- 1 Respectivement Phonologie du français contemporain ; Corpus de langues parlées en interaction ; Enq (...)
- 2 Lessico di frequenza dell’italiano parlato : LIP. Cf. De Mauro et coll. (1993).
1On sait que les données extraites de grands corpus oraux de type PFC, CLAPI, ESLO1 pour le français ou LIP2 pour l’italien fournissent une représentation beaucoup plus fidèle à la réalité de la langue parlée (par les adultes) que les descriptions grammaticales. Ce constat est particulièrement vrai pour la description du passif qui peut être exprimé de multiples façons en français comme en italien, en particulier à l’oral.
- 3 Les données écologiques sont recueillies dans des situations langagières non expérimentales, hors l (...)
2Dans le domaine de l’acquisition de la langue maternelle, qui sera abordé dans cette étude sous l’angle de la production orale des formes passives chez des enfants de 4 à 10 ans, il n’existe pas d’études systématiques sur les formes de passifs utilisées par les enfants, malgré l’existence de nombreux corpus enfantins qui enrichissent nos connaissances sur l’acquisition. Par ailleurs, la description ou l’analyse de phénomènes acquisitionnels exige d’avoir des corpus comparables recueillis auprès d’enfants d’âges différents, voire de langues maternelles différentes. Cette contrainte limite fortement la représentativité des données observables écologiques3. Il est donc nécessaire d’imaginer un protocole de recueil qui soit le plus « naturel » possible et qui permette de comparer un nombre suffisant d’enfants d’âges différents, de langues maternelles différentes, au cours de la même tâche de production. C’est ce que nous nous proposons de faire ici avec des enfants francophones et italophones, lors d’une tâche de restitution d’histoire.
- 4 La consigne donnée incite l’enfant à raconter l’histoire du début à la fin, sans l’abréger et en re (...)
3Le protocole de recueil de nos données est à mi‑chemin entre un protocole semi-expérimental et un protocole écologique. L’expérimentateur lit à chacun, individuellement, la même histoire, Tom et Julie, qui a été écrite en français puis traduite en italien. Immédiatement à la suite de la lecture, l’enfant est invité à restituer la même histoire tandis qu’il est enregistré. La consigne donnée est la suivante : tu racontes la même histoire avec tes mots à toi, tu essaies de ne rien oublier4. L’adulte n’intervient que pour encourager l’enfant, si besoin.
- 5 Les textes sources, français et italien, de même que l’ensemble du protocole peuvent être consultés (...)
- 6 On atteint ici la limite d’un recueil écologique.
4La version française de l’histoire source fait 436 mots, la version italienne 3825. L’utilisation de la même histoire, qui a été divisée en 14 séquences narratives, permet de contrôler la source et par conséquent d’analyser de quelle façon chaque enfant s’empare de cette même source pour reproduire la « même » histoire. Celle‑ci, du fait de la langue employée et du contenu de l’histoire, peut s’adresser aussi bien à des enfants de 4 ans qu’à des enfants de 10 ans, elle raconte l’arrivée en classe d’une nouvelle élève, l’amitié entre cette élève et un petit garçon de cette classe puis le basculement dans un univers merveilleux. Malgré la tâche, peu spontanée6, de demander aux enfants de raconter une histoire qu’on vient de leur lire, ils s’y prêtent tous très volontiers, mais surtout la situation linguistique d’appropriation est, ici, comparable aux situations authentiques où tous les enfants puisent dans la langue qu’ils entendent, pour apprendre à s’en servir.
5Dans chacune des deux langues, nous avons 4 groupes d’âge d’enfants tout-venant : 4, 6, 8 et 10 ans, de 15 enfants chacun. Les enregistrements ont eu lieu dans les écoles respectives des enfants.
6L’histoire utilisée dans le protocole comporte trois formes de passif, très comparables en français et en italien :
1. Un passif dit canonique (ou périphrastique)
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Séquence 11 : Tout à coup, le tronc s’ouvrit et les enfants furent éblouis par la lumière / Ad un tratto il tronco si aprì e i bambini furono accecati dalla luce
2. Un passif impersonnel
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Séquence 7 : Tom avait un peu peur parce qu’il lui était interdit d’aller dans la forêt, surtout la nuit / Tommaso aveva un po’paura perchè gli era proibito andare nella foresta, soprattuto di notte
- 7 Lamiroy (1993), Herslund (2000), Muller (2017) emploient le terme de passif pronominal que nous rep (...)
3. Deux occurrences de passifs pronominaux7
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Séquence 11 : Tout à coup, le tronc s’ouvrit / Ad un tratto il tronco si aprì (…)
Ils firent quelques pas et l’arbre se referma derrière eux / Fecero qualque passo e l’albero si richiuse dietro di loro
7Les deux premières formes (séq. 7 et 11) peuvent être considérées comme des formes complexes, d’une part, par rapport au passif « court » (Hamma, 2017) : les enfants furent éblouis, et d’autre part, par rapport aux formes personnelles passives, par exemple aller dans la forêt lui était interdit.
8On cherchera à savoir ce que font les enfants avec les passifs du texte source (TS) (voir partie 4), c’est-à-dire dans quelle mesure ils conservent la forme passive ou non, et quels types de passifs ils introduisent lors de la restitution de l’histoire (partie 5). On observera aussi les effets de l’âge et de la langue sur l’ensemble des formes passives produites.
