1Cette étude fait suite aux travaux entrepris sur le passif à l’écrit, en italien, notamment dans Castellani (2018b), dont le but était de décrire le fonctionnement des auxiliaires qui interviennent dans les emplois passifs et la fonction de l’existence d’une telle diversité, et en particulier les cinq auxiliaires suivants : essere/être, venire/venir, andare/aller, rimanere/demeurer et restare/rester.
- 1 Factiva, CoLFIS, CORIS/CODIS : corpus de l’italien écrit en ligne.
- 2 Il s’agit des études de Van Molle-Maréchal (1974), Ulleland (1977), Casadei (1991), Berrettoni (199 (...)
2L’examen de plusieurs corpus de l’italien écrit1 nous a permis de constater d’une part, que les auxiliaires commutent rarement les uns avec les autres et que chacun d’eux induit des restrictions d’ordre morphosyntaxique et aspectuel ; d’autre part, que les trois auxiliaires les plus utilisés à l’écrit étaient : essere, le plus fréquent, suivi de venire et enfin de andare. Alors que restare et rimanere arrivaient en avant-dernière et dernière position. Ces résultats sont confirmés par des études préexistantes2, mais ne peuvent pas être exploités pour une comparaison entre l’oral et l’écrit à cause des différents critères utilisés (méthodes, corpus, genre textuel, etc. ; voir Viale, 2010, p. 60‑62).
3Dans ce travail, qui s’inscrit dans le cadre de référence du Lexique-Grammaire conçu par Maurice Gross (1975), nous présentons les résultats, quantitatifs et qualitatifs, sur le passif italien en comparant à la fois l’oral et l’écrit pour voir ce que l’oral apporte de nouveau par rapport à l’écrit. Pour ce faire, nous avons soumis deux courts-métrages sans la bande sonore à un public d’étudiants italophones qui ont restitué l’histoire dans un premier temps à l’oral et dans un second temps à l’écrit. L’originalité de cette étude se base sur la comparaison de deux thématiques différentes mais restituées à l’oral et ensuite à l’écrit par le même public.
4Nous parlerons, tout d’abord, du passif périphrastique italien qui se caractérise par l’emploi de plusieurs auxiliaires. Nous nous arrêterons notamment sur essere, venire et andare, les trois auxiliaires les plus fréquents, pour en comparer le taux d’emploi relevé à l’oral et à l’écrit et les analyser du point de vue quantitatif et qualitatif. Nous nous arrêterons, ensuite, sur d’autres constructions passives non canoniques relevées à l’oral dans le discours des locuteurs, comme le si passivante (« la voix moyenne » ; voir Brunet, 1994 ; Camugli Gallardo, 2014), ou sur des phénomènes tels que l’absence d’agent et l’enchainement passif-actif. Et enfin nous relèverons les constructions périphrastiques passives les plus fréquentes à l’oral. Retrouverons‑nous les mêmes constructions qu’à l’écrit ? Les périphrases passives canoniques en essere et venire seront‑elles aussi fréquentes à l’oral qu’à l’écrit ? Va‑t‑on trouver d’autres formes passives non canoniques et dans quel type d’énoncé apparaissent‑elles ? Tels sont les questionnements auxquels nous tâcherons de répondre dans cette nouvelle étude.
5Nous posons que la typologie des périphrases passives canoniques italiennes en essere, venire, andare varie à l’oral et à l’écrit, que d’autres moyens caractérisent l’oral et que les genres des textes des deux vidéos choisies influencent, en fonction de leur finalité, la distribution et la variété des formes passives en termes diamésiques.
6Le système linguistique italien compte une variété d’auxiliaires (GGIC, I, 2001, p. 85‑94) pour la formation des périphrases passives que l’on ne retrouve pas dans d’autres langues, comme le français qui ne possède que l’auxiliaire être. En dehors de la forme canonique avec l’auxiliaire essere + participe passé (pp), il existe en italien d’autres auxiliaires entrant dans la formation du passif tels que : venire, andare, finire, rimanere, restare. Sans compter tous les autres verbes qui sont aussi employés en français : fare/faire, trovarsi/se trouver, vedersi/se voir, farsi/se faire, etc.
7En fonction de l’auxiliaire sélectionné, les constructions périphrastiques passives expriment des sens différents et/ou renvoient à des images distinctes. Dans ces constructions la présence de l’agent est facultative, excepté celle avec andare qui n’accepte pas d’agent et qui confère un sens d’obligation.
