1« Les étudiants ne savent pas écrire… Ils ne savent pas rédiger un texte correctement ! ».
2Ces mots, nous nous sommes déjà surpris à les penser, à les prononcer, à les entendre dire, dans notre pratique enseignante à l’université. Nous les avons même lus dans plusieurs articles de recherche (p. ex., Freedman & Pringle 1984 ; Garing, 2014).
3Comme l’ont souligné Perin et coll. (2017), on attend du scripteur, après l’enseignement secondaire, qu’il puisse comprendre les besoins informationnels du lecteur, qu’il génère un texte approprié au but recherché et qu’il fournisse de l’information précisément et de façon cohérente, tout en obéissant aux conventions grammaticales et orthographiques. De fait, les étudiants qui entrent à l’université ne sont pas illettrés, ils ont reçu un enseignement formel et explicite en langue française depuis leur plus jeune âge. Pourtant, leurs compétences dans le langage écrit sont loin d’être abouties. Ils éprouvent encore des difficultés au sortir de l’enseignement secondaire supérieur. Or, en intégrant l’enseignement universitaire, ils vont devoir apprendre et maitriser de nouvelles formes d’écriture. Ces « primo-étudiants » (Frier, 2015), seront soumis à de nouveaux usages de la langue écrite, plus complexes, impliquant la lecture, l’écriture, la réflexion, la distanciation, etc. De ce fait, leurs habiletés d’écriture devront continuer d’évoluer.
On ne leur demandera pas uniquement de bien maitriser la langue écrite (d’un point de vue orthographique et syntaxique), mais également de savoir utiliser de multiples savoir-faire discursifs (insertion du discours d’autrui, positionnement énonciatif, gestion de la polyphonie, capacité à résumer, reformuler, se distancier, etc.) qui sont au cœur de l’élaboration des connaissances à l’université. (Frier, 2015, p. 36).
4Partant de ces constats et de ce contexte particulier qu’est la production écrite à l’université, nous avons voulu pousser la réflexion un peu plus loin. Nous avons cherché à mettre en lumière les difficultés qu’éprouvent les étudiants dans la production de textes argumentatifs. En effet, ce genre canalise de multiples compétences rédactionnelles dont on s’attend à ce qu’elles soient maitrisées par les étudiants à leur entrée à l’université, comme soulevé ci‑avant, mais aussi en toute fin de cycles (bachelier et master) : la lecture de sources documentaires diverses sur un même sujet, la sélection et l’extraction d’informations pertinentes, l’abstraction des thèmes et concepts qui en découlent, leur organisation, leurs mises en relation, la planification de leur mise par écrit, leur progression, etc. Et puisque argumenter à l’écrit revient, schématiquement, à choisir des arguments, des exemples ou des raisons, à les organiser, à leur conférer un ordonnancement qui corresponde au caractère linéaire du langage, à les relier entre eux et à un thème plus général (de façon implicite ou explicite) de sorte à former des unités textuelles qui s’assemblent en un tout qui se tient et fait sens (Cohen, 1984 ; El Ghazi, 2016 ; Garing, 2014), il nous semble clair que ces caractéristiques ont trait à la cohérence du texte. De fait, si l’interprétation de chaque phrase en fonction de celles qui précèdent permet de créer de la cohérence (Todirascu et coll., 2016), cette cohérence fait, également, qu’un texte ou un discours est, finalement, plus que la somme des interprétations des énoncés individuels. La cohérence assure l’organisation du texte/discours à travers la successivité, la continuité, la transition et la progression des phrases et des énoncés, ainsi que par leur intégration au contexte (local ou global) (Shapiro & Hudson, 1996 ; Alkhatib, 2012 ; Jadir, 2010 ; Degand et coll., 2010 ; Medve & Takac, 2013 ; Boch & Frier, 2015 ; Gagnon, 2015). Enfin, cohérence et argumentation partagent également la prise en compte de l’audience dans l’élaboration du texte/discours (Chuy & Rondelli, 2010) et se rejoignent sur le principe de non‑contradiction — élevé au rang d’une « métarègle » de cohérence par Charolles (1978) et décrit comme « principe fondamental de l’argumentation ordinaire » et même « expression fondamentale de la cohérence argumentative » par Plantin (2016). Dans ce contexte, il nous a paru que certaines difficultés, certaines lacunes pouvaient trouver leur source dans une gestion peu efficace de la cohérence textuelle.