9Nous considérons, à la suite de Harris (1970, 1988/2007), M. Gross (1993, 1996), G. Gross (1993), Ibrahim (2017), Muller (2017) que la diathèse prototypique, non marquée, pour chaque prédicat, est la diathèse active personnelle. Les diathèses actives impersonnelles, passives personnelles et passives impersonnelles sont donc marquées par rapport à la diathèse de base. La relation de paraphrase transformationnelle (Harris, 1970) entre, par exemple, la diathèse active personnelle et la diathèse passive personnelle ne signifie pas pour autant qu’il y ait une exacte correspondance sémantique entre les deux constructions (Muller, 2017, p. 283). Elle ne signifie pas non plus que toutes les constructions verbales actives aient une transformée passive possible dans une langue donnée (et vice-versa). Mais cette relation transformationnelle nous autorise à distinguer les formes passives ayant une transformée active, des formes passives autonomes (M. Gross, 1996, p. 11), comme Luc est pris par son travail (*le travail prend Luc). Nous n’analyserons ci‑dessous que les énoncés passifs qui ont une transformée active. En complément de ce critère syntaxique, nous nous appuyons également sur un critère sémantique pour repérer — dans les productions enfantines — des énoncés éloignés des formes traditionnelles passives : d’une façon générale, nous retiendrons comme énoncés passifs des énoncés qui se sont affranchis de la correspondance naturelle — non marquée, prototypique — qui existe en français et en italien, entre le rôle de l’agent (complément d’agent) et la fonction de sujet (Muller, 2017, p. 283). Il s’agit, le plus souvent, d’énoncés dans lesquels le premier actant est effacé (ex. il y a écrit). Dans tous les cas, nous vérifions que chaque énoncé à sens passif a une forme active équivalente.
- 8 Cette construction est un passif d’état et non une construction attributive, entre autres raisons p (...)
10Par ailleurs, et toujours selon la conception harrissienne de la langue (1970, 1988/2007), les énoncés de n’importe quelle langue sont plus ou moins analytiques ou au contraire synthétiques, abrégés, les premiers pouvant décrire le fonctionnement des seconds. Le principe que nous adoptons face à un énoncé abrégé, dans lequel un ou plusieurs éléments ont été effacés et auquel nous donnons une interprétation passive, est de reconstruire l’énoncé de la façon la plus analytique possible parce que cette reconstruction donne à voir la forme passive complète (Harris, 1988/2007 ; Ibrahim, 2015). Ainsi l’énoncé réduit, con scritto (avec écrit), correspond‑il à la prédication complète : quelque chose était écrit sur le morceau de papier, que nous réduisons un peu en supprimant les redondances : sur lequel quelque chose était écrit8 :
Alessandro (6 ans) : Tommaso trovò un pezzo di carta con scritto (Tommaso trouva un morceau de papier avec écrit). Reconstruction : sul quale qualcosa era scritto (sur lequel quelque chose était écrit).
11Les formes basiques impersonnelles passives comme il y a écrit (c’è scritto) (5.4 ci‑après) ont pour équivalence active à partir de la reconstruction : il y a quelque chose qui est / a été écrit (c’è qualcosa che è / è stato scritto) : quelqu’un a écrit quelque chose (qualcuno ha scritto qualcosa).
12La forme de passif pronominal l’arbre s’ouvre (l’albero si apre) ne permet pas de distinguer les rôles de l’agent et du patient. On parlera, pour cette raison, d’interprétation « moyenne ». Cependant, l’arbre, dans le contexte de l’histoire, n’a aucune agentivité (il s’ouvre sous l’action de 3 coups donnés par une fillette). Par conséquent, on considère que l’on passe du « moyen » au passif.
13Au total, on trouve 75 occurrences de formes passives chez les francophones et 76 chez les italophones.
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Séquence 11 (TS) : les enfants furent éblouis par la lumière / i bambini furono accecati dalla luce
- 9 Le passif processif s’oppose au passif d’état.
14Cette forme passive est la seule dans le TS à exprimer tous les actants et en particulier le premier actant (la lumière / la luce) de la forme active correspondante. Cette forme exprime un passif processif (Muller, 2017, p. 286)9 et ponctuel du fait de l’emploi du passé simple. Peu d’enfants ont produit une forme sans complément d’agent (Hamma, 2017) :
Edward (6 ans) : les enfants étaient éblouis
Tableau 1. – Nombre d’occurrences correspondant au passif canonique (court ou long) du texte source.
- 10 Rappel : 15 enfants par tranche d’âge, dans chaque langue, sont à l’origine du corpus analysé.
N = 1510
|
français
|
italien
|
4 ans
|
1
|
1
|
6 ans
|
3
|
4
|
8 ans
|
2
|
4
|
10 ans
|
2
|
5
|
Total
|
8
|
14
|
15D’un point de vue quantitatif, on remarque une différence de l’ordre du simple au double pour l’ensemble des occurrences de cette construction passive entre les francophones et les italophones. On remarque aussi que le petit nombre d’occurrences de ce passif est stable chez les francophones alors qu’il augmente entre 4 et 10 ans chez les italophones.
16Regardons à présent le détail de ces constructions passives chez les enfants.
17On verra que le sens processif du passif, de même que la non-durativité du procès pose problème davantage aux enfants francophones qu’italophones. Signalons cependant que l’auxiliaire italien essere (être), est neutre du point de vue du mode d’action tandis qu’un autre auxiliaire au sens plus processif aurait pu être utilisé dans le TS : venire (venir).
18Chez les francophones, seule une fillette de 4 ans a repris le passé simple, temps verbal permettant d’exprimer le sémantisme ponctuel du TS :
Clara (4 ans) : il fut ébloui par la lumière
19À 6 ans, l’imparfait et le présent (le présent étant indéterminé du point de vue de l’opposition durativité – non‑durativité, et donc compatible avec la non‑durativité) sont employés :
Chloé (6 ans) : ils sont éblouis parce que (…) parce qu’il y a la lumière
20À 8 ans, les deux occurrences sont à l’imparfait :
Antonin (8 ans) : ils étaient éblouis par tant de lumière
21À 10 ans, les deux occurrences sont compatibles avec la non‑durativité du sémantisme contextuel :
Marion (10 ans) : ils sont éblouis par la lumière
22Du point de vue du premier actant exprimé dans le TS par par la lumière, celui‑ci est exprimé par un seul enfant de 4 et 6 ans, 2 enfants de 8 ans, et 3 de 10 ans.
