée législative du Kansas échoue de seulement deux voix à passer outre le veto du Gouverneur Mark Parkinson contre une loi allant dans le même sens.

43Les organisations anti-avortement sont conscientes que certaines dispositions adoptées par les assemblées étatiques ne résisterons pas au test de la jurisprudence Roe v. Wade en cas de recours devant la Cour suprême. Comme le note Stephanie Toti, juriste au sein du Center for Reproductive Rights, une organisation pro-choice :

It is extremely disappointing that the Oklahoma legislature insists on passing a law that is so clearly unconstitutional and so detrimental to women in the state. The state has already spent the last two years defending this abortion restriction and several others—without success. Another round in the courts won’t change our strong constitutional claims against the law, it will only waste more of Oklahoma taxpayers’ time and money58.

  • 59  Cependant, la loi de 2007 interdisant une certaine technique d’avortement tardif—entre le troisièm (...)
  • 60  Mark A. Thiessen, « Bringing Humanity Back to the Abortion Debate », Washington Post, 19 avril 201 (...)
  • 61  Susan J. Lee, Henry J. Peter Ralston, Eleanor A. Drey, John Colin Partridge, Mark A. Rosen, « Feta (...)

44 Mais cette approche fait partie d’une stratégie bien pensée.  Elle a pour but de mettre à l’épreuve  à intervalle régulier le rapport de force au sein de la Cour suprême par rapport à la jurisprudence actuelle en matière du droit à l’IVG. Elle permet aussi d’inscrire l’interdiction de l’IVG à l’ordre du jour législatif et dans le débat politique afin de prouver que celle-ci constitue l’une des préoccupations principales d’une partie de la population. Elle vise enfin à galvaniser l’ardeur et l’activisme des militants. Par ailleurs, cette stratégie s’accompagne d’un travail intensif sur le terrain discursif et idéologique. Le but est de délégitimer cette pratique aux yeux de l’opinion américaine en l’associant au meurtre. « Baby killers » est l’épithète souvent employée pour qualifier le camp adverse. En effet, les groupes anti-avortement ont compris que pour gagner sur le terrain législatif et judiciaire il faut d’abord gagner la guerre des idées et de l’opinion. Un travail méthodique et de longue haleine est entrepris mêlant registre émotionnel et arguments à caractère « scientifique ». Les dispositions législatives adoptées par les parlementaires des États de l’Oklahoma, du Nebraska et du Kansas citées plus haut, s’inscrivent dans cette approche. En légalisant l’avortement jusqu’au sixième mois de la grossesse59, le raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt de 1973 se fondait sur la viabilité du fœtus, c’est-à-dire le moment à partir duquel il peut survivre en dehors du ventre maternel. Cependant, en adoptant des législations allant à l’encontre de cette jurisprudence, c’est-à-dire en interdisant l’avortement après 20 semaines, l’État du Nebraska prétend s’appuyer sur de nouvelles études « scientifiques » qui tendraient à démontrer que le fœtus peut éprouver de la douleur à ce stade. Après l’échec de leur tentative visant à accorder un statut juridique à tout « enfant à naître avant la viabilité », reposant sur l’idée que la vie commence au moment de la conception, les lobbies pro-life mettent désormais leur espoir dans la loi du Nebraska. Baptisée  Pain-Capable Unborn Child Protection Act, cette législation met en avant la souffrance éprouvée par le fœtus durant l’opération d’interruption volontaire de la grossesse. L’objectif est de susciter l’émotion de l’opinion publique60. Pourtant une étude exhaustive basée sur les conclusions de plusieurs centaines de publications scientifiques, publiée par la revue Journal of the American Medical Association, montre qu’il n’existe aucune preuve montrant que le foetus ressent de la douleur avant la 29e semaine de grossesse61.

