- 1 Nous renvoyons à l’article de Gabriela Parussa dans ce même numéro pour d’autres exemples et plus d (...)
- 2 En ancien français, les graphies ne sont pas encore fixées mais le son [ø] se transcrit le plus sou (...)
- 3 Le son [ø] devient [œ] après la loi de position : voyelle ouverte en syllabe fermée et voyelle ferm (...)
- 4 En dehors de la P1 anomale muir qui s’est alignée sur les autres personnes du singulier en moyen fr (...)
1Cet article est le fruit de deux constats. Le premier constat concerne les variantes verbales au présent de l’indicatif en français. Le présent de l’indicatif français hérite de la structure accentuelle mixte du présent latin, aboutissant à une opposition entre deux types de formes : les formes toniques, c’est-à-dire accentuées sur la base verbale, aux personnes 1, 2, 3 et 6 et des formes atones, c’est-à-dire accentuées sur la désinence verbale, aux personnes 4 et 5. C’est ce balancement de l’accent qui est à l’origine des alternances verbales, et donc des variantes verbales attestées dès l’ancien français1. Certaines variantes sont en concurrence jusqu’au 18e siècle, et d’autres encore se sont maintenues en français moderne. Les dates d’alignement d’une base sur une autre peuvent varier selon les verbes. Par exemple, le verbe aimer présente l’alternance vocalique ancienne [ɑ̃m]/[ɛ̃m] (amons/aime) qui disparait au 16e siècle. Mais l’alternance vocalique [ø]/[u] disparait à la fin du 17e siècle pour le verbe prouver (prueve/provons2), et le verbe mourir a maintenu l’alternance vocalique [œ]3/[u] en français moderne4 meurs/mourons. Pour cet article, nous nous concentrerons sur le 17e siècle pour deux raisons : un certain nombre de verbes présentent encore des variantes verbales et c’est le siècle de l’émergence du genre des Remarques sur la langue française.
2Le deuxième constat concerne le peu de place accordée à la morphologie verbale et à son traitement dans les ouvrages qui abordent les Remarqueurs. En effet, dans ces ouvrages, la morphologie verbale est évoquée de manière générale, à l’instar de la partie consacrée aux variantes verbales de l’ouvrage d’Ayres-Bennett et Seijido (2011). La sous-partie qui traite la morphologie verbale dans cet ouvrage est courte puisqu’elle ne fait que quatre pages avec un tableau en format paysage sur deux pages (p. 134 – 138). Par ailleurs, le présent de l’indicatif est mélangé aux autres tiroirs verbaux tels que le futur simple (par exemple avec les variantes du verbe laisser : layrrai et laysseray) et les cas d’alternances verbales sont présentés avec les problèmes de désinence (je vais et je va pour le verbe aller).
3Notre objectif est de nous concentrer spécifiquement sur l’alternance de bases au présent de l’indicatif d’un point de vue linguistique et d’un point de vue métalinguistique. Nous aimerions notamment examiner la possibilité d’une influence des Remarqueurs sur la régulation des variantes verbales au présent de l’indicatif. Pour cela, nous allons retracer l’histoire d’un couple de variantes verbales au présent de l’indicatif en relation avec les injonctions des Remarqueurs : treuv- et trouv-.
- 5 Cette contribution prolonge notre article Weyh (2022) qui traitait de l’évolution de l’alternance v (...)
4Nous étudions ici le double paradigme au présent de l’indicatif du verbe trouver au 17e siècle, car il présente la base verbale trouv- à toutes les personnes et la base verbale treuv- également à toutes les personnes (ce que le verbe prouver, par exemple, ne présente pas malgré la même alternance vocalique [ø]/[u])5.
5Avant de présenter l’étude linguistique et métalinguistique du verbe trouver, nous reviendrons sur des éléments de description préliminaires nécessaires, comme la notion de bon usage, le genre des Remarques et le contexte socio-culturel de leur émergence.
- 6 Il explique sa définition du bon usage et c’est un des premiers dans le genre.
6Il n’est pas possible d’évoquer le genre des Remarques sans présenter un élément central au 17e siècle : le bon usage. Pour cela, nous avons repris la préface de Vaugelas (1647)6 et sa définition du bon Vsage, et nous présenterons également le dessein de ce type d’ouvrage. Puis, nous verrons que l’émergence du genre des Remarques est liée à un contexte socio-culturel particulier qui fait suite au processus de description du français qui commence au 16e siècle (premières grammaires et premiers dictionnaires du français) appelé « grammatisation » (Auroux, 1994).
7L’ouvrage de Vaugelas qui s’intitule Remarques sur la langue françoise utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire a été publié en 1647, et comporte une série de remarques sur la langue française. L’objectif de cet ouvrage n’est pas de « reformer nostre langue, ny d’abolir des mots, ny d’en faire, mais seulement de montrer le bon vsage de ceux qui sont faits, & s’il est douteux ou inconnu, de l’esclaircir, & de le faire connoistre » (Vaugelas, 1647 : 11). Son objectif est donc plutôt de montrer le « bon usage ».
8Vaugelas donne une définition assez précise de ce qu’il entend par bon usage : « c’est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’escrire de la plus saine partie des Autheurs du temps » (Vaugelas, 1647 : 12). La « plus saine partie de la Cour » réfère aux honnêtes gens. Il oppose deux types d’usage : le bon usage et le mauvais usage. Le mauvais usage est l’usage du peuple, l’usage du plus grand nombre de personnes, et renvoie souvent au burlesque, au comique et au satirique. Le bon usage se compose de l’élite des voix, et est considéré comme le Maitre des Langue, tandis que « le peuple n’est le maistre que du mauvais usage » (Vaugelas, 1647 : 12). Le dessein de ce recueil de Remarques n’est donc pas de dresser un inventaire de mots pour informer le peuple, mais bien de reprendre des points particuliers de la langue pour une élite, pour un petit groupe de personnes cultivées qui jouissent déjà de connaissances fines en français.