8Nous nous arrêtons maintenant sur les trois auxiliaires les plus fréquents en italien, d’abord séparément, ensuite en couple pour faire mieux ressortir les différentes nuances sémantiques qu’induisent ces auxiliaires.
9Ces verbes peuvent faire fonction tantôt d’auxiliaires tantôt de verbes à sens plein. Dans ce dernier cas, venire et andare présentent une orientation opposée, de rapprochement ou d’éloignement par rapport au locuteur : centripète, le premier, et centrifuge, le second. Les deux ont subi un processus de désémantisation qui constitue un « enrichissement » (Lamiroy, 1999, p. 35), car il offre de nombreuses possibilités de combinaison.
10Ces auxiliaires maintiennent dans la périphrase passive des traces de leur sémantisme d’origine (Castellani, 2017, p. 165) et se combinent avec le Vpp qui le sélectionne sur la base de ses propriétés sémantico-aspectuelles. Chacun d’eux apporte à la périphrase italienne une nuance différente et est soumis à plusieurs restrictions.
11Essere est l’auxiliaire entrant dans la formation de la périphrase canonique passive italienne dont le taux d’emploi est le plus élevé. C’est l’auxiliaire de passivation cité en premier dans toutes les grammaires consultées (GGIC, I, 2001, p. 101 ; Salvi & Vanelli, 2004, p. 68), entre autres. L’emploi de cet auxiliaire est soumis toutefois à plusieurs restrictions de base qui peuvent être d’ordre morphologique et/ou d’ordre sémantique.
12Essere accepte tous les temps, simples et composés, sauf le passé antérieur (GGIC, I, 2001, p. 101 ; Salvi & Vanelli, 2004, p. 68 ; Squartini, 1999, p. 343). Dans les phrases suivantes l’emploi du passé antérieur est agrammatical :
- 3 Les exemples italiens, en italique, sont suivis de la glose et de la traduction littérale, entre cr (...)
(1)
La casa (è+era+sarà+è stata+fu+era stata+sarà stata+*fu stata) distrutta3
La maison (est+était+sera+a été+avait été+aura été+*eut été) détruite
13Le passé antérieur d’essere (*fu stata distrutta / eut été détruite) est le seul temps à ne pas être accepté en italien dans la formation du passif (Ambrosini, 1982, p. 56).
14Selon Ambrosini (1982, p. 56‑58) et Squartini (1999, p. 358), c’est l’interférence entre le sens dynamique-duratif de stato et la valeur perfective de fu qui rend inacceptable cette forme verbale.
15Les restrictions sémantiques sont liées à l’ambigüité entre l’interprétation stative ou passive du Vpp de la périphrase que plusieurs auteurs ont déjà abordée, entre autres Helland (2002), M. Gross (1996), La Fauci (1988).
(2)
La finestra è aperta
La fenêtre est ouverte
16Bentley et Ledgeway (2014, p. 70‑71) s’arrêtent sur la difficulté à distinguer l’adjectif, à valeur résultative-stative, dénotant un état, du participe passé, dénotant le procès, c’est-à-dire entre forme prédicative et forme passive, surtout en absence d’agent. C’est là que peut intervenir venire qui lève l’ambigüité entre valeur processive et résultative de la périphrase en essere au présent :
(3)
La finestra viene aperta
La fenêtre vient [est] ouverte
- 4 Le passif italien formé avec venire et andare a fait l’objet de nombreuses études de la part de lin (...)
17C’est le deuxième auxiliaire le plus utilisé à l’écrit entrant dans la formation du passif italien4. Venire présente également des restrictions d’ordre temporel et sémantique.
18La plupart des grammairiens s’accordent pour dire que venire produit une acception dynamique non résultative à la périphrase.
(4)
La casa (viene+veniva+verrà+*è venuta+venne+*veniva stata+*verrà stata+*venne stata) distrutta
La maison (vient+venait+viendra+*est venue+vint+*venait été+*viendra été+*vint été) détruite
19L’exemple met en évidence l’inacceptabilité de venire aux temps composés. Squartini (1999, p. 358) affirme également que l’agrammaticalité du passé antérieur d’essere est de même nature que celle des temps composés de venire.
20Tous les auteurs travaillant sur cette question admettent l’effet désambigüisant de venire par rapport à essere avec les verbes téliques tels que aprire/ouvrir, chiudere/fermer, costruire/construire, distruggere/détruire, surtout en contextes imperfectifs et processifs (Giacalone Ramat & Sansò, 2014, p. 22).
