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- 2 Son premier éditeur allemand caractérise ainsi l’ouvrage (Gedenkbuch des Metzer Bürgers Philippe de (...)
- 3 En oubliant parfois que les Mémoires ne peuvent se réduire à un compte rendu objectif, ou à une dép (...)
- 4 La Chronique de Charles de Vigneulles, éd. Ch. Bruneau, Metz, Société d’histoire et d’archéologie d (...)
- 5 Jean-Charles Herbin, « Approches de la mise en prose de la Geste des Loherains par Philippe de Vign (...)
- 6 Philippe de Vigneulles, Les Cent Nouvelles Nouvelles, éd. Ch. H. Livingston, Droz, 1972 (CNN)
- 7 Voir en particulier Ch. Bruneau (I, p. xiii) : « La question essentielle qui se pose est celle du r (...)
1Le projet Metz 15001 a remis sur le devant de la scène un des chroniqueurs messins qui écrit à l’aube du 16e siècle, Philippe de Vigneulles. Ce dernier est né dans un village près de Metz en 1471. Il meurt aux alentours de 1528. Jeune, il fait une fugue qui l’entraine sur les routes jusqu’en Italie. Mais après son retour dans sa région natale, il se fixera et ne quittera plus sa région, sinon pour des voyages commerciaux ou des pèlerinages. À côté des chevaliers ou des clercs, il fait partie d’une catégorie qui prend de l’importance dans les derniers siècles du Moyen Âge, celle de bourgeois relativement aisés, intéressés par les lettres et les arts. Jeune, il est employé un temps en apprentissage chez un aman, un notaire messin, où il apprend à écrire des documents juridiques. À son retour d’Italie, il sera placé auprès d’un commerçant drapier qui lui apprendra le métier qui deviendra le sien. Il a laissé plusieurs œuvres : des Mémoires2 dans lesquelles ont puisé ses différents biographes pour narrer les principaux épisodes de sa vie3 et qui recoupe en partie pour cette période la Chronique depuis le Création du Monde4 qu’il a également rédigée, une mise en prose de Garin le Lorrain5, un recueil d’histoires brèves, les Cent Nouvelles Nouvelles (1515)6 et divers poèmes et prières. Nous nous intéressons aux Mémoires qui portent sur les années 1471-1522. Elles sont transmises par un seul manuscrit autographe, inachevé, qui s’arrête sur quelques notations concernant l’année 1522, notations qui n’ont pas été mises en forme. Ce n’est pas un journal écrit au jour le jour, ou de manière suivie au fil des années. Cela ne veut pas dire que Philippe de Vigneulles n’a pas écrit un tel journal, mais ce dernier n’a pas été conservé. Ce que nous pouvons lire, c’est la mise au net d’un texte qui a été ensuite retravaillé et amplement complété et corrigé par l’auteur lui-même. On a parfois considéré que son intérêt était limité du fait que la matière en avait été reprise pour la Chronique7. Mais il montre un autre état rédactionnel avec ses particularités stylistiques et certainement une autre visée. En outre, il nous permet d’accéder à une étape intermédiaire dans l’élaboration du texte, celle d’un brouillon. C’est suffisamment rare pour qu’on s’y arrête. On peut essayer d’appréhender la nature des interventions de l’auteur sur son propre texte. Mais un autre intérêt apparaît très vite à la lecture, le caractère personnel de l’écriture que l’on peut mettre en regard des autres textes qu’il a écrits et qui nous sont transmis par des copies définitives ou quasi définitives faites par des professionnels.
- 8 Les Mémoires de Philippe de Vigneulles (1871-1522), Édition critique du manuscrit BNF Nouv ; Acq. F (...)
- 9 Voir note 1.
- 10 Deux volumes ont été prévus : Philippe de Vigneulles, Mémoires, édition du ms., introduction lingui (...)
2Ainsi ce texte singulier, qui semble encore hésiter entre plusieurs destinations et plusieurs points de vue, offre-t-il un témoignage très riche sur une variation multiforme, liée à des facteurs externes mais également à l’absence de stabilité interne de la langue. Mais on n’écrit pas n’importe quoi ni n’importe comment, que ce soit au 12e siècle ou à l’époque de Vigneulles. Il y a des usages et des normes. La seule différence avec notre vision de la langue, c’est qu’il n’y a pas une seule norme qui s’impose et qui contraint. Les usages sont pluriels même chez le même scripteur selon le type d’écrit et le type de destination. Cependant pour pouvoir délimiter et analyser la variation, il faut pouvoir l’atteindre. Or l’édition peut masquer en partie celle-ci par des procédures d’harmonisation ou de modernisation des graphies. Dans le cas de Vigneulles, on ne pouvait s’appuyer sur l’édition ancienne de Michelant. Il fallait non seulement revenir au manuscrit, mais choisir d’en respecter les particularités. C’est le travail méticuleux fait récemment par F. Faltot dans sa thèse de l’Ecole des Chartes sous la direction de F. Duval8, qui a été confié à l’équipe du Dictionnaire du Moyen Français pour en permettre une diffusion plus large sous forme d’une édition électronique lemmatisée. Enfin le projet Metz 15009 a offert l’opportunité d’une nouvelle édition du texte10. On savait l’importance de ce témoin de l’histoire de Metz et des mentalités dans la période charnière de la fin du Moyen Âge et début de l’époque moderne. Mais Vigneulles est aussi un témoin linguistique majeur dans la chronologie des états de langue : il écrit au début du 16e siècle, il est formé dans le dernier quart du 15e siècle. L’état de transmission de son texte renvoie à un écrit intermédiaire entre sphère privée et sphère publique, entre usage personnel et communication littéraire.