23La prise en compte de l’agentivité effective de la lumière se manifeste à 6 ans par une proposition causale qui correspond à la modalité causative de éblouir : ils sont éblouis parce qu’il y a la lumière (voir ci‑dessus Chloé) = la lumière fait qu’ils sont éblouis (Ibrahim, 2017, p. 276).
24Et à 10 ans, par des formes actives : deux adjectifs verbaux à sémantisme actif (Marc) et un verbe à la voix active (Alexandrine) comme si une interprétation processive ne pouvait pas être exprimée par un passif canonique.
Marc (10 ans) : il y a eu une lumière éblouissante
Alexandrine (10 ans) : une grande lumière l’éblouit
25L’agentivité, envisagée du point de vue de la présence du premier actant (la lumière), est l’exception à 4 et 6 ans, à peine plus à 8 et 10 ans. Par ailleurs, l’interprétation processive non durative, marquée par le passé simple, est évitée même chez les enfants de 10 ans. Finalement, seule une fillette de 4 ans a réutilisé le passé simple. En outre, elle l’a fait en répétant l’énoncé source, ce qui ne prouve pas qu’elle ait acquis la valeur distinctive du passé simple avec le verbe être ébloui, et en particulier son sémantisme processif non duratif.
26Nous avons vu dans le tableau 1 que le nombre des occurrences de formes passives canoniques, avec ou sans complément d’agent, est presque deux fois plus élevé chez les enfants italophones.
27Conformément aux possibilités de l’italien qui dispose de plusieurs auxiliaires pour exprimer le passif canonique (Castellani, 2018), les enfants italophones font varier cet auxiliaire dans leurs restitutions (le TS utilise essere : être).
28À 6 ans, trois enfants emploient rimanere (rester) au présent (Daniele), au plus que parfait (Giovanni), au passé simple (Emanuele). L’emploi de cet auxiliaire implique, quel que soit le temps, un sémantisme duratif et non le sémantisme ponctuel du TS. Un seul enfant reprend l’auxiliaire source au passé simple (répétition du TS).
Daniele (6 ans) : i bambini rimangono tutti accecati con quella luce (les enfants restent tous aveuglés avec cette lumière)
Giovanni (6 ans) : erano rimasti accecati perché la luce era così bianca (ils étaient restés aveuglés parce que la lumière était si blanche)
Emanuele (6 ans) : c’era una luce che rimasero accecati (il y avait une (telle) lumière qu’ils restèrent aveuglés)
29À l’inverse, chez les 8 ans, un seul enfant ne parvient pas à exprimer le sémantisme ponctuel, celui‑ci emploie restare au présent avec un participe passé synonyme abbagliare, plus rare que accecare (Fabrizio). Les trois autres enfants restituent bien le sémantisme processif et ponctuel du verbe source en employant venire au passé simple (Enrico) ou en reprenant l’auxiliaire source au passé simple :
Fabrizio (8 ans) : i due bambini restano abbagliati dalla luce (les deux enfants restent éblouis par la lumière)
Enrico (8 ans) : Giulia e Tommaso vennero accecati dalla luce abbagliante (Julie et Tom vinrent aveuglés par la lumière éblouissante)
30À 10 ans, on constate la même tendance qu’à 8 ans. Un enfant emploie encore restare au passé simple (Giulio), mais deux autres reprennent essere au passé simple.
Giulio (10 ans) : loro restarono accecati dalla luce (eux, ils restèrent aveuglés par la lumière)
31Donc, parmi ces occurrences construites avec un auxiliaire suivi du participe passé (accecati, abbagliati), les formes compatibles avec le sémantisme du TS, c’est-à-dire un mode d’action ponctuel, sont celles qui utilisent les auxiliaires essere et venire au passé simple ou au présent. C’est le cas, comme nous l’avons vu plus haut, chez un enfant de 6 ans, trois enfants de 8 ans, trois enfants de 10 ans.
32À ces formes de passif canonique, il faut ajouter deux passifs non canoniques. À 4 ans, un enfant emploie la forme vedersi à l’imparfait donc avec un temps incompatible avec le mode d’action ponctuel (Marco), et à 10 ans, un enfant produit une forme pronominale, si passivante, au passé simple, donc conforme au mode d’action mais avec un complément d’agent qui rend l’énoncé agrammatical (Alberto) :
Marco (4 ans) : con la luce del tronco si vedevano *ceccati (avec la lumière du tronc ils se voyaient aveuglés)
Alberto (10 ans) : *si accecarono da una luce (ils s’aveuglèrent par une lumière)
33Enfin, alors qu’une seule occurrence de transformation active est attestée en français (Alexandrine, 10 ans), les italophones en produisent deux à 6 ans (Matilde), deux à 8 ans (Stefano 1) et deux à 10 ans.
