Navigation – Plan du site

AccueilNuméros87Quelle est la grammaire des enfan...

Quelle est la grammaire des enfants ? L’exemple des interrogatives partielles en français

What is children’s grammar? The example of partial interrogatives in French
Pauline Gillet et Christophe Benzitoun

Résumés

Dans cet article, nous nous intéressons à la manière dont les enfants s’approprient le système interrogatif et plus particulièrement la construction à sujet postposé, entre discours normatifs, représentations chez les élèves et usages à l’écrit et à l’oral. Pour ce faire, nous adoptons une approche descriptive sur corpus. Nous détaillons les différentes constructions interrogatives en usage chez les enfants en français parlé contemporain. Ce travail s’appuie sur des corpus d’interactions adultes-enfants et enfants-enfants, tout en tenant compte de l’input produit par l’adulte (le langage adressé à l’enfant). Nous nous penchons également sur des productions écrites d’élèves du CE1 au CM2 (2e à 5e années de l’école primaire). En plus de cette description, nous abordons la question des recommandations des manuels scolaires et autres sources dictant les normes langagières (dont l’Académie française). Pour finir, nous présentons les résultats de questionnaires mettant en évidence les représentations normatives d’élèves français de CM1-CM2 (4e et 5e années de l’école primaire). Tout ceci nous permet de montrer que le système grammatical des interrogatifs se met en place de manière précoce, à l’exception de la tournure à postposition du sujet, laquelle jouit sans doute d’un statut particulier en français contemporain.

Haut de page

Texte intégral

1.Introduction

1La grammaire des interrogatives partielles du français se distingue de celle de nombreuses autres langues par la variété des combinatoires en usage. Comme le stipule Mathieu (2009) dans l’introduction d’une étude contrastive entre le français hexagonal et le français québécois, « [l]a variation linguistique en français moderne est omniprésente et est sans doute la plus impressionnante lorsqu’elle met en jeu la structure des interrogatives » (p. 61). À titre d’illustration, Coveney (2011) a recensé dix formes d’interrogatives partielles directes différentes. Quillard (2001), quant à elle, en comptabilise seize et Gadet (1989) dix-huit. La variation est donc extrêmement présente dans ce domaine en français contemporain.

2Parmi les tournures attestées (Boucher, 2009, 2010), on retrouve celles présentant l’ordre SVQ (Sujet Verbe interrogatif en Qu-, également appelées constructions à interrogatif in situ) (1), les QSV (2) et celles comportant l’adjonction de est-ce que (QESV) (3). Il existe également des énoncés interrogatifs comportant l’ordre verbe-sujet (QVS) (4), uniquement lorsque le mot interrogatif est antéposé (pour une liste exhaustive des constructions interrogatives, voir le numéro récent de Langue française coordonné par Larrivée & Guryev, 2021).

(1) Il s’appelle comment ?

(2) Comment il s’appelle ?

(3) Comment est-ce qu’il s’appelle ?

(4) Comment s’appelle-t-il ?

  • 1 Sauf en cas de présence d’une préposition (À quoi tu penses ? / Tu penses à quoi ?) (voir notamment (...)
  • 2 Toutefois, l’interrogatif que ne peut apparaitre dans une inversion complexe (*Que Marie fait-elle  (...)

3Le système interrogatif du français, en plus d’être fort riche, n’est pas employé de la même façon pour l’ensemble des mots interrogatifs. En effet, si les interrogatifs comment et admettent les quatre configurations ci-dessus, l’interrogatif quoi1 ne peut se trouver qu’après le verbe (5) tandis que que se rencontre obligatoirement à l’initiale accompagné d’un sujet postposé au verbe2 (6). Dans le cas de que, étant donné le caractère très rigide de l’ordre des mots, est-ce que permet de l’assouplir un peu : Qu’est-ce que tu fais ?

(5) a. Tu fais quoi ?
b. *Quoi tu fais ?
c. *Quoi fais-tu ?

(6) a. Que fais-tu ?
b. *Tu fais que ?
c. *Que tu fais ?

4Pourquoi, quant à lui, apparait presque toujours à l’initiale (7.a) (Dekhissi, 2013 ; Druetta, 2009 ; Hamlaoui, 2010). L’in situ (7.b) est, selon Korzen (1985), une construction agrammaticale.

  • 3 L’inversion du sujet nominal (*Pourquoi part Marie ?) n’est pas possible avec pourquoi (Korzen, 198 (...)

(7) a. Pourquoi tu pars ?
b. ?Tu pars pourquoi ?
c. Pourquoi pars-tu ?3

5Enfin, si l’on s’intéresse au cas de quand, il apparait que cet interrogatif admet, comme comment et , l’ensemble des configurations. Toutefois, Coveney (1996) et Benzitoun (2006) notent que l’emploi de cet interrogatif en antéposition simple (8.b) est rare en raison de la confusion possible avec son emploi en subordonnée (Dekhissi, 2013 ; Guryev, 2017).

(8) a. Tu pars quand ?
b. ?Quand tu pars ?
c. Quand est-ce que tu pars ?
d. Quand pars-tu ?

6On voit ici une pluralité de fonctionnements qui peuvent être plus ou moins restreints en fonction de l’interrogatif utilisé. Il existe donc des contraintes liées à chaque interrogatif et pas de comportement homogène pour l’ensemble du système interrogatif du français. Nous avons d’un côté quoi bloqué en position in situ (après le verbe) et d’un autre côté pourquoi et que bloqués en position initiale. Dans le cas de que et quoi, on peut dire qu’il y a une distribution complémentaire : il s’agit en réalité de deux allomorphes dont l’apparition est conditionnée par la position dans l’énoncé.

  • 4 Pour quel NOM, c’est le syntagme dans son ensemble qui est mobile et non quel tout seul.

7Entre ces deux extrêmes, il y a les autres interrogatifs, à savoir : quand, qui, comment, combien, où, lequel (et ses flexions) et quel NOM4 (et ses flexions). Ceux-ci peuvent se trouver dans l’une ou l’autre zone de l’énoncé avec des fréquences différenciées, ces fréquences ayant évolué au cours du temps (Foulet, 1921). Et comme le montrent Palasis, Faure et Meunier (2023), adoptant une approche développementale, le verbe recteur peut aussi avoir une influence sur la place de l’interrogatif de même que la présence de l’adverbe en tête d’énoncé.

  • 5 L’input correspond au langage de l’adulte adressé à l’enfant (souvent abrégé en LAE).

8Dans cet article, nous nous intéressons à la manière dont les enfants s’approprient le système interrogatif et plus particulièrement la construction à sujet postposé, entre discours normatifs, représentations chez les élèves et usages à l’écrit et à l’oral. Pour ce faire, nous adopterons, dans une première partie, une approche descriptive sur corpus. Nous détaillerons les différentes constructions interrogatives en usage chez les enfants en français parlé contemporain. Ce travail s’appuiera sur des corpus d’interactions adultes-enfants et enfants-enfants, tout en tenant compte de la question de l’input5 produit par l’adulte. Nous nous pencherons ensuite sur des productions écrites d’élèves du CE1 au CM2 (2e à 5e années de l’école primaire). Dans une seconde partie, nous nous intéresserons aux recommandations des manuels scolaires et autres sources dictant les normes langagières (dont l’Académie française). Pour finir, nous présenterons les résultats de questionnaires mettant en évidence les représentations normatives d’élèves français de CM1-CM2 (4e et 5e années de l’école primaire).