5Dès lors, le présent article vise à présenter les résultats d’une recherche sur les difficultés liées à la cohérence textuelle rencontrées par des étudiants universitaires de deuxième année de bachelier en rédaction de texte argumentatif. Le premier but de cette étude est de produire un état des lieux des erreurs et écarts de cohérence. Pour ce faire, il s’est agi (voir infra) d’évaluer la cohérence au niveau des mécanismes de transition, de la pertinence et de la redondance des informations, des unités thématiques, de l’organisation, etc. (ce qui ne manquera pas de faire écho aux travaux d’Odette Gagnon, notamment à son étude de la pertinence et de l’arrimage (Gagnon & Chamberland, 2010 ; Gagnon, 2003, 2015)). Le second intérêt de cet article est de proposer des pistes de solutions pédagogiques-didactiques. Plus précisément, cette recherche s’intègre dans un cours de communication écrite dont la titulaire prône la pédagogie de l’erreur fertile où l’erreur est perçue comme terreau d’apprentissage, comme matériel d’acquisition et de consolidation des savoirs et savoir-faire. Ainsi, partant des écarts commis par les étudiants, nous tâcherons d’élaborer et de formuler des indications de remédiation et de solution.
Concepts et définitions :
6Le concept de cohérence ne fait pas consensus et se trouve souvent lié, voire amalgamé, à celui de cohésion. Nous adoptons, ici, la position de Patout (2019) qui propose une revue complète de ces notions et les résume comme suit.
La cohérence est une notion sémantico-pragmatique de coopération interprétative en contexte. Elle permet de soutenir l’unité (perçue) du texte. Elle résulte de l’interaction entre des caractéristiques textuelles et extratextuelles qui permet d’interpréter le texte et de juger de sa bonne formation. […] La cohérence réfère à une représentation cognitive chez le scripteur et le lecteur qui se fonde sur l’organisation des contenus qui sont liés entre eux par différents types de relations aux niveaux macro- et micro-structurels. La cohérence est […] une notion scalaire qui dépend de l’interprétant et des habiletés rédactionnelles du scripteur. […] On ne peut l’évaluer qu’indirectement. (p. 73)
La cohésion est un concept […] fonctionnel. Elle assure la continuité et la progression de l’information ainsi que l’acceptabilité des segments de texte et du texte lui‑même dans leur contexte et co‑texte. […] [E]lle se manifeste à la surface du texte par des mécanismes linguistiques (lexicaux, grammaticaux et sémantiques) observables qui unifient le texte par la mise en relation d’éléments présupposés et présupposants, et qui servent d’instruction de traitement lors de la lecture et de l’interprétation. (p. 74)
7Dans la suite de cette étude, nous évaluerons donc la cohérence à travers des marques de cohésion. Leur présence, leur absence, leur mauvaise utilisation pouvant créer des ruptures dans l’interprétation et l’intelligibilité du texte, ce sont quelques indices privilégiés d’analyse de la cohérence textuelle.
8Aussi, le texte qu’ont dû produire les étudiants relevait d’un genre que nous qualifierions de « méta-argumentatif » en ce qu’il n’est pas directement associé à un style, un public, une situation d’énonciation particulière. Il ne s’agissait pas de simuler la rédaction d’un article de presse ni d’un billet, ni même d’exercer quelque technique rhétorique.
9L’analyse des textes est exempte de considérations pragmatiques poussées (polyphonie, contexte de production/réception, etc.) de sorte à éviter les biais d’interprétation inhérents au processus de lecture et de correction.
10Notre corpus compte 73 textes produits par des étudiants en journalisme de deuxième année de bachelier en faculté de Lettres, Traduction et Communication. Il s’agit du premier texte argumentatif produit par ces étudiants pour le cours de « Communication écrite II ».
11Les étudiants de ce cursus ont déjà suivi et réussi le cours de « Communication écrite I » durant leur première année d’université. Ces deux cours sont conçus dans une optique de continuité pédagogique et visent l’amélioration des compétences rédactionnelles des étudiants, l’amélioration de leurs connaissances linguistiques, et leur initiation à la réflexion linguistique de façon plus générale.
12Dans un tel contexte, ce premier texte écrit permet aux étudiants de mobiliser, explicitement, les connaissances et compétences acquises en première année — où l’attention est portée sur l’erreur de manière générale, de forme et de contenu, et où celle‑ci est appréhendée comme moteur des apprentissages linguistiques — et les connaissances acquises lors des premières séances du cours de deuxième année — qui s’attache à revoir les bases de l’argumentation.
13La thématique de cette production écrite s’articule autour du « media bashing » et de ses risques. Trois sources textuelles sont fournies, en amont, aux étudiants : un communiqué de la Ligue des droits humains intitulé « Une presse en mauvaise posture » (Perrouty, 2019), un article de l’Obs, « Le “média-bashing” se porte bien dans le monde et c’est une menace pour la démocratie » (Diffalah, 2018) et un article du journal Libération, « Autocritique des médias. L’examen de confiance » (Lefilliâtre, 2019). Les étudiants sont encouragés à chercher d’autres sources documentaires sur ce thème afin de préparer leur rédaction. Les étudiants doivent également apporter leurs notes de lecture lors de la séance d’exercice-rédaction.