Matilde (6 ans) : una grande luce abbagliò i due bambini (une grande lumière éblouit les deux enfants)
Stefano 1 (8 ans) : c’è una luce lucente che li acceca (il y a une lumière lumineuse qui les aveugle)
34Pour rendre compte du sémantisme processif du verbe passif source, les enfants italophones utilisent beaucoup plus souvent que les enfants francophones des adjectifs verbaux à sémantisme actif : respectivement deux occurrences à 8 ans (ci‑dessus, Stefano 1 : lucente ; plus haut, Enrico : abbagliante), deux occurrences à 10 ans (ci‑dessous, Indiana : accecante) contre deux occurrences à 10 ans seulement chez les francophones (cf. Marc, plus haut) :
Indiana (10 ans) : l’albero si aprì con una luce accecante (l’arbre s’ouvrit avec une lumière aveuglante)
35Malgré tout, les enfants italophones qui sont parvenus à produire une forme passive compatible avec le sémantisme de furono accecati ont majoritairement répété le TS. Seul un enfant de 8 ans, Enrico, ci‑dessus, a réussi à employer un autre auxiliaire que essere avec le temps correct. À 10 ans, un enfant a évité la difficulté en employant seulement le participe passé :
Riccardo 2 (10 ans) : loro talmente abbagliati dalla luce (eux tellement éblouis par la lumière)
36On constate donc chez les italophones la même difficulté que chez les francophones à produire un passif processif et ponctuel. Les occurrences relativement fréquentes, chez les jeunes locuteurs italophones, des auxiliaires rimanere et restare le montrent bien. Mais pour parvenir à produire malgré tout un passif processif, les enfants italophones de 4 et 6 ans remplacent la préposition da, très grammaticalisée, par la préposition con (avec) dont le sens implique une certaine agentivité (voir plus haut, Marco, 4 ans, Daniele, 6 ans) ou bien en introduisant une construction causale (voir plus haut, Giovanni, 6 ans, Emanuele, 6 ans). À 8 et 10 ans, on constate un emploi plus important de la préposition dédiée : dalla luce, da una luce. Nous expliquons cette évolution chez les enfants italophones entre con la luce et da (una + la) luce par la grammaticalisation de la fonction agentive à partir de 8 ans. Les constructions causales chez deux enfants de 6 ans (Chloé (fr), Giovanni (it), ci‑dessus) correspondent aussi à un stade d’explicitation de la relation sémantique, précédant celui de la grammaticalisation.
37Le complément d’agent (la lumière / la luce), en français comme en italien, est d’abord la cause d’un évènement processif, même si celui‑ci est exprimé très majoritairement par un sémantisme résultatif jusqu’à 6 ans chez les italophones et 8 ans chez les francophones. La tendance, un peu plus précoce chez les italophones de vouloir reproduire le passif processif du TS par une formulation non passive s’observe aussi, comme nous l’avons vu par un plus grand nombre de formes actives en italien, six en italien contre une en français, entre 6 et 10 ans, ainsi que par des adjectifs verbaux à sémantisme actif plus précoces et plus nombreux en italien.
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Séquence 7 (TS) : il lui était interdit d’aller dans la forêt / gli era proibito andare nella foresta
38Comme pour le passif canonique, une grande différence quantitative distingue les productions des enfants d’une langue à l’autre. Les italophones produisent plus du double des occurrences produites par les francophones (cf. tableau 2). Le nombre total des occurrences reste cependant très faible, rapporté au nombre total d’enfants (60 dans chaque langue). Contrairement à la forme précédente du passif canonique source qui exprimait un sémantisme processif et ponctuel, le passif impersonnel exprime ici un état (forcément duratif). Ce sémantisme est toujours présent dans les deux langues, à l’exception d’un italophone de 10 ans (Alberto).
Tableau 2. – Nombre d’occurrences correspondant au passif impersonnel du TS.
N = 15
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français
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italien
|
4 ans
|
2
|
0
|
6 ans
|
1
|
6
|
8 ans
|
2
|
4
|
10 ans
|
0
|
2
|
Total
|
5
|
12
|
39Chez les italophones, les enfants de 6 et 8 ans sont les plus productifs.
40On peut observer dans les quelques productions francophones une absence à 4 et 6 ans du 3e actant, destinataire de l’interdiction (Tom / lui) :
Pauline X (4 ans) : il était interdit d’aller dans la forêt
Margot (6 ans) : c’était interdit d’y aller
41À 8 ans, un enfant répète à l’identique (Océane) et donc énonce le destinataire ; un autre enfant transforme la forme impersonnelle en forme personnelle tout en maintenant un sémantisme passif, dans une diathèse active (Solène) :
Océane (8 ans) : il lui était interdit d’aller au grand arbre
Solène (8 ans) : il avait interdiction d’aller dans la forêt
42Cette forme de restructuration avec nominalisation du prédicat (interdit > interdiction) a été tentée par un enfant de 4 ans mais la nominalisation a été mal actualisée (Alexandre Y). Le prédicat nominal interdiction véhicule un sémantisme de passif d’état.
Alexandre Y (4 ans) : c’est interdiction d’y aller
43À 10 ans, aucun enfant n’a cherché à reproduire un passif impersonnel au profit exclusif de : il avait pas le droit, et dans une moindre mesure de : il pouvait pas.
44Les six enfants italophones de 6 ans qui ont reformulé la tournure passive du TS sont trois à avoir supprimé le destinataire (de l’interdiction), comme chez les francophones :
Fabrizio (6 ans) : era vietato andare di sera (il était interdit d’aller le soir)
Marco (6 ans) : la foresta era proibita (la forêt était interdite)
45Marco a produit une restructuration personnelle passive, ce qui est assez remarquable à 6 ans.
