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Notes de lecture

Pierre Bruno et Jacques David (dir.), La xénophobie à l’école : une discrimination oubliée ?, revue Le français aujourd’hui, no 209

Paris, Armand Colin, 2020, 150 p.
Marina Krylyschin
Référence(s) :

Pierre Bruno et Jacques David (dir.), La xénophobie à l’école : une discrimination oubliée ?, revue Le français aujourd’hui, no 209, Paris, Armand Colin, 2020, 150 p.

Texte intégral

1Ce numéro du Français aujourd’hui propose de sonder le poids réel des discriminations xénophobes, à l’école, et dans l’enseignement de la langue et de la littérature, ainsi que leurs interactions avec d’autres discriminations ou avec les inégalités sociales.

2Une première difficulté que soulève ce numéro réside en la capacité de penser les discriminations par‑delà les routines discursives discriminantes, tout en s’affranchissant aussi du consensus apparent émanant d’un positionnement antiraciste, en distinguant par exemple un antiracisme humaniste, né en réaction aux discours d’extrême-droite, d’un antiracisme « systémique » héritier du colonialisme. Caroline Reynaud-Paligot montre ainsi qu’appliquer la grille d’analyse des formes de racisme institutionnalisées (colonialiste et nationaliste) au contexte actuel (analyser le rôle des élites politiques, économiques, savantes, médiatiques dans les processus de racialisation) pointe les limites des visions continuistes s’agissant du racisme. Pierre Bruno pose la question de l’évaluation du degré de racisme d’une œuvre en mobilisant le modèle d’évaluation du sexisme. Il pointe trois problématiques principales : la première porte sur les critères de définition du racisme, la seconde sur les biais liés au travail critique et ses méthodes, la troisième renvoie à la capacité de chaque critique d’objectiver ses propres modèles critiques, et montre finalement que les œuvres, dont le caractère raciste ne fait pas consensus, constituent autant d’occasions d’amener chaque lecteur à s’interroger sur ses propres catégorisations.

3En questionnant les désignations de « littérature française », « littérature francophone », « littérature-monde » et de « francophonie », Virginie Brinker montre que la façon de penser le particulier, l’Autre, face à un général (la littérature dite « française »), qui ne peut être explicitement défini, renvoie à la difficulté de penser la possibilité de la différence qui ne conduise pas aux replis communautaires. L’analyse de trois recueils poétiques écrits par Marc Alexandre Oho Bambe, Kalimat et Houssein Rohân fait apparaitre une construction de soi qui part de l’affirmation d’une différence identitaire non figée, pour arriver à une forme de subjectivité « qui a pour programme l’avènement du vouloir-vivre collectif » (p. 72).

4L’autre difficulté pour traiter de ces questions porte sur la méthode mise en œuvre dans l’analyse de corpus. Les auteurs Fabrice Dhume et Marguerite Cognet dressent un état des lieux des travaux de recherche portant sur les logiques de racisation et de discrimination dans le domaine de l’éducation, et constatent que cette recherche est en partie « réduite à des enquêtes exploratoires ou d’ampleur restreinte, rarement actualisées, et parfois à des travaux robustes mais isolés » (p. 18). Les auteurs plaident pour une approche intersectionnelle « socio-ethno-sexo-scolaire » (p. 21) pour rendre compte des niveaux de responsabilité engagés dans ces logiques discriminatoires. Dans une perspective qui chercherait à comprendre les inégalités scolaires à partir de critères ethniques et non plus sociaux, Ines Albandea pose notamment la question méthodologique de la mesure de la discrimination en milieu scolaire. Trois types d’études sont discutés : (1) les enquêtes s’intéressant au ressenti des individus. L’une d’entre elles, Trajectoire et origine, a pu notamment montrer que les sentiments d’injustice et de discrimination à l’école peuvent varier selon l’origine migratoire des enquêtés, que la déclaration de discrimination est fortement corrélée au statut social et au revenu, ou encore que la discrimination liée au sexe est peu reportée dans la sphère éducative par rapport à celle de l’emploi ; (2) les méthodes dites objectives comme le testing, difficiles à mettre en place dans le contexte scolaire ; (3) la méthode indirecte de mesure de « résidus discriminatoires » (p. 35) qui ne permet pas de rendre compte de l’ampleur réelle des discriminations ni de les expliquer. S’agissant du domaine éducatif, d’autres variables seraient à prendre en compte, comme les pratiques culturelles ou les modes de socialisation scolaire des familles. Deux autres contributions présentent un corpus et une méthodologie d’analyse : Lydie Laroque propose d’observer le traitement du racisme dans les manuels de CM2 au travers d’une analyse diachronique de dix manuels, qui suit l’évolution des programmes (2002, 2008, 2015). Quatre entrées sont mobilisées pour l’analyse : la sélection des textes, leur assemblage, la mise en scène (la focalisation sur certains extraits) et leur exploitation didactique. Il ressort notamment de cette étude qu’une approche référentielle des textes, aujourd’hui le plus souvent réduits à des extraits, prônant une mise en avant de figures individuelles exemplaires face au racisme, est privilégiée aux dépens d’une approche par les valeurs qu’ils figurent et problématisent. Rima Amokrane et Emmanuelle Guerin cherchent à comprendre, en s’appuyant sur l’analyse de trois entretiens, les fondements de la dénomination catégorisante et ethnicisée « jeunes de banlieue », « jeunes (issus de l’immigration) », afin de pointer en quoi elle contraint les individus à adopter un comportement prédéterminé par rapport aux institutions et à l’école. Les auteures montrent comment une telle catégorisation peut limiter les possibilités d’évolution de l’identité sociale des individus concernés, les marginaliser, et surtout, ne rend pas compte de la complexité de la problématique identitaire des « jeunes » Français ayant la culture maghrébine en héritage.

5En mettant à l’épreuve des méthodologies d’analyse, et des corpus, la notion (aussi employée comme catégorie) de « racisme », ce numéro du Français aujourd’hui revient, dans une perspective diachronique et épistémologique, sur tout un ensemble terminologique : antiracisme, ethnicisation, racialisation, discrimination, inégalité, identité, différence, altérité.

6Cette mise en perspective permet au lecteur de questionner l’efficience de ces catégories s’agissant d’étudier le lien entre inégalités scolaires et xénophobie.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marina Krylyschin, « Pierre Bruno et Jacques David (dir.), La xénophobie à l’école : une discrimination oubliée ?, revue Le français aujourd’hui, no 209 »Lidil [En ligne], 63 | 2021, mis en ligne le 30 avril 2021, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/9163 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.9163

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Auteur

Marina Krylyschin

DILTEC (DFLE), Université Sorbonne-Nouvelle

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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