14Durant la première heure de cette séance d’exercice-rédaction, les étudiants doivent repérer, parmi un ensemble de phrases, des écarts linguistiques étudiés en première année afin de se les remémorer et de les éviter (écarts, faiblesses, figures de style, types d’arguments ou de raisonnement, erreurs de raisonnement). Les trois heures qui suivent sont dédiées à la rédaction de la production argumentative. Les étudiants disposent de leurs notes de lecture, d’un plan de texte préalablement élaboré et de dictionnaires et grammaires de référence.
15La consigne présidant à la production écrite est exprimée comme suit : « Rédigez un texte argumentatif qui répond à une question polémique (fournie), en utilisant le canevas suivant : introduction (amorce, problématique, reformulation de la question et annonce de la thèse), développement des arguments, conclusion (contenant a minima un rappel de la thèse). »
16Une grille d’analyse des textes a été fournie aux étudiants. Cette grille est la même en première et en deuxième année ; elle est donc supposée connue. L’évaluation porte sur l’énoncé (le contenu) avec une attention dirigée vers la présence d’une thèse, la qualité de l’introduction (amorce, problématique et annonce de la thèse), la qualité du développement (présence et pertinence des arguments) et la qualité de la conclusion. L’évaluation porte également sur l’énonciation (la forme) : la qualité du plan (progression argumentative, organisation des idées), l’orthographe lexicale et grammaticale, le respect des règles de syntaxe, la richesse du lexique, le registre, la neutralité de l’énonciateur et la concision. La lisibilité est également prise en compte (articulations logiques et transitions, mise en paragraphes, ponctuation, soin apporté à la présentation). Enfin, des écarts particuliers sont explicitement mis en avant : les maladresses d’expression, les éléments superflus, les éléments manquants, le manque de clarté, les écarts d’écriture (p. ex., abréviations erronées), les fautes et faiblesses de style et les répétitions.
17Pour une explication et une analyse plus exhaustives de ces différents points d’attention, nous vous renvoyons à la lecture de Damar et De Sutter (2013), « La maitrise du français écrit en BA1 à l’Université : constat de quelques lacunes et exemple de remédiation », et de « Communication écrite » de Damar (2014).
18Notre étude portant sur l’évaluation de la cohérence et, plus particulièrement, des écarts de cohérence dans les productions écrites argumentatives, nous avons choisi de nous concentrer sur certains points précis issus et inspirés de la grille d’évaluation des cours de « Communication écrite » mentionnée ci‑avant (cf. tableau 1).
Tableau 1. – Tableau des écarts de cohérence et explicitation des indices.
Indices relevés
|
Explications
|
Absence ou manque de transition (ex. : connecteurs) entre phrases
|
Lorsque l’absence d’une transition crée une rupture, un manque dans la compréhension / la pertinence / le modèle mental
Niveau inter-phrastique
|
Transition erronée ou non requise entre phrases
|
Lorsque le mauvais usage d’une transition crée une rupture dans la compréhension / la pertinence / le modèle mental
Niveau inter-phrastique
|
Absence ou manque de transition (ex. : connecteurs) entre paragraphes
|
Lorsque l’absence d’une transition crée une rupture, un manque dans la compréhension / la pertinence / le modèle mental
Niveau inter-paragraphique
|
Transition erronée ou non requise entre paragraphes
|
Lorsque le mauvais usage d’une transition crée une rupture dans la compréhension / la pertinence / le modèle mental
Niveau inter-paragraphique
|
Énoncé non pertinent ou hors sujet
|
Lorsque l’énoncé (phrase, paragraphe, etc.) n’apporte pas de nouvelle information pour faire avancer le texte, digresse, etc.
|
Contradiction d’un énoncé avec ce qui précède
|
Lorsque l’énoncé contredit (tout ou partiellement) ce qui a été présenté dans le (ou inféré du) contexte
|
Redondance d’un énoncé (ou plusieurs)
|
Lorsque la redondance de l’information s’avère superflue et peut devenir un obstacle à la pertinence de l’énoncé
|
Écart quant à l’unité thématique au sein du paragraphe
|
Lorsqu’un élément du paragraphe n’appartient pas au même thème/aspect que celui développé dans le paragraphe
|
Écart quant à l’unité thématique au sein du texte
|
Lorsqu’un élément (paragraphe, p. ex.) n’appartient au thème/aspect annoncé et/ou développé dans le texte
|
19Les quatre premiers indices de la grille sont relatifs à la cohésion microstructurelle (entre phrases) et macrostructurelle (entre paragraphes) en ce qu’ils sont linguistiquement saillants et dénombrables ; les cinq suivants sont davantage rattachés à la cohérence et à la pertinence, et peuvent fortement varier dans leur réception en fonction du lecteur/correcteur.