9Pour parvenir au bon usage, il faut faire appel à trois autorités selon Vaugelas (Merlin-Kajman, 2004) :
- 7 Vaugelas préfère l’usage de la Cour car d’après lui, il s’y parlait une langue neutre et sans régio (...)
(1) Fréquenter la Cour7 en sachant distinguer les meilleurs locuteurs
- 8 Il fait référence à l’Académie française (Ayres-Bennett et Seijido, 2011 : 67).
(2) Consulter les gens savants en la langue8
(3) Vérifier ensuite auprès des Bons Autheurs du temps, c’est-à-dire les auteurs contemporains
10Quand Vaugelas fait appel aux « Autheurs du temps », il fait référence aux auteurs « modernes », car il a conscience que la langue évolue, mais paradoxalement il sait également que les usages restent relativement stables, notamment concernant la syntaxe. Pour Vaugelas (1647), la langue évolue dans une période de vingt-cinq à trente ans, et ce qui compte c’est l’usage actuel (Ayres-Bennett, 2018 : 36). C’est pour cela qu’il précise que les bons auteurs sont les auteurs contemporains, les « Autheurs du temps », car les auteurs du siècle précédent (à l’instar de Malherbe mort en 1628) ne sont déjà plus considérés comme des références (Wolf, 1983 : 109).
11En outre, pour caractériser l’usage – le bon usage ou le mauvais usage – Vaugelas prend en compte différents critères, à différents niveaux (Ayres-Bennett, 2018 : 107) et de différentes natures :
12- variation diachronique : vieux, nouveau, ancien, etc. ;
- fréquence d’occurrence : fréquent, fort usité, etc. ;
- domaine, pratique, profession : termes de Palais, stile de Notaire, etc. ;
- couche sociale ou variation diastratique : de la lie du peuple, du peuple de Paris, etc. ;
- appartenance à certains types de textes ou genres : comique, burlesque, satirique, stile historique, etc. ;
- variation diaphasique ou stylistique : bas, familier, noble, majestueux, etc.
13Ces éléments permettent de justifier l’appartenance du mot ou de la construction au bon ou au mauvais usage, de façon spécifique selon la construction ou la forme commentée dans chaque Remarque.
14Ainsi, s’il existe une perspective prescriptive dans l’ouvrage de Vaugelas, notamment à travers les occurrences des modalisateurs déontiques « il faut » ou « on doit », on observe aussi un versant plus tolérant puisque deux variantes peuvent être approuvées. De ce point de vue, l’usage est considéré comme « roi des langues » et permet la coexistence d’au moins deux variantes d’un mot ou d’une construction :
« L’Vsage neantmoins a estably recouuert pour recouuré, c’est pourquoy il n’y a point de difficulté qu’il est bon : car l’Vsage est le Roy des langues, pour ne pas dire le Tyran : Mais parce que ce mot n’est pas encore si generalement receu, que la pluspart de ceux qui ont estudié ne le condamnent, & ne le trouuent insupportable, voicy comment ie voudrois faire ; Ie voudrois tantost dire recouuré, & tantost dire recouuert ; j’entens dans vn œuure de longue haleine, où il y aurait lieu d’employer l’vn & l’autre […] Ie dirois donc recouuré […] pour satisfaire à la reigle & à la raison […] & recouuert, auec toute la Cour pour satisfaire à l’Vsage, qui en matiere de langues, l’emporte tousjours par dessus la raison » (Vaugelas, 1647 : 16).
15Ainsi, dans certains cas, comme pour vesquit et vescu, Vaugelas autorise la coexistence des deux variantes, l’une et l’autre peuvent être utilisées :
« […] selon qu’il sonnera mieux à l’endroit où il sera mis. Par exemple, j’aimerois mieux dire, il vesquit, & mourut Chrestiennement, que non pas, il vescut & mourut, à cause de la rudesse de ces deux mesmes terminaisons, comme au contraire, ie voudrois dire, il vescut & sortit de ce monde, plustost qu’il vesquit et sortit : Mais ces petites obseruations ne sont que pour les delicats. » (Vaugelas, 1647 : 109)
16En somme, si le bon usage constitue la norme selon laquelle Vaugelas prescrit ou proscrit une forme ou une construction, on ne peut pour autant dire que cette norme est monolithique.
- 9 Pour plus d’information sur les caractéristiques et les différents formats des ouvrages de Remarque (...)
- 10 Voir par exemple l’ouvrage de Bernard Colombat, Jean-Marie Fournier et Christian Puech de 2010 Hist (...)
17Formellement, l’ouvrage de Vaugelas est un recueil de remarques plutôt brèves, allant de quelques lignes à quelques pages, et comportent toujours un titre. Ces remarques se suivent sans ordre logique, parfois deux ou plusieurs remarques qui traitent du même sujet se suivent, mais il rejette volontairement l’ordre alphabétique, car son ouvrage comporte une table des matières9. De plus, l’ordre aléatoire lui permettait d’ajouter des remarques jusqu’au dernier moment, car il présentait du retard par rapport à la date de publication initialement prévue. Il n’a pas non plus suivi l’ordre des neuf parties du discours10 que l’on rencontre dans des grammaires héritées de la tradition latine, car seules les personnes ayant des connaissances en latin et connaissant les termes grammaticaux auraient pu se servir de cet ouvrage.
18C’est un ouvrage que l’on pourrait qualifier de peu théorique. Mais comme le soulignent à juste titre Ayres-Bennett et Seijido (2011 : 45), Vaugelas utilise des termes métalinguistiques issus des grammaires tels que conditionnel, déclinaison, verbe actif, etc. ainsi que plusieurs raisonnements grammaticaux mobilisant des notions et des procédures soutenant son avis sur le fait de langue concerné.