46Les trois autres enfants ont maintenu le destinataire soit en paraphrasant l’énoncé source avec un synonyme de proibito (interdit) (Martina 2), le reste de l’énoncé étant rigoureusement identique au TS, soit en modifiant la personne du destinataire (Giulia 1), soit en adoptant un compromis. Le « destinataire » sort de la rection du verbe, il est donc indiqué comme destinataire mais sous la forme du complément prépositionnel effaçable per lui (pour lui) (Serena) :
Martina 2 (6 ans) : gli era vietato andare nella foresta soprattutto di notte (il lui était interdit d’aller dans la forêt surtout la nuit)
Giulia 1 (6 ans) : mi è proibito però andare dentro il bosco soprattutto di notte (il m’est interdit d’aller dans le bois surtout la nuit)
Serena (6 ans) : per lui era molto vietato andare nella foresta (pour lui il était très interdit d’aller dans la forêt)
47À 8 ans, trois enfants sur quatre énoncent le destinataire sous la forme clitique qu’il a dans le TS. En revanche, un enfant, comme chez Serena, 6 ans, ajoute au passif impersonnel, le complément prépositionnel per lui (Anna) :
Anna (8 ans) : era proibito per lui (il était interdit pour lui)
48Le lexique verbal est le même chez les quatre enfants de 8 ans : era / è proibito. Un enfant transforme l’énoncé source à la voix active (Claudia 1) :
Claudia 1 (8 ans) : la sua mamma e il suo papà gli eh l’avevano proibito (sa maman et son papa lui eh l’avaient interdit)
49À 10 ans, deux enfants seulement reproduisent la construction passive. Iside exprime le destinataire par per lui comme Serena, 6 ans et Anna, 8 ans. Alberto modifie le temps du TS en employant un plus-que-parfait, ce qui donne à l’énoncé un sémantisme processif, avec un aspect accompli :
Iside (10 ans) : era vietato per lui andare (il était interdit pour lui d’aller)
Alberto (10 ans) : gli era stato proibito di andare alla alla foresta (il lui avait été interdit d’aller à la à la forêt)
50La diminution des passifs impersonnels en fonction de l’âge chez les enfants italophones révèle que cette construction n’est pas habituelle dans la langue courante. Plusieurs exemples montrent qu’à partir de 10 ans, le poids de la langue courante semble surpasser celui du TS. Malgré tout, les passifs impersonnels restent plus disponibles en italien qu’en français.
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Séquence 11 (TS) : Tout à coup, le tronc s’ouvrit (…) l’arbre se referma derrière eux / Ad un tratto il tronco si aprì (…) l’albero si richiuse dietro di loro
51Cette forme de passif est, dans notre corpus de restitutions, la forme la plus fréquente dans les deux langues et à tous les âges ; il n’est donc pas surprenant de constater que cette forme (non complexe) est déjà acquise à 4 ans (tableau 3).
Tableau 3. – Nombre d’occurrences correspondant aux deux cas de passifs pronominaux du TS.
N =15
|
français
|
italien
|
4 ans
|
13
|
7
|
6 ans
|
18
|
14
|
8 ans
|
17
|
12
|
10 ans
|
14
|
17
|
Total
|
62
|
50
|
52Alors que nous avions constaté que, dans la même séquence, le passif furent éblouis / furono accecati (partie 4.1) était très majoritairement repris avec un mode d’action duratif (erroné), à cause de l’auxiliaire employé par les italophones et de l’imparfait employé par les francophones, les emplois temporels erronés (Marion, Zaira et quelques autres plus âgés) sont ici exceptionnels.
Marion (4 ans) : l’arbre il s’est ouvert … l’arbre *se refermait
Zaira (4 ans) : è entrata lei e il tronco ma *si apriva (elle est entrée elle et le tronc mais il s’ouvrait)
53À 4 ans, on trouve deux imparfaits sur 13 occurrences chez les francophones et trois imparfaits sur sept occurrences chez les italophones. Les erreurs diminuent en fonction de l’âge et à 10 ans, un seul enfant dans chaque langue emploie encore un imparfait :
Riccardo1 (10 ans) : e *si apriva la corteccia (et s’ouvrait l’écorce)
Camille (10 ans) : et l’arbre qui *s’ouvrait alors Tom et Julie *faisaient quelques pas et l’arbre se referma vers eux
54On remarque, qu’à quelques exceptions près, les imparfaits fautifs ne concernent que le deuxième verbe se refermer / chiudersi (it. 4 et 6 ans, fr. 4, 6, 8 ans). Il est vraisemblable que l’éloignement entre tout à coup / ad un tratto et se refermer / chiudersi en soit la cause. Si l’on compare le faible nombre d’imparfaits utilisés pour le passif pronominal avec le grand nombre d’imparfaits utilisés pour le passif canonique, on est frappé par le fait que le passif pronominal soit bien employé, c’est-à-dire en cohérence avec un sémantisme ponctuel. Le passif pronominal a, de fait, une construction active et il est probable que les enfants ne perçoivent pas le sémantisme passif de ces formes, d’autant moins dans un contexte fictionnel où les arbres peuvent s’ouvrir.
55En plus des formes passives induites par le TS, que nous venons d’analyser, respectivement 75 (fr.) et 76 (it.), les locuteurs ont produit d’autres formes passives, essentiellement lors de la reformulation de la séquence 6 (voir ci‑dessous). Les francophones ont introduit 39 formes passives et les italophones 46 ; la différence est très faible mais tend, malgré tout, vers la même conclusion que celle que nous avons déjà entrevue : les jeunes locuteurs italophones sont plus précoces et réussissent plus tôt à combiner les différentes formes passives avec une interprétation processive. On devrait donc retrouver les mêmes tendances dans les passifs « spontanés ».
56Nous désignons par constructions passives introduites ou spontanées des formes de passifs qui ne correspondent pas à la reprise des quatre formes présentes dans le TS. Par exemple, le passif construit par Léo, avec un complément d’agent introduit par de, ou le passif (d’état) court de Gianni, introduisant une information non présente dans le TS :
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Séquence 11 (TS) : (…) la lumière qui inondait l’intérieur de l’arbre
Léo (10 ans) : c’est inondé de lumière
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Séquence 12 (TS) : Giulia e Tommaso si trovavano in un giardino meraviglioso dove i fiori sembravano parlarsi cantando (Julie et Tom se trouvaient dans un jardin merveilleux où les fleurs semblaient se parler en chantant)
Gianni (4 ans) : i fiori sono tagliati (les fleurs sont coupées)
- 11 Une occurrence « avec écrit » est attestée chez un francophone de 8 ans (Martinot et coll., 2018, p (...)
