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Recension

Anne-Claire Faucquez, De la Nouvelle Néerlande à New York. La Naissance d’une société esclavagiste (1624-1712)

Agnès Delahaye
Bibliographical reference

Anne-Claire Faucquez, De la Nouvelle Néerlande à New York. La Naissance d’une société esclavagiste (1624-1712), Paris, Les Indes Savantes, 2021. 482 pages. ISBN : 978-2-84654-569-3

Full text

1Anne-Claire Faucquez est historienne de l’Amérique coloniale et nous livre ici un ouvrage remarquable, tant par l’étendue de la recherche qui le sous-tend que par la richesse des descriptions, des questionnements et des réflexions qu’il contient. De la Nouvelle-Néerlande à New York est une étude approfondie et précise de l’institutionnalisation de l’esclavage au fil du développement de la colonie d’abord néerlandaise, puis anglaise après 1664, entre « l’arrivée presque fortuite » (26) de onze premiers esclaves en 1626 et la première grande révolte esclave du continent nord-américain, à New York, en 1712. L’auteure montre que le commerce et l’usage des esclaves a accompagné toutes les étapes de la croissance et de l’évolution de la colonie et en a structuré à la fois les formes de travail et la hiérarchie sociale.

2Cet ouvrage en quatre parties est nourri d’un travail de recensement et d’analyse d’une archive diversifiée et dispersée de chaque côté de l’océan Atlantique, que l’auteure a scrutée en quête de données démographiques, sociales, institutionnelles et financières, pour faire état des pratiques esclavagistes du New York colonial et faire apparaitre une partie du vécu des esclaves qui y ont résidé. Pour évaluer, chiffrer et comprendre les pratiques esclavagistes des colons de la ville grandissante, elle a mobilisé les sources politiques et judiciaires, comme les correspondances des gouverneurs avec leurs commanditaires en métropole, les minutes des assemblées coloniales et les registres des cours ; les sources religieuses, comme les registres d’église et les correspondances des pasteurs ; les sources administratives et notariales, comme les testaments et inventaires après décès ; et enfin les sources économiques, comme les livres de compte et les correspondances des marchands. Ce travail minutieux de recensement et d’analyse nourrit à la fois les chapitres chrono-thématiques de l’ouvrage, mais aussi les nombreuses cartes et annexes, en particulier la base de données des 1 313 propriétaires d’esclaves de la période et de leurs 2 936 esclaves, qui étoffent encore le principal argument de l’auteure, celui de la centralité de l’esclavage dans la société coloniale. Il apparaît ainsi clairement que même si les colons de New York au xviie siècle se distinguaient par leurs origines nationales, entre Néerlandais, Anglais et Français, principalement, leur dénomination religieuse, leur profession et leur statut social, ils ont eu en commun, sur toute la période, de recourir au travail servile d’esclaves africains, et, dans une moindre mesure, amérindiens, pour défricher et construire leurs infrastructures, cultiver leurs terres et développer leur artisanat.

3Cette étude rejoint ainsi le nombre croissant de travaux sur la longue durée de l’esclavage dans les Amériques, qui révisent les perceptions autrefois établies qui cantonnaient l’esclavage à l’agriculture d’exportation des colonies du Sud, et qui, dans le cas de New York, opposaient l’esclavage domestique et bienveillant de la période néerlandaise aux pratiques plus violentes de la conquête anglaise. L’étude d’Anne-Claire Faucquez montre que l’esclavage répondait avant tout et sur toute la période à des logiques de marché, à l’échelle locale, inter-coloniale et atlantique, et aux impératifs économiques et de gouvernance des espaces colonisés à leur fondation. Elle dépasse ainsi l’argument statistique qui voudrait que la population de New York, dont la population esclave n’atteignit pas vingt pour cent sur toute la période, n’ait pas constitué une société esclavagiste, mais montre au contraire que la possession et l’usage des esclaves étaient diffusés dans tous les espaces et toutes les couches de la société. Ces pratiques ont ainsi structuré l’ordre social colonial qui s’est racialisé à mesure que la population esclave a augmenté.