- 11 Bruneau, I, xiii, n.1.
- 12 Voir N. Catach (2012 [Nathan, 1995]), pour les distinctions entre les notions de graphie « manière (...)
- 13 Voir F. Duval (2015 : 369-393). On trouvera également dans un article récent de S. Gabay et al. (20 (...)
3La raison pour laquelle une nouvelle édition était indispensable pour pouvoir rendre compte de l’état de langue et de ses particularités individuelles était que la seule édition disponible corrige la graphie et la morphologie du texte, empêchant d’atteindre la réalité de l’écriture même de Vigneulles. Charles Bruneau, dans l’introduction de son édition de la Chronique le dit sans ambages et semble même le justifier : « En comparant ce texte [celui du manuscrit], dont le style est visiblement négligé, avec celui de l’édition Michelant, on constatera que Michelant reproduit exactement le texte, mais corrige discrètement l’orthographe afin de la rendre plus régulière »11. On le voit, l’édition Michelant comme l’analyse de Bruneau, sont faussées par une vision normative de la langue, qui justifie la correction par les négligences du style et l’irrégularité de l’orthographe, alors même qu’on est dans une période où l’on commence à peine à parler d’orthographe et où, dans la pratique, il ne peut être question que de système graphique, voire même simplement de graphie12. Cette idée que le texte est indépendant de sa graphie cantonnée à un pur habillage extérieur, un code qu’on peut changer selon les besoins et les publics, sans même le dire tellement cela paraît évident, domine chez les éditeurs de textes écrits à partir du début du 17e siècle, au point qu’il est parfois difficile de trouver des éditions modernes respectueuses de la graphie13.
4La comparaison d’un passage des Mémoires dans l’édition Michelant avec une transcription fidèle du manuscrit montre les corrections importantes opérées, avec ajout de marques de pluriel, transformation de désinences verbales, changement de graphèmes (en/an), notamment en cas d’homophonies (s/c), ajout d’accents graves ou aigus à l’intérieur des mots. Dans certains cas, inversement, son absence d’intervention peut induire une ambiguïté de lecture : c’est le cas du e final de oyes (P5), qu’il faut lire selon nous oyés, mais aussi de ampoigne, donne, qui ne sont pas des P1 du présent de l’indicatif mais des passés simples, ampoigné, donné – graphies bien attestées en MF.
Tableau : Comparaison de l’édition Michelant et de la transcription du manuscrit
Légende : les corrections de Michelant sont surlignées en vert, les graphies du manuscrit sont surlignées en jaune dans notre transcription. En gras, de mauvaises leçons corrigées à la relecture du manuscrit.
- 14 Les corrections morphologiques concernent les marques de genre et de nombre, ainsi que les terminai (...)
- 15 L’éditeur semble se plier à une représentation attendue de la langue du 16e siècle.
5La version de Michelant est un rhabillage du texte selon l’orthographe grammaticale du français moderne ou selon une vision uniforme de la langue ancienne. Ses interventions donnent une vision faussée de la langue de Philippe, notamment pour la morphologie verbale et nominale14. Il n’est pas non plus fiable pour les formes diatopiques, car il s’éloigne du manuscrit en écrivant par exemple dans le passage ai au lieu de e pour les mots estraindre et berbier ; il écrit seur au lieu de sur15, pourtant bien lisible, et cuidait au lieu de cuidant. Dans notre transcription, nous respectons scrupuleusement la lettre du texte, l’ajout de signes diacritiques est fait avec parcimonie pour faciliter la lecture. Cependant la segmentation de la chaîne graphique, lieu de variation interne et externe, nous pose parfois des questions difficiles à résoudre sur le plan éditorial. Nous avons choisi de nous y arrêter dans cette contribution.
6Pour l’éditeur des Cent Nouvelles Nouvelles (CNN), plus respectueux de la graphie que son prédécesseur, le français « fantaisiste » de Philippe de Vigneulles serait lié au caractère « oral » du texte transmis :
- 16 CNN, p. 52. Pour Ch. Livingston, à la suite de Ch. Bruneau (I, p. xix), le texte transmis par le ma (...)
Les fantaisies syntaxiques de Philippe, telles que les « accords » de verbes au singulier avec des sujets pluriels, ou de verbes au pluriel avec des sujets singuliers, n’ont pas été corrigées, ces anomalies de forme gênant très peu l’intelligence du texte et tendant à prouver que les nouvelles ont été probablement dictées au scribe16.