2. Interrogatifs en français : étude sur corpus

2.1. Usages des enfants à l’oral

  • 6 Nous précisons que l’âge de 2 ans correspond à la tranche d’âge 2;00 ans-2;11 ans, etc.

9Pour étudier les productions orales des enfants, nous avons eu recours à des données recueillies dans le cadre des projets CoLaJE (Communication Langagière chez le Jeune Enfant ; Morgenstern & Parisse, 2012), TCOF (Traitement de Corpus Oraux en Français ; ATILF, 2018), ALIPE (Acquisition de la Liaison et Interactions Parent-Enfant ; Chabanal & al., 2017) et enfin le Corpus de Lyon (Demuth & Tremblay, 2008). Ces ressources regroupent des enregistrements d’interactions orales adultes-enfants et enfants-enfants, en contexte familial ou scolaire (toutes classes sociales confondues). Notre corpus de travail de 600.000 mots comporte uniquement les productions des enfants. Nous avons extrait 6.077 occurrences d’interrogatives partielles directes produites entre l’âge de 2 et 5 ans6.

10En plus des constructions détaillées dans l’introduction, nous avons rencontré d’autres structures interrogatives : la construction holophrastique (également dite « averbale ») (Q), la clivée en c’est… que, les constructions infinitives (ex : comment faire ?), celle comportant l’interrogatif suivi du complémenteur que (ex : comment que c’est ?) ou bien encore la tournure dans laquelle le mot interrogatif est suivi de la séquence c’est que. Ces quatre dernières tournures sont peu fréquentes (1,1%) et regroupées dans la catégorie « Autres » dans le tableau 1. La fréquence d’emploi de chacune des constructions interrogatives (illustrée à l’aide d’un exemple du corpus) est la suivante :

Tableau  : Fréquence d’emploi des différentes constructions interrogatives chez les enfants (N =6.077)

  • 7 Nous indiquons entre parenthèses la source de l’exemple. Cette source comporte le nom du corpus, le (...)

Construction

Nb. occ.

Fréq.

Exemple

SVQ

2.784

45,8%

c’est quoi ? (CoLaJE, Léonard, 02;00;26)7

Q

1.944

32,0%

pourquoi ? (CoLaJE, Antoine, 03;07;01)

la page combien ? (TCOF, Vincent, 04;01;19)

QSV

944

15,5%

pourquoi on le met ? (TCOF, Alona, 03;04;03)

Qu’est-ce que

282

4,6%

qu’est-ce que c’est ça ? (CoLaJE, Anaé, 03;04;27)

QVS

32

0,5%

où est le livre de vampire ? (CoLaJE, Anaé, 02;06;27)

QESV

25

0,4%

où est-ce qu’il est ? (CoLaJE, Julie, 02;09;24)

Autres

66

1,1%

11Dans les productions orales spontanées de ces jeunes locuteurs, il apparait que la construction la plus fréquemment utilisée est l’in situ (SVQ). Elle représente plus de 45% des interrogatives. Elle est suivie de la construction holophrastique (Q). Puis, viennent l’antéposition simple (QSV) et la tournure initiée par qu’est-ce que. QSV est trois fois moins fréquent que SVQ. Quant à l’inversion du sujet, nous en avons relevé seulement 32 exemples, dont 15 inversions clitiques (19.a), 14 inversions nominales (ou stylistiques) (19.b) et trois inversions complexes, uniquement avec sujet nominal postposé (19.c) soit 0,3% de sujets clitiques postposés au verbe.

(9) a. comment veux-tu t’appeler ? (CoLaJE, Madeleine, 03;06;08)
b. où est le livre de vampire ? (CoLaJE, Anaé, 02;06;27)
c. où sont-ils les jaunes ? (CoLaJE, Anaé, 04;00;13)

12En plus de QVS, les autres constructions sont marginales dans les productions. Globalement, ces données suggèrent que les jeunes enfants francophones n’utilisent quasiment pas la tournure normative, à savoir la construction à inversion du sujet (voir section 3).

13Au-delà des grandes tendances, il est important de regarder les différences inter-interrogatifs. En effet, comme nous l’avons signalé dans l’introduction, il existe des contraintes spécifiques sur la position de certains interrogatifs en français. Pour illustrer ce phénomène, nous nous focalisons sur et comment qui présentent deux profils très contrastés. Les résultats dans la figure 1 ont été obtenus à partir du seul corpus CoLaJe.

Figure  : Fréquence d’emploi des constructions interrogatives en et comment chez les enfants (CoLaJE)

Figure  : Fréquence d’emploi des constructions interrogatives en où et comment chez les enfants (CoLaJE)

14 apparait postposé (in situ) dans plus de 53% des cas, tandis que comment est majoritairement antéposé (52,5% des emplois). On relève seulement 5 occurrences de postposition du sujet clitique pour et 1 seule pour comment. Ces tendances pour le moins contrastées entre et comment sont globalement conformes à celles observées chez les adultes dans des émissions de téléréalité (Reinhardt, 2019 : 159), dans diverses études synthétisées par Lefeuvre et Rossi-Gensane (2015) ainsi que dans l’input (partie ci-dessous).

2.2. Input

15À la suite des résultats sur corpus oral chez l’enfant, nous présentons ceux issus des productions des adultes du même corpus CoLaJE. Pour ce faire, nous avons relevé les formes interrogatives comportant l’interrogatif comment et l’interrogatif qu’ils utilisent dès les premiers enregistrements afin de les comparer à celles utilisées par les enfants. Les résultats se trouvent dans la figure 2.

Figure  : Fréquence d’emploi des constructions interrogatives en et comment chez les adultes (CoLaJE)

Figure  : Fréquence d’emploi des constructions interrogatives en où et comment chez les adultes (CoLaJE)

16Les résultats présentés dans la figure 2 indiquent que les adultes, tout comme les enfants, produisent majoritairement des interrogatives de type QSV avec comment et SVQ avec . Parallèlement, nous n’avons pas relevé d’évolution dans le langage adressé aux enfants en fonction de l’âge de ces derniers. En revanche, quand on détaille les résultats des enfants par âge, on s’aperçoit que les interrogatives en et en comment produites par les enfants à partir de quatre ans se rapprochent fortement de la répartition observée chez les adultes. Par ailleurs, on observe chez les adultes que Q + est-ce que est plus fréquent avec qu’avec comment. Il est possible que le poids phonologique (longueur de la séquence « interrogatif + est-ce que ») entre en considération ici pour rendre compte de cette différence.