(5)
La domenica il parco era chiuso
Le dimanche le parc était fermé
(6)
La domenica il parco veniva chiuso
Le dimanche, le parc venait fermé [on fermait]
21L’exemple (5) met en avant l’état alors que l’exemple (6) souligne l’évolution du procès, accompli par quelqu’un [+ animé].
22Par ailleurs, essere et venire ne sont pas toujours commutables, car ils font ressortir des images différentes chez l’énonciateur-locuteur, comme le montre bien l’exemple suivant :
(7)
Sognavo degli stracci che venivano strappati
Je rêvais des chiffons qui venaient [étaient] déchirés
qui correspond au sens de :
Je rêvais de chiffons qui étaient en train d’être déchirés
23Cette phrase suggère une interprétation dynamique que ne possède pas la périphrase en essere et elle sous-entend par ailleurs un agent animé : « que quelqu’un déchirait continuellement ».
24Essere et venire ne sont commutables qu’à condition de choisir la valeur sémantique que l’on veut mieux faire ressortir. À la valeur de l’état que désigne essere, s’opposent des nuances variées que fait ressortir venire, telles que la participation de l’énonciateur à l’évènement, le déroulement du procès, la probabilité, la répétition, l’habitude, plus ou moins évidentes selon le temps (Castellani, 2018a).
25Andare5 est le troisième auxiliaire le plus employé dans la formation des périphrases passives, mais loin derrière venire.
26Les périphrases formées avec andare peuvent présenter deux acceptions : l’une est déontique, et l’autre est « une variante de essere avec une nuance aspectuelle qui souligne le déroulement du procès » (GGIC, I, 2001, p. 106). Les deux périphrases n’admettent pas d’agent :
(8)
La casa va distrutta
La maison va [doit être] détruite
(9)
La casa è andata distrutta
La maison est allée [a fini par être] détruite
27Pour des raisons pratiques nous avons adopté les appellations déontique et processif, que nous utilisons pour distinguer les deux acceptions de andare, qui présentent des restrictions temporelles et aspectuelles évidentes que nous allons présenter.
28La valeur sémantique que véhicule cette périphrase est la nécessité ou l’obligation. Les exemples présentés ci‑après montrent une inacceptabilité des formes composées et du passé simple :
(10)
Quell’esercizio (va+andava+andrà+*andò) fatto con cura
Cet exercice (va [doit]+allait [devait]+ira [devra]+*alla [dut]) [être] fait avec soin
(11)
*Quell’esercizio (è andato+andò+era andato+sarà andato) fatto con cura
*Cet exercice (est allé [a dû]+alla [dut]+était allé [avait dû]+sera allé [aura dû]) [être] fait avec soin
29La modalité de nécessité ou d’obligation se maintient au présent, au futur et à l’imparfait, tandis qu’elle disparait aux temps composés, perfectifs-accomplis.
30Andare déontique est sélectionné par tous les verbes transitifs (Giacalone Ramat, 2017, p. 16) et n’accepte que les temps simples (présent, imparfait, futur), excepté le passé simple (GGIC, I, 2001, p. 106). L’acception d’obligation ou de nécessité qu’il véhicule, lui vaut l’appellation de déontique.
31Andare processif, par contre, accepte tous les temps composés ainsi que le passé simple et met l’accent sur le procès. Il n’a plus d’acception d’obligation ou de nécessité. Voilà pourquoi nous l’avons appelé andare processif.
(12)
Quella casa (è andata+andò+era andata+sarà andata+*fu andata) distrutta
Cette maison (est allée [a été]+alla [fut]+était allée [avait été]+sera allée [aura été]+*fut allée [eut été]) détruite
32Cette périphrase privilégie les temps perfectifs (passé simple et passé composé) (Giacalone Ramat, 2017, p. 17).
(13)
La casa è andata (distrutta + *costruita)
La maison est allée [a été] (détruite + *construite)
33Par ailleurs, andare processif n’est sélectionné que par un groupe limité de verbes téliques, tels que spendere/dépenser, smarrire/égarer, distruggere/détruire, perdere/perdre, disperdere/disperser, sprecare/gaspiller, etc., qui indiquent « la consomption, la perte ou la destruction » (Bertinetto, 1989‑1990 ; Giacalone Ramat, 2000 ; Rocchetti, 1982) et qui comportent l’absence d’intentionalité.