20Concernant les indices de niveau inter-phrastique, les résultats rapportés ci‑après présentent des pourcentages calculés sur le nombre total de phrases dans chaque texte ; quant à l’indice inter-paragraphique, de la même manière, le pourcentage est calculé sur le nombre total de paragraphes dans chaque texte.
21À ces indices, nous adjoignons celui de l’organisation, présent dans la grille d’évaluation. Bien que l’organisation reflète la surface du texte (son énonciation), ses écarts influent sur la cohérence du modèle mental que le lecteur se crée du texte. Dans les cas qui nous intéressent, il s’agit d’énoncés (propositions, arguments…) juxtaposés les uns à la suite des autres sans réelle cohésion, ou encore d’énoncés dont les propositions successives ont été séparées par l’insertion d’un exemple, d’une digression, etc., et dont le lien s’est affaibli. Cet indice est considéré au sein des paragraphes.
- 1 Tautologie issue de notre corpus et légèrement adaptée pour plus de concision.
22Enfin, nous ajoutons un relevé du nombre de tautologies. La tautologie est « un énoncé toujours vrai, par sa construction logique : l’énoncé n’apporte pas d’information au thème (le sujet) » (Damar, 2014, p. 56). Les cas relevés dans nos textes se rapprochent de la lapalissade, du truisme, « qui énonce une vérité tellement évidente qu’elle ne devrait pas être énoncée. Le truisme n’est pas informatif en énonçant une évidence, la tautologie fournit une information redondante » (ibid.). Plus qu’une simple répétition d’information, la tautologie prend appui sur elle‑même (p. ex., « Il est risqué de décrédibiliser les médias dans la mesure où ça les décrédibilise1 »). On conçoit donc qu’une information ou un énoncé redondant, répétitif et/ou renvoyant à lui‑même peut nuire à l’intelligibilité du texte en train d’être lu et causer une rupture dans la cohérence.
23Comme indiqué dans le tableau 2, les étudiants rédigent des textes argumentatifs relativement homogènes dans la forme de surface. La variabilité (représentée, ici, par l’écart-type) est faible. Les résultats montrent que les étudiants structurent leurs textes en cinq paragraphes d’environ trois phrases, chacune comptant à peu près vingt mots.
Tableau 2. – Données descriptives des indices de surface des productions argumentatives.
|
Moyenne
|
Écart‑type
|
Médiane
|
Nombre de mots
|
331,67
|
88,45
|
324
|
Nombre de phrases
|
16,39
|
3,76
|
16
|
Nombre de paragraphes
|
5,07
|
0,8
|
5
|
24La note globale attribuée à ces textes (cf. tableau 3) est de 9/20. On peut remarquer que la variabilité est faible (écart-type). Cependant, il faut noter que si la note minimale observée est de 8/20, cela reflète la volonté des enseignantes-chercheuses de ne pas descendre en dessous de celle‑ci afin de ne pas démotiver les étudiants dès le premier exercice de rédaction de texte.
Tableau 3. – Données descriptives concernant la note attribuée aux textes.
Moyenne
|
Écart‑type
|
Médiane
|
Minimum
|
Maximum
|
9,39
|
1,25
|
9
|
8
|
14
|
25Les indices relatifs aux transitions entre phrases et entre paragraphes (cf. tableau 4) présentent une variabilité non négligeable, ce qui tendrait à signifier que les étudiants scripteurs ne commettent pas ces genres d’erreurs de façon homogène. Toutefois, la médiane semble être un bon indicateur des performances rédactionnelles desdits étudiants dans l’usage des transitions.
26Ainsi, nous remarquons qu’un quart des transitions inter-phrastiques est manquant et qu’un peu plus de onze transitions pour 100 phrases sont erronées. Au niveau des paragraphes, environ 40 transitions pour 100 paragraphes sont manquantes ou erronées.
Tableau 4. – Données descriptives des indices relatifs aux transitions inter-phrastiques et inter-paragraphiques : pourcentages calculés sur le nombre total de phrases ou de paragraphes.
|
Moyenne
|
Écart‑type
|
Médiane
|
Niveau
|
Absence / manque de transitions
|
21,13
|
15,73
|
25
|
Entre phrases
|
Transitions erronées / non requises
|
11,35
|
5,59
|
11,11
|
Absence / manque de transitions
|
37,99
|
18,31
|
40
|
Entre paragraphes
|
Transitions erronées / non requises
|
36,37
|
19,37
|
36,67
|
27Étant donné la grande variabilité présente pour les autres indices (i.e. l’écart-type est élevé), il est plus difficile de tirer des indications issues des moyennes ou médianes. Dès lors, nous avons choisi de rapporter (cf. tableau 5) des valeurs absolues (les minima et maxima d’erreurs par copie). De plus, nous mentionnons le nombre maximum d’erreurs commises au troisième quartile, c’est-à-dire que, dans 75 % des copies, il n’y a pas plus d’erreurs que le nombre absolu repris dans la case correspondante. Cette dernière mesure est utile pour savoir si la majorité des erreurs commises l’est par la majorité des étudiants ou par un petit groupe, par exemple. Enfin, précisons que ce tableau révèle les résultats des copies contenant les erreurs mentionnées.