57Nous trouvons (a) des formes de passifs canoniques longs avec le complément d’agent exprimé (Alexandre, Alberto) ; (b) des formes de passifs courts dans lesquels le complément d’agent non exprimé peut être reconstruit (Margot, Francesca, Federico) ; (c) des diathèses impersonnelles à sens passif (beaucoup plus nombreuses en français) avec un complément d’agent reconstructible (Sébastien) ; (d) des diathèses impersonnelles à sens passif dans lesquelles il est impossible syntaxiquement de reconstruire un complément d’agent (Alexandre, Daniele, Fabrizio) ; et enfin, (e) une forme de passif attestée, dans notre corpus, en italien seulement et correspondant à la réduction d’une construction passive canonique (Serena, Riccardo)11 :
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Séquence 1 (TS) : la maitresse est arrivée (…) elle tenait par la main une petite fille
(a) Alexandre X (4 ans) : la maitresse rentrait (…) accompagnée d’une petite fille
-
Séquence 3 (TS) : Tommaso era pazzo di gioia all’idea di avere forse trovato una nuova amica (T. était fou de joie à l’idée d’avoir peut‑être trouvé une nouvelle amie)
(a) Alberto (10 ans) : Tommaso era molto emozionato per conoscere qualcun’altro (Tommaso était très ému pour connaitre [= de connaitre] quelqu’un d’autre). Reconstruction : = emozionato dall’idea di conoscere qualcuno (ému par l’idée de connaitre quelqu’un)
-
Séquence 6 (TS) : Tom (…) sur lequel Julie avait écrit / T. (…) sul quale G. aveva scritto
(a) Margot (6 ans) : Tom ouvrit la boite et *vu un mot écrit. Reconstruction : écrit par Julie / quelqu’un
(b) Francesca (4 ans) : e vedeva un foglio scritto con le cose di Giulia (et il voyait une feuille écrite avec les choses de Giulia). Reconstruction : scritto da Giulia (écrite par Julie)
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Séquence 1 (TS) : Elle tenait par la main une petite fille que personne n’avait encore jamais vue / Teneva per mano una bambina che nessuno aveva ancora mai visto
(b) Federico (6 ans) : (la maestra) teneva per mano una bambina nuova mai vista che di nome si chiamava Giulia ((la maitresse) tenait par la main une enfant nouvelle jamais vue qui de nom s’appellait Giulia). Reconstruction : mai vista dai bambini della scuola (jamais vue par les enfants de l’école)
********
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Séquence 6 (TS) : Tom (…) sur lequel Julie avait écrit / T. (…) sul quale G. aveva scritto
(c) Sébastien (10 ans) : il regarde le mot et il y était marqué. Reconstruction : il y était marqué par Julie (diathèse passive impersonnelle)
********
(d) Alexandre Y (4 ans) : il y avait un message où il y avait écrit (séq. 6)
(d) Daniele (6 ans) : c’è un pezzettino di carta scritto da lui da lei ehm che c’era scritto (il y a un petit morceau de papier écrit par lui par elle ehm que il y avait écrit)
(d) Fabrizio (6 ans) : e troverà un pezzo di carta scritto + di Giulia + *che stà scritto (et trouvera un morceau de papier écrit + de Julie + où il est écrit)
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(e) Serena (6 ans) : poi lui aprì la scatola e c’era un pezzo scritto un pezzo di carta con sopra scritto aspettami (…) (puis il ouvrit la boite et il y avait un morceau écrit un morceau de papier avec dessus écrit attends-moi (…). Reconstruction : con qualcosa che era sopra scritto da qualcuno (avec quelque chose qui était dessus écrit par quelqu’un)
(e) Riccardo (8 ans) : e Tommaso la apre e c’è un biglietto con scritto hum andiamo alla foresta (et Tommaso l’ouvre et il y a un petit mot avec écrit hum allons à la forêt). Reconstruction : con qualcosa che era scritto da qualcuno (avec quelque chose qui était écrit par quelqu’un)
- 12 Les récentes études sur de grands corpus oraux montrent que la présence ou l’absence de l’agent est (...)
58Nous proposons de classer les formes produites selon une échelle de prototypicité entre les deux pôles extrêmes du passif canonique avec agent exprimé, considéré (traditionnellement) comme la forme la plus prototypique12 (5.1) et de la construction à sémantisme passif reconstruit (5.5). Nous en proposons un tableau quantitatif (tableau 4) et décrirons quelques‑unes de ces formes ensuite.
Tableau 4. – Répartition des occurrences de formes passives introduites dans les restitutions.
Formes de passif
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5.1
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5.2
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5.3
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5.4
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5.5
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Passif canonique avec agent exprimé
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Passif canonique sans agent exprimé
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Diathèse impersonnelle avec agent reconstructible
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Diathèse impersonnelle avec agent non reconstructible
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Autre construction à sémantisme passif
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fr
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it
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fr
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it
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fr
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it
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fr
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it
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fr
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it
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4 ans
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1
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2
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4
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5
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1
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6 ans
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1
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2
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1
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7
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1
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5
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6
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2
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8 ans
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1
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1
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1
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4
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5
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7
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5
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10 ans
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3
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1
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2
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0
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2
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5
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4
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6
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Total
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5
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4
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4
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10
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10
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1
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20
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18
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0
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13
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- 13 Rappel : (par + de) se lit : « par » ou « de ».