34Les deux corpus, oraux et écrits, que nous avons constitués proviennent des enregistrements effectués auprès de 23 étudiants italophones, âgés de 18 ans, appartenant à la classe 5e I (dernière année) du lycée linguistique Francesco Petrarca de Trieste (Italie).
35Le premier court-métrage, que nous appellerons par la suite vidéo 1, est intitulé « Nei miei panni / Dans la peau des autres – Campagna di sensibilizzazione contro il bullismo6 ». Il s’agit d’une campagne de sensibilisation contre le harcèlement scolaire où une collégienne est victime d’agressions verbales et physiques de la part de ses camarades de classe à cause de son embonpoint et de sa tenue vestimentaire démodée. La durée de la vidéo est de 3’22.
36Le deuxième court-métrage, que nous appellerons par la suite vidéo 2, est intitulé « Il Tiramisù classico / Le Tiramisù classique7 » et reprend les différentes étapes de la préparation du Tiramisù exécutée en direct par un chef cuisinier. La durée de la vidéo est de 6’58.
37Le protocole suivi pour relever les productions passives repose sur le visionnage de ces deux courts-métrages sans la bande sonore et sur leurs restitutions sous formes d’abord orale et ensuite écrite.
- 8 C’est une tournure médio-passive où si est l’agent « non identifié », dont l’identité n’est pas exp (...)
38Dans les transcriptions des visionnages des vidéos 1 et 2 et les rédactions écrites des étudiants, les diverses formes passives ont été dénombrées : les périphrases formées avec essere, venire, andare, le si passivante8, les formes avec d’autres verbes (fare/faire, trovarsi/se trouver, ritrovarsi/se retrouver, rimanere/demeurer, entre autres), les Vpp, les locutions passives telles que vittima di/victime de, da parte di/de la part de, etc.
39Les figures présentées ci‑dessous mettent en évidence les taux des productions passives relevés dans les vidéos 1 et 2, sous différentes perspectives, dans le but de vérifier et de préciser les données établies traditionnellement à partir de données chiffrées écrites.
40Oral et écrit des vidéos 1 et 2. – Les taux des productions relevés ont d’abord été comparés entre l’oral et l’écrit des vidéo 1 et vidéo 2 (fig. 1).
Figure 1. – Taux des productions passives à l’oral et à l’écrit.
41Les résultats des productions passives à l’oral (20,41 %) et à l’écrit (19,08 %) de la vidéo 1 sont semblables entre eux, alors que les résultats relevés à l’oral (36,24 %) de la vidéo 2 sont nettement plus nombreux qu’à l’écrit (24,26 %) par rapport aux deux vidéos.
42De plus, le taux global de l’oral (56,65 %) des vidéos 1 et 2 dépasse celui de l’écrit (43,34 %).
43Nous nous arrêtons maintenant sur chaque vidéo pour comparer dans le détail les taux des différents types de productions passives relevées à l’oral et à l’écrit.
44Oral et écrit de la vidéo 1. – La figure 2 montre que les taux de pourcentage et la variété de formes relevés à l’oral et à l’écrit dans la vidéo 1 sont similaires, notamment entre, d’une part, les passifs canoniques, en essere, venire, andare (oral 61,59 %, écrit 47,28 %) et, d’autre part, les passifs non canoniques regroupant le si passivante, les participes passés (Vpp), d’autres verbes rentrant dans la formation du passif (fare, vedere, vedersi, ritrovarsi, lasciare, restare, sentirsi, etc.) et des locutions variées (è vittima di/est victime de, è soggetta a/est sujette à, atti di bullismo/actes de harcèlement, con sopra scritto/avec écrit dessus) (oral 38,41 %, écrit 52,72 %).
Figure 2. – Taux des différentes formes passives orales et écrites dans la vidéo 1.
45Parmi les formes passives, dites canoniques, ressort considérablement venire à l’oral (50 %) et à l’écrit (37,98 %) par rapport à essere (oral 11,59 %, écrit 9,30 %) et andare dont le pourcentage est nul dans les deux formes orale et écrite.
46Oral et écrit de la vidéo 2. – La figure 3 décrit les taux des différentes formes passives canoniques en essere, venire, andare et les formes passives non canoniques regroupant le si passivante, Vpp, d’autres verbes et locutions variées de la vidéo 2.
Figure 3. – Taux des différentes formes passives orales et écrites dans la vidéo 2.
