Jean-Loup Bourget, Rebecca d’Alfred Hitchcock
Jean-Loup Bourget, Rebecca d’Alfred Hitchcock, Paris: Vendémiaire, Collection Contrechamp, 2017. 144 pages, ISBN 978-2-36358-288-1
Texte intégral
1La monographie de Jean-Loup Bourget est le deuxième titre d’une toute jeune collection de Vendémiaire consacrée à une œuvre spécifique et qui se propose d’articuler analyses filmiques et études contextuelles (les deux autres titres sont Fantômas de Louis Feuillade de Benjamin Thomas, 2017 et Virgin Suicides Sofia Coppola de Pierre Jailloux, 2018).
2L’ouvrage est assez court mais très dense et fourmille d’informations précises tout en traitant de questions d’ordre plus théorique, à la croisée de l’analyse filmique de scènes clés et de l’histoire du cinéma. Ainsi sont abordées la question relative à l’attribution de la paternité d’une œuvre dans le contexte de l’époque classique hollywoodienne, des questions narratologiques liées à l’adaptation en général, et plus particulièrement à la transposition d’une narration à la première personne, amenant au traitement du point de vue au cinéma.
3Jean-Loup Bourget affirme d’emblée que Rebecca est une œuvre emblématique à plus d’un titre, et constitue notamment une œuvre charnière dans la carrière de Hitchcock. Il s’appuie tout d’abord sur une perspective de critique génétique pour expliquer en quoi Rebecca est « un cas d’école », le film ayant été réalisé à l’apogée du « producer system » dont Selznick est sans conteste l’un des représentants les plus célèbres. Bourget analyse de façon précise l’apport des différents contributeurs. Si la conclusion, selon laquelle le film est le fruit d’une « collaboration conflictuelle et hiérarchisée », est somme toute prévisible, la démonstration, elle, trouve toute sa valeur dans l’analyse des documents. Un aspect particulièrement intéressant est l’étude des sources et des influences, notamment le rôle primordial de l’adaptation radiophonique d’Orson Welles en 1938. S’appuyant sur les travaux de François Thomas sur Welles, Jean-Loup Bourget rappelle combien l’adaptation du roman par Welles pour la radio a été décisive, notamment dans le choix d’une narration privilégiant le point de vue subjectif de l’héroïne. L’auteur poursuit en analysant les modifications entre le scénario et le produit final, les interventions déterminantes de Selznick (en particulier sur la question de la morale – car il est impensable que le Production Code approuvât non seulement qu’un mari meurtrier de sa femme échappe à la justice mais aussi que sa nouvelle épouse ne soit nullement horrifiée par cette découverte).
4L’ouvrage offre également un aperçu des différentes interprétations critiques du film : depuis les lectures « théologiques» dues aux Cahiers du Cinéma qui ont prévalu à sa sortie et qui mettent l’accent sur les thématiques proprement hitchcockiennes comme la culpabilité, aux relectures féministes (Bourget cite notamment l’étude de Tania Modleski sur l’œuvre de Hitchcock) qui mettent l’accent sur les références à la tradition gothique et sur l’ambigüité des relations triangulaires troubles entre les différents personnages. Bourget ajoute également une lecture personnelle adoptant une perspective sociopolitique, selon laquelle le film offre aussi le portrait satirique d’une certaine classe sociale oisive et sur le déclin. Tout en reconnaissant que le roman de du Maurier est « loin d’être univoque » sans pour autant constituer un « brulôt révolutionnaire », Bourget ne s’attarde pas sur l’ambiguïté du roman mais privilégie toujours la dimension cinématographique, ici en s’appuyant sur des parallèles avec d’autres films de Hitchcock, dont Jamaica Inn (1939), autre adaptation de du Maurier, mais aussi deux films datant de l’époque britannique (Easy Virtue, 1927, et The Skin Game, 1931) qui offrent une peinture très critique des rapports de classes.
5Ces développements qui mettent en lumière des résonnances entre œuvres sont d’ailleurs une des caractéristiques qui fait l’originalité de l’ouvrage. Celui-ci déploie un réseau de ramifications qui inclut des références aux autres films de Hitchcock et à l’œuvre de Selznick, mais aussi à la carrière du compositeur et des acteurs principaux. Le dernier chapitre, intitulé « Romans familiaux », évoque ainsi les carrières et personas respectives de Joan Fontaine et de sa sœur rivale, Olivia de Havilland. Bourget développe ainsi un entrelacs d’échos significatifs entre Rebecca et les adaptations de l’œuvre des Brontë, ou encore d’autres adaptations de du Maurier comme My Cousin Rachel (Henry Koster 1952) et Frenchman’s Creek (Mitchell Leisen, 1944).
6À cet égard, on pourrait regretter que le rapport particulier entre Hitchcock et l’œuvre de du Maurier ne soit pas davantage traité. Si Jamaica Inn fait l’objet d’une étude, il n’est en revanche pas fait mention de The Birds. Hitchcock, qui considérait avec quelque mépris la romancière comme auteure de « novelettes », avait pourtant fini par reconnaitre que la fin du film devait beaucoup à la nouvelle. On pourrait également regretter que le réseau de résonnances ne fasse aucune référence à d’autres adaptations de Rebecca et à leurs difficultés d’exister à l’ombre du film de Hitchcock, tant il est vrai que ces adaptations postérieure, en majorité télévisuelles, s’avèrent franchement mineures, démontrant combien le film de Hitchcock est une œuvre magistrale et envoutante.
7En conclusion, l’ouvrage offre une remarquable leçon de cinéma, d’une très grande érudition, et d’une lecture très fluide.
Pour citer cet article
Référence électronique
Nicole Cloarec, « Jean-Loup Bourget, Rebecca d’Alfred Hitchcock », Revue LISA/LISA e-journal [En ligne], vol. XVI-n°2 | 2018, mis en ligne le 12 novembre 2019, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lisa/10355 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lisa.10355
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