17Toujours est-il que les interrogatives en QVS sont totalement marginales, ce qui permet difficilement aux enfants de s’approprier cette tournure à partir des productions orales des adultes. On peut donc émettre l’hypothèse que cet agencement ne fait pas partie de la grammaire première de la plupart des francophones de France (Blanche-Benveniste, 1990) et que les enfants se l’approprient au contact de l’écrit et de l’école (grammaire seconde).

2.3. Usages des enfants à l’écrit dans les copies d’élèves

  • 8 En CP, la consigne de rédaction était différente de celle des niveaux supérieurs. Nous n’avons d’ai (...)

18Les données écrites que nous avons étudiées ont été recueillies dans le cadre du projet Scoledit (Wolfarth et al., 2017) qui comporte des textes rédigés par des élèves. Ces rédactions se composent de textes principalement narratifs. Le corpus, longitudinal, a été collecté dans des classes allant du CP au CM2 entre 2014 et 2018 dans les académies de Toulouse, Bordeaux, Lyon, Clermont-Ferrand et Grenoble. Les élèves qui ont rédigé ces courtes productions narratives du CE1 au CM2 ont tous reçu la même consigne de rédaction8 : à partir de quatre images montrant chacune un personnage (une sorcière, un chat, un robot et un loup), les élèves devaient choisir un ou deux personnages et produire un texte narratif, c’est-à-dire raconter une histoire à propos du (ou des) personnage(s) choisi(s). Nous avons pris en compte 337 copies par niveau du CE1 au CM2, soit 1348 en tout, copies rédigées par 337 élèves qui sont les mêmes du CE1 au CM2.

19Les résultats, tous niveaux confondus (CE1-CM2), sont présentés dans le tableau 2.

Tableau  : Répartition des constructions interrogatives dans le corpus Scoledit (N =397)

Construction

Nb. occ.

Fréq.

Exemple

QVS

132

33,2%

Comment t’appelles-tu petit chat ? (élève 116, CM2)

Où est le musée du stylo ? (élève 821, CM2)

Q

74

18,6%

Comment ? (élève 93, CE1)

Où ça ? (élève 821, CM2)

QSV

67

16,9%

Pourquoi tu joues avec tout le monde ? (élève 1512, CE1)

SVQ

62

15,6%

Et maintenant je fais quoi ? (élève 3053, CE1)

Qu’est-ce que

48

12,1%

Qu’est-ce que tu fais là saleté de chat domestique ? (élève 96, CM2)

Mais qu’est-ce qu’un prénom ? (élève 2885, CE2)

QVinf

11

2,8%

Pourquoi ne pas le faire fuir ? (élève 93, CE1)

QESV

3

0,8%

Où est-ce que vous habitez ? (élève 950, CM1)

Comment est-ce qu’une sorte de bête comme toi peut-elle parler ? (élève 3064, CM2)

20Dans ces copies, nous constatons que l’inversion du sujet est la tournure la plus fréquente. Elle représente un tiers des productions interrogatives des élèves et un tiers aussi dans chacun des niveaux scolaires. Cela signifie donc que, dès le CE1, le nombre d’interrogatives de type QVS est sensiblement plus élevé qu’à l’oral, adultes et enfants confondus.

21Nous détaillons dans la figure 3 les différents agencements pour quatre interrogatifs ayant une fréquence supérieure à 50 occurrences.

Figure  : Fréquence d’emploi de 4 interrogatifs dans Scoledit

Figure  : Fréquence d’emploi de 4 interrogatifs dans Scoledit

22Les résultats présentés dans la figure 3 permettent de tirer un certain nombre d’enseignements. et comment apparaissent le plus fréquemment en QVS. La fréquence de QSV en pourquoi est supérieure à celle de QVS et cet interrogatif n’a aucune occurrence en position in situ. Pour ce qui est de l’usage de que/quoi, nous observons que c’est majoritairement la forme avec est-ce que qui a été utilisée (qu’est-ce que) (48 occ.) et l’inversion du sujet arrive après (39 occ.). Aussi, l’in situ en quoi, qui est généralement stigmatisée, a souvent été produite par les élèves (30 occ.). Cette proportion importante d’in situ se retrouve également avec . On observe ici un tiraillement entre la forme scolaire recommandée (voir partie 3) et les usages spontanés des élèves, avec d’une part une proportion non négligeable de QVS et d’autre part un usage important de SVQ avec et quoi et de QSV avec pourquoi et comment.

23Au terme de ce parcours, on peut conclure que QVS jouit d’un statut particulier dans le système grammatical des interrogatives. Quasiment absent des productions orales des enfants et de l’input reçu par ces derniers, le recours aux interrogatives en QVS est fréquent dans les copies d’élèves. En dehors de QVS, le reste du système semble se mettre en place assez tôt dans le développement langagier de l’enfant.

24Pour comprendre ce statut particulier, allant de la rareté à l’oral (adultes et enfants confondus) à l’abondance dans les copies d’élèves, nous allons nous intéresser aux recommandations prescriptives.

3. Ressources prescriptives de référence

3.1. Discours normatifs sur les interrogatives

25Dans la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française, à l’entrée Interrogation9, on peut lire que « L’interrogation directe exige l’inversion du sujet et du verbe », une recommandation somme toute impérative et restrictive ne correspondant pas aux formes réellement employées.

26La rubrique Dire, Ne pas dire10 semble un peu plus modérée sur le sujet mais associe les formes sans inversion du sujet à la langue « orale » ou « relâchée » :

« En français, l’interrogation directe se caractérise par une inversion de la place du sujet et du verbe par rapport à celle qu’ils occupent à la forme affirmative […] La langue orale, plus relâchée, oublie parfois cette inversion et c’est aussi ce que fait la langue écrite quand elle cherche à imiter ou à reproduire le langage parlé. Il n’en reste pas moins qu’il est de meilleure langue de la respecter. »

27De manière symétrique, dans Le bon usage, si Grevisse & Goosse (2016) mentionnent que les sujets apparaissent « souvent » en antéposition (p. 528, §387b), ils signalent toutefois que l’inversion sujet-verbe ou bien la construction avec sujet complexe (comment son frère est-il rentré ?) se retrouvent principalement dans la langue écrite ou soignée. Pour est-ce que, ils disent que cet item est courant à l’oral et présent aussi dans la langue écrite soignée.