Tableau 5. – Valeurs absolues des maxima et minima d’erreurs commises dans les indices de pertinence, contradiction, redondance, unités thématiques ; nombre maximum d’erreurs commises de chaque type par 75 % des étudiants.
|
Minimum
|
Maximum
|
Troisième quartile (75 %)
|
Pertinence
|
0
|
9
|
1
|
Contradiction
|
0
|
3
|
0
|
Redondance
|
0
|
4
|
0
|
Unité thématique au sein du paragraphe
|
0
|
10
|
2
|
Unité thématique globale du texte
|
0
|
5
|
2
|
283 % des copies (n = 4) contiennent au moins une contradiction et 12 % (n = 9) renferment au moins une redondance. 50 % (n = 37) des étudiants commettent au moins une erreur de pertinence ou d’unité thématique au niveau du texte, et ils sont 87,8 % pour les erreurs d’unité thématique globale du texte.
29Les résultats suggèrent que les étudiants commettant le plus d’erreurs dans ces cinq catégories sont minoritaires. Ces types d’écarts semblent donc anecdotiques et ponctuels plutôt que reflétant une gestion réellement troublée de ces indices de cohérence.
30Enfin, concernant les indices liés à l’organisation et à la tautologie, les résultats révèlent que les étudiants sont peu nombreux à commettre ces genres d’erreurs. Ils sont environ 36,5 %, à présenter au moins un écart dans l’organisation des idées au sein des paragraphes, et 4 %, à utiliser une tautologie, au moins, dans leur texte.
31Au cours de nos lectures-évaluations, nous avons noté plusieurs schémas relativement récurrents mais qui n’ont pas fait l’objet de comptages ou d’analyses statistiques. Leur intérêt dans la question abordée n’est pas négligeable, et nous avons décidé de les présenter ici.
32Il est apparu que de multiples textes se présentaient sous la forme de successions de faits, d’opinions, d’arguments et de paragraphes sans liens forts les unissant. En outre, un corolaire direct de cette succession « non liée » d’informations se situe dans le manque de transitions explicites. Or, quand les transitions ne sont pas explicites, il est attendu que le lien entre ces informations successives soit causal (p. ex., Gagnon, 2015), car c’est un lien logique fort et très fréquent. Ce n’est pas le cas.
33D’autre part, toujours concernant les transitions, nous avons remarqué que, quelques fois, les phrases introductrices de paragraphe, les phrases permettant le passage d’un paragraphe à l’autre, prennent davantage la forme et/ou l’usage de sous-titres intégrés au paragraphe que de réelle marque transitionnelle. Tandis qu’à un niveau plus local, entre les phrases, l’absence de transition résulterait d’une reprise anaphorique mal maitrisée (une définitisation, par exemple, à la place d’un pronom démonstratif), ce qui provoque une rupture dans la lecture et, donc, de la cohérence.
34Enfin, la tâche de rédaction de texte soumise aux étudiants sous-tend l’exigence de répondre à une question (« Y a‑t‑il des risques au “media bashing” ? ») qui sert de thème général, en apportant des arguments et en les organisant de sorte à aboutir à une conclusion (qui apporterait une réponse à la question). Or, comme nous avons pu le soulever, nombre d’étudiants produisent un « assemblage » de faits qu’ils relatent, qu’ils résument, mais qu’ils ne lient pas les uns aux autres. Ces étudiants n’apportent pas de mouvement dialectique, ils ne prennent pas position, ils ne cherchent pas à convaincre ou à persuader… Du reste, ces faits se rapportent, souvent, à un thème plus général encore que celui à traiter (par exemple : le journalisme, les conditions de travail du journaliste, voire les droits et libertés de la presse, d’expression, etc.).
35D’un point de vue global et de surface, nous avons pu mettre en évidence que les textes sont rédigés de façon homogène par tous les étudiants qui les structurent, en moyenne, en cinq paragraphes, de trois phrases, comptant chacune vingt mots. Aussi, il est apparu que nous intéresser à la note attribuée à ces textes et que la mettre en lien avec les erreurs commises n’était pas envisageable ni pertinent étant donné la volonté pédagogique de ne pas démotiver les étudiants et, de ce fait, de ne pas descendre la note de ce premier exercice de l’année sous les 8/20.