  • 62  David D. Kirkpatrick, « For Democrats, Rethinking Abortion Position Meets With Mix of Reactions in (...)
  • 63  Cité par Tobin Harshaw, « Is America Becoming a Pro-life Nation ? », New York Times, 15 mai 2009. 

45Qu’importe la crédibilité scientifique des arguments avancés, l’essentiel est de susciter l’émotion et de semer le doute dans l’opinion pour obtenir son soutien. Cette approche commence en effet à porter ses fruits. Les lobbies pro-life gagnent du terrain aussi bien au niveau politique qu’idéologique. Les démocrates sont de plus en plus divisés sur les mesures adoptées par certains États pour restreindre le droit à l’avortement. Le nombre de parlementaires démocrates hostiles à l’IVG est en constante augmentation, y compris parmi les leaders du parti, comme le chef de la majorité actuelle au Sénat, Harry Reid de l’État du Nevada. Les démocrates ont commencé à opérer ce virage après leur défaite aux élections parlementaires de novembre 2004.62 Par ailleurs, depuis son élection à la présidence, Barack Obama met de plus en plus l’accent sur la nécessité pour les deux camps pro-life et pro-choice de trouver un terrain d’entente, même s’il est conscient que leurs divergences sont insurmontables. De plus, à la grande déception des militants pro-avortement, le président a clairement annoncé lors d’une conférence de presse tenue le 29 avril 2009 que le Freedom of Choice Act ne constitue pas la priorité de son administration63.

46Les organisations pro-avortement sont non seulement sur la défensive, mais elles sont également divisées sur la stratégie à adopter pour défendre leur cause. Par exemple, la décision de NARAL-Pro-Choice de ne manifester aucune opposition au projet de loi dit Unborn Child Pain Awareness Act, a provoqué une vive réaction de colère et d’indignation de la part de nombreux militants pro-IVG64. Par ailleurs, un sondage d’opinion effectué le 15 mai 2009 montre que pour la première fois depuis 1995, date de la mise en place de ce type d’enquête, une majorité d’Américains, soit 51%, se considère comme pro-life contre 42% pro-choice, un basculement important par rapport à 2008 où la tendance était inverse, 44% contre 50%65. Cette évolution  montre que les lobbies anti-avortement sont en train de gagner la bataille de l’opinion. Si elle se confirme, cette tendance pourra se traduire par une victoire sur le terrain législatif et judiciaire.

 Conclusion

  • 66  Cité par Serge Halimi, « Quand la droite américaine pensait l’impensable », Le Monde Diplomatique, (...)

47Le triomphe des thèses ultraconservatrices à partir de 1980 est indéniable. Comme le fait remarquer en 1993 Edwin Feulner, alors président de la Heritage Foundation : « Lorsque nous avons démarré [1973], on nous qualifiait d’ultra-droite ou d’extrême-droite. Aujourd’hui, nos idées appartiennent au courant dominant »66. Depuis l’accession de Ronald Reagan à la présidence, ce sont en effet les organisations conservatrices qui fixent non seulement les objectifs des politiques sociales et les instruments qui devraient être mobilisés pour les atteindre, mais aussi la nature même des problèmes qu’ils doivent affronter.

48Il faut cependant rappeler que la configuration institutionnelle a joué un rôle déterminant dans le succès de ces groupes. Aux États-Unis, la fragmentation du pouvoir et l’ouverture du processus décisionnel aux influences extérieures permet aux groupes d’intérêt de s’impliquer dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Le système fédéral et le principe de séparation des pouvoirs multiplient les portes d’entrée pour les groupes.  Cependant, en dépit des succès enregistrés, les groupes anti-avortement n’ont pas obtenu satisfaction dans tous les domaines car, en réalité, si les institutions offrent des opportunités stratégiques pour les acteurs, elles constituent aussi des contraintes parfois insurmontables. Sinon, comment expliquer alors l’échec des forces pro-life à atteindre leur objectif, à savoir l’interdiction de l’IVG, malgré l’ascendant idéologique qu’elles ont réussi à avoir depuis les années 1980, au détriment des groupes pro-choice. De fait, la notion de path dependence (dépendance au sentier), développée par les tenants du néo-institutionnalisme historique, pourrait apporter, au moins en partie, une réponse.