7Certes, la langue de Vigneulles présente des traits régionaux et des marques morphologiques assez libres, mais la prudence est nécessaire quant au caractère oral de la transcription. Est-elle si anomale que cela ? Ou est-ce plutôt lié à la rareté de ce type de témoin, l’immense majorité des œuvres médiévales ayant été transmises par l’intermédiaire de copies professionnelles.
8Considérer son écriture comme une transcription de l’oral est une manière de dire qu’il ne sait pas écrire, qu’il écrit comme il parle, comme un ignorant, un illettré. Pourtant Philippe de Vigneulles insiste à plusieurs reprises dans ses Mémoires sur son statut d’écrivain :
« Et moy, l’acripvains, me sowient veritaublement de celle chose » (Mémoires, p. 12),
« je, Philippe, escripvain de cest istoire » (Ibid., p. 14, également p. 210, 388, 394, 488, 491 et 500)
9Il est tout à la fois l’auteur du récit qui le concerne et son propre scribe. Dans sa traduction, Alain Cullière préfère une tournure verbale, « moi, qui tiens la plume » (p. 12), « Philippe, qui écris ces lignes » (p. 14, 394, 491, 500) – ce qui laisse subsister l’ambiguïté, mais quand Philippe précise « moi, qui écris, je n’invente rien » (p. 487), on voit bien qu’il ne s’agit pas seulement de tracer des lettres, mais d’élaborer un récit précis et évocateur. Les corrections multiples dont le manuscrit porte la trace, tout comme celles qui apparaissent encore dans le manuscrit soigneusement calligraphié des CNN ou de la Chronique, montre un Philippe soucieux de l’œuvre qu’il transmet et de sa forme, sinon grammaticale, du moins littéraire. Philippe n’est pas un clerc, mais il est loin d’être un ignorant, comme il l’indique au début de ses Mémoires :
Puis, quant je devins grandellet, il m’envoiairent à l’escolle à villaige pour seullement aprandre ung peu lire et escripre, car il me amoie tant qu’il ne me laissoie aller loing d’eux, dont ce me poise, car j’amaisse mieulx qu’il m’eussent fait aprandre. (Mémoires, p. 4)
Il pourra même s’en prévaloir pour trouver en emploi en Italie :
Et moy, je estoie tout jonne, bien acoustrés, sçavent lire et escripre telle lestre que voyés,
A la différence de son compagnon qui « ne sçavoit ny A ne B ». (Ibid., p. 27).
10L’écriture du manuscrit autographe est lisible et la mise en page assez régulière. Les corrections et ajouts sont placés entre les lignes ou dans les marges quand ils sont plus importants, avec des signes d’insertion. Philippe se permet même parfois quelques fantaisies calligraphiques qui ressemblent assez à celles qu’on trouve dans les copies professionnelles, comme celles de ses propres œuvres. De fait, la comparaison avec le manuscrit des CNN édité par Livingston montre deux états assez différents tant du point de vue de la mise en forme que de la langue : le manuscrit des Mémoires est un manuscrit autographe relu et corrigé, qui n’est pas encore la mise au net ou la copie définitive, il présente des traits marqués ; le manuscrit des CNN est soigneusement calligraphié et orné, il présente les mêmes traits linguistiques régionaux ou personnels, mais leur importance est atténuée. Il s’agit pourtant bien du même auteur, dans deux œuvres différentes et surtout deux écrits de destinations différentes. La copie de Philippe de Vigneulles est plus marquée, plus personnelle que celle du copiste professionnel à qui il a confié le manuscrit des CNN ou celui de sa Chronique. Elle comporte une plus grande densité de variantes graphiques et morphologiques ; certaines sont diatopiques, d’autres semblent plutôt liées au caractère privé de l’écrit. Mais nous nous concentrerons ici sur un autre type de variantes, liées à la segmentation ou à l’agglutination, longtemps attestées dans les écrits personnels à la différence des imprimés. Qu’en est-il dans le manuscrit autographe ? Quel est le statut de ces variantes graphiques ?
- 17 La scriptio continua est une manière d’écrire sans espace et sans ponctuation, peu lisible. Elle au (...)
- 18 L’espace graphique peut-elle être précisément délimitée dans les pratiques scripturaires ? Dans l’i (...)
11L’étude de Andrieux-Reix et Monsonégo (1997) pose clairement la question de la segmentation graphique dans les manuscrits médiévaux, avec des espacements qui « délimitent des séquences de lettres qui sont loin de toujours correspondre à l’actuel “mot” graphique auquel, pour d’évidentes raisons de lisibilité, se trouvent subordonnées les éditions de ces textes anciens, occultant ainsi une majeure partie des pratiques scripturaires du Moyen Âge. » (Andrieux-Reix et Monsonégo 1997 : 290). Entre la scriptio continua17 et la segmentation en mots censée assurer la lisibilité du texte et l’accès au sens, il existe des pratiques intermédiaires dans la période médiévale et dans la première modernité de segmentation en séquences graphiques qui agglutinent ce qui peut être ailleurs (dans un autre témoin, à un autre endroit du même témoin) séparé nettement par des espaces graphiques18.