47La comparaison des données met en évidence l’emploi significatif de venire à l’écrit (23,78 %) par rapport aux autres auxiliaires essere et andare et le taux important du si passivante à l’oral (59 %) et à l’écrit (44,51 %), qui l’emporte sur toutes les autres formes.
48Nous nous arrêtons maintenant sur les trois auxiliaires formateurs du passif italien, essere, venire, andare qui ont été produits d’abord dans la vidéo 1 et ensuite dans la vidéo 2.
49Auxiliaires oral et écrit de la vidéo 1. – Les taux des périphrases passives formées avec les trois auxiliaires les plus fréquents, essere, venire, andare, comparés dans la vidéo 1 sont attestés pratiquement aux mêmes niveaux à l’écrit et à l’oral. Essere totalise 18,82 % à l’oral et 19,67 % à l’écrit, venire 81,18 % à l’oral et 80,33 % à l’écrit, alors que andare n’a pas été produit.
Figure 4. – Taux des auxiliaires à l’oral et à l’écrit dans la vidéo 1.
50La figure 4 montre que les périphrases avec venire sont de loin les plus produites dans la vidéo 1, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.
51Auxiliaires oral et écrit de la vidéo 2. – La figure 5 montre les taux des trois auxiliaires les plus fréquemment employés dans les périphrases passives italiennes dans la vidéo 2.
Figure 5. – Taux des auxiliaires à l’oral et à l’écrit dans la vidéo 2.
52Essere est le plus produit à l’oral (43,86 %) par rapport à venire (35,09 %) et à andare (21,05 %), alors qu’à l’écrit les proportions s’inversent entre essere (17,31 %) et venire (75 %). À l’oral, essere est l’auxiliaire le plus produit alors qu’à l’écrit venire est l’auxiliaire le plus produit dans la vidéo 2. Andare, qui n’avait été relevé ni à l’oral ni à l’écrit dans la vidéo 1, totalise 21,05 % de productions passives à l’oral, trois fois plus qu’à l’écrit dans la vidéo 2.
53Nous nous arrêtons maintenant sur les autres formes passives non canoniques regroupant le si passivante, les Vpp, d’autres verbes et locutions variées qui ont été produits d’abord dans la vidéo 1 et ensuite dans la vidéo 2.
54Autres formes passives de la vidéo 1. – Les taux des autres formes passives non canoniques comparés entre l’oral et l’écrit dans la vidéo 1 mettent en évidence une situation assez homogène entre les différentes productions.
Figure 6. – Taux des passifs non canoniques dans la vidéo 1.
55La figure 6 montre que les taux des productions passives relevés sous des formes variées restent élevés à l’oral tout comme à l’écrit.
56Autres formes passives de la vidéo 2. – Les taux des productions passives non canoniques relevées à l’oral et à l’écrit dans la vidéo 2 reproduisent une situation plutôt semblable.
Figure 7. – Taux des passifs non canoniques dans la vidéo 2.
57La figure 7 fait ressortir, d’une part, que le si passivante et les Vpp sont les plus employés à l’oral et à l’écrit dans la vidéo 2, alors que les autres productions sont quasiment nulles, d’autre part, que le taux du premier est trois fois plus élevé que le second sous les deux formes, orale et écrite.
58Les données relevées dans le paragraphe précédent méritent d’être analysées de plus près du fait qu’elles mettent en évidence des phénomènes qui se produisent différemment à l’oral par rapport à l’écrit.
59Tout d’abord, le nombre de productions orales passives (56,65 %) dépasse celui des productions écrites passives (43,34 %), toutes formes confondues, canoniques et non canoniques. Cela a déjà été constaté par Hamma et coll. (2017) dans une étude sur le passif français qui infirmait les affirmations selon lesquelles le passif est un phénomène foncièrement de l’écrit.
60Ensuite, à côté des périphrases canoniques en essere, venire, andare, il existe aussi une autre grande variété de productions passives regroupant les si passivante, les Vpp, et d’autres verbes formateurs de passif et des locutions variées. Cette variété de formes est plus fréquente à l’oral (57,25 %) qu’à l’écrit (42,75 %).
61Par ailleurs, les résultats des productions passives diffèrent selon la thématique de la vidéo visionnée : la vidéo 1 sur le harcèlement scolaire qu’endure une collégienne met en évidence un emploi massif de venire à l’oral (81,18 %) et à l’écrit (80,33 %) par rapport à essere (18,82 %) et andare (0 %) ; alors que la vidéo 2, sur la présentation des différentes phases d’exécution de la recette du Tiramisù, met en évidence un emploi important de si passivante à l’oral (77,13 %) et à l’écrit (65,18 %), alors que andare est plus fréquent à l’oral (21,05 %) qu’à l’écrit (7,69 %).