19Enfin, Vaugelas se présente comme simple témoin, « qui depose ce qu’il a veu & ouï », et « ce ne sont pas icy des Loix que ie fais de mon authorité priuée » (Vaugelas, 1647 : 11). Il n’a pas l’intention de réguler la langue, de créer ou de retirer des mots, son but est d’éclaircir certaines notions qui peuvent paraitre ambiguës, en se concentrant sur des points spécifiques, tout en s’adressant à des personnes érudites. Tous les domaines peuvent être abordés : orthographe, morphologie, syntaxe, style et lexique. Toutefois, les remarques qui concernent la morphologie ne sont pas prédominantes dans son œuvre. En effet, elles ne représentent que 20 % de l’ensemble des remarques si l’on considère également les questions de prononciation. En revanche, Vaugelas consacre 70 % de ses remarques à la syntaxe et au lexique. Le style et l’orthographe sont « des préoccupations relativement mineures » (Ayres-Bennett, 2018 : 116). Les remarques qui concernent la morphologie verbale traitent principalement de verbes irréguliers ou présentant une conjugaison anomale (Ayres-Bennett et Seijido, 2011 : 134), tel que résoudre au présent de l’indicatif qui présente la base resolv- aux personnes du pluriel (Vaugelas, 1647 : 61).
20Un certain contexte socio-politique mais aussi socio-culturel a favorisé la naissance du genre des Remarques, notamment la montée de l’absolutisme, la tendance à l’anti-pédantisme, la création de l’Académie française et le discrédit du langage du Parlement.
21L’émergence du genre des Remarques est liée au contexte socio-culturel (Ayres-Bennett et Seijido, 2011), plus particulièrement à trois raisons principales : l’essor d’un gouvernement central ; le prestige de la Cour ; la mobilité sociale des nouveaux riches. D’abord, il est vrai que le 17e siècle connait l’essor d’un nouveau type de gouvernement, un gouvernement central, aussi appelé monarchie absolue, dans laquelle le roi est le seul à posséder le pouvoir tout en respectant les lois établies au royaume. Ensuite, le bon usage change de camp, puisqu’au 16e siècle c’est la langue du Parlement qui est considérée comme relevant du bon usage. En effet, au 17e siècle, l’image du Parlement se dégrade, et le langage du Parlement est désormais considéré comme technique, et est ainsi qualifié de « jargon de spécialité » (Ayres-Bennett et Caron, 2019 : 44). Les langages techniques comme le langage du Parlement n’étaient pas bien considérés au 17e siècle puisque les bourgeois, et notamment les bourgeoises, favorisaient l’anti-pédantisme et les formats courts dans un langage peu technique. D’après Trudeau (1992 : 23), la « Cour de France » est déjà reconnue au 16e siècle comme le lieu où le français est le plus pur. Mais un débat existait sur le lieu qui représentait le mieux le bon usage à cette époque, puisque Henri Estienne, par exemple, ne considérait pas que la langue qui se parlait à la Cour était pure, car elle regorgeait d’italianismes (Ayres-Bennett, 2018 : 70). Pour lui, c’est le Parlement qui était source de bon usage (Ayres-Bennett et Seijido, 2011 : 64-65). Selon Ayres-Bennett et Seijido (2011 : 64) Vaugelas a mis fin à ce débat, pendant un temps, en choisissant pour ses Remarques l’usage de la Cour. Toutefois, « il n’y a qu’une quinzaine d’observations où un contraste explicite est fait entre l’usage du Palais et le bon usage » (Ayres-Bennett et Caron, 2019 : 48). Enfin, les principes de respect de la netteté, de la pureté et de la propriété des mots sont primordiaux au 17e siècle (Ayres-Bennett et Seijido, 2011 : 17). L’ambiguïté et la cacophonie sont à proscrire, car cela était considéré comme désagréable. Cela pouvait nuire à la compréhension et « engendrer du déplaisir », et ainsi provoquer des erreurs d’interprétation de la part du lecteur (Ayres-Bennett et Seijido, 2011 : 17).
- 11 Régner-Desmarais se chargea de la Grammaire qui parut en 1705 intitulée Traité de la grammaire fran (...)
22La création de l’Académie Française en 1635 peut aussi en partie expliquer l’émergence du genre des Remarques. Avant l’établissement officiel de L’Académie, « des gens de Lettres se réunissaient « en silence et en liberté » […] pour discuter de leurs propres œuvres, de grammaire et de mots » (Benhamou et al., 1997 : 10). C’est en 1634 que Richelieu nomma cette compagnie Académie Française. Elle avait plusieurs projets : un Dictionnaire, une Grammaire, une Rhétorique, et une Poétique. Seul le Dictionnaire de l’Académie française parait soixante ans plus tard, en 169411. L’objectif de cet ouvrage est de découvrir et de montrer l’usage présent de la langue générale, en excluant les vocabulaires techniques. Le dictionnaire de 1694 était destiné à tous les publics :
« Le dictionnaire de l’Académie ne sera pas moins utile, tant à l’esgard des Estrangers qui aiment nostre Langue, qu’a l’esgard des François mesme qui sont quelquefois en peine de la véritable signification des mots, ou qui n’en connoissent pas le bel usage, & qui seront bien aises d’y trouver des esclaircissements à leurs doutes » (Préface de la première édition du Dictionnaire de l’Académie Française, 1694 : 7).