28À l’évocation de ces trois passages, il n’est guère étonnant que la tournure avec inversion soit, pour de nombreux locuteurs du français, associée étroitement à la phrase interrogative. Un peu comme s’il s’agissait de la forme grammaticale de l’interrogation par excellence. Mais il est difficile de savoir avec précision dans quelle proportion cette conception est partagée par les francophones. On trouve, toutefois, des témoignages reproduisant ce discours, notamment sur le site internet de la médiatrice de Radio France. Sur ce dernier, des auditeurs envoient des messages pour se plaindre des « fautes de langue ». Certains d’entre eux concernent l’usage qui est fait des interrogatives lors des émissions radio :

« Amis journalistes, généralement la forme correcte de l’interrogation se fait avec l’inversion du sujet ? C’est un peu déprimant de vous entendre dire ‘comment vous l’entendez ?’ au lieu de ‘comment l’entendez-vous ?’ » (09/03/2022)

« […] Alors une seule critique valable pour beaucoup de vos collègues : Malgré vos grandes connaissances vous oubliez la forme interrogative dans vos questions. Après ‘comment’ vous employez la forme affirmative : comment vous faites ? C’est laid et désagréable et je ne suis pas la seule à penser que ce n’est pas bon pour les écoliers ! D’expérience je peux vous dire que par écrit cela engendre même des erreurs. » (06/01/2023)

29Ainsi, les auditeurs les plus pointilleux de ces radios s’attendent à ce que les journalistes recourent systématiquement aux formes avec inversion et le font savoir de manière explicite. Cela illustre la forte influence de la conception puriste et du prescriptivisme sur une partie au moins des locuteurs. Par ailleurs, il est aisé de trouver des remarques concernant le supposé mésusage des constructions interrogatives en surfant sur des réseaux sociaux comme Twitter. On est clairement, ici, dans un cas de « surnorme » qui semble largement diffusée (François, 1980). Mais par quel canal ce discours se diffuse-t-il ? Par exemple, retrouve-t-on cette conception à l’école dans les manuels scolaires ?

3.2. Les interrogatives dans les manuels scolaires

30Pour aller plus loin dans les recommandations normatives, nous nous sommes intéressés à la présentation des interrogatives dans les manuels scolaires. Pour ce faire, nous avons examiné dix manuels parus récemment destinés aux élèves du CE1 au CM2 (deux ou trois par année, voir annexe 1). Cette notion grammaticale est présente dès le CE1. Tous niveaux confondus, les interrogatives sont présentées avec les phrases déclaratives et exclamatives dans un chapitre intitulé « Les types de phrases ».

31Les manuels proposent généralement deux parties : une partie « leçons » et une partie « exercices ». Dans les sections qui suivent, nous allons présenter successivement l’une puis l’autre.

3.2.1. Les leçons

32Dans les pages leçons, les élèves sont invités à observer les paramètres qui visent à distinguer chacune de ces trois structures syntaxiques (interrogatives, déclaratives et impératives). Les manuels précisent que les interrogatives (cf. figure 4) :

  • servent à poser des questions : on insiste de cette façon sur ce qu’elles expriment, sur la dimension pragmatique ;

  • comportent un point d’interrogation à l’écrit et une intonation montante à l’oral ;

  • sont généralement introduites par un mot interrogatif (qui, que, comment, etc.) ou par la particule interrogative est-ce que. Cet aspect grammatical est abordé explicitement dès le CE2 ;

33Se forment (le plus souvent) en inversant la place du sujet et du verbe de la phrase déclarative (en soulignant le sujet quand il se trouve dans cette position).

Figure  : Manuel de français, L’éclat des mots, CM1 (Roux-Bonelle et al., 2022a : 64)

Figure  : Manuel de français, L’éclat des mots, CM1 (Roux-Bonelle et al., 2022a : 64)

34Les exemples présentés dans les manuels comportent quasi systématiquement une inversion. Marginalement, il est possible de rencontrer des exemples comportant est-ce que, mais aucun ne correspond à une interrogative partielle.

35Sur les dix manuels observés, aucun ne fait figurer d’exemple d’interrogatif in situ. Un seul présente un exemple de type QSV (figure 5). Toutefois, celui-ci se retrouve associé au registre de langue familier.

Figure  : Manuel de français, L’éclat des mots, CM2 (Roux-Bonelle et al., 2022b : 66)

Figure  : Manuel de français, L’éclat des mots, CM2 (Roux-Bonelle et al., 2022b : 66)

3.2.2. Les exercices

  • 11 S’il est demandé à l’élève de transformer une phrase déclarative en une interrogative en utilisant (...)

36Dans les exercices, les élèves sont invités à reconnaitre les interrogatives par rapport aux autres types de phrases (figure 6) ou bien, il leur est demandé de transformer une phrase déclarative en une interrogative. Pour ce faire, certains manuels (notamment de CE1) précisent la manière de procéder en proposant un exemple type comportant soit une inversion, soit est-ce que11 (figure 7).

Figure  : Manuel de français, Paprika français, CE1 (Bourgouint et Bottet, 2019 : 133)

Figure  : Manuel de français, Paprika français, CE1 (Bourgouint et Bottet, 2019 : 133)

Figure  : Manuel de français, Français explicite, CE1 (Castioni et al., 2019 : 42)

Figure  : Manuel de français, Français explicite, CE1 (Castioni et al., 2019 : 42)

37Les exemples relevant du registre « familier » sont quant à eux quasiment inexistants. Et quand ils sont cités, les auteurs des manuels précisent qu’il s’agit de formes pouvant être utilisées « à l’oral » (figure 8).

Figure  : Manuel de français, Outils pour le français, CE2 (Aminta et al., 2019 : 13)

Figure  : Manuel de français, Outils pour le français, CE2 (Aminta et al., 2019 : 13)

38Les manuels scolaires reprennent donc largement à leur compte l’idée que la forme interrogative par excellence est celle qui comporte une inversion. Avec tout de même une conception un peu nuancée en recourant au concept de registre ou niveau de langue. Il y a de ce fait une légère exposition des élèves à la variation, mais avec une hiérarchie clairement établie et souvent une dépréciation de l’oral qui ne connaitrait que les interrogatives sans inversion du sujet.

39On le voit, l’inversion sujet-verbe en tant que forme de référence est omniprésente dès lors que l’on aborde l’interrogation dans un contexte scolaire. Mais cela ne nous dit rien de l’influence de cette présentation sur les élèves. Dans la partie suivante, nous allons présenter les résultats d’une enquête permettant d’évaluer la conception des formes normatives chez des élèves de CM1 et CM2 en France.

4. Représentation normative chez les élèves

40En lien avec les recommandations normatives véhiculées par les manuels scolaires, nous avons voulu savoir dans quelle mesure les élèves français sont conscients de l’existence d’une forme interrogative de référence et dans quelle mesure certains paramètres, comme les usages oraux majoritaires (voir partie 2), peuvent interférer dans leurs jugements.

  • 12 Nous précisons que ce questionnaire a, en amont, été soumis comme pré-test à 33 élèves d’une école (...)
  • 13 Nous avons écarté les questionnaires de six élèves. En effet, les réponses semblaient indiquer qu’i (...)

41Pour tester la diffusion des normes grammaticales scolaires, nous avons soumis un questionnaire écrit12 à 224 élèves13 de CM1 et CM2 scolarisés dans cinq écoles de l’agglomération nancéienne : une école privée et quatre écoles publiques dont un établissement affilié au Réseau d’Éducation Prioritaire (REP+). Cette diversité d’établissements s’explique par notre souhait d’observer les représentations langagières d’élèves issus de milieux sociaux et d’établissements scolaires variés.