62Parallèlement au taux important de si passivante de la vidéo 2, d’autres formes non canoniques obtenues sont aussi fréquentes dans les productions orales (46,29 %) que dans les productions écrites (53,71 %) des deux vidéos et elles sont produites avec des taux de pourcentage presque équivalents.
- 9 Nous gardons la dénomination italienne car elle ne recouvre pas exactement l’acception du « se moye (...)
63Cette construction est une forme active à sens passif et se caractérise par le clitique si devant un verbe transitif, la promotion de l’élément nominal comme sujet syntaxique et ne se réalise qu’à la troisième personne (singulier ou pluriel) (Camugli Gallardo, 2014, p. 81) ; ce dernier pouvant se trouver avant ou après le verbe. L’accord au pluriel montre qu’il s’agit d’un passif.
(14)
A parte, si (monta + montano) a neve gli albumi = Gli albumi si montano a neve (V2, O, 3)
À part, se montent en neige les blancs = Séparément les blancs se montent en neige
64Le sens de cette phrase correspond à celui des périphrases passives canoniques formées avec essere ou venire :
(15)
A parte, gli albumi (sono + vengono) montati a neve
Séparément, les blancs (sont + viennent) [sont] montés en neige
65Le si passivante s’est révélé la forme la plus fréquente à l’oral et à l’écrit dans la préparation de la recette de la vidéo 2 où il s’accommode bien d’un sujet logique non animé (les ingrédients) et d’un sujet grammatical générique humain occulté (le cuisinier). Il véhicule un sens déontique au présent de l’indicatif (Salvi & Vanelli, 2004, p. 77).
66Contrairement au français, c’est une construction qui est très utilisée en italien mais pas toujours facile à distinguer du si impersonnel ou du on indéfini (Brunet, 1994). En effet, ici, elle équivaut plutôt à l’emploi de on :
(16)
Séparément, on monte les blancs en neige
67Par ailleurs, cette construction ne prévoit pas de formulation explicite de l’agent :
(17)
Si dividono i tuorli dagli albumi (V2, O, 3)
Se séparent [on sépare] les blancs des jaunes d’œufs
68Par rapport au passif canonique, cette tournure médio-passive a l’avantage d’être synthétique, rapide et claire, de ne pas exprimer l’agent impliqué, mais formellement identifié, et de focaliser uniquement le déroulé de la tâche.
69La majorité des formes passives relevées dans notre corpus est construite sans agent exprimé. Des 631 occurrences passives dénombrées dans les deux vidéos, oral et écrit confondus, 534 sont des constructions sans agent exprimé. Et sur les 361 occurrences orales passives recueillies dans les vidéos 1 et 2, 326 sont des formes sans agent exprimé (passifs courts) avec une grande disparité entre les deux vidéos, car elles représentent un tiers (88 sur 119) dans la première et la quasi-totalité dans la seconde (242 sur 238).
70Mais l’absence de l’agent est de nature différente selon l’auxiliaire, essere, venire, andare, employé dans la périphrase passive ou selon la forme en si passivante. Avec essere et venire la présence de l’agent est syntaxiquement facultative. Sa présence dépend du locuteur, alors qu’avec andare elle n’est grammaticalement pas prévue. Avec le si passivante l’identité de l’agent n’est pas exprimée, mais elle peut être aisément supposée et déduite par le contexte.
71Les exemples suivants montrent que la présence de l’agent est facultative, car elle n’apporte aucune information supplémentaire. Le contexte est parlant. On connait dès le début du récit qui sont les auteurs de ces violences. Sa présence est dictée par un besoin de les mentionner pour incriminer davantage ce groupe de « camarades » ou encore pour les « pointer du doigt » :
(18)
Questa ragazza veniva bullizzata ed emarginata (dagli altri suoi compagni + E) (V1, O, 10)
Cette fille venait [était] harcelée et marginalisée (par les autres camarades + E)
(19)
E anche durante le ore di ginnastica comunque veniva esclusa o scelta per ultima oppure non scelta e quindi era esclusa appunto dalle altre sue compagne (V1, O, 10)
Et même pendant les heures de gymnastique elle venait [était] de toute façon exclue ou choisie en dernier ou pas choisie du tout et donc elle était exclue justement par les autres camarades
72L’agent en (19) devient important et nécessaire, quoique syntaxiquement facultatif, car il met en évidence le comportement incompréhensible de ces camarades de classe.