59Ces formes de passif canonique sont très rares aussi bien chez les locuteurs francophones de notre corpus que chez les italophones. Chez les francophones, le complément d’agent est introduit chez quatre enfants par la préposition de qui correspond à un agent peu agentif, voire sans intentionnalité (Alexandre X, 4 ans et Léo, 10 ans, ci‑dessus, Maurine, ci‑dessous). Chez Achille (ci‑dessous), la préposition de n’introduit pas directement le complément d’agent bien que l’on puisse transformer l’énoncé de cet enfant à la voix active : avoir une nouvelle amie excitait beaucoup Tom, nous considérons plutôt que de est la trace réduite de par le fait de. Aucun francophone n’a utilisé la préposition par. Chez les italophones, l’agentivité du complément d’agent n’est exprimée par da que chez Daniele (ci‑dessous). Mais rappelons que la langue italienne ne prévoit que la préposition da pour introduire un complément d’agent.
Maurine (10 ans) : ils arrivèrent dans un grand jardin rempli de fleurs et d’arbres (séq. 12)
Achille (6 ans) : Tom était très excité d’avoir une nouvelle amie (séq. 3)
Daniele (6 ans) : c’è un pezzettino di carta scritto da lui da lei (il y a un petit morceau de papier écrit par lui par elle) (séq. 6)
60En dehors de l’énoncé de Daniele, le complément d’agent n’exprime aucune agentivité ou intentionnalité chez les italophones. Dans l’énoncé de Matilde (ci‑dessous), que l’on peut transformer à l’actif, ce qui tient lieu d’agent est introduit par la préposition a : all’idea di Vinf (à l’idée de Vinf). La préposition introductrice du nom opérateur l’idea di (Vinf) peut être remplacée par la préposition dédiée au passif canonique italien da : Tommaso era un po’ spaventato dall’idea di andare nella foresta (Tom était un peu effrayé par l’idée d’aller dans la forêt).
Matilde (6 ans) : Tommaso era un po’ spaventato all’idea di andare nella fores(ta) (Tommaso était un peu effrayé à l’idée d’aller dans la forêt) (séq. 7)
61Quant à Lisa, l’emploi erroné de la préposition di — rappelant l’emploi français entourés d’un grand jardin — montre la difficulté d’utiliser la préposition dédiée au passif da :
Lisa (8 ans) : e *era (sing) *circondate (fém. pl.) *di (= da) un grande giardino (il/elle était entouré.e par un grand jardin) (séq. 12)
62Dans l’énoncé d’Alberto, le complément d’agent est plutôt un complément de cause :
Alberto (10 ans) : Tommaso era molto emozionato per conoscere qualcun altro (Tommaso était très ému pour connaitre quelqu’un d’autre) (séq. 3). Reconstruction : Tommaso era molto emozionato dal fatto di conoscere qualcun altro (Tommaso était très ému par le fait de connaitre quelqu’un) ou bien Tommaso era molto emozionato perché conosceva qualcun altro (Tom était très ému parce qu’il connaissait quelqu’un d’autre)
63Les formes rassemblées sous cette rubrique sont également rares et elles sont plus nombreuses en italien qu’en français (cf. tableau 4, col. 5.2). Ces formes sont toujours réduites à un participe passé en français, ce qui permet la reconstruction d’un agent (Margot, Océane). C’est aussi le cas pour la moitié des occurrences chez les italophones (ci‑dessous Francesca, Fabrizio ; plus haut, Federico). L’autre moitié des occurrences en italien sont construites avec l’auxiliaire essere (être) au présent ou à l’imparfait, ce qui correspond à des passifs d’état dans lesquels la reconstruction d’un agent est très peu naturelle, mais possible.
Margot (6 ans) : Tom ouvrit la boite et *vu un mot écrit (séq. 6). Reconstruction : un mot écrit par quelqu’un
Océane (8 ans) : la maitresse arrive plus tard que d’habitude et puis il y a une petite fille inconnue (séq. 1). Reconstruction : petite fille inconnue des enfants de l’école
64Dans l’énoncé de Francesca, ci‑dessous, on peut reconstruire le complément d’agent, da Giulia : un foglio scritto da Giulia (une feuille écrite par Julie). Dans ce cas, con le cose di Giulia (avec les choses de Giulia) nous permet de penser qu’il s’agit bien là d’une tentative d’explicitation du complément d’agent.
Francesca (4 ans) : e vedeva un foglio scritto con le cose di Giulia (et il voyait une feuille écrite avec les choses de Giulia) (séq. 6)
65Dans l’énoncé de Fabrizio, deux interprétations sont possibles : soit il s’agit du papier de Julie, soit du papier écrit par Julie, dans ce dernier cas, l’enfant aurait confondu di et da Giulia. Dans les deux cas, on peut reconstruire un complément d’agent.
Fabrizio (6 ans) : e troverà un pezzo di carta scritto + di Giulia (…) (et trouvera un morceau de papier écrit + de Julie) (séq. 6)
66Sono tagliati (Gianni, ci‑dessous) est plutôt un passif d’état qu’une construction attributive (CAg reconstructible et impossibilité d’introduire *molto / très). La construction de l’énoncé de Fabrizio est indécidable : rinchiuso est plutôt un adjectif verbal et donc la construction serait attributive, tandis que preoccupato est plutôt un participe passé : preoccupato da qualcosa (préoccupé par quelque chose) et donc on aurait un passif d’état.