23La mission confiée à l’Académie est donc d’indiquer l’usage, de trancher en cas de variantes. Son premier dictionnaire a pour objectif avant tout de conserver la « pureté » de la langue :
« Aprés touts ces soins que l’Académie a pris pour conduire cet Ouvrage à sa perfection, & à mettre la Langue Françoise en estat de conserver sa Pureté, il est à craindre qu’en rendant compte au Public de son travail, quelques-uns ne l’accusent d’avoir fait trop de cas, & de s’estre trop occupée de ces Minuties Grammaticales qui composent le Fonds du Dictionnaire » (Préface de la première édition du Dictionnaire de l’Académie Française, 1694 : 12).
24Le genre des Remarques va de pair avec la création de l’Académie et les Remarques vont globalement dans le même sens que cette dernière.
- 12 Voir notamment Auroux (1994).
25Enfin, le genre des Remarques est le prolongement de la grammatisation du français et de l’apparition des premiers dictionnaires monolingues et plurilingues (souvent français/latin) du français ainsi que de la publication des premières grammaires visant à décrire le français au 16e siècle. Ces grammaires, dictionnaires et recueils de Remarques participent à la même entreprise métalinguistique de description du français12.
26Le genre des Remarques est donc né dans un contexte particulier en France, à la fois d’un point de vue historique et sociolinguistique, notamment à travers l’objectif de langue commune, et dans une période relativement courte puisque les ouvrages de Remarques se sont multipliés jusqu’en 1720 (Ayres-Bennett et Caron, 2019). Comme nous l’avons évoqué, certaines remarques concernent la morphologie verbale, et notamment les variantes verbales. Parfois le Remarqueur tranche, parfois il accepte les variantes (ex : recouvert et recouvré ; vesquit et vescut chez Vaugelas).
27L’objectif de l’étude qui suit est de déterminer, à travers le discours de plusieurs auteurs de Remarques, quels sont les critères de sélection d’une variante ou des variantes verbales, et quelles ont été leurs influences sur les usages.
28Pour tenter d’évaluer l’influence des Remarqueurs sur l’évolution de la langue, et notamment sur la régulation des paradigmes verbaux, nous avons étudié un couple de variantes verbales. Nous avons analysé le couple trouv-/treuv-, car le verbe trouver présente ce que l’on peut appeler un « double paradigme » au début du 17e siècle, c’est-à-dire qu’il offre la base verbale trouv- à toutes les personnes du paradigme du présent de l’indicatif, et aussi la base verbale treuv- à toutes les personnes de ce même temps et mode.
- 13 Notre corpus commence en 1601 car il n’y a pas de texte datant de 1600 sur Frantext.
29Cette étude est à la fois linguistique et métalinguistique. Linguistique, car nous avons recherché pour tous ces verbes les formes concernées dans la base de données textuelles Frantext, et métalinguistique car nous avons étudié le discours des Remarqueurs à l’aide du Grand Corpus des grammaires françaises, des remarques et des traités sur la langue (XIVe – XVIIe s.) des éditions Classiques Garnier Numérique. Les recherches dans Frantext représentent le point de départ et sont complétées par l’étude métalinguistique. Nous avons mené les recherches dans Frantext en deux étapes : dans un premier temps nous avons recherché les formes verbales du verbe trouver en contexte par tranche de 50 ans de 1500 à 1900, dans un second temps nous avons décidé de ne retenir pour cette étude que la période 1601 – 1699, et nous avons créé manuellement les deux sous-corpus suivants : 160113 – 1649 et 1650 – 1699. Toutefois, certains textes du 17e siècle sur Frantext peuvent présenter des problèmes d’édition car ils ont été normalisés, modernisés, ce qui peut biaiser les résultats. Par exemple, au 17e siècle, le e initial d’un mot ne porte pas d’accent (aigu ou circonflexe), ainsi la forme attendue de la personne 3 de l’indicatif imparfait est la forme estoit, et non étoit ou était qui sont des formes normalisées. Nous avons écarté les textes normalisés en recherchant manuellement des formes normalisées et en retirant les textes dans lesquels apparaissaient ces formes. Voici les formes normalisées que nous avons recherchées : était, étais, étoit, étois, étaient, étoient, été, êtes et état. Ainsi, le sous-corpus 1601 – 1649 présente 144 textes (contre 232 textes initialement) et 4 514 569 mots et le sous-corpus 1650 – 1699 présente 68 textes (contre 404 textes initialement) et 1 714 513 mots.
30L’étude textuelle du verbe trouver débutera cette sous-partie, puis nous présenterons l’étude métalinguistique à l’aide des citations de différents Remarqueurs, enfin nous comparerons la répartition des variantes dans les textes en prose et dans les textes en vers.
- 14 Nous n’évoquons pas la B3 car la P1 anomale truis du verbe trouver n’est plus usitée au 17e siècle.
31Le présent de l’indicatif français est hérité du présent latin qui présentait un paradigme verbal mixte quant à la position de l’accent : tantôt l’accent tonique touche la base verbale (personnes fortes), tantôt l’accent tonique touche la désinence (personnes faibles). Au présent de l’indicatif, les personnes fortes sont les personnes 1 (désormais P1), P2, P3 et P6, et les personnes faibles sont les P4 et P5. Est appelée base faible une base verbale qui ne porte pas l’accent tonique (trouv- du verbe trouver) et base forte la base qui porte l’accent tonique (treuv- du verbe trouver). La base forte treuv- provient étymologiquement de l’évolution de o bref accentué latin et la base faible trouv- provient de l’évolution de o bref atone latin (les sons [ø] et [u] se graphiaient plutôt -ue- et -o- en ancien français : trueve et trovons). Andrieux-Reix et Baumgartner (1983) désignent ces différentes bases en leur affectant un numéro : la B1 est la base faible d’un verbe que l’on retrouve aux personnes faibles, la B2 est la base forte d’un verbe que l’on retrouve aux personnes fortes, et la B3 est une autre base forte que l’on retrouve aux P1 anomales. Les formes attendues sont donc les formes fortes sur la base forte B214 (treuve, treuves et treuvent aux P1, P2, P3 et P6) et les formes faibles sur la base faible B1 (trouvons, trouvez aux P4 et P5), tandis que les formes analogiques non attendues concernent les formes fortes sur la B1 (trouve, trouves et trouvent aux P1, P2, P3 et P6) et les formes faibles sur la B2 (treuvons, treuvez aux P4 et P5).