- 19 Si l’apostrophe est encore rare dans l’écrit privé aux siècles suivants (Y. Cazal et G. Parussa, 20 (...)
12L’agglutination peut se définir comme la soudure d’un élément graphique avec ce qui suit ou ce qui précède dans un autre type d’organisation de la chaîne graphique. On distinguera deux cas, celui de l’agglutination consécutive à une élision et celui d’une agglutination sans élision. En effet, l’agglutination est habituelle dans le manuscrit médiéval lorsqu’il y a élision du e final d’un mot atone qui vient s’agglutiner graphiquement à ce qui suit : l’article défini comme le pronom personnel sujet ou complément en -e s’élident et s’amalgament au mot suivant, substantif ou verbe ou autre pronom, d’où les séquences lostel, iaim, len. L’alternative est de maintenir la graphie avec -e final qui n’est plus prononcé : le ostel, je aim – c’est relativement rare, sauf en poésie. On gagne en lisibilité, mais l’on perd le lien à l’oral. À partir du 16e siècle, l’apostrophe permettra de maintenir la séquence phonique [CV] tout en détachant les deux éléments : l’hostel, j’aime, l’en. Son usage s’est répandu progressivement et d’abord surtout dans l’imprimerie19.
- 20 L’agglutination demeure fréquente dans l’écriture privée jusqu’au 17e siècle, même chez les lettrés (...)
13Plus fluctuant est l’usage de l’agglutination (et son corollaire la segmentation graphique) en l’absence de phénomène d’élision. Des travaux ont mis en évidence le caractère polymorphe et la fréquence variable de ce phénomène dans la longue durée. Si de manière générale, l’usage se développe d’une segmentation en mots en lien avec le développement analytique du français, il n’en demeure pas moins que d’autres usages subsistent longtemps, notamment dans l’écriture privée20.
- 21 Nous suivons la typologie de N. Andrieux-Reix et S. Monsonégo (1997 : 299-304).
14a) Les agglutinations (autres que liées à l’élision) apparaissant dans les Mémoires autographes de Philippe de Vigneulles sont de plusieurs types que l’on peut décrire selon la séquence amalgamée21.
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préposition + pronom démonstratif : pource, adce, parcella
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préposition + pronom relatif/interrogatif : parquoy, pourquoy, dequoy
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préposition + article : ala levation, ala semaigne, ala comencement,
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préposition + pronom personnel conjoint : alui
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- 22 Or ont lez Fransoy bien affaire (p. 305). Nous revenons plus loin sur cette agglutination.
- 23 Et vint ung copts de maicheute, lequelle vint a fraper du travers du vantre d’icelle fillette et lu (...)
préposition + nom : acopt, autant ( = « au temps »), affaire22, aucause / adcause, empuissance, aumoins, enhaite, derechief (plus fréquent que de rechief), decoustier, aubout, dubout, anmey, paraventure, arrierban, envoie23
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préposition + adjectif : apettite compaignie
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préposition + adverbe ou préposition : dessa, della, oultreplus, emprimes, embais / embas, enmy, ensay ( =en ça), audessus, auloing, emprés, enchiez, semplus, audevant
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préposition + verbe
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- 24 et demourirent encor bien ii ou iii moix entournoient le païs (p. 42) ; et l’embraisse tout emplore (...)
au gérondif : entournoient, emplorent, enensuiant24
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à l’infinitif : assavoir, acompter, acroire, anombrer
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au participe : toutte affais ( = tout à fait)
déterminant + adjectif/participe : ledit, mondit
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possessif + nom : monseigneur, messeigneur
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pronom conjoint + verbe
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y : yait, yolt, yapourtoit (1 seule occ.)
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en : enchalloit, amprins
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V + pronom conjoint : fuge
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adjectif indéfini + nom : unepart, aultrepart, aultrefois, aulcunefois, touteffois
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adverbe + E
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adverbe + N : treshomme
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adverbe + adjectif : tresfort, tresgrant, trescristien, plusfort, tresbonne, trespiteuse
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adverbe + adverbe : tresbien, tresmal, nonpas, nonpoint
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- 25 « Le nombre d’éléments à pouvoir s’agglutiner, qui est ordinairement de deux, n’excède que rarement (...)
à plus de deux éléments25
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préposition + article + nom : alavallee ( = a la vallee ou a l’avallee), enlencontre, alavenent,
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préposition + article + verbe : alavenir
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préposition + adverbe + nom : anmeylieu
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préposition + adverbe + adverbe : pardessa, aupardehors
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qu- + pronom + verbe : condit (abrégé), condisoit
- 26 Il s’agit de manuscrits copiés de la fin du 9e siècle à la fin du 15e siècle comportant des œuvres (...)