4L’ouvrage est structuré en quatre grandes parties à la fois thématiques et chronologiques. La première décrit le commerce des esclaves à New York et par les marchands locaux à la marge du commerce triangulaire atlantique mais au cœur des échanges par lesquels les différents lieux de l’empire néerlandais (Brésil, Antilles et métropole) étaient connectés. La seconde propose une cartographie de la présence des esclaves dans la colonie et démontre la très large diffusion de l’esclavage sur l’ensemble de la société, au-delà des clivages linguistiques ou religieux de la population coloniale connue déjà pour sa diversité, et malgré les changements institutionnels qui voient disparaitre l’influence de la Compagnie des Indes Occidentale fondatrice de la colonie au profit d’intérêts privés. Sous les Néerlandais les esclaves étaient employés principalement par la Compagnie aux travaux de défrichage, de construction et d’entretien des infrastructures coloniales, en particulier le port, puis, quand, sous les Anglais, la colonie s’est densifiée et les esclaves sont devenus propriété privée, leurs travaux se sont diversifiés et ont évolué vers le travail domestique ou agricole et l’artisanat urbain.

5La troisième partie met en évidence le consensus qui régnait parmi la population coloniale, issue en grande partie d’une tradition dissidente en métropole, sur la primauté de l’intérêt économique et du profit sur toute autre considération morale et religieuse, comme le devoir chrétien de conversion ou de charité. Avec l’augmentation de la population, les colons procédèrent à l’élaboration d’une « législation ad hoc » (247) codifiant au niveau local et colonial un système brutal qui visait à pérenniser le travail servile des hommes, des femmes et des enfants noirs, en protégeant les colons de la perte de leurs biens et de la révolte qu’un tel système nécessairement engendrait. Le premier code noir de 1712 n’avait ainsi rien à envier aux lois et aux pratiques de discrimination et de torture des colonies du Sud, et confirmait le processus de racialisation de la société coloniale entamé avec le début de la pratique esclavagiste. La dernière et quatrième partie plonge le lecteur dans le vécu et l’expérience des hommes, des femmes et des enfants vendus ou nés en esclavage dans la colonie, que l’auteure tente de reconstruire à travers les bribes d’information que contiennent ses sources. Elle met ainsi en lumière les espaces de résistance familiaux et communautaires que pouvaient construire ces individus pour survivre à un système qui les privait de statut civil, juridique et politique et qui les brutalisait à toutes les étapes de leur existence.

6L’immense richesse de cet ouvrage est de nous plonger au cœur du développement et de l’évolution du New York du xviie siècle, dans un espace en phase de colonisation, complexe, précaire, instable et contesté, qui a évolué au gré des besoins et de l’agentivité des colons, en marge des politiques ou des visées impériales métropolitaines. Surtout, ce livre nous laisse entrevoir le vécu, les souffrances et les luttes des hommes et des femmes racisés, que leur absence de statut a rendus invisibles dans l’historiographie euro-centrée que l’on appelle histoire coloniale. Certains aspects du système esclavagiste, comme sa structure genrée par exemple, mériteraient d’être approfondis, mais cet ouvrage représente une lecture essentielle pour quiconque voudrait saisir et comprendre les processus de formation des espaces colonisés du monde atlantique et la longue durée des ordres sociaux qu’ils ont fait naître.

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References

Electronic reference

Agnès Delahaye, “Anne-Claire Faucquez, De la Nouvelle Néerlande à New York. La Naissance d’une société esclavagiste (1624-1712)Revue LISA/LISA e-journal [Online], vol. 20-n°53 | 2022, Online since 10 June 2022, connection on 07 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lisa/14353; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lisa.14353

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About the author

Agnès Delahaye

Agnès Delahaye est maitresse de conférences HDR à l’université Lumière Lyon 2 et membre de Triangle (UMR5206). Elle est spécialiste de l’histoire et de l’historiographie de la colonisation de peuplement en Nouvelle-Angleterre et l’auteure de Settling the Good Land: Governance and Promotion in John Winthrop’s New England, 1620-1650 (Leiden et Boston : Brill, 2020).

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