32Nous avons recherché plusieurs formes sur Frantext dans les deux sous-corpus 1601 – 1649 et 1650 - 1699. Voici ces formes :
Tableau : Formes verbales du verbe trouver recherchées dans Frantext
- 15 Au 17e siècle les lettres u et v se confondent encore. La distinction apparait d’abord chez les imp (...)
- 16 Nous avons trié toutes ces formes manuellement, nous avons notamment distingué les P1 des P3, trié (...)
Base forte eu-
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treuve
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treuves
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treuvons
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treuvez
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treuvent
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treuue15
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treuues
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treuuons
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treuuez
|
treuuent
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Base faible ou-
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trouve
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trouves
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trouvons
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trouvez
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trouvent
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trouue
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trouues
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trouuons
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trouuez
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trouuent16
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- 17 « De retour, il treuve le plus petit de ses Fils decedé, et sa Femme qui avoit esté trois jours san (...)
- 18 Le verbe aimer par exemple présente également au présent de l’indicatif des personnes fortes sur B1 (...)
33Le verbe trouver présente deux particularités. Premièrement, dans l’évolution attendue d’un verbe qui a étendu B1 (laver, clamer, …), à partir du 16e siècle le plus souvent, ce sont les formes fortes analogiques sur B1 qui deviennent majoritaires (P1 lave comme P4 lavons au lieu de P1 leve), et par conséquent les formes fortes attendues sur B2 deviennent minoritaires. Or, les formes sur B2 en treuv- sont encore bien attestées au 17e siècle dans Frantext aux personnes fortes17. Deuxièmement, en général, les verbes qui étendent B1 ne présentent pas de formes faibles sur la base forte B2 en dehors de la période d’hésitation du moyen français. Or, le verbe trouver présente également des personnes faibles analogiques sur B2 au 17e siècle, et dans une proportion non dérisoire. Autrement dit, la présence d’un double paradigme du verbe trouver au 17e siècle est un phénomène singulier18.
34Durant la première moitié du 17e siècle, les formes en trouv- et en treuv- sont donc en concurrence, voici un tableau qui recense les fréquences absolues des formes concernées :
Tableau : Fréquences brutes des personnes faibles et fortes formées sur B1 et sur B2 du verbe trouver de 1601 à 1649
Verbe trouver de 1601 à 1649 :
|
Personnes fortes (2727)
|
Formées sur B1 (analogiques)
|
1616
|
Formées sur B2 (attendues)
|
1111
|
Personnes faibles (182)
|
Formées sur B1 (attendues)
|
153
|
Formées sur B2 (analogiques)
|
29
|
35La distribution des personnes fortes analogiques sur B1 et des personnes fortes attendues sur B2 s’équilibre dans la première moitié du 17e siècle (1616 contre 1111). Les personnes faibles attendues sur B1 sont majoritaires, mais les personnes faibles analogiques sur B2 sont tout de même attestées, et représentent 16 % des personnes faibles, ce qui n’est pas négligeable. Le graphique suivant nous permet de constater la proportion de chaque type de forme :
Figure : Proportion des personnes faibles et fortes formées sur B1 et sur B2 du verbe trouver (fréquence brute)
36Ce double paradigme disparait brutalement dans la deuxième moitié du 17e siècle puisque seules les personnes faibles attendues formées sur B1 sont attestées, et les formes faibles analogiques formées sur B2 ont disparu. Les personnes fortes formées sur B2 ont brusquement diminué, et ne représentent plus que 2 % des personnes fortes :
Tableau : Fréquences brutes des personnes faibles et fortes formées sur B1 et sur B2 du verbe trouver de 1650 à 1699
Verbe trouver de 1650 à 1699
|
Personnes fortes (1052)
|
Formées sur B1 (analogiques)
|
1029
|
Formées sur B2 (attendues)
|
23
|
Personnes faibles (62)
|
Formées sur B1 (attendues)
|
62
|
Formées sur B2 (analogiques)
|
0
|
37Le tableau 3 nous montre d’une part la baisse significative des formes fortes attendues sur B2, puisque 1111 personnes fortes sur B2 étaient attestées de 1601 à 1649 et seulement 23 (nombre en gras et en italique) de 1650 à 1699, et d’autre part la disparition soudaine des formes faibles analogiques sur B2, ce qu’indique le zéro en gras dans ce tableau. Puisque l’ouvrage de Vaugelas a été publié en 1647, nous nous demandons si la baisse du nombre de formes en treuv- est liée aux injonctions des Remarqueurs. Pour tenter de répondre à cette question, nous avons mené une étude métalinguistique de ce couple de variantes.
- 19 Ces neuf textes sont : Académie Française [Thomas Corneille] (1704) ; Buffet (1668) ; Irson (1662 [ (...)
38Dans la base textuelle Garnier Numérique, nous avons sélectionné le Grand Corpus des grammaires françaises, des remarques et des traités sur la langue (XIVe – XVIIe s.) qui comporte un nombre total de 40 textes. Nous avons recherché les formes treuve, treuue, treuver et treuuer dans l’option de recherche « recherche avancée » en sélectionnant tous les sous-corpus et en filtrant les recherches de mots dans la rubrique « exemples » uniquement. Nous avons retiré les grammaires latines et avons étudié au total neuf textes19. Les formes recherchées présentaient 62 occurrences totales brutes et nous n’avons retenu que 13 occurrences (dans les neuf textes précédemment cités) pour plusieurs raisons : la forme en treuv- ou trouv- peut apparaitre en dehors d’une remarque sur le verbe trouver ou peut correspondre à l’usage personnel du grammairien ou Remarqueur lui-même dans son texte. En d’autres termes, seules les occurrences apparaissant dans la remarque sur le verbe trouver commentées dans les grammaires et les Remarques sont pertinentes pour cette étude.