- 27 Art. cit., p. 305-306.
15La typologie et la fréquence des agglutinations correspond tout à fait aux observations de Andrieux-Reix et Monsonégo (1997), dont l’étude est basée sur un corpus étendu26, notamment la domination du type Prép. + E et la régression du type article défini + E et Personnel régime atone + E. Elles signalent en outre la progression du sous-type Adverbe + Adverbe / Adjectif à partir de la fin du 14e siècle mais qui ne concerne qu’un très petit nombre de formes, tres et plus27.
16b) segmentation d’unités graphiques
17Le phénomène inverse est plus rare. On mettra à part les fausses coupes des noms à initiale vocalique précédés de l’article défini, phénomène usuel en AF et MF : la nonciatte, ala comencement. On lit par exemple :
Verbes aporter et envoier : Pier le Guescon m’avoit l’aultrez jour dit qu’il ma pourteroit demy dousenne de florin que vostre perre m’en voieroit (p. 146)
Verbe aproichier : Mais quant touttez l’airtillerie fut tireez et que lez partie vinrent a proichiez et a combaitre mains a main (p. 303)
Verbe emporter : « Ha ! le diauble m’en pourte ! Le diauble m’en pourte ! » (p. 339)
Verbe departir : Item, en cest dite annee, en jung, le duc de Scifort, roy d’Angleterre, de partist de la cité de Mets acompaigniet de aulcuns de nous jonne seigneur. (p. 457)
Adjectif acort : En cest anné, le tampt fut fort a cort (p. 426)
Adverbe ensamble : Et en tinrent grant parlement en samble (p. 155)
- 28 Avoier et approcher sont à mettre en relation avec les étymons du bas-latin inviare et appropriare (...)
18La segmentation peut détacher le préfixe d’une forme dérivée (a-, de-), mais peut également séparer un élément normalement non décomposable : *voier, *proicher28. À la différence des agglutinations évoquées précédemment, de telles segmentations demeurent isolées. Ainsi neantmoins / neanmoins, habituellement en un seul mot (21 attestations) est encore parfois écrit par Philippe en deux mots neant moins (p. 373, 421, 500), nyant mains (p. 243, 301, 333), mais on trouve également la graphie isolée ne anmoins (p. 304). Dans certains cas, la segmentation est attendue, car les différents éléments sont encore compris de façon indépendante, il en est ainsi de bon soir :
- 29 À la différence d’alairme, emprunt à l’italien all’armes (début 14e s.), toujours écrit en un seul (...)
Sy donnait ledit messire Dimanche le bon soir a sa mere (p. 245)29
19Comment interpréter ces tendances à la segmentation ou à l’agglutination ? Quel est le degré d’analyse des formes que l’on peut mettre au crédit du scripteur ? Avant de pouvoir apporter des éléments de réponse à ces questions, il faut d’abord observer avec attention les conditions d’emploi de séquences concurrentes, parmi les plus fréquentes. Nous nous arrêterons sur quelques cas qui montrent qu’il n’y a pas une tendance unique, mais un faisceau de tendances parfois contradictoires et que globalement Vigneulles présente au fond assez peu de séquences anomales au regard des pratiques de son temps.
20Dès le début du texte, le pronom adverbial y peut être ou non amalgamé avec le verbe qui suit et exceptionnellement avec ce qui précède :
(1) Et ce y / gowernait tellement ledit Jehan Geraird (p. 3)
(2) cellui boullung[ier] ce avensait, faindant de les y mener (p. 6)
(3) et furent ces gens [11] lougiés on Vault de Mets et y firent de grand domaig[e] (p. 11)
(4) et y fut longuement (idem)
(5) Et pour revenir a prepos, durans ces course et que nul ne ce oisoit tenir a villaige, les bon homme de trois ou de quaitre villaige avoient fait ung grand paircquez bien avent a bois pour mestre le bestial, et tellement qu’il ce yestoient retirés, fort les ancienne femme et les anffans qui estoie demouré a la ville, entre lesquelles je yestoie (p. 13)
(6) Et me ymenait ledit abbé, (7) et y fus ung ans. (p. 17)
(8) et en ny olt qui demourerent prisonnier pour aider a le ravoir (p. 61)
- 30 Y. Cazal et G. Parussa, 2020 : 585 : « Toutefois, par son tracé qui peut descendre bien en dessous (...)
- 31 Voir l’hésitation sur l’orthographe du présentatif il y a, prononcé à l’oral [ja] (API), y a ou y’a(...)
- 32 Elles sont liées à l’agglutination et favorisées par la transcription systématique de [s] par c, d’ (...)