  • 67  Paul Pierson, « Path Dependence, Increasing Returns, and the Study of Politics », American Politic (...)

49Ce concept, réactualisé par Paul Pierson67, explore l’impact structurant des politiques publiques passées sur la liberté d’action des décideurs politiques. Autrement dit, les mesures politiques existantes créent de nouvelles contraintes institutionnelles qui limitent généralement la marge de manœuvre dont disposent les acteurs politiques. Sans tomber dans les travers du déterminisme institutionnel, on peut dire que l’échec de l’adoption d’un amendement à la Constitution ou d’une loi interdisant l’avortement constitue une parfaite illustration de la pertinence de cette notion. En effet, si le système politique américain offre une multitude de points d’entrée aux groupes d’intérêt aussi bien au niveau fédéral que local, il procure aussi à leurs adversaires de nombreux points de blocage. Ainsi, si toutes les tentatives pour  démanteler le droit à l’IVG ont échoué, c’est parce que ce droit est soutenu par des lobbies pro-choice dont les membres sont issus de la classe moyenne et dont le poids électoral est non négligeable. Dès lors, la fragmentation du pouvoir au sein du Congrès a permis aux élus favorables au droit à l’avortement de recourir efficacement aux différentes manœuvres d’obstruction pour faire échouer toutes les tentatives de légiférer sur cette question. Par ailleurs, pour neutraliser les risques électoraux, certains membres du Congrès poursuivent des stratégies d’évitement (blame avoiding strategies) qui ne peuvent que renforcer l’inertie et empêcher l’émergence d’une majorité claire favorable ou hostile à l’IVG. C’est pour contourner l’obstacle législatif au niveau fédéral que les groupes anti-avortement décident de lancer une grande offensive au niveau des États. C’est précisément à ce niveau que la structure d’opportunités politiques est la plus prometteuse. Cette ouverture institutionnelle au niveau local conduit, grâce au mécanisme des recours judiciaires, devant la Cour suprême, autrement dit à une ouverture au niveau fédéral. Cependant, l’élection d’un président favorable au droit à l’avortement et déterminé à nommer des juges qui partagent sa philosophie sur les questions à caractère social risque de compromettre cette stratégie. Mais, au-delà de la bataille autour du droit à l’avortement, le triomphe d’un lobby ne se mesure pas uniquement à l’aune de sa capacité à traduire ses revendications en mesures législatives et réglementaires spécifiques et concrètes, mais aussi, et surtout, à sa capacité à gagner la guerre idéologique. La poussée conservatrice depuis la fin des années soixante-dix n’a, certes, pas fait basculer l’Amérique dans le fondamentalisme religieux, mais, du moins, elle a consacré le triomphe d’une vision conservatrice des questions sociales dont celle du droit à l’avortement. Ainsi, en dépit de leur incapacité à interdire le droit à l’IVG, les lobbies pro-life ont atteint une grande partie de leur objectif : rendre l’avortement difficile à obtenir, une situation qui pénalise essentiellement les femmes issues des milieux pauvres et défavorisés.

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Notes

1  Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835, Paris : Robert Laffont, 1986, 276.

2  Kenneth Jost, « Religion and Politics », Congressional Quarterly Researcher, 14 octobre 1994, 891.

3  Peter K. Eisinger, « The Concept of Protest Behavior in American Cities », American Political Science Review, vol. 67, 1973, 11-28.

4  Doug McAdam, « Conceptual Origins, Current Problems, Future Directions », in McAdam Doug, J. McCarthy et M. Zald (eds.), Comparative Perspectives on Social Movements, Cambridge: Cambridge University Press, 1989, 23-40.