36Ensuite, au niveau de la cohérence, plusieurs paramètres ont été examinés. De cette analyse, nous avons pu déterminer qu’un quart des transitions entre phrases est manquant et qu’elles sont erronées dans 11 % des cas ; tandis qu’entre paragraphes, ce sont, environ, 40 % des transitions qui sont manquants ou erronés. D’autre part, les étudiants commettant le plus d’erreurs de pertinence, de redondance et d’unité thématique au sein du paragraphe sont minoritaires (25 % ou moins), voire anecdotiques lorsque l’on s’intéresse aux tautologies (4 %). Plusieurs facteurs pourraient expliquer ces taux, notamment le fait que le français — langue d’enseignement et de rédaction de ce cours — n’est pas la langue maternelle de tous les étudiants, ou encore qu’il s’agirait davantage d’un problème lié à la performance plutôt qu’à la compétence. En effet, après une heure d’exercice de repérage d’erreurs diverses, et même si la rédaction a été préparée, il est probable que trois heures de lecture, écriture, réécriture et révision devienne cognitivement couteux, menant à des erreurs dans la mise en œuvre de règles connues (ce que nous pourrions rapprocher du concept d’« erreurs d’expert » mis en évidence par Fayol & Got (1991)).
37Les erreurs de contradiction, d’unité thématique du texte et d’organisation restent assez nombreuses et fréquentes. Il semble donc nécessaire de continuer à y porter une attention particulière. D’ailleurs, il nous a paru que les écarts relevés pouvaient se rapporter aux deux types d’argumentation incorrecte mis en évidence par Freedman et Pringle (1984) : (a) l’argumentation « focale », qui renvoie au fait que chaque propos, chaque énoncé, individuellement, réfère au thème central, mais qu’ils ne sont pas reliés logiquement entre eux ; (b) l’argumentation « associationnelle » qui, quant à elle, met en lumière qu’une déclaration est faite sur le thème central et que chaque proposition subséquente est liée à la précédente, mais qu’elles ne sont, en aucun cas, liées à l’argument central, c’est-à-dire que les énoncés ne sont pas inter-reliés dans une superstructure hiérarchique.
38Enfin, concernant nos observations qualitatives, les écarts paraissent, principalement, être le fait d’un manque de sélection pertinente d’arguments, d’un manque d’organisation de ceux‑ci et d’une absence de transitions claires et explicites entre les paragraphes.
39En somme, les difficultés relevées se situent non seulement au niveau des transitions entre paragraphes, d’abord, entre phrases, ensuite, mais aussi au niveau de l’unité thématique du texte, du principe de non‑contradiction, et de l’organisation intra-paragraphique. Ces données quantifiées sont appuyées par l’analyse qualitative qui souligne les difficultés de sélection et d’organisation des arguments, ce qui semble corolaire à des problèmes au niveau des transitions locales et globales.
40Par ailleurs, et en l’état, les résultats rapportés pourraient suggérer que les étudiants sont plus sensibles aux liens locaux entre les idées (cf. transitions entre phrases) qu’à des liens à un niveau plus global entre thèmes / groupes d’idées (cf. transition entre paragraphes). Cela tendrait à être appuyé par le fait qu’il n’y a pas réellement de mouvement dialectique/argumentatif dans leurs argumentations (cf. analyse qualitative). Il nous semble, d’ailleurs, que les problèmes d’organisation présents chez 36,5 % des étudiants abondent dans ce sens. Dès lors, la gestion des thèmes / groupes d’idées à un niveau macro (entre paragraphes) parait être un point important des difficultés que rencontrent les étudiants dans leur production argumentative.
41Pour rappel, le but de cette recherche est de mettre en évidence les difficultés liées à la cohérence textuelle dans la production de textes argumentatifs d’étudiants universitaires et, en partant de leurs erreurs, de proposer un dispositif pédagogique-didactique qui les place en position de « linguiste », les poussant à adopter une réflexion métalinguistique, de sorte à améliorer leurs productions. De plus, comme nous l’avons mentionné plus haut, cohérence textuelle et argumentation écrite sont étroitement connectées. Dès lors, en travaillant sur l’une, nous améliorerons l’autre, et inversement, ce que tend à confirmer, entre autres, Cavanagh (2006).
42Comme expliqué plus haut, l’analyse du corpus n’a pas tenu compte d’aspects plus pragmatiques de la cohérence et de l’activité rédactionnelle (situation d’énonciation / réception, dialogisme, public-cible, etc.). Or, les résultats semblent indiquer que ces considérations seraient opportunes dans ce contexte. Dès lors, une première idée, inspirée de l’exercice rhétorique des dissoï logoï, est de demander aux étudiants de produire deux textes argumentatifs sur un même sujet ; chaque texte proposerait une thèse construite et opposée. De la sorte, nous envisageons de développer chez les étudiants leurs habiletés à manier différents arguments, de différents niveaux, qui se répondent et s’opposent et, par extension, de mieux parvenir à les organiser et à les mettre en relation. Nous pensons que cette activité serait bénéfique, non seulement, pour l’amélioration des relations de cohérence, de l’organisation discursive et du développement dialectique, mais aussi pour la prise en compte d’une thèse contradictoire et, donc, de la pensée d’autrui. Ce faisant, en se mettant à la place de l’autre, le scripteur peut aiguiser sa capacité à prendre en compte son audience et, donc, augmenter la qualité interne de ses productions.