39Le nombre d’attestations des formes en treuv- a fortement baissé dans la seconde moitié du 17e siècle, et de ce fait les formes en trouv- dominent. Notre recherche métalinguistique qui débute au milieu du 17e siècle nous montre que ces formes en treuv- peuvent être acceptées ou rejetées en fonction de deux critères : le type de texte (prose vs poésie) et le bon usage (la Cour et les bons Auteurs). Dans les remarques, les critères peuvent apparaitre seuls ou associés, parfois ils sont mêlés et peu clairs. Nous commencerons par présenter et commenter la remarque de Vaugelas (1647), chronologiquement le premier et l’un des plus influents de son époque, et ensuite les autres Remarqueurs seront cités par ordre chronologique selon les critères avancés.
40D’abord, voici la remarque de Vaugelas :
« TRouuer, & treuuer, sont tous deux bons, mais trouuer avec, o, est sans comparaison meilleur, que treuuer avec e. Nos Poëtes neantmoins se seruent de l’vn et de l’autre à la fin des vers pour la commodité de la rime ; Car ils font rimer treuue, auec neuue, comme trouue, auec louue. Mais en prose tous nos bons Autheurs escrivent, trouuer avec o, & l’on ne le dit point autrement à la Cour. Il en est de mesme de prouuer & d’esprouver. Mais il faut dire, pleuuoir auec e, & non pas plouuoir, auec o. » (Vaugelas, 1647 : 133-134).
41Pour lui, on utilise la base eu- en poésie et la base ou- en prose et en poésie selon la rime. De plus, il précise l’usage de la Cour qui est la forme en ou-. En comparaison avec les autres verbes en eu-, la remarque est la même pour les verbes prouver et éprouver, toutefois le verbe pleuvoir ne doit pas se former avec la base ou-. Macé est du même avis que Vaugelas, mais il est possible que son ouvrage ait été rédigé avant, vers 1635 (Auroux, 2013 : 15). Il formule la même prescription que Vaugelas, mais ce qui prévaut aussi, c’est « la douceur de l’oreille », ou comme l’ont développé Steuckardt et Thorel dans un ouvrage de 2017, le jugement de l’oreille :
« La douçeur de la Langue Françoise, fait que j’aimerois mieux dire encore ; que non pas encor, ny encores : treuuer & preuuer, que trouuer & prouuer (…). » (Macé, 1650 ? : 89 – 90).
- 20 Il est important de distinguer la description de l’usage d’un Remarqueur avec son propre usage. Par (...)
« Trouuer & prouuer, sont plus en vzage à la Cour, que treuuer & preuuer. » (Macé, 1650 ? : 242)20.
42Marguerite Buffet suit également Vaugelas, et semble plus tolérante, mais fait référence exclusivement à l’usage, et ne justifie pas les emplois dans les textes : « Trouver, treuver, prouver preuver sont fort bons & tous deux en usage » (Buffet, 1668 : 77). Ménage suit l’autorité de Vaugelas concernant l’emploi en poésie :
« Nos Anciens ont souvent changé l’o & l’u des Latins en eu. De demorari & de pluviare, ils ont dit demeurer et pleuvoir. […] De l’Italien trovare, ils ont donc dit aussi treuver : & plusieurs le disent encore présentement. Mais M. de Vaugelas a fort bien décidé, que trouver est sans comparaison meilleur que treuuer. Tous nos Poëtes, tant anciens que modernes, se servent néanmoins de l’un & de l’autre indifféremment. » (Ménage, 1675 (2e éd.) [1672] : 380-381).
43Toutefois, la variante en ou- est davantage appréciée :
« Aprês toutes ces autoritez, on ne peut pas dire, qu’on ne puisse plus dire treuver ; & particuliérement en vers. Et apparemment, la rime de preuve & d’épreuve avecque treuve, maintiendra ce mot encore tres long-temps. Le meilleur pourtant & le plus sûr est de dire tousjours trouver, & en vers, & en prose : quoyque Malherbe dans sa Traduction […] ait dit treuver. » (Ménage, 1675 (2e éd.) [1672] : 382).
44Cette deuxième citation nous montre en réalité que Ménage hésite. Il recommande d’abord d’utiliser exclusivement les formes en -ou, peu importe le type de texte, puis nuance ensuite ses propos en citant un auteur influent, Malherbe, qui utilise la forme en eu- dans un de ses textes.
45D’autres Remarqueurs, en revanche, discréditent, parfois même rejettent et bannissent la base treuv-. Ainsi, Irson et La Touche disqualifient plus ou moins sévèrement la base treuv- :
« TROVVER & prouuer sont du bel vsage, & non pas treuuer & preuuver, quoy que l’on die preuue. » (Irson, 1662 (2e éd.) [1656] : 119).
« Preuver & treuver ne valent rien du tout, ni en prose ni en vers, & tous ceux qui parlent bien disent prouver & trouver. » (La Touche, 1730 (4e éd. revue) [1696] : 470).
- 21 Cela renvoie au texte de l’Académie Françoise dans notre bibliographie.
46Enfin, l’Académie représentée par l’ouvrage de Thomas Corneille21, discrédite totalement la forme en eu- jugée ancienne et non usitée :
- 22 On voit bien que les Remarqueurs à cette époque distinguent bien les deux systèmes que sont le syst (...)