Gianni (4 ans) : i fiori sono tagliati (les fleurs sont coupées) (séq. 12)
Fabrizio (6 ans) : e Tommaso aveva un po’ paura perché era rinchiuso mi sembra + preoccupato (et Tommaso avait un peu peur parce qu’il était enfermé il me semble + préoccupé) (séq. 7)
67Cette construction est surtout attestée en français (une seule occurrence en italien). Comme dans le cas précédent du passif personnel sans agent, la reconstruction de ce dernier est peu naturelle du fait des temps employés, présent et imparfait, qui font de ces passifs des passifs d’état :
Gabriel (4 ans) : il l’a vu c’était écrit je t’attends vite dans la forêt (séq. 6). Reconstruction : c’était écrit par Julie (séq. 6)
Pauline X (4 ans) : (…) trouva un morceau de papier dessus il était marqué rendez-vous à l’arbre (séq. 6)
68La forme il était marqué est ambigüe, mais la présence de dessus entre morceau de papier et il invite plutôt à interpréter le pronom comme un impersonnel.
Claire (8 ans) : un petit papier que Julie avait écrit il était écrit rendez-vous demain (séq. 6)
69L’énoncé de Claire est intéressant, il montre que l’enfant reformule le TS : sur lequel Julie avait écrit : “je t’attends…”, en deux temps. D’abord en fournissant le premier actant, Julie, dans une construction transitive (que Julie avait écrit) qui empêche donc d’avoir un autre COD portant sur ce qui est écrit (Claire a en fait restructuré le verbe écrire du TS : Julia avait écrit quelque chose sur un morceau de papier), puis dans un deuxième temps, en effaçant tout actant de façon à focaliser l’information sur le résultat : il était écrit… (Muller, 2017 ; Hamma, 2020).
70Sébastien ajoute un pronom adverbial, ce qui lève toute ambigüité ; il s’agit bien d’une diathèse impersonnelle que l’on peut compléter par par Julie :
Sébastien (10 ans) : il regarde le mot et il y était marqué (séq. 6)
71La forme prototypique de ce type de passif est : Il y avait écrit / c’era scritto. Ces formes sont des passifs du fait de la reconstruction en : Il y avait quelque chose qui (était + avait été) écrit / c’era qualcosa che (era + era stato) scritto. Mais alors que la forme reconstruite admet un complément d’agent, la forme réduite (Il y avait écrit / c’era scritto) ne le permet absolument pas.
72Ces formes de passif sont de loin les plus fréquentes dans les deux corpus (20 occurrences chez les francophones et 18 chez les italophones) ; elles le sont aussi dans la langue courante parlée.
73Elles se caractérisent ici par l’aspect accompli qu’elles véhiculent.
Margot (4 ans) : il regarda dans la boite la grande boite ronde où il où il y avait écrit un mot (séq. 6)
Paul (10 ans) : i trouva un mot où il y avait marqué
Marco (6 ans) : e vede un biglietto che c’è scritto che ha un appuntamento (et il voit un petit mot qu’il y a écrit qu’il a un rendez‑vous) (séq. 6)
Mattia (10 ans) : e vide un foglietto dove c’era scritto vieni (…) (et il vit une petite feuille où il y avait écrit viens (…) (séq. 6)
74La construction con scritto n’est attestée que dans le corpus des enfants italophones. Elle est relativement fréquente et augmente en fonction de l’âge (comme dans le cas de con la luce, 4.1.2). Ici, la préposition con n’introduit pas un éventuel complément d’agent mais le participe passé passif, ce qui empêche de reconstruire un complément d’agent : *biglietto con scritto da Giulia (petit mot avec écrit par Julie).
Alessandro (6 ans) : Tommaso trovò un pezzo di carta con scritto (Tommaso trouva un morceau de papier avec écrit). Reconstruction : sul quale era scritto (sur lequel il était écrit)
Iside (10 ans) : e Tommaso trovò un bigliettino con scritto ci vediamo alle 8 (…) (et Tommaso trouva un petit mot avec écrit nous nous voyons à 8 heures)
75Au terme de cette étude, nous pouvons dire que les enfants de 4 à 10 ans ont produit cinq à six formes passives dans les deux langues. Les formes les moins fréquentes (en reformulation et en introduction) correspondent aux passifs avec complément d’agent.
76Parmi les formes reprises au TS, les formes de passif pronominal, à sens passif et à construction active, sans complément d’agent possible sont, de loin, les plus fréquentes dans les deux langues.
77Dans les passifs introduits, on trouve quelques compléments d’agent précédés de de chez les francophones, et, chez les italophones, un nombre relativement élevé de constructions synthétiques dans lesquelles le participe passé est introduit par con. Les autres formes introduites, assez peu nombreuses, sont des passifs personnels (plus nombreux chez les italophones) ou des passifs impersonnels (plus nombreux chez les francophones) sans agent exprimé. Les formes introduites les plus nombreuses, en français comme en italien, sont des formes impersonnelles sans agent possible (il y a / c’è).
78C’est donc bien l’expression d’un complément d’agent, quelle que soit la forme passive, qui semble poser problème aux enfants jusqu’à l’âge de 8 ans au moins, indépendamment de la pertinence informative qui ne commence à être prise en compte que vers 10 ans.
79En dehors du conflit qui se manifeste nettement dans les énoncés enfantins entre la fonction sujet et le rôle agentif du complément d’agent, se surajoute le conflit entre certaines formes passives et l’interprétation processive. Le passif d’état est la règle chez les francophones, du fait probable de la construction canonique passive en êtreaux Vparticipe passé, alors que l’italien dispose, pour la même construction, Vaux Vparticipe passé, de plusieurs auxiliaires du passif. Bien que les enfants italophones produisent plus de passifs processifs que les enfants francophones, les formes de passifs canoniques avec complément d’agent restent très peu attestées dans les deux langues enfantines, les italophones se montrant un peu plus productifs à partir de 8 ans. Nos résultats sont, maintenant, à mettre en regard avec les formes de passifs utilisées dans la langue parlée des adultes.