4.1. Protocole d’enquête

42Pour mener notre enquête, nous avons utilisé un questionnaire à choix multiples comportant quinze items alternant des énoncés interrogatifs et non-interrogatifs (ne de négation, opposition on/nous, doubles marquages du sujet, orthographe grammaticale et lexicale). Le questionnaire se trouve en annexe (voir annexe 2).

43Chaque item comportait trois variantes. Nous présentons ci-dessous trois items comportant une interrogative :

(10) a. Tu fais quoi ?
b. Que fais-tu ?
c. Qu’est-ce que tu fais ?

(11) a. Comment on fait ?
b. On fait comment ?
c. Comment fait-on ?

(12) a. Qu’y peux-tu ?
b. Qui peux-tu ?
c. Qu’est-ce que tu y peux ?

44Pour chacun des exemples interrogatifs, nous avons proposé systématiquement la variante formelle avec inversion du sujet clitique et deux autres propositions parmi l’in situ, l’antéposition simple et la construction en est-ce que (10-11). Nous avons testé en plus les interrogatives en qu’ + en et qu’ + y (12) eu égard à l’homophonie avec quand et qui. Nous souhaitions savoir si ces digrammes posent plus de problèmes aux élèves que les autres. Nous aurions pu faire le choix de proposer systématiquement l’exemple avec inversion, antéposé simple, in situ ou comportant est-ce que pour chacun des interrogatifs mais certaines formes étant agrammaticales (*Quoi tu fais ?) ou très rares en français (Il est parti pourquoi ?), nous avons fait le choix de nous focaliser uniquement sur des exemples possibles (excepté pour qu’y et qu’en), le but initial du questionnaire étant d’évaluer la fréquence de la tournure avec inversion.

45Les élèves ne pouvaient cocher qu’une seule réponse, à savoir la forme qu’ils considèrent comme correcte d’après ce qu’ils ont appris à l’école et qu’ils pourraient utiliser dans un devoir d’écriture, une rédaction. Ce choix de limitation à une seule réponse se justifie étant donné que, dans les manuels scolaires, la tournure correcte ne tolère pas de variantes. Et la mention explicite de la dimension écrite nous semblait indispensable car l’interrogative à inversion du sujet est présentée comme caractéristique de ce médium.

46À l’issue du questionnaire, nous avons mené des entretiens avec les élèves, lesquels nous ont permis de disposer d’un éclairage sur les formes qu’ils considèrent ou non comme correctes. En effet, leurs réponses donnent des indications sur les justifications qu’ils utilisent pour étayer leurs choix.

4.2. Résultats des questionnaires

47Nous notons que les élèves ont coché 80% de formes normées pour ce qui est des exemples non-interrogatifs (voir annexe 2). Ce pourcentage tombe à 40% de formes à inversion du sujet pour les constructions interrogatives (figure 9). Ce résultat laisse supposer que la forme considérée comme correcte pour les interrogatives ne jouit pas encore du même statut que d’autres dimensions de la norme langagière que sont la présence du ne dans les négations ou encore l’orthographe (grammaticale et lexicale). Ces dernières sont sans doute plus fréquemment mises en avant dans l’enseignement scolaire que les interrogatives. En tout cas, on peut émettre l’hypothèse que la conscience d’une forme interrogative correcte n’est pas encore largement diffusée chez les élèves de CM1-CM2.

Figure  : Résultats généraux pour les exemples non-interrogatifs et interrogatifs

Figure  : Résultats généraux pour les exemples non-interrogatifs et interrogatifs

48Puisque nous avons interrogé des élèves scolarisés dans des établissements variés (élèves scolarisés en école privée, en école publique hors REP+ ou en REP+), nous en avons tenu compte dans notre analyse comme cela se fait classiquement dans les études. En considérant ce paramètre, nous avons constaté une certaine homogénéité dans les réponses entre les différents groupes d’élèves. La position sociale de l’établissement dans lequel sont scolarisés les élèves français ne semble donc pas influencer leurs représentations normatives.

49Les résultats globaux pour chacun des interrogatifs sont les suivants :

Figure  : Résultats pour les interrogatifs

Figure  : Résultats pour les interrogatifs

50L’interrogatif pour lequel les élèves ont coché le plus d’inversions est  (plus de 60% des cas). Cette tournure est également largement représentée pour qui, comment et pourquoi (entre 50 et 60% des cas). Mais, ce résultat tombe à moins de 25% pour l’interrogatif quand.

51Pour expliquer ces résultats, on peut supposer que l’absence de formes en est-ce que pour , qui et comment a eu une influence sur le nombre de réponses avec inversion. Les élèves semblent conscients que l’in situ (SVQ) et l’antéposition simple (QSV) sont plus stigmatisées à l’écrit que est-ce que. Mais, il est possible aussi que la fréquence à laquelle ils voient ces tournures à l’écrit ait influencé leurs choix. Notamment, nous avons proposé les formes Où est-il ? pour et Qui as-tu vu ? pour qui. Il est possible que ce soient des inversions qu’ils rencontrent fréquemment à l’écrit.

52Pour pourquoi, on note une faible proportion d’exemples en est-ce que. Il est possible que le poids phonologique, à savoir la longueur de pourquoi, ait favorisé le recours à d’autres formes. En effet, en comparant la proportion de pourquoi est-ce que à celles de qu’est-ce que et quand est-ce que, on voit que ces dernières formes sont bien plus représentées dans les réponses. Pour qu’est-ce que, cela est sans doute lié au fait que l’association entre qu’ et est-ce que est fréquente en français. Dans leurs travaux, Farmer (2015) et Guryev (2017) observent une relation relativement étroite entre l’interrogatif que et la particule interrogative est-ce que en français parlé contemporain. Cette association semble se retrouver ici dans les jugements des élèves.

53Pour quand, en revanche, les résultats sont inattendus puisque la tournure qui a le plus fréquemment été cochée est est-ce que et non l’inversion. Comme dit ci-dessus, le fait que quand soit un monosyllabique a sans doute joué. Autre caractéristique pour quand, l’in situ (SVQ) est légèrement plus fréquent que l’inversion. Il est possible que les élèves aient une difficulté particulière à utiliser l’inversion du sujet clitique avec quand. À l’avenir, il faudra mener une étude spécifique sur cet interrogatif. Cela est peut-être lié à la fréquence moindre de quand chez les enfants, à l’oral comme à l’écrit.

54Pour ce qui est de qu’y et qu’en, on note que les élèves ont aussi majoritairement coché la forme avec est-ce que et recourent très peu à QVS. Pour expliquer cela, nous faisons l’hypothèse que ces tournures cumulent l’association étroite entre que et est-ce que et une stratégie d’évitement. Les inversions Qu’en dis-tu ? et Qu’y peux-tu ? sont rares et sans doute perçues comme bizarres en français. De plus, les tournures *Quand dis-tu ? et *Qui peux-tu ? sont agrammaticales. Les élèves ont donc opté pour la tournure restante.