73Les énoncés oraux passifs « longs » avec venire, relevés dans la vidéo 1, où cet auxiliaire est le plus fréquent, ne représentent que le quart des passifs oraux « courts ». Par ailleurs, dans ces énoncés, l’agent [+hum] est sous-entendu, évident, récupérable du contexte (Hamma, 2020) et/ou se retrouve précédemment mentionné. On peut le retrouver « hors des limites de la phrase où se réalise le passif » (Blanche-Benveniste, 2000, p. 305). Inversement, il ne représenterait qu’une redondance inutile pour la compréhension de l’énoncé.
74Nous remarquons que les compléments d’agent omis dans les périphrases avec venire sont tous de type [+hum] dans la vidéo 1. Leur présence peut être établie d’après le contexte et peut avoir été répétée plusieurs fois. Depuis le début de l’énonciation de l’évènement, on pose le contexte, le cadre-collège, où se passe la scène et les actants-agents, les camarades.
75Les passifs formés avec venire de la vidéo 2 sont tous de type court. L’attention est rivée sur les ingrédients rentrant dans l’élaboration de la recette et l’exécuteur, le chef de cuisine, n’est cité qu’une seule fois :
(20)
Per la ricetta del Tiramisù vengono usati uova, mascarpone, zucchero, caffé e savoiardi. (V2, O, 1)
Pour la recette du Tiramisu viennent [sont] utilisés des œufs, du mascarpone, du sucre, du café et des savoyards.
- 10 GGIC, I (2001, p. 92), entre autres.
76La plupart des périphrases passives formées avec andare se trouvent dans les énoncés oraux de la vidéo 2. Andare n’accepte jamais d’agent exprimé10, mais l’obligation que véhicule cette périphrase s’adresse forcément à quelqu’un. Même si celui‑ci est inexprimé, il est sous-entendu. Il marque l’intentionnalité d’un impératif qui s’adresse à tout le monde et qui est valable pour tous :
(21)
Il Tiramisù va messo in frigo e lasciato riposare un po’ (V2, O, 3)
Le Tiramisù va [doit être] mis au frigo et laissé reposer un peu
77Dans les énoncés construits avec le si passivante, l’agent n’est pas exprimé mais impliqué. Il importe peu et se trouve par conséquent occulté (Brahim, 1996). Et d’après la définition de Camugli Gallardo (2014, p. 82), que nous adoptons, il s’agit d’un « agent externe impliqué » mais formellement absent :
(22)
Si lasciano gli albumi da parte e si comincia a lavorare i tuorli (V2, O, 2)
Se laissent [on laisse] les blancs à part et se [on] commence à travailler les jaunes
78C’est le procès qui est déterminant ici et de toute manière, cette information reste récupérable dans le contexte (Camugli Gallardo, 2014, p. 89).
79L’enchainement passif-actif a été relevé principalement à l’oral dans les deux vidéos qui contiennent des descriptions d’expériences, pour le premier, et de recette, pour le second. Il s’agit d’un procédé de reformulation déjà décrit par Blanche-Benveniste (2000, p. 304 ; 2010, p. 152) qui caractérise principalement l’oral. Ces répétitions différentes de l’information sont typiques de l’oral où elles y passent inaperçues et en même temps elles focalisent l’attention sur un élément (Blanche-Benveniste, 2003, p. 336), en l’occurrence, la protagoniste du récit de la vidéo. Les procédés sont des plus variés : un actif suivi d’un passif sous forme réduite en Vpp et d’un passif en être :
(23)
Le appiccicano dei bigliettini addosso con scritto sopra degli insulti […] e una ragazza le toglie appunto i bigliettini che le sono stati appiccicati addosso (V1, O, 1)
On lui colle dessus des petits billets avec des écrits d’insultes […] et une fille lui enlève justement les petits billets qui lui ont été collés dessus
80On remarque l’emploi de deux verbes converses (appiccicare/coller vs togliere/enlever) dans la succession de reformulation actif-passif.