43Cependant, une approche analogue mais plus synthétique a été mise à l’épreuve il y a quelques années dans le cadre de ce même cours de communication écrite. Il était, alors, demandé aux étudiants de produire une dissertation présentant une thèse, une antithèse et une synthèse. Autrement dit, les étudiants-scripteurs devaient produire des arguments en faveur et défaveur d’un thème donné, à l’instar des dissoï logoï, mais, contrairement à ces derniers, l’exercice ne supposait la rédaction que d’un seul texte et la présentation d’une opposition entre points de vue permettant l’étayage de la posture adoptée. Il s’est avéré que les étudiants n’étaient pas en mesure d’avancer une thèse et son opposée sans se contredire fondamentalement, menant à des incohérences. Les étudiants ne parvenaient pas à aboutir à une conclusion, à une synthèse de leur argumentation. Leur niveau de maitrise de la langue n’était pas suffisant pour atteindre un taux de compétence satisfaisant au terme du cours. Il nous semble donc, à l’heure actuelle, judicieux de procéder par étapes, en décomposant la tâche de production écrite argumentative, comme décrit ci‑après.
44La seconde proposition de dispositif, plus exhaustive dans son approche, permet de prévenir les différents problèmes révélés par les analyses. Elle s’appuie sur les conceptions étudiantes de ce qu’est une argumentation écrite pour reprendre chaque point en détail. Il semble légitime de s’attendre à retrouver au moins quatre éléments principaux dans ce premier modèle : (1) l’énoncé d’une thèse (voire le couple thèse-antithèse) — qui permettrait d’introduire la nécessité de cerner le thème principal du texte à produire et ses implications, délimitant le champ de ce que l’on veut présenter —, (2) les arguments — ils étaient une thèse et servent à convaincre l’auditoire —, (3) une conclusion — l’idée principale vers laquelle nous voulons amener notre auditoire —, et (4) une introduction — où l’on présente le sujet débattu et la thèse défendue.
- 2 Nous nous référons, ici, au modèle de Flower et Hayes (1981, 1983) qui a fait l’objet de modificati (...)
45Ces concepts principaux, une fois mis en lien et en perspectives, sont placés de côté. La séquence suivante s’axe sur les étapes-clés de la production de textes argumentatifs. Tout d’abord, les aspects pragmatiques : déterminer une audience et l’effet à provoquer en elle (s’agit‑il de la convaincre, de la persuader, de la pousser à agir… ? ; c’est l’acte illocutoire). Ensuite, à l’instar de Dolz et Pasquier (1994), les processus de base de la rédaction : la planification du texte, la mise en texte et la révision2.
46Concernant la phase de planification, il semble pertinent de commencer la réflexion par la conclusion à laquelle le scripteur souhaite aboutir. Cela permettrait de garder en mémoire l’objectif à atteindre à travers le texte et, donc, de mieux sélectionner et agencer les énoncés. De cette conclusion, une thèse sera tirée et formulée, par exemple, sous la forme de questions auxquelles l’argumentation écrite répondra. Ensuite, il s’agit d’énoncer tous les arguments en faveur ou en défaveur de la thèse défendue puis de les ordonner selon leur degré d’importance relative. Ces étapes permettent d’initier l’élaboration de la progression thématique du texte. Celle‑ci se poursuit et se consolide par l’agencement et la mise en relations desdits arguments entre eux, en veillant à ce qu’un paragraphe ne présente qu’une idée, un seul argument. Cette étape débouche, naturellement, sur l’élaboration de la successivité des arguments et paragraphes. À partir de là, le résultat des considérations pragmatiques émises en amont est récupéré. Par la détermination de l’audience à laquelle le scripteur s’adresse, ce dernier peut adopter un registre, un style, un lexique, une syntaxe, etc., adaptés.
47Une fois la conclusion établie ainsi que, ce faisant, le but, la thèse à défendre, les arguments, leur(s) mode(s) d’agencement et les données pragmatiques de l’énonciation à prendre en compte, le développement dialectique de l’argumentation peut s’amorcer en construisant les mouvements entre arguments et paragraphes. Il faut veiller, lors de cette phase, à assurer la continuité et la progression de l’information et à créer des transitions claires et explicites (par l’usage de connecteurs, conjonctions, marqueurs discursifs, reprises anaphoriques, etc.). Par la suite, le texte pourra être agrémenté par le développement des arguments au moyen de définitions, d’exemples, de figures de style, etc.