55On peut conclure des réponses aux questionnaires que le repérage de la forme considérée comme correcte pour les interrogatives est moins évident que pour d’autres secteurs langagiers. En effet, la tournure en QVS a été cochée en moyenne seulement 4 fois sur 10 contre 8 fois sur 10 pour les autres formes normatives (présence du ne, orthographe, etc.). Même pour l’interrogatif , qui a le taux d’inversion du sujet le plus élevé, ce choix plafonne à un peu plus de six fois sur dix.

4.3. Entretiens

56Les entretiens que nous avons menés à l’issue du questionnaire avec les élèves révèlent que si certains d’entre eux ont conscience que l’inversion sujet-verbe représente la forme normative scolaire, pour d’autres, ils jugent en fonction de ce qui leur semble le plus fréquent autour d’eux, en se basant sans doute sur ce qu’ils entendent. Nous détaillons ci-dessous les principales réponses lors des entretiens.

57Pour un certain nombre d’élèves, la forme correcte est sans conteste l’inversion. À la question pourquoi avez-vous coché les exemples du type Où est-il ?, les réponses allaient dans le sens d’une conscience de l’existence de normes langagières, s’aventurant parfois du côté de l’effet de style ou du registre de langue (13).

(13) a. ‘c’est plus soutenu’ (juin 2022, école publique)
b. ‘c’est plus distingué’ (octobre 2022, école privée)
c. ‘c’est plus poli’ (octobre 2022, école privée)
d. ‘c’est plus approprié […] car ça dépend à qui tu parles’ (octobre 2022, école privée)
e. ‘que fais-tu ? c’est plus riche, plus enrichi […] même si y a pas beaucoup de mots’ (octobre 2022, école publique, REP+)
f. ‘c’est plus joli’ (juin 2022, école publique)
g. ‘c’est meilleur à écrire c’est beaucoup mieux’ (juin 2022, école publique)
h. ‘ça sonne mieux’ (juin 2022, école publique)

58Pour un des élèves scolarisés en REP+, il signale même que « c’est plus français » d’utiliser que fais-tu ? à l’écrit. On retrouve ici une représentation courante chez de nombreux adultes qui évaluent les productions langagières en considérant qu’elles peuvent être plus ou moins « françaises », alors qu’il s’agit systématiquement de tournures en langue française jugées positivement ou négativement. Plus globalement, on note que ces élèves ont eu recours à un lexique plutôt positif qui rappelle ce qui est dit du registre soutenu dans les manuels scolaires.

59À la question pourquoi n’avez-vous pas coché les exemples du type Il est où ? (SVQ), Où il est ? (QSV) ou comportant est-ce que ?, les justifications étaient :

  • 14 On peut interpréter le terme familial comme « une tournure à utiliser en contexte familial » ou « c (...)

(14) a. ‘parce que [SVQ] c’est un peu vulgaire de dire comme ça de cette façon-là’ (juin 2022, école publique)
b. ‘qu’est-ce que tu fais ? pour moi c’est un peu grossier’ (juin 2022, école publique)
c. ‘tu fais quoi ? c’est un peu familial14 […] que fais-tu ? tu peux le dire à l’école’ (octobre 2022, école publique, REP+)
d. ‘on fait comment ? ça se dit pas trop mais comment fait-on ? c’est soutenu’ (juin 2022, école publique)
e. ‘j’ai coché comment fait-on ? parce que les autres […] tu dis ça quand tu parles mais pas quand t’écris’ (juin 2022, école publique)
f. ‘tu fais quoi ? c’est pas assez riche […] c’est ce que je dirais à l’oral mais pas à l’écrit’ (octobre 2022, école publique, REP+)
Ici, les élèves ont eu recours à un lexique plutôt négatif qui rappelle ce que l’on peut lire dans les manuels scolaires à propos du registre familier. Toutefois, cela ne correspond pas à la réalité des usages contemporains comme on peut le voir notamment dans Coveney (2011), Lefeuvre & Rossi-Gensane (2015) et dans les parties précédentes de notre contribution.

60En revanche, pour d’autres, la forme correcte c’est le langage oral. Pour ces élèves, la fréquence d’emploi d’une construction à l’oral justifie qu’on puisse recourir à ce type de tournure à l’écrit :

(15) a. ‘[SVQ] parce que je le dis tout le temps’ (juin 2022, école publique)
b. ‘on peut dire qu’est-ce que tu en dis ? […] c’est ce qu’on entend le plus souvent dans les films’ (juin 2022, école publique)
c. ‘qu’est-ce que tu fais ? ça fait plus français que que fais-tu ? […] souvent quand je parle je dis plus qu’est-ce que tu fais ? que que fais-tu ? (juin 2022, école publique)
d. ‘j’ai l’habitude de dire qu’est-ce que tu fais ? (octobre 2022, école publique, REP+)

61On retrouve également des justifications telle que :

(16) ‘[est-ce que] je trouve que ça sonne mieux en fait quand on l’écrit’ (juin 2022, école publique)

62Ces élèves ont donc conscience que l’inversion est moins courante dans le langage qui les entoure. On note ici une certaine résistance à la forme avec inversion.

63Enfin, pour d’autres, la forme correcte relève plutôt d’une question d’intentionnalité. Le recours à une proposition serait lié à sa valeur pragmatique :

(17) a. ‘moi je préfère qu’est-ce que tu fais ? parce qu’on demande […] moi je pense qu’on demande plus gentiment quand tu dis qu’est-ce que tu fais ? (juin 2022, école publique)
b. ‘tu fais quoi ? c’est plutôt direct c’est TU FAIS QUOI ? (juin 2022, école publique)
c. ‘que fais-tu ? c’est quand on n’est pas énervé’ (juin 2022, école publique)

64Mais, pour certains élèves, on note dans le choix de la variante un intérêt purement scolaire. En effet, certains se focalisent beaucoup sur la longueur de la phrase qui est, pour eux, une indication de qualité de leur travail de rédaction, d’expression écrite.

(18) ‘avec qu’est-ce que tu fais ? on remplit toute la page’ (juin 2022, école publique)

65En somme, l’absence d’explicitation de la diversité des tournures interrogatives dans les manuels scolaires prend la forme d’une certaine hétérogénéité dans les justifications des élèves.

5. Conclusion

  • 15 Stark & Binder (2021 : 33) donnent le chiffre de 406 occurrences d’interrogatives partielles avec s (...)

66À la fin de ce parcours, nous pouvons dire que l’agencement considéré comme normatif (QVS) occupe une place singulière dans la grammaire du français contemporain. Omniprésent dans les discours normatifs et les manuels scolaires, son usage s’observe tardivement, sa fréquence reste faible à l’oral (15 occurrences de postposition du sujet clitique chez les enfants, soit 0,25%), y compris chez les adultes (Stark & Binder, 2021)15, et une partie des élèves de CM1-CM2 n’ont pas encore une conscience claire de son statut. Dans le corpus Scoledit, nous avons constaté qu’un tiers seulement des interrogatives des élèves de CE1-CM2 comportaient une inversion et que les usages spontanés restaient visibles : fréquence importante de QSV pour comment et pourquoi, de SVQ pour , et de qu’est-ce que.