5  Sideny Tarrow, « State Opportunities: The Political Structuring of Social Movements », in D. McAdam et al. (eds.), Comparative Perspectives…, op. cit., 41-61.

6  Sidney Tarrow, Struggle, Politics and Reform: Collective Action, Social Movements, and Cycles of Protest, Ithaca: Center for International Studies, Cornell University, 1989.

7  James C. Mohr, Abortion in America:The Origins and Evolution of National Policy, 1800-1900, New York, Oxford University Press, 1978.

8 Ibid., 32.

9  Kristin Luker, Abortion and the Politics of Motherhood, Berkeley: California University Press, 1984.

10  « The Abortion Epidemic », Newsweek, 14 novembre 1966, 92.

11 Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973).

12  L’Église a en outre menacé d’excommunier les personnalités publiques qui soutiendraient le droit à l’avortement.

13  Kristin Luker, Abortion and the Politics of Motherhood…, op. cit., 137.

14  En effet, « la droite chrétienne est bel et bien l’œuvre d’une poignée de militants de la New Right, tels que Paul Weyrich, Howard Phillips, Richard Viguerie et Edward A. McAteer », Mokhtar Ben Barka, La Droite chrétienne américaine, les évangéliques à la Maison-Blanche ?, Paris : éditions Privat, 2006, 38.

15  John O. Pastore, Congressional Record, Senate, 17 septembre, 1974, 31453.

16 Thornburgh v. American College of Obstetricians and Gynecologists, 476 U.S. 747 (1986).

17 Webster v. Reproductive Health Services, 492 U.S., 490 (1989).

18 Ibid.

19  NARAL and the NARAL Foundation, Who Decides? A-State-by-State Review of Abortion Rights, NARAL, Washington, D.C., 1993, iii.

20 Planned Parenthood of Southern Pennsylvania v. Casey, 112 S. Ct. 2791 (1992).

21  Cité par Barbara. Hinkson Craig et David O’Brien, Abortion and American Politics, New York: Chatham House Publishers, 1993, 325.

22 Congressional Quarterly Almanac, 95th Congress, 1st session, 1977, 313.

23  Cité par  B. H. Craig et D. O’ Brien, Abortion and American Politics, op. cit., 170.

24  Les actes de violence contre les cliniques qui pratiquent l’avortement, ainsi que contre leurs employés ont commencé dès les années soixante-dix, mais ils ont augmenté de façon spectaculaire (environ 450%) après l’élection de R. Reagan à la présidence en 1980. Voir Dallas A. Blanchard & Terry J. Prewitt, Religious Violence and Abortion: The Gideon Project, Gainesville, University Press of Florida, 1993, 270-271.  

25  Randall A. Terry, Accessory to Murder: The Enemies, Allies, and Accomplices to the Death of ourCulture, Brentwood: Wolgemuth & Hyatt, 1990, 224.

26  Francis Schaeffer, A Christian Manifesto, Crossway Books, 1980.

27 Dred Scott v. Sanford, 19 Howard 393 (1857). Par cette décision, la Cour suprême avait jugé, entre autres, qu’un esclave noir ne pouvait pas prétendre à la citoyenneté des Etats-Unis. Pour les militants pro-life, la plus haute juridiction a dans les deux arrêts jugé d’une façon arbitraire qu’une catégorie de « personnes » (les esclaves noirs dans l’affaire Dred Scott et les embryons dans l’affaire Roe) étaient des « nonpersons » ou au moins « noncitizens » légitimant ainsi le traitement inhumain et brutal dont ils faisaient l’objet.

28 U. S. News and World Report, « Abortion: Who’s Behind the Violence? », 14 novembre 1994, 270-271.

29  Depuis 1993, 4 médecins ont été assassinés, voir NARAL Pro-choice American Foundation, « Anti-Choice Violence and Intimidation », <http://www.prochoiceamerica.org/assets/files/ Abortion-Access-to-Abortion-Violence.pdf>, consulté le 3 décembre 2010.