48Enfin, viennent les phases de mise en texte et de révisions. Grâce au travail mené jusqu’à ce stade, le scripteur dispose d’un plan du texte à produire ainsi que de toutes les informations nécessaires pour y parvenir. Une première version du texte, un brouillon, est rédigée et soumise à une relecture sémantico-pragmatique. Il s’agit de se demander si le texte est bien adapté à l’audience visée, si le texte permet de guider le lecteur vers la conclusion souhaitée, si le texte ne présente pas de digression et si les relations et transitions locales et globales entre arguments sont claires. Le texte est alors modifié en fonction de cette relecture puis révisé sur des aspects formels linguistiques (grammaire, orthographe, syntaxe, répétition, alinéas, etc.). Une nouvelle étape de modification s’ensuit, si nécessaire, ainsi qu’une dernière relecture sémantico-pragmatique et linguistique du texte. Ces phases terminées, le scripteur peut retranscrire le texte de son brouillon vers sa version finale.
49Ce dispositif pédagogique-didactique s’inspire de nombreux travaux sur la didactique et l’enseignement de l’argumentation (p. ex., Cavanagh, 2006a ; Gagnon et coll., 2014 ; Lundquist, 1993 ; Ntirampeba, 2003), mais revêt également des considérations d’ordre cognitif puisque, en scindant l’activité rédactionnelle en toutes ces parties, la charge cognitive-attentionnelle de chaque processus d’écriture, liée à chaque étape de la préparation et de la production de texte, sera allouée de façon privilégiée et efficace, minimisant les risques d’interférences et de compétition pour une même ressources (p. ex., Torrance & Galbraith, 2006 ; Torrance, 2016 ; McCutchen, 1996 ; Chanquoy & Alamargot, 2002 ; Patout, 2019 ; Olive & Piolat, 2000).
50Cette méthode reste encore à implémenter, ajuster et tester, mais des pistes d’amélioration peuvent d’ores et déjà être envisagées. En effet, la question n’a pas été abordée dans le présent article, mais la production argumentative se base souvent sur des sources textuelles. C’est d’ailleurs, comme expliqué plus haut, le cas ici. Or, quand on se base sur une source textuelle, des capacités de compréhension à la lecture sont requises. Après le secondaire, on s’attend à ce que les étudiants puissent analyser un texte pour en identifier les informations importantes, utiliser leurs connaissances concernant un sujet particulier, interpréter le langage et le vocabulaire appropriés au contexte, utiliser des stratégies pour comprendre les nouveaux concepts, et produire des analogies entre différents concepts. Tout ceci dépend de mécanismes métacognitifs et d’autorégulation (Perin et coll., 2017). Prendre en compte l’effort cognitif qu’impose la lecture et la compréhension de textes en vue de / pendant la rédaction d’une argumentation semble donc particulièrement critique, bien que nous puissions supposer ces processus acquis.
51Par ailleurs, comme le soulignent Cuevas et coll. (2016), plusieurs études ont déjà montré l’intérêt et les bénéfices de l’écriture collaborative — c’est-à-dire en groupe — pour la qualité des productions écrites et, particulièrement, pour des textes argumentatifs. Pour ces chercheurs, à travers cette démarche, les étudiants sont confrontés à d’autres idées, d’autres points de vue. Ils les comparent et cherchent à les comprendre en même temps qu’ils s’engagent dans la planification, la composition et la révision de leur texte commun. De plus, cette confrontation et cette mise en commun semblent ouvrir les étudiants à une conception de l’écriture comme un outil de construction de connaissances, ce qui, toujours selon Cuevas et coll. (2016), favorise la sélection d’information depuis différentes sources et, donc, améliore la qualité des synthèses au niveau de la sélection et de l’élaboration de l’information. Leur étude permet donc d’envisager sous un nouvel angle la première proposition que nous faisions au début de cette section. Plutôt que de demander aux étudiants, individuellement, de trouver des arguments en faveur et défaveur d’un sujet et de produire deux textes qui s’opposent, nous pourrions les mettre en petits groupes. Le but et les intérêts resteraient les mêmes : en prenant en compte différentes perspectives sur un même sujet, les étudiants amélioreront leur capacité de considération du public-cible, de ses attentes, de la manière de le conduire jusqu’à la conclusion… ce qui, par conséquent, serait bénéfique pour l’amélioration de la cohérence et de la qualité de texte de ces étudiants-scripteurs. En effet, la cohérence n’est pas inhérente au texte. Au final, la cohérence est créée par le lecteur (pour une revue sur la cohérence, voir notamment Patout (2019)). Dès lors, se mettre à la place de ce dernier pour la rédaction d’un texte aura un impact sur la qualité de la cohérence et du texte, et, donc, sur la qualité de l’argumentation, le cas échéant.