  • 16 La variation diamésique est liée au médium (oral/écrit) et la variation diaphasique est liée à la s (...)

67Ainsi, le système grammatical des interrogatives en français parlé, en prenant comme référence celui des adultes, se met en place rapidement chez les enfants, comme le montrent les emplois vus des constructions en (majorité de SVQ) et comment (majorité de QSV), et il est difficile de dire quelle est la place de l’inversion du sujet (particulièrement du sujet clitique) dans cette architecture. On observe une tension entre une « grammaire spontanée » et une « grammaire imposée ». Cette grammaire du second type semble nécessiter la fréquentation de l’écrit, de l’oral surveillés et/ou un enseignement explicite pour se l’approprier. Cela rend de fait les écrits surveillés plus propices à son usage, ce que montrent bien nos résultats en corpus. Cette grammaire ne semble pas contrainte par des paramètres proprement grammaticaux ou lexicaux, mais plutôt stylistiques, diamésiques et diaphasiques16. Et les blocages observés dans divers contextes mettent en évidence son caractère peu productif (*Sera-ce une difficulté ? *Où dors-je ?). Nous postulons la nécessité de mieux prendre en compte ces grammaires de nature différente, à l’image de la distinction entre grammaire première et grammaire seconde (Blanche-Benveniste, 1990). Il n’est pas possible, selon nous, de mettre l’ensemble des usages sur le même plan comme s’il s’agissait de variantes toutes égales par ailleurs.

68Pour finir, on peut tirer deux enseignements importants de notre travail. Le premier, c’est que l’inversion sujet-verbe est aujourd’hui minoritaire dans les usages spontanés de la langue. Il faut en tenir compte dans une perspective d’enseignement du français et réfléchir à l’élaboration de manuels scolaires plus fidèles à la réalité des faits. Deuxième enseignement : comment ne fonctionne ni comme pourquoi, ni comme  ; il a sa propre distribution. Contrairement à la conception normative réduisant la richesse des usages à une unique possibilité, les locuteurs francophones font évoluer le système linguistique en fonction d’une logique sous-jacente. De ce fait, la réduction à la seule forme normative apparait comme un appauvrissement et non comme une richesse.

Haut de page

Bibliographie

Analyse et traitement informatique de la langue française - UMR 7118 (ATILF), 2018, TCOF  : Traitement de Corpus Oraux en Français [Corpus], ORTOLANG (Open Resources and TOols for LANguage), https://0-hdl-handle-net.catalogue.libraries.london.ac.uk/11403/tcof

BENZITOUN, C., 2006, Description morphosyntaxique du mot quand en français contemporain, Thèse de doctorat, Université d’Aix-en-Provence.

BLANCHE-BENVENISTE, C., 1990, « Grammaire première et grammaire seconde  : L’exemple de EN », Recherches sur le français parlé, 10, 51‑73.

BOUCHER, P., 2009, « La reformulation syntaxique dans les questions partielles en français », Les Travaux linguistiques du CERLICO, 169‑188.

BOUCHER, P., 2010, « L’interrogation partielle en français  : L’interface syntaxe / sémantique », Syntaxe et sémantique, 11(1), 55‑82.

CHABANAL, D., CHANIER, T., LIÉGEOIS, L., 2017, ALIPE (Acquisition de la Liaison et Interactions Parents Enfants), ORTOLANG (Open Resources and TOols for LANguage), https://0-hdl-handle-net.catalogue.libraries.london.ac.uk/11403/alipe-000853/v1.1

COVENEY, A., 1996, Variability in Spoken French: A Sociolinguistic Study of Interrogation and Negation, Exeter: Elm Bank Publications.

COVENEY, A., 2011, « L’interrogation directe », Travaux de linguistique, 63(2), p. 112‑145.

DEKHISSI, L., 2013, Variation syntaxique dans le français multiculturel du cinéma de banlieue, Thèse de doctorat, Université d’Exeter.

DEMUTH, K., TREMBLAY, A., 2008, « Prosodically-conditioned variability in children’s production of French determiners », Journal of Child Language, 35(1), p. 99‑127, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1017/S0305000907008276

DRUETTA, R., 2009, La question en français parlé  : Étude distributionnelle, Turin  : Trauben Edizioni.

FARMER, K., 2015, Sociopragmatic variation in yes/no and wh- interrogatives in hexagonal French: A real-time study of French films from 1930 to 2009, Thèse de doctorat, Université de l’Indiana.

FOULET, L., 1921, « Comment ont évolué les formes de l’interrogation », Romania, 186-187, 243‑348.

FRANÇOIS, F., 1980, « Analyse linguistique, normes scolaires et différenciations socio-culturelles », Langages, 59, p. 25‑52, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/lgge.1980.1853

GADET, F., 1989, Le français ordinaire, Paris  : Colin.

GAZDIK, A., 2008, « French Interrogatives in an OT-LFG Analysis », Proceedings of the LFG08 Conference, Stanford, United States.

GILLET, P., 2022, « Développement du langage de l’enfant  : L’exemple des interrogatives partielles », 8e Congrès Mondial de Linguistique Française (CMLF), Orléans, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1051/shsconf/202213813002

GREVISSE, M., GOOSSE, A., 2016, Le bon usage  : Grevisse langue française (16e édition), De Boeck supérieur.

GURYEV, A., 2017, La forme des interrogatives dans le Corpus suisse de SMS en français  : Étude multidimensionnelle, Thèse de doctorat, Université de Neuchâtel, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.35662/unine-thesis-2747

HAMLAOUI, F., 2010, « A prosodic study of wh-questions in French natural discourse », Proceedings of the LangUE 2009.

KORZEN, H., 1985, Pourquoi et l’inversion finale en français  : Étude sur le statut de l’adverbial de cause et l’anatomie de la construction tripartite, Revue Romane, numéro spécial 30, Munksgaards forlag.

LARRIVÉE, P., GURYEV, A. (éds.), 2021, Variantes formelles de l’interrogation, Langue française, 212, Armand Colin.

LEFEUVRE, F., ROSSI-GENSANE, N., 2015, « Interrogation » [en ligne], FRACOV, http://www.univ-paris3.fr/medias/fichier/fiche-interrogation_1425994815933.pdf ?INLINE =FALSE

MATHIEU, É., 2009, « Les questions en français  : Micro- et macro- variation », Le Français d’Ici  : Études Linguistiques et Sociolinguistiques de la Variation, 61‑90.

MORGENSTERN, A., PARISSE, C., 2012, « The Paris Corpus », Journal of French Language Studies, 22 Special Issue 01, 7‑12.

PALASIS, K., FAURE, R., MEUNIER, F., 2023, « Wh-in-situ in child French: Deictic triggers at the syntax-semantics interface », Journal of French Language Studies, 33, p. 273–298, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1017/S0959269523000030

QUILLARD, V., 2001, « La diversité des formes interrogatives  : Comment l’interpréter  ? » Langage et société, 95(1), 57‑72.