81L’enchainement actif-passif permet, par ailleurs, de saisir le processus dans ses différentes phases de réalisations : en plein déroulement ou accompli et s’adapte bien à la description de la réalisation de la recette de la vidéo 2 :
(24)
Quindi, mentre montiamo gli albumi, aggiungiamo a piccole dosi di zucchero fino a finirlo. E una volta montati, entrambi i composti si uniscono. Quindi, si uniscono gli albumi montati con i tuorli in modo da ottenere una miscela unica. Una volta ottenuta questa miscela, si imbevono i savoiardi nel caffè. (V2, O, 16)
Donc, quand on monte les blancs en neige, on ajoute à petites doses du sucre jusqu’à le terminer. Une fois montés, on unit les deux mélanges. Donc, on unit les blancs montés en neige avec les jaunes de façon à obtenir un seul mélange. Une fois obtenu ce mélange, on trempe les biscuits dans le café.
82La répétition du même concept rend l’énoncé chronologiquement bien marqué aspectuellement, à l’aide d’une suite alternée de procédés actif-passif différents : actif, Vpp passif, si passivante, Vpp passif, si passivante.
83Selon Blanche-Benveniste (2010, p. 152), ces procédés servent à mimer les déroulements de l’action. Ce qui est vrai pour la recette (vidéo 2), mais pour le récit de la description du harcèlement scolaire (vidéo 1), ces procédés servent plutôt aux locuteurs à renforcer l’argumentation de leurs propos.
84Cette étude, bien que basée sur un corpus limité, a mis en évidence plusieurs aspects qui peuvent constituer d’autres enjeux de recherche. Nous sommes consciente qu’il ne s’agit pas d’un véritable oral où se déroulent des échanges oraux, mais plutôt d’une description oralisée avoisinant l’écrit, car il est question d’un récit d’un épisode de harcèlement scolaire et d’une description de réalisation d’une recette. En effet, pour parvenir à la comparaison des productions passives orales et écrites qui ne se seraient sans doute pas rencontrées d’une façon naturelle, nous avons utilisé des techniques de sollicitation par visionnage de deux vidéos afin de susciter des énoncés passifs, sans cependant influencer les locuteurs italophones. Nous avons fourni aux locuteurs un environnement déterminé pour favoriser la production d’énoncés de façon spontanée, sans les forcer, d’abord oralement et ensuite par écrit.
85Par ailleurs, le choix des vidéos n’était pas anodin. D’abord, un épisode où les protagonistes sont des collégiens, et ensuite, la description d’un processus d’élaboration d’une recette, ont permis d’obtenir des productions passives orales et écrites diversifiées.
86Les résultats ainsi obtenus montrent, d’abord, que les productions passives sont plus fréquentes à l’oral qu’à l’écrit dans les restitutions des deux vidéos proposées aux locuteurs italophones et qu’elles se distribuent de façon différente et non homogène à l’oral et à l’écrit. La succession passif-actif est plus fréquente à l’oral qu’à l’écrit où les redondances sont moins tolérées. Ce procédé sert à reproduire les déroulements des différentes phases de la vidéo 2 et à renforcer l’argumentation énonciative dans la vidéo 1.
87À côté des périphrases passives canoniques italiennes formées avec essere, venire, andare, il existe également une grande variété de formes passives regroupant d’autres verbes, des Vpp, des locutions variées et le si passivante.
88La majorité des périphrases passives en essere et venire sont des formes « courtes », sans agent exprimé ; celui‑ci est déduit par le contexte, mais quand il est présent, c’est pour charger l’énoncé d’une intensité émotionnelle.
89L’absence de l’agent dépend de divers facteurs liés à l’auxiliaire employé, au contexte et aux intentions du locuteur. Avec essere et venire l’agent est facultatif, avec andare il n’est pas admis, alors qu’avec le si passivante l’agent non exprimé est bien là, sans être formellement identifié. Ces deux dernières tournures sont les plus employées dans la restitution de la vidéo 2, où ce qui est mis en valeur, c’est le processus.
90L’emploi des auxiliaires essere, venire, andare dans les périphrases canoniques passives italiennes montre qu’ils ne sont pas toujours commutables, car leur emploi dépend des nuances de sens et des thématiques abordées. La vidéo 1 enregistre le taux le plus élevé de périphrases passives en venire qui dynamise le récit des évènements des personnages impliqués, alors que la vidéo 2 enregistre un nombre élevé de si passivante et de périphrases passives avec andare, qui se prêtent mieux au ton injonctif de la recette. Les données relevées permettent donc d’affirmer l’existence d’une relation étroite entre le genre des textes (vidéo 1/vidéo 2) et le type de discours (narratif/injonctif) en fonction de la finalité des vidéos choisies, qui va bien au‑delà de la simple distinction diamésique.