21Avec les verbes avoir et être, l’agglutination semble systématique lorsque l’initiale de la forme verbale qui suit est vocalique : [i] en hiatus avec la voyelle suivante se consonnifie en [j], d’où vraisemblablement [i/avwɛ] > [javwɛ] avec un redécoupage syllabique : yait, yavoit, yolt, yestoie. Lorsque la forme verbale commence par une consonne, l’agglutination est moins fréquente, mais elle n’est pas impossible, comme dans l’exemple (6). Cependant très majoritairement, y apparaît détaché quand le verbe qui suit commence par une consonne. Or, le graphème y a ceci de particulier qu’il peut tout à fait fonctionner seul, il n’a nul besoin de s’appuyer sur ce qui suit, il occupe d’ailleurs de manière privilégiée la fin de mot30. Dans les exemples (1) à (4) et (6), même quand il s’agit d’une suite de monosyllabes, y est isolé. Le facteur favorisant l’agglutination dans les autres cas ne peut donc être (uniquement) graphique, il nous semble être ici d’avantage d’ordre phonique : le terme amalgamé est un monosyllabe vocalique qui a tendance à s’appuyer sur ce qui suit, à se consonnifier comme cela est encore bien attesté à l’oral en français moderne31. Le phénomène serait-il contingent, lié au geste de la main qui répugne à isoler des lettres et qui les associe à ce qui précède ou ce qui suit ? Pourtant, le tracé de la lettre y pourrait la protéger et lui assurer plus d’autonomie par exemple qu’un i ou un a. Mais, à l’oral, [i] en hiatus tend à se consonnifier et à se rapprocher de ce qui suit pour former une syllabe. Si les formes nous paraissent un peu étranges, elles ne font pas obstacle à la compréhension et n’entraînent pas de confusion, à la différence de l’exemple (8), où y est amalgamé au mot qui précède, et où deux mécanismes ont successivement joué : le premier est l’agglutination de y avec la forme atone en, [ãni], puis il y a eu segmentation : en ny. La compréhension du texte est alors plus fortement affectée que dans les cas précédents, parce que l’homophonie conduit à une interprétation négative erronée. Ce cas est isolé, mais des graphies fondées sur l’homophonie ne sont pas rares dans les Mémoires32.
- 33 La graphie toutefois qui s’imposera en français, bien que très minoritaire par rapport à toutesfois (...)
- 34 Ainsi tresbien (17 occurrences), tresfort (24 occurrences) sont-ils toujours amalgamés dans les Mém (...)
22Sous la plume de Philippe de Vigneulles, les agglutinations concernent très majoritairement des groupes cohérents, notamment prépositionnels. Dans quelques cas, le processus d’agglutination marque la naissance d’une nouvelle unité, résultat d’une grammaticalisation de la séquence originelle. À l’inverse, les Mémoires montrent aussi que certaines agglutinations qui l’emporteront ne sont pas encore usitées ou qu’il y a hésitation. Parmi les composés anciens qui sont agglutinés sous la plume de Philippe et qui le sont restés en français moderne, on peut citer toutesfois33 très présent dans les Mémoires dont il paraît parfois difficile de dire si la graphie est à la soudure sf (avec s long intérieur) ou ff. Autre cas, celui des adverbes della et dessa avec redoublement de la consonne. Dans le cas des séquences composées des adverbes d’intensité plus ou tres suivis d’un adjectif ou d’un adverbe, la soudure est quasi systématique chez Vigneulles, elle le sera encore longtemps avant d’être abandonnée34.
- 35 le quel (6) / lequel (311), la quelle (19) / laquelle (235).
- 36 monseigneur (45) / mon seigneur (44) – messeigneur (50) / mes seigneur(s) (6).
- 37 Plus part (25 attestations) / plus pairt (29 attestations). Aucune graphie amalgamée sous la plume (...)
- 38 60 par tout, aucun partout.
- 39 127 de puis, aucun depuis.
- 40 Ces morphèmes grammaticaux ne trouveront leur forme graphique définitive qu’au 17e siècle, voire au (...)
23Mais le cas le plus fréquent est celui d’une hésitation entre formes agglutinées ou formes disjointes pour ledit ou lequel35, ainsi que pour les appellatifs monseigneur / mon seigneur36. Il n’y a pas d’usage systématique pour l’ensemble du paradigme concerné. Toutefois on note que les formes agglutinées sont très largement majoritaires au masculin pour lequel, un peu moins pour la forme féminine laquelle, souvent graphiée la quelle. En revanche, pour monseigneur et mon seigneur il y a équilibre des attestations, alors qu’au pluriel ce sont les formes agglutinées messeigneurs qui dominent. Difficile de tirer une quelconque conclusion, sinon que le processus de soudure n’est pas achevé, peut-être parce que les éléments sont encore identifiés comme étant indépendants. C’est le cas de verbes dérivés par préfixation qui forment une unité pour nous et qui sont écrits par Philippe en deux unités : en fuir, en mener… Philippe écrit encore bien venue, participe passé substantivé de bien venir (un seul cas d’agglutination dans les Mémoires) et les locutions adverbiales plus part37, par tout38, de puis39 toujours en deux mots40.