30  Marcy J. Wilder, «Law, Violence, and Morality, » dans Abortion Wars, Rickie Solinger (ed.), Berkeley & Los Angeles: University of California Press, 1998, 82.

31 Ibid., p.82-83.

32  Fawn Vrazo, « A Small Chorus for Vigilantes », Detroit Free Press, 19 janvier 1995, I.

33  Operation Rescue, dépourvue de gouvernance centrale, va éclater en une centaine d’organisations à travers le pays. Son président actuel [mars 2010] est Troy Newman, <http://www.operationrescue.org/about-us/who-we-are/>.

34 New York Times, 18 juin 1995, A 18.

35  NARAL and the NARAL Foundation, Who Decides?, op. cit., vii.

36  Weekly Standard, 25 décembre 1995, 26-27.

37  William Bennett, « Abortion and the Republican Party: Three Responses », Weekly Standard, 1er et 8 janvier 1996, 19-20.

38  On trouve d’un côté NARAL et Planned Parenthood qui défendent cette nouvelle stratégie et de l’autre NOW, l’American Civil Liberties Union et le Center for Reproductive Law and Policy qui continuent à militer pour un droit à l’avortement libre et gratuit.

39  William Saletan, « Electoral Politics and Abortion: Narrowing the Message » dans Abortion Wars, Rickie Solinger (ed.), op. cit., 111-114.

40  D’après William Saletan, c’est l’efficacité de cette nouvelle stratégie pro-choice qui a, en partie, amené trois juges centristes à se rallier aux deux juges favorables à Roe pour maintenir cette jurisprudence dans l’affaire Casey, ibid., 117-118.

41 Rust v. Sullivan, III S. Ct. 1759 (1991).

42 Ibid.

43  Charles Murray, « The Coming White Underclass », Wall Street Journal, 29 octobre 1993.

44  Il faut rappeler que le président William Clinton avait opposé son veto à deux reprises, en 1996 et 1997, contre deux lois analogues adoptées par un Congrès à majorité républicaine.

45  William Branigin et Robert Barnes, « Court Ban on Abortion Procedure », Washington Post, 18 avril 2007.

46  E.J. Dionne Jr., « Litmus Test for Hypocrisy », Washington Post, 13 février 2007, A21 ; voir aussi Michael Finnegan, « Giuliani Shifts Stance on Abortion Method », Los Angeles Times, 19 avril 2007.

47  Michael Luo, « Faith Intertwines with Political Life for Clinton », New York Times, 7 juillet 2007.

48  <http://www.barackobama.com/2008/01/22/obama_statement_on_35th_annive.php>.

49 Ibid.

50  « The Palin Factor in the ‘Culture Wars’ », Christian Science Monitor, 12 septembre 2008, <http://www.csmonitor.com/2008/0912/p08s01-comv.html>.

51  Garance Franke-Ruta, « A New Frontier in the Abortion Wars: Health Insurance », <http://voices.washingtonpost.com/44/2009/11/13/a_new_frontier_opens_up_

in_the.html?wprss=sec-politics>, consulté le 14 novembre 2009.

52  Paul Kane, « To Sway Nelson, a Hard-won Compromise on Abortion Issue », Washington Post, 20 décembre 2009, p. A06

53  « NOW, NARAL displeased with Obama-Stupak Deal », Washington Post, <http://voices.washingtonpost.com/44/2010/03/now-naral-displeased-with-obam.html>, consulté le 23 mars 2010.

54  « In Deal with Stupak, White House announces executive order on abortion », Washington Post, <http://voices.washingtonpost.com/44/2010/03/white-house-announces-executiv.html>; voir aussi« The Bishops are Back, For Now, Thanks to the Party and President They Opposed », Politics Daily, <http://www.politicsdaily.com/2009/11/15/the-bishops-are-back-for-now-thanks-to-the-party-and-president>.