« On a dit autrefois treuver, mais aujourd’huy on ne dit plus que trouver, les noms substantifs preuve et épreuve, qui sont en usage ne sçauroient authoriser personne à dire preuver & épreuver, il faut dire prouver & éprouver. Plouvoir ne se dit point du tout, il n’y a que pleuvoir qui soit en usage. » (Académie française [Thomas Corneille], 1704 : 150)22.
47Alors que Vaugelas réserve la variante en treuv- à la poésie, ses successeurs durcissent leur position et entérinent la disparition de treuv- jusqu’à l’Académie représentée par Thomas Corneille qui condamne définitivement la variante.
48Nous pouvons constater un tournant dans les attestations des formes en trouv- et en treuv- entre la première moitié du 17e siècle et la seconde moitié du 17e siècle, et nous souhaitons vérifier si les différentes remarques émises se vérifient dans les textes, à savoir la répartition des deux variantes dans les types de texte (treuv- en poésie et trouv- en prose et en poésie pour la rime).
49Nous allons donc comparer le nombre de textes en prose et le nombre de textes en vers dans lesquels les variantes trouv- et treuv- apparaissent entre la première moitié du 17e siècle – avant la prescription de Vaugelas – et la seconde moitié du 17e siècle pour savoir si ces prescriptions ont été suivies.
50L’objectif de cette comparaison est d’observer si les injonctions des Remarqueurs, et notamment celles de Vaugelas, ont été suivies. Est-ce qu’il y a eu une spécialisation de la forme treuve dans la poésie, conformément à la remarque de Vaugelas ? Pour cela, nous avons comparé les formes trouve et treuve de P1 et P3 qui sont assez représentatives. En effet, au début du 17e siècle la forme trouve est attestée 1154 fois, et 781 fois à la deuxième moitié du 17e siècle. Et on retrouve 417 occurrences de treuve au début du 17e siècle et 20 dans la deuxième moitié du 17e siècle. Le tableau 4 qui suit reprend la répartition des variantes dans les textes en vers et dans les textes en prose de 1601 à 1649 :
Tableau : Répartition des types de textes dans lesquels on retrouve les formes trouve et treuve de 1601 à 1649
- 23 Le total 106 + 57 = 163 supérieur à 144 textes s’explique par le fait que les variantes trouve et t (...)
1601 – 1649 (144 textes)
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treuve (57 textes) :
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trouve (106 textes)23 :
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Nombre de textes en vers :
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39 (68 %)
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65 (61 %)
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Nombre de textes en prose :
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18 (32 %)
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41 (39 %)
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- 24 Les chiffres donnés dans le tableau (39, 65, 18 et 41) sont des fréquences brutes données à des fin (...)
51On peut constater une répartition quasi égale dans les deux types de textes pour les deux variantes au début du 17e siècle, avec une proportion plus importance de treuve dans les textes en vers (par rapport à trouve). C’est-à-dire que dans les 57 textes dans lesquels la forme treuve apparait, 39 sont des textes en vers, qui représentent 68 % des textes. La répartition des textes est quasi identique pour la variante trouve puisque dans les 106 textes dans lesquels la variante trouve apparait, 65 sont des textes en vers, qui représentent 61 % des textes24.
52Les formes treuve et trouve se retrouvent toutes deux plus souvent dans des textes en vers, mais le nombre d’occurrences est plus important dans les textes en prose que dans les textes en vers, comme le montre le tableau 5 :
Tableau : Répartition du nombre d’occurrences brutes des variantes trouve et treuve dans les types de textes de 1601 à 1649
1601 – 1649 (144 textes)
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treuve :
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trouve :
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Nombre d’occurrences brutes dans les textes en vers :
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194
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452
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Nombre d’occurrences brutes dans les textes en prose :
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223
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666
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53Dans la majorité des textes dans lesquels la forme treuve apparait, il y a coexistence des deux formes :
Tableau : Répartition et proportion des variantes trouve et treuve dans les textes de 1601 à 1649
Trouver 1601 – 1649 (144 textes)
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Nombre de textes en commun pour les deux variantes :
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Nombre de textes dans lesquels la forme treuve apparait seule :
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Nombre de textes dans lesquels la forme trouve apparait seule :
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Textes en vers :
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Textes en prose :
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Textes en vers :
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Textes en prose :
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Textes en vers :
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Textes en prose :
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30
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13
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9
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5
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35
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28
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Rappel tableau 4 : La forme treuve apparait dans 39 textes en vers et 18 textes en prose
La forme trouve apparait dans 65 textes en vers et 41 textes en prose
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54À l’aide du tableau 6, on constate qu’en réalité dans 77 % des 39 textes en vers dans lesquels apparait la forme treuve, cette dernière est en coexistence avec la forme trouve (30 textes / 39 textes en vers). La forme treuve est attestée seule dans seulement 23 % des 39 textes en vers. La proportion pour les textes en prose est quasi similaire, puisque dans 72 % des 18 textes en prose dans lesquels apparait la forme treuve, apparait également la forme trouve.
55De plus, comme le montre le tableau 7, dans 77 % des 30 textes en vers dans lesquels les deux variantes apparaissent, c’est la variante trouve qui est plus attestée. Dans ce dernier cas, ce qui est remarquable c’est que la variante trouve est au moins deux fois plus attestée (dans 22 des 23 textes).
Tableau : Répartition des textes en vers dans lesquels les formes trouve et treuve apparaissent de 1601 à 1649
30 textes en vers communs aux formes trouve et treuve
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Nombre de textes dans lesquels la variante trouve est la plus attestée :
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Nombre de textes dans lesquels la variante treuve est la plus attestée :
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Nombre de textes dans lesquels les deux variantes se retrouvent en nombre égal :
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23
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6
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1
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56La proportion est légèrement moindre dans les textes en prose. En effet, dans 69 % des 13 textes en prose dans lesquels on retrouve les deux variantes verbales, la forme trouve est la plus attestée, comme le montre le tableau 8. De la même manière que dans les textes en vers, dans huit textes en prose sur neuf la variante trouve est au moins deux fois plus attestée.