24Dans certains cas, les formes agglutinées concurrencent les formes segmentées dont elles sont issues sur les mêmes emplois : c’est le cas du substantif affaire (masculin ou féminin), résultant de la soudure du groupe prépositionnel à faire et de l’adverbe interrogatif pourquoi, produit ancien du groupe préposition + pronom relatif ou interrogatif.
25Deux entités de même prononciation [afɛr], mais de catégories et de fonctionnements différents coexistent en français : l’infinitif prépositionnel à faire « à réaliser », en emploi absolu ou transitif direct : il a un travail à faire ; le substantif, affaire, précédé ou non d’un déterminant, d’un adjectif et/ou suivi d’un complément prépositionnel il fait de bonnes affaires, son affaire marche, c’est l’affaire de sa vie. Dans les Mémoires, la graphie affaire est parfois utilisée pour le verbe faire :
(9) et tellement qu’il leur donnirent tent affaire qu’il en y olt aulcuns qui estoient dedent qui ce rendirent leur vie saulve. (p. 54)
(10) Et pour cest cause acomencerent affaire plus petit depent et n’abilloit ne ne vetoit mye ledit Phelippe comme il devoit faire (p. 32)
(11) La venus, il eust convenir rompre la trappe ou la pourtette par ou on entroit en la prixon, qui est plus d’ung piedz d’espesse, la quelle chose heust esté moult grant chose affaire. (p. 125)
(12) Or ont lez Fransoy bien affaire, car lez Anglois lez assaillent d’ung coustez, lez Espaignoil d’ung aultre, et lez Xouviste devers la Bourguoigne, qui n’y metteroit remede. (p. 305)
(13) Et aincy comme vous oyés, le roy avoit bien affaire de tout coustés et perdoit en peu de tampts ce que a grant paine avoit conquis es Ytaillie (p. 323)
(14) Mais le roy avoit gens partout et cy avoit ilz bien affaire, car je croy que de puis .v.c ans ne fut la crestienté aucy esmeutte en guere comme elle est a cest heure (p. 323)
26Le Dictionnaire de Moyen Français indique d’ailleurs sous le lemme affaire de nombreuses locutions avoir affaire avec la mention, « simple graphie pour à faire »41. Cependant, Philippe écrit encore l’infinitif prépositionnel sous la forme segmentée : 27 occurrences contre 6 formes amalgamées. À noter la graphie la faire pour le substantif précédé de l’article élidé :
(15) Or, pour la faire brisié, il chevaulchirent tent qu’il arivairent a ung villaige en la duchier de Bair nommé Moineville (p. 100)
27En FM, l’homophonie affaire / à faire est un piège sur lequel les manuels ou sites d’orthographe s’arrêtent et proposent des tests (Quand faut-il écrire « avoir à faire » ou « avoir affaire » ?). Chez Philippe de Vigneulles, la confusion est possible, mais elle n’est pas généralisée. En tout cas, il ne nous paraît pas judicieux de transcrire a ffaire en cas d’agglutination du verbe prépositionnel.
28Un cas similaire est celui de pourquoy, presque toujours agglutiné dans les Mémoires. Parmi les 13 occurrences de la forme amalgamée, on observe différents emplois :
-
Relatif avec antécédent : pourquoy = pour quoy
(16) Et la cause pourquoy nous seigneur ne voulloient les bonne gens laissiés aller estoit pource que le Rin de Grewe leur rapourtait nowelle (p. 526)
- 42 Dans la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie (1992), on lit à l’article Pourquoi : « Pourquoi d (...)
29Avec 7 attestations, la séquence la cause pourquoi semble en voie de figement42. Deux exemples non amalgamés apparaissent cependant :
(17) Et la cause pour quoy fut pource que messire Wairin Roucelz, chevalier, lequelle estoit l’ung des iiii comis de pairt la cité, pour ce fait n’estoit point venus. (p. 118)
(18) La cause pour quoy, ce fut que en ce temps pendent que Phelippe deliberoit de cellay faire… (p. 134-135)
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Relatif de liaison spécifiant un rapport logique de conséquence entre deux propositions, avec le sens de « c’est la raison pour laquelle », encore fréquent au 16e siècle :
(19) Et fut trowé que en aulcuns il y avoit dez grosse vielle corde et ung peu de bure par-dessus. Es aultre yl y avoit de l’yawe tout plain et de la bure par dessus et telz y avoit c’on y trowait dez vielle braye. Pourquoy la dite Allemande fut prinse et mise en prixon (p. 287)
(20) Maiz ces gens cy estoient deliberés de ce venir yvernez au païs de Mets, pourquoy nous seigneur, avertis de ce, assamblirent leur gens tent de Mets que du païs (p. 181)
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Interrogatif (résultant d’une grammaticalisation ancienne)
(21) O fourtune mauvaixe, coment nous ait tu ainsy tourné ta rue ? Pourquoy ne la tourne tu sur moy, que je puisse estre depechiés et mort avec mon perre ? (p. 83)
(22) sans savoir bien sowant dire ne aleguer cause ne raixon coment ne pourquoy ce avenoit. (p. 291
30La tendance à l’agglutination est manifeste, même dans des emplois de relatif où on attendrait une forme segmentée. Cela est confirmé par la fréquence de la forme amalgamée quasi synonyme, parquoy, qui présente sur 118 occurrences, 104 formes amalgamées.