55  Monica Davey, « Nebraska Law Sets Limits on Abortion », New York Times, 13 avril 2010.

56  James C. McKinley Jr., « Strict Abortion Measures Enacted in Oklahoma », New York Times, 27 avril 2010 ; Tim Talley, « Abortion Rights Group Sues to Block Oklahoma Bill »,  New York Times, 27 avril 2010.

57  Catherine Whittenburg, « Florida House Sends Abortion Bill to Governor », The Tempa Tribune, 30 avril 2010,  <http://www2.tbo.com/content/2010/apr/30/house-sends-abortion-bill-governor>.

58  Center for Reproductive Rights,  <http://reproductiverights.org/en/press-room/center-for-reproductive-rights-files-lawsuit-against-oklahoma’s-ultrasound-requirement>, consulté le 3 décembre 2010.

59  Cependant, la loi de 2007 interdisant une certaine technique d’avortement tardif—entre le troisième et sixième  mois — restreint cette possibilité.

60  Mark A. Thiessen, « Bringing Humanity Back to the Abortion Debate », Washington Post, 19 avril 2010.

61  Susan J. Lee, Henry J. Peter Ralston, Eleanor A. Drey, John Colin Partridge, Mark A. Rosen, « Fetal Pain, A Systematic Multidisciplinary Review of the Evidence », Journal of the American Medical Association, vol. 298, n°8, 24-31 Août, 2005 ; voir aussi Denise Grady, « Study Finds 29-Week Fetuses Probably Feel No Pain and Need No Abortion Anesthesia », New York Times, 24 Août 2005.

62  David D. Kirkpatrick, « For Democrats, Rethinking Abortion Position Meets With Mix of Reactions in Party », New York Times, 16 février 2005.

63  Cité par Tobin Harshaw, « Is America Becoming a Pro-life Nation ? », New York Times, 15 mai 2009. 

64  Jane Hamsher, « Can NARAL At Least Try To Pretend They Care About Choice? », Huffington Post, 5 décembre, 2006, <www.huffingtonpost.com/jane-hamsher/can-naral-at-least-try-to_b_35656.html>, consulté le 3 décembre 2010.

  Voiraussi, Jane Hamsher, « NARAL and Planned Parenthood Are Now the Enemies of Pro-Choice » ,  Huffington Post, 24 février, 2006, <http://www.huffingtonpost.com/jane-hamsher/naral-and-planned-parenth_b_16277.html>, consulté le 23 mars 2010.

65  Sondage Gallup, <http://www.gallup.com/poll/118399/More-Americans-Pro-Life-Than-Pro-Choice-First-Time.aspx>, consulté le 3 décembre 2010.

66  Cité par Serge Halimi, « Quand la droite américaine pensait l’impensable », Le Monde Diplomatique, janvier 2002, 20.

67  Paul Pierson, « Path Dependence, Increasing Returns, and the Study of Politics », American Political Science Review, 94 (2), 2000, 251-267.

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Pour citer cet article

Référence papier

Salah Oueslati, « Le lobby anti-avortement : pouvoirs et limites d’une stratégie d’action collective »Revue LISA/LISA e-journal, Vol. IX - n°1 | -1, 141-169.

Référence électronique

Salah Oueslati, « Le lobby anti-avortement : pouvoirs et limites d’une stratégie d’action collective »Revue LISA/LISA e-journal [En ligne], Vol. IX - n°1 | 2011, mis en ligne le 11 mars 2011, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lisa/4162 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lisa.4162

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Auteur

Salah Oueslati

Salah Oueslati est maître de conférences à l’université de Poitiers. Il est aussi chargé de séminaire à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Son domaine de recherche porte sur les institutions politiques aux Etats-Unis, les groupes d’intérêt et les mouvements sociaux. Il a publié de nombreux articles sur les groupes d’intérêts aux Etats-Unis.

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