Tableau : Répartition des textes en prose dans lesquels les formes trouve et treuve apparaissent de 1601 à 1649
13 textes en prose communs aux formes trouve et treuve
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Nombre de textes dans lesquels la variante trouve est la plus attestée :
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Nombre de textes dans lesquels la variante treuve est la plus attestée :
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9 (69 %)
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4 (31 %)
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57Nous pouvons donc constater que dans la première moitié du 17e siècle, les deux variantes se retrouvent quasiment dans les mêmes proportions dans les deux types de textes, avec une majorité de textes dans lesquels apparait avant tout la variante trouve.
58Nous aimerions savoir si la répartition des deux variantes dans les textes est la même dans la deuxième moitié du 17e siècle, ou si la prescription de Vaugelas de 1647 a été suivie, à savoir l’utilisation de la variante treuv- dans les textes en vers uniquement.
59Dans la deuxième moitié du 17e siècle, la variante eu- se spécialise effectivement dans les textes en vers, puisque la forme treuve n’apparait plus que dans un seul texte en prose :
Tableau 9 : Répartition des types de textes dans lesquels on retrouve les formes trouve et treuve de 1650 à 1699
1650 – 1699 (68 textes)
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treuve :
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trouve :
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Nombre de textes en vers :
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10
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34
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Nombre de textes en prose :
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1
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16
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60De plus, la forme treuve apparait seule dans un texte en vers et dans aucun texte en prose, comme le montre le tableau suivant :
Tableau 10 : Répartition et proportion des variantes trouve et treuve dans les textes de 1650 à 1699
Trouver 1650 – 1699 (68 textes)
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Nombre de textes en commun pour les deux variantes :
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Nombre de textes dans lesquels la forme treuve apparait seule :
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Nombre de textes dans lesquels la forme trouve apparait seule :
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Textes en vers :
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Textes en prose :
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Textes en vers :
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Textes en prose :
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Textes en vers :
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Textes en prose :
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9
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1
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1
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0
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25
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15
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Rappel tableau 9 : La forme treuve apparait dans 10 textes en vers et 1 texte en prose
La forme trouve apparait dans 34 textes en vers et 16 textes en prose
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61La forme treuve apparait seule dans un seul texte en vers dans lequel on retrouve cinq occurrences de treuve, de plus on retrouve la forme trouve dans le seul texte en prose dans lequel apparait la forme treuve. Dans huit textes sur les neuf textes en vers dans lesquels les deux variantes apparaissent, c’est la variante trouve qui est la plus attestée, et dans un seul texte sur les neuf, les deux variantes apparaissent le même nombre de fois. Quant au texte en prose, c’est une nouvelle fois la forme trouve qui est plus fréquente.
62En somme, dans la première moitié du 17e siècle, on constate une répartition quasi égale des deux variantes treuve/trouve entre les textes en vers et les textes en prose, avec une domination de la forme trouve qui apparait davantage seule dans les textes que la forme treuve. Puis, dès la deuxième moitié du 17e siècle, la forme treuve est devenue une variante poétique et archaïsante (Corneille) puisqu’elle ne se retrouve que dans un seul texte en prose, dans lequel la forme trouve est également utilisée. Cela peut signifier que, parmi d’autres facteurs d’influence possibles, la remarque de Vaugelas ait été suivie, expliquant la baisse significative de l’emploi de ces formes (visible dans Frantext).
63Du point de vue de l’histoire externe et à partir des résultats obtenus, nous pouvons donc faire l’hypothèse de l’influence du discours métalinguistique sur les usages, dans le cas précis de l’évolution de la variante verbale treuv-/trouv-. Nous ne pouvons que constater, à partir de cette double analyse sur une variante verbale précise, la direction commune que suivent la langue française et les injonctions visant à réguler ou à réduire les variantes. Il conviendrait néanmoins de rapporter l’évolution de cette variante spécifique à un ensemble de formes plus larges et d’élargir l’étude à plusieurs facteurs conjugués, internes et externes.
64À travers l’étude de ce couple de variantes verbales, nous avons pu dégager le double rôle des Remarqueurs, à la fois comme arbitre quand ils prescrivent et comme témoin quand ils décrivent. Dans le cas du verbe trouver qui nous a intéressé ici, Vaugelas se présente comme arbitre quand il prescrit les deux variantes dans deux types de textes distincts (treuv- en poésie et trouv- en prose). Mais, il nous apparait également comme témoin quand il décrit l’usage de la Cour, à savoir celui de la variante trouv-. Les successeurs de Vaugelas durcissent plus ou moins leurs opinions, en proscrivant parfois totalement la variante treuv- comme La Touche et Corneille. Dans le cas de la variante treuv-/trouv-, on peut penser que l’impact des Remarques est significatif puisque la variante treuv- prescrite et tolérée dans les textes en vers (par Vaugelas en 1647) est attestée ensuite quasi exclusivement dans ce type de texte dans la seconde moitié du 17e siècle.
65Le verbe que nous avons étudié présente une alternance vocalique (trouv-/treuv-), or certaines Remarques qui concernent la morphologie verbale peuvent concerner d’autres faits comme une hésitation dans le paradigme (par exemple le verbe haïr comporte des formes inchoatives et non inchoatives au singulier comme au pluriel), ou une hésitation sur la forme d’une personne spécifique du paradigme, à l’instar des P1 puis et peux du verbe pouvoir. Les Remarques qui portent sur la morphologie sont donc variées, les descriptions et les prescriptions des Remarqueurs également, ainsi que leurs impacts sur les évolutions.