31Un cas différent est celui du verbe plorer précédé d’une forme en (sous différentes graphies), agglutinés dans les Mémoires : dans tous les cas, le verbe est au gérondif introduit par tout en, qui indique la simultanéité et la préposition en est agglutinée au verbe, créant une confusion entre la préposition et le préfixe.
(23) Et quant il peult parler, il luy dit tout emplorent (p. 50) ; le maire, tout emplorent, dist ung jour a Pier … (p. 91) ; Et quant il vit son perre, il l’ambraice tout emplorent et son perre paireillement luy. (p. 93) ; lequelle au despairtir embraisse son filz et le comende a Dieu tout emplorent (p. 99) ; Le pouvre Phelippe, […] luy dit moult humblement et tout emplorent…(p. 107) ; Sa mairaitre, […] l’entendit au parler et vint a l’uis et l’embraise tout emploirent (p. 157)
32L’agglutination est peut-être due à l’influence du verbe savant implorer, car Philippe sépare habituellement la forme verbale de la préposition : en cheant (p. 6, 213, 243, 339), en escriant (p. 6), en prenant (p. 25), etc. La confusion avec des formes où em-/en- joue le rôle de préfixe semble limitée à la forme en -ant. Il ne peut s’agir d’une « grammaticalisation en cours », mais plutôt « d’une indifférence à la distinction des catégories grammaticales, ou encore le signe d’une perception différente de ces catégories » (Cazal et Parussa 2020 : 514-515).
- 43 La lettre de l’Empereur, insérée aux pages 465-472, se démarque du récit personnel par un titre, Co (...)
- 44 Voir note 35.
33À l’inverse, la séparation graphique des éléments montre que leur autonomie prévaut sur la conscience d’un lien. Ainsi, nous l’avons vu, Philippe écrit-il de façon systématique par tout, plus part ou encore de puis, et jamais partout, plupart, depuis. Mais ce type de segmentation est le plus souvent invisible dans les éditions qui normalisent par rapport à l’aboutissement moderne, ce qui renforce à tort l’idée d’une lexicalisation ancienne. La situation intermédiaire existe également, celle d’une concurrence/hésitation entre formes amalgamées et formes non amalgamées, comme c’est le cas des formes lequel, ledit. Dans la copie de lettres officielles insérées dans les Mémoires43, ces formes sont toujours agglutinées, alors que le récit proprement dit présente encore à côté d’une majorité de formes agglutinées des variantes non agglutinées44. Harmoniser la graphie, sous prétexte de lisibilité, empêche de voir la variation et crée une uniformité factice.
34La variation en matière d’agglutination ou de séparation de mots est plus importante dans la langue écrite non normée : aux évolutions diachronique et diatopique, s’ajoutent d’autres paramètres liés à l’âge et au statut social du scripteur, mais surtout au statut du texte et de l’écrit. L’étude approfondie d’un témoin permet de mesurer des tendances parfois contradictoires. Il faudrait pouvoir élargir aux autres œuvres de Philippe et systématiser l’examen en vérifiant à chaque fois sur le manuscrit quand il est disponible.
- 45 Ne sont utilisés que l’apostrophe pour signaler l’élision et l’agglutination et l’accent aigu en fi (...)
35À la question philologique de savoir s’il faut ou non régulariser les formes dans l’édition, nous avons envie de répondre par la négative, parce qu’il nous semble important de respecter la graphie originelle, en limitant au maximum les interventions et en faisant un usage parcimonieux des signes diacritiques selon les usages de l’édition des textes médiévaux45.
- 46 Les séquences les plus souvent agglutinées sont celles qui s’ouvrent par des particules monosyllabi (...)
36À la question linguistique du figement et des mécanismes de lexicalisation ou de grammaticalisation, les hésitations du scripteur, ou ses choix, qui peuvent paraître contradictoires d’un cas à l’autre, doivent inciter à des réponses prudentes. On affirme souvent avant d’avoir vérifié sur pièce. On interprète également selon des catégories qui ne correspondent pas forcément à la perception des scripteurs dans les états anciens du français46. Comme l’ont bien mis en évidence Andrieux-Reix et Monsonégo dans leurs travaux, aux 14e et 15e siècles, « au bout du compte c’est la pratique des copistes qui détermine l’occurrence et la succession des mots régulièrement séparés et régulièrement espacés, ou bien l’apparition, périodique parfois, aléatoire souvent, de séquences agglutinées » (Andrieux-Reix et Monsonégo 1998 : 48). Il n’y a pas d’opposition binaire, mais une gradation des pratiques en matière d’agglutination ou de segmentation en « mots » dans des écrits manuscrits, qui sont toujours à l’époque médiévale plus ou moins codifiés, plus ou moins contrôlés.