Jacques David et Corinne Weber, Le français et les langues : histoire, linguistique, didactique. Hommage à Jean‑Louis Chiss
Jacques David et Corinne Weber, Le français et les langues : histoire, linguistique, didactique. Hommage à Jean‑Louis Chiss, Limoges, Lambert Lucas Éditions, 2020, 248 p.
Texte intégral
1Présenté comme un hommage à Jean-Louis Chiss, cet ouvrage dirigé par J. David et C. Weber questionne deux aspects stratégiques de la didactique des langues — désormais DDL —, à savoir son processus de construction en tant que champ disciplinaire transversal et son rapport aux sciences du langage. Dans le volume, on défend l’idée qu’épistémologie, théories du langage et formation à l’enseignement configurent un système complexe nécessaire pour construire un projet étendu de la DDL, dont Chiss incarne la philosophie.
2Pour exposer ce principe, les coordinateurs ont choisi de structurer l’ouvrage en trois parties thématiques : l’historicité des approches linguistiques et didactiques, le français langue maternelle, langue seconde et langue de scolarisation, et enfin, les thèmes du plurilinguisme, de la littéracie et de la formation. La visée épistémologique de l’ouvrage se traduit par une majorité d’articles à dominante théorique, à travers lesquels on reconstruit progressivement l’identité scientifique de Chiss. À la fin de chaque article, la présence de souvenirs des auteurs ayant côtoyé Chiss pendant sa carrière permet d’apprécier toute la profondeur intellectuelle et humaine d’un chercheur remarquable.
3Le concept d’historicité est une des lignes de force de l’ouvrage. Pour Spaëth, l’historicité est un opérateur de la recherche épistémologique qui permet d’accepter et d’apprécier la diversité des approches caractérisant la DDL. L’historicité aide aussi à comprendre la construction sémiotique de la DDL : pour Sauvage, elle doit amener « non pas à cliver la diversité des postures scientifiques, mais plutôt à relier ces différentes postures […] » (p. 35). De même, le concept de continu de la DDL et de la théorie du langage, évoqué par Martin, et celui de transférabilité entre didactiques, mobilisé par Cadet, invitent à voir dans le système de pensée de Chiss la marque d’une didactique transversale, plurielle, et projetée vers un décloisonnement idéologique et disciplinaire. Ainsi, selon Marquillo Larruy, « les évolutions terminologiques […] sont bel et bien les signes visibles porteurs du renouvellement de perspective, voire de nouveaux paradigmes qui mettent en relief des reconfigurations théoriques » (p. 93).
4Les champs du français langue maternelle, langue seconde et langue de scolarisation invitent à penser la relation entre idéologie, imaginaires et politique au sein de la DDL. Pradeau soulève la question des politiques linguistiques d’immigration en francophonie : ces politiques sont‑elles le fruit de discours idéologiques ou d’idéologies linguistiques ? Castellotti tente de répondre à cette question vive à travers une analyse des usages de la langue et des représentations liées à l’apprentissage et à l’enseignement. Selon l’auteure, « ce sont les imaginaires qui guident les usages, ces usages étant conçus comme une articulation de pratiques et de représentations » (p. 44). En suivant cette perspective, Augier invite à repenser les répertoires didactiques des enseignants des langues secondes et leur impact sur les représentations collectives. C’est ainsi que la constitution de curricula intégrés au sein des programmations bilingues représente une hypothèse tout à fait raisonnable (Uribe). Dans la même lignée, on peut ajouter que le français, en tant que langue de communication, est un objet-outil intimement lié aux contextes d’enseignement (Chnane-Davin), et que les histoires de vie et les imaginaires qui en découlent sont bel et bien un moyen pour saisir « les éléments impliqués dans le parcours d’appropriation d’une langue étrangère » (Benatti Rochebois, Pagel et Jacob Dias de Barros, p. 118).
5Les thèmes du bilinguisme et du plurilinguisme, très chers à Chiss, représentent à leur tour l’un des pivots de l’ouvrage. Liée à des positionnements idéologiques, la diversité des langues, comme le soutient Gajo, oblige le praticien à remettre en jeu ses représentations et à revenir aux structures de la langue, au savoir à enseigner. Causa et Vlad approfondissent cette perspective et affirment que dans le domaine du FLE la plasticité des maquettes fait de la formation universitaire « un banc d’essai pour le renouvellement théorique, pour rendre plus visible le lien étroit entre l’enseignement, la formation et la recherche, enfin, pour asseoir la réflexivité en tant que concept incontournable dans la professionnalisation du métier » (p. 172). La proposition de Leferrec d’analyser les discours de transmission des connaissances véhiculées par les manuels scolaires semble aussi aller dans ce sens.
6Pour conclure, bien que Molinié et Moore rappellent que la polysémie du mot littéracie freine l’enthousiasme de Chiss pour ce domaine d’études, le lecteur aurait sans doute apprécié une réflexion sur l’épistémologie des relations DDL-littéracie. Malgré cela, l’ouvrage réussit son pari : rendre hommage à Chiss en lui consacrant quinze articles qui représentent, à leur tour, une étape ultérieure dans la construction épistémologique de la DDL.
Pour citer cet article
Référence électronique
Luca Pallanti, « Jacques David et Corinne Weber, Le français et les langues : histoire, linguistique, didactique. Hommage à Jean‑Louis Chiss », Lidil [En ligne], 64 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/9415 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.9415
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