REINHARDT, J., 2019, Regularity and variation in french direct interrogatives: The morphosyntax and intonation of question forms in reality TV shows, audio, books and teaching materials, Phd thesis, Université de Bielefeld.

STARK, E., BINDER, L., 2021, « L’inversion du sujet clitique en français oral : ultime apanage des interrogatives ? », Langue française, 212, 25-40, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/lf.212.0025

WOLFARTH, C., PONTON, C., TOTEREAU, C., 2017, « Apports du TAL à la constitution et à l’exploitation d’un corpus scolaire au travers du développement d’un outil d’annotation orthographique », Corpus, 16, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/corpus.2796

Haut de page

Annexe

Annexe 1

Les manuels scolaires

Annexe 2

Questionnaire

Cochez l’exemple correct.

1) La mézon est bleue.
La maizon est bleue.
La maison est bleue.
2) Manon n’ait pas en vacances.
Manon est pas en vacances.
Manon n’est pas en vacances.
3) Tu fais quoi ?
Que fais-tu ?
Qu’est-ce que tu fais ?
4) On a pas de chance.
On n’a pas de chance.
Nous n’avons pas de chance.
5) Tu as vu qui ?
Qui as-tu vu ?
Qui tu as vu ?
6) Qu’y peux-tu ?
Qui peux-tu ?
Qu’est-ce que tu y peux ?
7) Les voisins ils sont sortis.
Les voisins sont sortis.
Ils sont sortis les voisins.
8) On part quand ?
Quand est-ce qu’on part ?
Quand part-on ?
9) Léon a pas de chapeau.
Léon n’a pas de chapeau.
Léon n’as pas de chapeau.
10) Comment on fait ?
On fait comment ?
Comment fait-on ?
11) Où est-il ?
Où il est ?
Il est où ?
12) Son chat est sorti.
Il est sorti son chat.
Son chat il est sorti.
13) Qu’en dis-tu ?
Quand dis-tu ?
Qu’est-ce que tu en dis ?
14) On ira pas à l’école demain.
Nous n’irons pas à l’école demain.
On n’ira pas à l’école demain.
15) Pourquoi est-ce qu’il est parti ?
Pourquoi il est parti ?
Pourquoi est-il parti ?

Haut de page

Notes

1 Sauf en cas de présence d’une préposition (À quoi tu penses ? / Tu penses à quoi ?) (voir notamment Gazdik, 2008).

2 Toutefois, l’interrogatif que ne peut apparaitre dans une inversion complexe (*Que Marie fait-elle ?). Seules les inversions clitique (Que fait-elle ?) et nominale (Que fait Marie ?) sont possibles avec cet interrogatif.

3 L’inversion du sujet nominal (*Pourquoi part Marie ?) n’est pas possible avec pourquoi (Korzen, 1985). Cet interrogatif peut apparaitre uniquement dans les inversions clitique (Pourquoi part-elle ?) et complexe (Pourquoi Marie part-elle ?).

4 Pour quel NOM, c’est le syntagme dans son ensemble qui est mobile et non quel tout seul.

5 L’input correspond au langage de l’adulte adressé à l’enfant (souvent abrégé en LAE).

6 Nous précisons que l’âge de 2 ans correspond à la tranche d’âge 2;00 ans-2;11 ans, etc.

7 Nous indiquons entre parenthèses la source de l’exemple. Cette source comporte le nom du corpus, le prénom de l’enfant ainsi que son âge (en année;mois;jour) au moment de l’enregistrement.

8 En CP, la consigne de rédaction était différente de celle des niveaux supérieurs. Nous n’avons d’ailleurs relevé qu’une seule interrogative produite par un élève de CP. De ce fait, nous avons écarté les productions des élèves de CP de notre analyse.

9 https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9I1766.

10 https://www.dictionnaire-academie.fr/article/DNP0920.

11 S’il est demandé à l’élève de transformer une phrase déclarative en une interrogative en utilisant est-ce que, l’exercice concerne uniquement les interrogatives totales.

12 Nous précisons que ce questionnaire a, en amont, été soumis comme pré-test à 33 élèves d’une école pour en valider la pertinence.

13 Nous avons écarté les questionnaires de six élèves. En effet, les réponses semblaient indiquer qu’ils n’avaient pas compris la consigne.

14 On peut interpréter le terme familial comme « une tournure à utiliser en contexte familial » ou « c’est familier ».

15 Stark & Binder (2021 : 33) donnent le chiffre de 406 occurrences d’interrogatives partielles avec sujet clitique inversé dans l’ensemble du CEFC (partie orale) dont 99 dans le seul sous-corpus French Oral Narrative (récits produits par des conteurs professionnels).

16 La variation diamésique est liée au médium (oral/écrit) et la variation diaphasique est liée à la situation de parole.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure  : Fréquence d’emploi des constructions interrogatives en et comment chez les enfants (CoLaJE)
URL http://journals.openedition.org/linx/docannexe/image/10510/img-1.png
Fichier image/png, 59k
Titre Figure  : Fréquence d’emploi des constructions interrogatives en et comment chez les adultes (CoLaJE)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-2.png
Fichier image/png, 56k
Titre Figure  : Fréquence d’emploi de 4 interrogatifs dans Scoledit
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-3.png
Fichier image/png, 71k
Titre Figure  : Manuel de français, L’éclat des mots, CM1 (Roux-Bonelle et al., 2022a : 64)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-4.png
Fichier image/png, 552k
Titre Figure  : Manuel de français, L’éclat des mots, CM2 (Roux-Bonelle et al., 2022b : 66)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-5.png
Fichier image/png, 269k
Titre Figure  : Manuel de français, Paprika français, CE1 (Bourgouint et Bottet, 2019 : 133)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-6.png
Fichier image/png, 474k
Titre Figure  : Manuel de français, Français explicite, CE1 (Castioni et al., 2019 : 42)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-7.png
Fichier image/png, 473k
Titre Figure  : Manuel de français, Outils pour le français, CE2 (Aminta et al., 2019 : 13)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-8.png
Fichier image/png, 590k
Titre Figure  : Résultats généraux pour les exemples non-interrogatifs et interrogatifs
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-9.png
Fichier image/png, 49k
Titre Figure  : Résultats pour les interrogatifs
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/docannexe/image/10510/img-10.png
Fichier image/png, 106k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Pauline Gillet et Christophe Benzitoun, « Quelle est la grammaire des enfants ? L’exemple des interrogatives partielles en français »Linx [En ligne], 87 | 2024, mis en ligne le 30 septembre 2024, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/linx/10510 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12zrj

Haut de page

Auteurs

Pauline Gillet

Université de Lorraine et CNRS ATILF UMR 7118, pauline.gillet[at]univ-lorraine.fr

Christophe Benzitoun

Université de Lorraine et CNRS ATILF UMR 7118, christophe.benzitoun[at]univ-lorraine.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search